lundi 30 novembre 2015

La douche polonaise

London, Melville, Conrad, j’en oublie, et c'est l’aventure.

C’est par Malcolm Lowry que j’ai retenu le nom de Conrad, dans le roman dont le cercle hanté me renvoie aux hallucinations cauchemardesques d’un voyage vécu semblablement, même si je ne suis jamais allé au Mexique, Au dessous du volcan. C’est par mon père que je l’ai lu (Conrad), en récupérant ses Folios à sa mort. Qu’ils en soient ici remerciés. Et vivement le prochain !


Avez-vous lu Typhon, de Joseph Conrad (encore un guère sympathique dans la vie si j'en crois un article déjà ancien du Canard à propos de sa biographie) ? Ca mêle un vrai comique de caractères et de situations (le rire compatissant et sadique à la fois face aux déboires de ces pauvres chinois secoués comme des dés dans un gobelet) à une virtuosité dans le crescendo, du calme à la catastrophe apocalyptique, qui donne vraiment l'impression de se prendre des déferlantes de plus en plus violentes et définitives sur le coin de la tronche. Le livre n'est pas épais, c’en est d’autant plus fort de créer autant de tension dramatique et d'humour avec juste une coque de noix, de l'eau salée, et du vent ! Un pur roman d’action, ou un roman d’action pure, les personnages étant peints à coups de sabre d’abordage, mais si précisément et de manière si concise que sans ressassement ces quelques sires sont saisis. Quant aux éléments, on se croirait vraiment en leur centre. Jusqu’au retour au calme dont on doute de l'avènement possible, tant la violence s’amplifie par paliers, chaque palier semblant celui du maximum de déchaînement, mais se trouvant supplanté par le suivant, encore plus destructeur, sans fin prévisible qu’un engloutissement et un anéantissement définitif…


La Flèche d’or, c’est tout le contraire. Certes, les personnages restent très archétypiques : le jeune seigneur désabusé et arrogant, sa mère, proustienne vieille aristocrate pittoresque mais ignoble malgré sa perfection esthétique, le bon gros anglais style colonial à pipe, le jeune marin aventureux qu’on imagine en débardeur à la Marlon Brando, le loup de mer à moustaches, la plantureuse et mûre romaine amoureuse, la paysanne bigote, bornée, féroce et âpre au gain, et la jeune gardienne de chèvre devenue grande dame après son adoption par un richissime artiste (c'est notre femme fatale)… Mais le livre est beaucoup plus long, et les personnages décrits et mis en scène avec un luxe de mots qui contrastent avec l’économie de Typhon. Ici, pas d’action, même si le centre de l’intrigue est un trafic d’armes au profit… des carlistes, royalistes légitimistes en guérilla dans les années 1870 en Espagne. Mais notre héros, le jeune fort des ponts, n’y participe que par attirance pour l’aventure et la mer (cette aventure qui nous fait vibrer dans les livres, mais qui, comme le dit Hannah Arendt, a pour la plupart du temps pour motif et résultat dans la réalité historique le pillage, le colonialisme, la réduction à l’esclavage de populations… ; elle donne pour exemple les grands aventuriers allant conquérir l’Afrique du sud quand les capitaux et la main d’œuvre occidentales sont devenus excédentaires ; on pense à l’épisode éthiopien de Rimbaud, aux péripéties coloniales de Bardamu, etc… ; bien sûr, il y a d'autres formes d'aventures, de celles du quotidien - fouiller une poubelle pour trouver un croûton, déguster un yaourt périmé depuis trois semaines... -, aux diverse démarches de reprise individuelle, voyages de style Beat generation, communautés des 60's, zads et mouvements à la fois de résistance, d'offensive et d'expérimentation d'autres formes de vie, plus généralement toute la geste révolutionnaire, mais elles sont plutôt rares en littérature vraiment romanesque, la pure aventure intérieure, introspective étant, quant à elle, plus proche d'une démarche poétique, mystique ou psychanalytique). Ici l’aventure est une tentative d’opérette de rétablir la branche aînée des Bourbons d'Espagne sur le trône – rappelons que plus de 40 pronunciamientos ou tentatives de pronunciamientos ont lieu en Espagne entre 1814 et 1923, soit en moyenne un tous les deux ans et demi, une vraie manie, ou une culture -. Pour l’argent un peu aussi, peut-être. Et puis en fin de compte, surtout par amour pour cette apparition divine, cette Rita portant la fameuse flèche d’or dans les cheveux et qui, elle-même, ne soutient la cause que par amitié pour un de ses ex-amoureux transis et malheureux, un des cadors du carlisme.

Rita n'est pas un prénom très romantique, madame de Lastaola, son pseudo, plus, quant à sa soeur, on n'a vraiment pas envie de la prendre

Autant Typhon décrit une titanesque convulsion naturelle en peu de mots, autant ici, on tourne autour d’une confusion des sentiments se précisant et s'amplifiant peu à peu. Parfois, surtout au début, j’ai ressenti des longueurs, dans les joutes amoureuses taisant leur nom notamment. Et puis finalement, comme souvent mais particulièrement ici ou l’écriture est limpide, non seulement je me laisse bercer par celle-ci, mais un suspense s’installe lié à la tension dramatique crescendo de ces amours impossibles de vers de terre face à une étoile pourtant simple, béatifiée malgré elle. On est entre marivaudage, tragédie grecque et romantisme. Mais la fin est surprenante, et agréable, la vie continue, entre autre la vie de Monsieur George, dont on sait que son modèle deviendra ce grand écrivain aventurier (c’est le plus autobiographique des romans de Conrad). Juste avant la fin, une scène de jalousie pathétique, déchaînée et grotesque à la fois, digne d'un Molière sous amphétamine, par un personnage encore plus caricatural que les autres, comme un Balzac dessiné par un Daumier bien chargé, dans une maison à la Hitchcock, à la fois massive, luxueuse et sinistre, vaut le détour. Et au bout du compte, on peut se dire que la structure du roman est semblable à celle de Typhon : l'exposition, le calme (ici des sentiments), les premiers indices d'agitation et de trouble, la tempête (cette Flèche d'or, à la fois métonymie de l'idole et métaphore de l'amour fou), et le retour au calme.


On est moins décoiffé, mais on en ressort avec un attachement très spécial aux personnages qu'on a appris à connaître insensiblement, et à l'ambiance de nostalgie douce amère qui se dégage des lieux. Le roman se passe à Marseille, ville que je ne connais pas, à part le quartier de la gare, et que je ne reconnaitrais certainement pas après 150 ans et la gentrification opérée depuis : que sont devenus Prado, Cannebière et port après Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture ?

vendredi 27 novembre 2015

La guerre des clones

Ce matin, des paras à mitrailleuses m'attendaient devant mon lieu de travail, en plus des vigiles qui fouillent les sacs et demandent les papiers. Je bosse à St-Denis, il y a peut-être des risques d'attentat, je ne sais pas, je dis ça, je dis rien.

Ma collègue, celle qui m'avait imposé (enfin je n'avais rien dit, j'ai beau être rebelle aux diktats symboliques des pouvoirs, je n'en suis pas moins un garçon timide), l'affiche publicitaire m'identifiant à un journal que j'ai lu intégralement pendant des années (j'en avais même un exemplaire dans la cage d'une de mes gardes à vue, mais ça date, et c'était déjà chiant), qui ne me plaisait plus depuis des décennies, voir, pour être honnête et user d'une litote, qui m'était extrêmement antipathique depuis des lustres ; la collègue qui m'avait imposé l'affiche, donc, créée, brandie, vénérée par, pour la plupart, des gens n'ayant jamais lu une ligne de ce torchon, sommant par là ma tristesse et mon effroi réels de voir assassiner des êtres, des individus, des civils, dont certains faisaient partie du monde de mon enfance (Cabu, Wolinski), même s'ils ne faisaient pas partie de mon âge adulte, les sommant, donc, de sacrifier à un culte national et médiacratophile ; ma collègue, disais-je - mais heureusement j'ai changé de bureau, je suis en face maintenant -, a collé un drapeau français à sa vitre. En constatant cet édifiant raccourci entre le petit panneau blanc et noir et l'étendard bleu-blanc-rouge, je comprends mieux le-haut-le-coeur que j'avais ressenti il y a dix mois.

Bref, folle ambiance.

Je fais tourner les textes ci-dessous.

Notre gouvernement utilise l'état d'urgence et de l'hébétude dans laquelle les attentats ont laissé le pays pour museler toute forme de contestation politique et sociale.



Nazillons djihadistes.

Une campagne de désinformation a été lancé par la préfecture de police, complaisamment reprise par les radios d'Etat, afin de criminaliser les convois venus des ZAD de France manifester à Paris contre la COP21, les décrivant comme "une minorité contestataire radicale et violente de type zadiste" (ce qui ne veut rien dire, soit-dit en passant) pour justifier de leur interdire l'accès à la Région Ile-de-France.



Minoritaire contestataire radical de type zadiste.


Des perquisitions ont eues lieu dans plusieurs lieux de vie sociale et d'organisation politique à Paris et alentour. Et plusieurs personnes dont le seul crime est de lutter pour la justice sociale et climatique ont été menacées par la police, suivies dans la rue, convoquées au commissariat, interrogés pendant des heures, certaines mêmes déférées au tribunal, ou assignées à résidence jusqu'au 12 décembre (date de fin de la COP21, quelle surprise). 




L'armée du bien.


6 personnes venues soutenir un de leurs proches convoqué au commissariat (accusé d'avoir participé à la "manifestation illégale" de dimanche dernier en soutien aux migrants) ont été mises en garde à vue et interrogées par les flics avec des questions du genre :

"Votre ami, il milite ? Et vous ? Qu'est-ce que vous pensez des migrants ? Et de la COP21 ?"



Notre sauveur, avant.


Comment continuer à croire que ces mesures sont "pour notre sécurité" ?

Alors que sont ouverts les centres commerciaux, autorisés les match de foot, les marchés de noël et bien sûr les rassemblements d'hommage aux victimes des attentats, bref tout ce qui fait taire et subjugue sous l'émotion ou la ferveur collective ou consommatoire ?

Alors que les bombardements en Syrie et le trafic d'armes français ne font qu'alimenter le terrorisme ?

Les opposant-e-s à la COP21 et à son monde ont maintenu leur appel à manifester dimanche à 12h à République, auquel se sont joint de nombreuses organisations et personnalités.

Contre l'instrumentalisation du terrorisme par l’État, mobilisons-nous pour la défense de nos droits et l'urgence climatique !


Notre sauveur, après.

Ci-dessous :


Communiqué LDH
Paris, le 26 novembre 2015
 
Après avoir interdit les manifestations citoyennes autour de la COP21, voici que le ministre de l’Intérieur assigne à résidence M. Joël Domenjoud, en charge de la « legal team » de la coalition au motif qu’il ferait partie de l’ultra gauche parisienne qui veut remettre en cause la tenue de la COP. M. Domenjoud est tenu de pointer trois fois par jour au commissariat.
Si l’on avait besoin d’une confirmation que l’état d’urgence est un danger pour les libertés publiques, cette mesure en attesterait tant elle révèle que la lutte contre le terrorisme n’est ici qu’un prétexte pour interdire toute voix dissonante.
Comme nous l’avions craint, l’état d’urgence s’accompagne de mesures de plus en plus arbitraires.
D’ores et déjà nous demandons la levée immédiate de l’assignation à résidence de M. Joël Domenjoud.
Contact presse
Feriel Saadni, service communication LDH : 01 56 55 51 08, feriel.saadni@ldh-france.org

Allez, et comme en France, tout commence par des chansons, une petite pour se remonter le moral :


Dernières nouvelles

Salut à vous,

Ce matin à 9h les domiciles de compagnes et compagnons anarchistes de la région de Périgueux ont été perquisitionnés. Toutes les données informatiques ont été enregistrées et les domiciles photographiés. Cette "opération" ordonnée par le préfet de la Dordogne s'inscrit dans le cadre de l'"état d'urgence" décrété par les actuels gérants de l'état, à la suite des récents assassinats tragiques.

Faites connaître cette information...

A bientôt... peut être.


Bonjour à tou-te-s,

Hier nous avons déposé à plusieurs un référé liberté pour nous opposer à l'arrêté interdisant toute manifestation du 23 au 30 novembre.

Le copain au nom duquel le référé a été déposé a été pris en filature toute la matinée par les flics, qui ont fini par descendre chez lui (où il n'était pas), il est convoqué séance tenante au commissariat où il se rend en ce moment accompagné d'un avocat (commissariat de Vanves, 28 rue de Marcheron). Plus tôt ce matin le squat dans lequel vit son frère et ses ami-e-s a été perquisitionné, les ordinateurs ont été emportés et certain-e-s d'entre eux assigné-e-s à résidence. Il craint qu'il en aille de même pour lui. Pour info, il s'agit d'un copain très investi dans l'organisation de la Legal Team pour la COP ainsi que de l'accueil du convoi des ZADs.

J'essaie de faire tourner le plus amplement possible l'information, merci de m'y aider. Je vous donne des nouvelles dès que j'en sais plus.

mercredi 25 novembre 2015

Va-t-en-guerre

J'ai reçu ça, j'ai trouvé ça amusant dans la forme, effrayant mais bien vu dans le constat :

Il est peut-être temps de prendre suffisamment de recul pour admirer le génie de la stratégie antiterroriste occidentale, évidemment marquée par sa grande cohérence stratégique et tactique.

1) Combattre les assassinats aveugles et les tirs contre des civils par des assassinats aveugles et des tirs contre des civils ;

2) Combattre les atteintes aux droits démocratiques et aux libertés publiques par des atteintes aux droits démocratiques et aux libertés publiques ;

3) Combattre les tentatives des djihadistes de promouvoir une vision de deux camps opposés et irréconciliables – l'Islam, d'un côté, et l'Occident, de l'autre – en faisant la promotion d'une vision qui présente deux camps opposés et irréconciliables – en l'occurrence l'Islam et l'Occident ;

4) Combattre le discours des djihadistes sur l'islamophobie maladive de l'Occident en nourrissant l'islamophobie maladive en Occident ;

5) Combattre la propagation d'une forme réactionnaire de l'islam politique en faisant affaire et en établissant des alliances politiques avec les États les plus investis dans la propagation de la forme la plus réactionnaire de l'islam politique ;

6) Combattre l'idée que les pouvoirs occidentaux agissent dans leur seul intérêt et de manière néocoloniale lorsqu'ils soutiennent les États les plus autoritaires et les plus corrompus, en soutenant les États les plus autoritaires et les plus corrompus de manière néocoloniale et dans le seul intérêt des pouvoirs occidentaux ;

7) Combattre le fait que Daesh se présente comme un véritable État en guerre contre les pays occidentaux, en déclarant que les pays occidentaux sont en guerre contre l'État islamique ;

8) Combattre la propagande de Daesh qui veut que l’Occident soit le lieu d’une décadence sans âme et vaine, seulement marqué par son attachement aux pratiques hédonistes, en mettant en avant des pratiques hédonistes en tant que caractéristiques déterminantes pour distinguer l’Occident de Daesh ;

9) Combattre le fait que les djihadistes prétendent que les courants islamistes réformistes sont naïfs de croire qu’ils pourront prendre le pouvoir par le biais des élections, en soutenant un coup d’État contre un président islamiste réformiste arrivé au pouvoir par le biais d’élections démocratiques ;

10) Combattre le prétendu antisionisme des islamistes radicaux qui se nourrit de l’argument qui veut que l’Occident maintiendrait deux poids, deux mesures à l’égard d’Israël, qui se voit doté d’argent et d’armes quel que soit le sort des Palestiniens, en maintenant deux poids, deux mesures à l’égard d’Israël, qui se voit doté d’argent et d’armes quel que soit le sort des Palestiniens.

Les choses ainsi posées, comment pourraient-elles mal tourner ?

lundi 23 novembre 2015

De la chemise IV

   Boris Vian est l'auteur d'au moins 400 chansons. De nombreuses n'ont pas été chantées, d'autres l'ont été par maints interprètes, plus ou moins bons. Ici c'est l'ami Mouloudji qui s'y colle. Que ce soit l'auteur ou l'interprète, j'ai mis du temps à les apprécier, c'est récent. Pour Vian peut-être que quand j'étais concierge dans les 90's j'ai trop entendu sur mon poste à transistor la Java des bombes atomiques, générique d'une émission pacifiste (qui existe toujours et dont la chanson introductive est restée la même ; heureusement, j'ai changé de job et ne suis plus à l'écoute depuis lurette à c't' heure). Cette chanson je ne l'ai jamais comprise. "Mon oncle" ("infâme bricoleur", etc.), c'est un gentil ou un méchant ? Méchant, il fabrique des bombes atomiques ; bon, il fait sauter ministres et officiels ; méchant, il finit premier ministre (excusez-moi pour le schématisme de mon analyse critique, mais j'ai fait mes études dans ma loge...). Et puis je ne sais pas, la musique et l'interprétation me sciaient les oneilles. Jusqu'au jour où j'ai entendu dans l'émission Dans l'herbe tendre, la Messe en Jean Mineur. Là je me suis dit que l'auteur d'une telle chanson ne pouvait être vraiment mauvais. En plus je viens de découvrir dans le vieux Série noire me venant de mon père que je viens de commencer (La Dame du lac de Chandler), qu'il est traduit par les Vian ! quel multi-talent !
   Quant à Mouloud, mon parcours avec lui fut similaire à celui que je menai avec Boris, je n'avais entendu que des chansons un peu larmoyantes (comme celle ci-dessous, certes) et n'ai découvert le joyeux luron qu'ultérieurement.
   Pour plus de choses sur Vian et Mouloud, on peut cliquer.


Ils ont sonné à ma porte
Je suis sorti de mon lit
Ils sont entrés dans ma chambre
Ils m'ont dit de m'habiller

Le soleil par la fenêtre
Ruisselait sur le plancher
Ils m'ont dit mets tes chaussures
On chantait sur le palier

J'ai descendu l'escalier
Entre leurs deux uniformes
Adossé à une borne
Un clochard se réveillait

Ils me donneront la fièvre
La lumière dans les yeux
Ils me casseront les jambes
A coups de souliers ferrés

Mais je ne dirai rien
Car je n'ai rien à dire
Je crois à ce que j'aime
Et vous le savez bien

Ils m'ont emmené là-bas
Dans la grande salle rouge
Ils m'ont parqué dans un coin
Comme un meuble... comme un chien

Ils m'ont demandé mon âge
J'ai répondu vingt-sept ans
Ils ont écrit des mensonges
Sur des registres pesants

Ils voulaient que je répète
Tout ce que j'avais chanté
Il y avait une mouche
Sur la manche du greffier

Qui vous a donné le droit
De juger votre prochain
Votre robe de drap noir
Ou vos figures de deuil

Je ne vous dirai rien
Car je n'ai rien à dire
Je crois à ce que j'aime
Et vous le savez bien

Ils m'ont remis dans la cage
Ils reviennent tous les jours
Ils veulent que je leur parle
Je me moque des discours

Je me moque des menaces
Je me moque de vos coups
Le soleil vient à sept heures
M'éveiller dans mon cachot

Un jour avant le soleil
Quelqu'un viendra me chercher
On coupera ma chemise
On me liera les poignets

Si vous voulez que je vive
Mettez-moi en liberté
Si vous voulez que je meure
A quoi bon me torturer

Car je ne dirai rien
Je n'ai rien à vous dire
Je crois à ce que j'aime
Et vous le savez bien.

   Ensuite, dans le cadre du jumelage de toutes les antennes régionales de Radio Guépéou (special joke), celle-ci, extraite d'un album que personnellement j'emporterais sur l'île déserte. Parfois des personnes se trompent connement, ou sont de véritables ordures dont l'inspiration artistique les dépassant produit de purs chefs d'oeuvres, ce qui est le cas de l'apologiste sénile d'un des plus grands tueurs en série du XXème siècle doublé d'un profanateur des saints noms de révolution, communisme, prolétariat, auteur du magnifique poème ci-dessous référencé...
Quant à Ferré, il est inégal, et peut parfois me scier les oreilles aussi quand il se met à gueuler (surtout en public, et avancé en âge) pour compenser des textes et des musiques abscons et sans saveur, mais il a créé des merveilles, entre autres et peut-être particulièrement quand il chante les poètes.


Ecouter aussi cette version

Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu
Quand j'ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille

Qu'un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l'ancien légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage sans yeux

On part Dieu sait pour où Ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n'être plus du jeu
Les bonshommes là-bas attendent la relève

Roule au loin roule train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que la danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur

Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées

Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit
Déjà vous n'êtes plus qu'un mot d'or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s'efface
Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri.

vendredi 20 novembre 2015

Sauvagerie

Comme vous le savez si vous êtes un fidèle de ce blog, j’ai effectué fin vendémiaire début brumaire un pèlerinage dans la ville natale d’Etienne de la Boétie, afin, au cours de cette retraite, de méditer sur la question de savoir comment ne plus servir, ou, avant cela, comment se résoudre à ne plus servir, ou si la question de moins servir autant que possible est pertinente, ou si l'on peut ne plus, ou moins servir seul, à plusieurs, tous ensemble ouais ! ouais ! et dans chacun de ces cas la manière de s'y prendre… Bref, au cours des sorties que cette ascèse me permettait parfois, je fis un pèlerinage dans le pèlerinage, et j’allai voir l’exposition de peinture sise à la Chapelle Sixtine (la comparaison est peut-être un peu malheureuse et sent un peu le révisionnisme vu la suite, mais elle n’est pas de moi) de communistes-anarchistes ou anarcho-autonomes en acte, plus exactement "de nature" ou "naturels", d’il y a 17 500 ans, à savoir la grotte de Lascaux . Sublime, je n’en dirai pas plus. Si ce n’est que ces belles et beaux, fort(e)s et intelligent(e)s femmes et hommes d’avant la catastrophe néolithique avaient inventé la perspective bien avant ces dégénérés de la Renaissance ! En leur hommage, quelques réflexions à leur sujet et à celui de leurs cousins en forme de vie actuels, s’il en reste encore à l’heure de la COP21.


[...]
    Bref, puisque les tribus vivaient en fonction de la nature - et non la nature en fonction d’elles comme c’est le cas de nos sociétés - je me suis demandé comment les Cro-Magnons avaient pensé leur vie ensemble.

 

    Et la première chose dont je pris conscience était qu’une tribu ne pouvait exister qu’à condition d’être autonome. Et qu’à cette fin chacune devait déterminer son nombre en fonction des ressources accessibles - avec, cela va de soi, des résultats variables selon les lieux et les régions du monde, mais avec une obligation commune : pratiquer d’une manière ou d’une autre un contrôle des naissances, obligation à laquelle toutes, où que ce soit, ont satisfait - chaque tribu ayant sa réponse propre, réponse que les Sioux, les Bushmen, les Papous, les Cro-Magons et les autres vivaient sans pour autant l’avoir jamais théorisée. Ne changeant pas de milieu comme nos plombiers de tapis, chacun SAVAIT, selon le sien et en vertu d’une expérience qui remontait à la nuit des temps, ce qu’il devait savoir pour faire ou ne pas faire d’enfants.


   Et ce qui était vrai de la démographie, l’était du territoire - l’exigence d’autonomie déterminante ici aussi de sa définition et de son étendue – laquelle était naturellement fixée par les distances que les chasseurs pouvaient couvrir aux alentours de leurs campements. Le territoire était somme toute comme aborné de l’INTERIEUR, limité par les efforts que le Cro-Magnon était capable, et désireux, de consentir durant ses chasses. Si bien que la seule idée de s’agrandir aurait été stupide en soi ; et qu’à ce niveau tout le monde pouvait dormir tranquille, aucune tribu n’ayant jamais à se sentir menacée par ses voisines dans son existence même.


   Ce qui ne signifie d’ailleurs nullement qu’il n’y aurait pas eu des heurts. Toutes les tribus d’une même région, en agissant de la même manière et en fonction des mêmes besoins, n’auraient pu éviter de se rencontrer et de s’opposer à propos de l’un ou l’autre buffle. Surtout que, le gibier n’arrêtant pas de se déplacer et la nature entière d’évoluer au rythme des saisons, toutes les données territoriales fluctuaient sans arrêt. Aucune répartition définitive des terres n’aurait été pensable. Si bien que des problèmes d’appropriation se reposaient en permanence, que la bagarre était le seul moyen de les résoudre, que la guerre faisait intrinsèquement partie de la vie dite sauvage, et que tous, en plus d’être chasseurs, devaient être guerriers.


Guerriers, et donc sauvages, je l’entends le dire d’ici du fait que les seules images que nous ayons de la guerre nous viennent tout droit de 14-18, Verdun, Hiroshima, du sang partout, des éventrés, des millions de morts, brancards, Croix-Rouge, culs-de-jatte, lance-flammes : le mot « guerre » à peine prononcé fait penser à « barbarie ».

Or un guerrier sauvage était d’autant moins barbare que, pratiquant généralement l’exogamie, chaque tribu avait autant besoin de ses voisines que ses voisines avaient besoin d’elles. […]

Robert Dehoux.- Le Zizi sous clôture inaugure la culture.



lundi 16 novembre 2015

Les héroïnes, le matamore, et le barde

Hier soir, j'ai vu un très beau film d'aventure extrême et d'angoisse.


Un seul regret, c'est trop court. J'ai été vraiment surpris et frustré à la fin du film, j'aurais bien aimé encore passer une heure et demie à trembler, sourire et apprendre avec elles.

Ma dernière actu ciné, mais pas la moindre.


Rien à voir, mais on reste dans l'actu, une citation :

« L’Etat ne cèdera jamais face aux intimidations d’une minorité d’individus ultra-violents*, notre pays est un Etat de droit. Une fois que la justice a tranché, ces décisions doivent être mises en oeuvre et le gouvernement ne peut pas accepter qu’une minorité d’opposants radicalisés fassent obstacle à l’intérêt général et à l’application des décisions de justice. »
Manuel Valls à propos dez zadistes de NDDL.

Que les botanistes du parti des tritons crêtés se le tiennent pour dit !
* C'est nous qui soulignons.

Dormez tranquille braves gens, Rodomont serre le poing et brandit le menton !


Pour terminer, et pour faire le lien avec le début de cet article, mais aussi, après le massacre de vendredi par des monstres (il faut stopper Frankenstein mais qui est-ce ? où est-il ?...), des nazis (bing ! et un point Godwin en moins sur mon permis de maudire ! c'est l'émotion) dont il faudra bien qu'on découvre quel a été le traité de Versailles si on veut éviter les générations spontanées futures, mais en attendant, donc, aussi parce que j'ai envie d'avoir treize ans dans le canapé de chez ma mère à me mater La Dernière séance dans l'insouciance, également parce qu'il est fédérateur, mainstream mais sympa, voici une chanson de papa Schmoll (cette phrase est compliquée, à l'image de notre temps, j'espère juste qu'elle est correcte, dans le cas contraire je vous prie par avance de m'en excuser) :


Dernière minute : un bon pote me cite cette chanson que lui inspire la réalité actuelle. J'espère que ça fera plaisir à Jules aussi, qui trouve qu'il n'y a pas beaucoup de punk sur ce blog. Ce sera le troisième morceau, et le premier non hard core ! L'évènement le vaut.

vendredi 13 novembre 2015

Priorité emploi !

   Au début de la carrière policière d’Anthony Cappelletti, un personnage doté d’un poste élevé s’était dit que c’était l’homme rêvé pour la brigade de la lutte contre le crime organisé*. Il était italien, bien sûr ; mais de plus, il parlait l’italien, il avait grandi dans les quartiers de Little Italy, il était allé à l’école avec les fils et les neveux des capos et des hommes de main (qui un jour formeraient la génération suivante des capos et des hommes de main), et surtout, Anthony Cappelletti haïssait la Mafia*. […]



Dès le départ c’était ce dégoût de la Mafia qui l’avait incité à devenir policier, et la sincérité évidente de ses sentiments avaient conduit ses chefs à le charger de la lutte contre le Crime Organisé.



   Qu’il mena pendant quatre mois. […] Il leur parla si souvent et si fort qu’en quatre mois il parvint à compromettre sérieusement la loi et l’ordre dans la bonne ville de New York. Le langage de Cappelletti était clair comme de l’eau de roche : pièces à convictions trafiquées, faux témoignages, intimidation de témoins, falsification de dossiers, subornation de jurés, écoutes illégales, interrogatoires musclés et, à l’occasion, une bonne fusillade dans la vitrine d’un restaurant.



Il semblait avoir décidé d’éliminer complètement la Mafia de la surface du globe, en commençant par New York, de le faire tout seul, et d’avoir fini à Noël. En quatre mois, Cappelletti n’avait tué personne, mais il avait brisé tant de membres, détruit tant d’automobiles et de magasins de pompes funèbres et envoyé derrière les barreaux tant de mafiosi*, que les patrons du Syndicat* organisèrent au Bahamas une conférence au sommet très confidentielle et résolurent de lancer la contre-attaque la plus impitoyable de leur histoire.


   Ils menacèrent de quitter New York.


   La rumeur fit son chemin, sourde mais claire. Dans le passé, certes, New York s’est déjà sentie abandonnée : les New York Giants sont partis pour les marécages du Jersey, l’American Airlines s’est installé à Dallas, des dizaines de sociétés ont déplacé leur siège social au Connecticut, et même la Bourse, à un moment donné, a annoncé son intention de déménager. Mais si l’on veut se représenter un vrai désastre, on n’a qu’à penser à ce que deviendrait New York si la Mafia s’en allait comme un seul homme.



Toutes les entreprises gérées par des truands, qui s’en occuperait une fois les gangsters* partis ? Les pitres qui les avaient déjà menées à la banqueroute, et n’avaient pu s’en sortir que grâce à des prêts d’origine douteuse, qui avaient permis aux truands de prendre la tête des affaires.




Que deviendraient ces restaurants, ces blanchisseries, ces sociétés financières, ces marchands de voitures, ces sociétés de nettoyage et de ramassage des ordures, ces supermarchés, ces entreprises de camionnage ou de gardiennage, sans la compétence, la discipline, les assises financières que leur assure le contrôle par le Syndicat du Crime ? On frémit en se figurant l’avenir de New York si les sociétés y étaient gérées par leurs propriétaires nominaux.


   De plus, pensez à tous ces policiers, ces politiciens, ces journalistes, ces dirigeants syndicalistes, ces fonctionnaires municipaux, ces avocats, ces comptables, ces chargés de relations publiques, qui sont payés directement par la Famille. Est-ce que la ville de New York gagnerait à perdre un pareil employeur, à perturber à ce point le marché du travail ?

Donald Westlake.- Pourquoi moi ?




Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, que de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne.

Jean-Jacques Rousseau.- Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.


* Remplacer au choix par : les investisseurs, les aménageurs, les entrepreneurs, les patrons, les grands bourgeois, l'oligarchie, l'élite, les capitalistes, les riches, le marché, le plan, les décideurs, les gestionnaires, les responsables, les pollueurs, les exploiteurs, les empoisonneurs, les contamineurs radioactifs,  etc., ad libitum.

Abolition de l'emploi ! On y pense depuis trois siècles, maintenant il faut y croire !

Nous remercions nos généreux partenaires sans qui cet article n'aurait pu être édité. Nous leur savons particulièrement gré d'avoir bien voulu prendre sur leur emploi du temps on ne peut plus chargé actuellement par leur mécénat humaniste et philanthrope de la COP21.

lundi 9 novembre 2015

Ca m'en a bouché un coing !

Je suis plutôt musique que peinture. Non que je me désintéresse des arts plastiques, mais si je suis passionné de musique, je suis juste curieux d'Histoire des coups de pinceaux. Cela dit je progresse et mon intérêt grandit. Mais quand même, quand j'ai choisi de regarder Le Songe de la lumière (El sol del membrillo) de Victor Erice, sur le peintre Antonio López García, je me suis dit : "une heure et demie à regarder un mec peindre un cognassier, je risque de m'ennuyer un peu..."

Et bien non, j'ai passé un bon moment, ai parfois été bluffé, ai été effleuré par la brise de la nostalgie, ai ri, souri, fait des liens, et reconnu mes frères et soeurs en l'espagnol, l'espagnole, le polonais, l'artiste, l'ouvrier.
Oeuvre inachevée en milieu de film à cause d'un temps pourri

Déjà, en voyant ce tableau avant le film, je m'attendais à ce que le peintre oeuvre dans un superbe jardin foisonnant de fruits, de feuilles et de branches, sous un soleil automnal certes, mais néanmoins doucement irradiant. Que nenni, le jardin est minuscule et tout pelé, derrière un petit pavillon de l'agglomération madrilène, assourdi par le bruit des trains de banlieue passant non loin. Le pavillon est en chantier, des ouvriers polonais y travaillent. Il sert d'atelier à trois peintres, un couple approchant la soixantaine (dont Antonio Lopez, qui peindra le cognassier), et un plus jeune, qui dort sur place. Il y a aussi un bon toutou. C'est dans cet environnement plutôt triste, déprimant même, que les artistes, les ouvriers créent de la beauté.


La nostalgie est très présente, et vous connaissez ma sensiblerie de vieille femme très réceptive à cette émotion douce amère. Par l'automne, qui nous éloigne des beaux jours. Par les deux camarades des beaux arts qui, 40 ans après, évoquent avec tendresse et humour de potache leurs années d'école. Pour moi aussi, car si le film n'est pas si ancien, 1992, il commence à ne pas dater de la dernière pluie non plus, et même si je suis allergique à "ça c'est de l'info !" au point de ne pouvoir supporter le flash-éclair de France Musique, les nouvelles que diffusent le poste à transistor d'Antonio me renvoient au temps de mes 20 et quelques années, la guerre d'Irak, la réunification de l'Allemagne... C'est aussi un film sur le temps, qui passe (la peinture et le dessin ultérieur dureront de fin octobre à décembre), son cyclisme, la vieillesse, la mort, dont les coings offrent une belle métaphore.


J'ai appris pas mal de chose sur la peinture dans ce film, par exemple :

- que le peintre utilise un fil à plomb, comme le maçon ;
- que le peintre utilise des cale-pieds, comme le sprinter ;
- et plein d'autres trucs techniques, comme comment fabriquer un cadre, une toile...


Et puis il y a cette scène, ma préférée peut-être, où les deux copains contemplent l'incroyable tableau dont je vous ai déjà parlé ici, après avoir pu le voir à Rome, grâce au service d'action sociale qui m'a donné l'occasion de découvrir cette ville mythique, merci à lui ; où les deux copains contemplent donc le Jugement dernier de Michel-Ange, en faisant leurs commentaires. Passionnant car en lien avec un tableau sur lequel je me suis déjà penché, et drôle, plein d'humour : Michel-Ange a peint ce tableau alors qu'il avait entre 64 et 68 ans... ; il se représente dans la dépouille de Saint Barthélemy ; il avait une idée terrible de la vie ; le Jésus (glabre) menace les damnés mais aussi les justes, terrifiés par ce dieu, moins lumineux que les dieux et déesses des Grecs, même si bien baraqué.

La peau qui pendouille est un auto-portrait de Michel-Ange, pas déprimé le type

Malheureusement je n'ai pas retrouvé la scène sur ioutioube, et je n'ai pas trouvé non plus de version sous-titrée des quelques extraits ci-dessus.

C'était mon actu ciné. La dernière.

Ah ! et sur un thème connexe, et comme j'ai été méchant avec les journalistes dans l'article précédent, je voulais vous dire qu'il y en a des bien, malheureusement pour les courses, heureusement pour la passion, souvent bénévoles, et vous encourager à vous procurer le dernier numéro (137) de CQFD, avec de vrais morceaux d'un dossier de 12 pages sur l'Espagne dedans ! Enjoy companeros !

vendredi 6 novembre 2015

A chacun son journaliste

A l'heure de l'anniversaire de la mort de Rémi Fraisse, et des dix ans de celles de Zyed et Bouna, nous avons encore pu constater que la presse fait son travail, elle nous informe en toute liberté d'expression de tout, sans trop insister cependant sur ces bandes armées qui tuent ou mutilent en toute liberté et impunité pauvres, résistants ou métèques, et sans non plus lourdement la ramener sur les nombreuses initiatives que les cibles de ces bandes mènent pour que cesse le massacre.

Mais connaissons-nous vraiment cette aimable corporation (celle des journalistes) ? Pour tester tes connaissances, voici deux textes traçant chacun le portrait d'un journaliste.

Un de ces textes est réaliste, frappé au coin d'études sociologiques poussées, d'analyses psychologiques d'une grande précision et d'observations empiriques d'une rare honnêteté.

L'autre relève davantage de l'utopie, de l'image d'Epinal, du rêve d'enfant quand il veut "être journaliste plus tard".

Sauras-tu démêler le vrai du faux ? Si oui, gagne un radio-réveil ! Pour cela va sur le site de l'Obs, et moyennant les frais de port tu recevras un superbe objet avec en bonus, un abonnement d'un an à leur catalogue publicitaire !

As-toi de jouer, ami plébéien !



Jack Mackenzie s’entendait très bien avec les flics parce qu’ils le prenaient tous pour un Irlandais. En fait, il était d’origine écossaise, mais aucun supplice n’aurait pu lui extorquer ce secret honteux.
Chargé des reportages auprès de la police pour une importante chaîne de télévision métropolitaine, Mackenzie avait intérêt à être copain avec les hommes en bleu, sans quoi il n’aurait pu garder longtemps son emploi. Mais les flics savaient que ce brave Jack n’écorcherait par leurs noms, qu’il se débrouillerait pour les mettre dans le champ de la caméra si c’était possible, qu’il n’émettrait jamais le moindre doute quand ils expliqueraient comment le suspect était tombé du toit, et qu’il ne prendrait jamais prétexte de leurs échecs exceptionnels et inévitables pour leur chercher des poux dans la tête. Voilà pourquoi, quand l’inspecteur-chef Francis Xavier Maloney décida de porter devant le public l’affaire du Brasier de Byzance, il réserva l’exclusivité de l’interview à Jack Mackenzie, le faux Irlandais jovial, bon buveur, aux cheveux roux et à la figure parsemée de taches de rousseur.
Donald Westlake.- Pourquoi moi ?

Et le deuxième texte :


Tout le monde sait que Richie Colgan et moi sommes amis. C’est en partie la raison pour laquelle les gens sont un peu plus méfiants envers moi qu’auparavant. […] Maintenant Richie est le plus grand chroniqueur du Trib, et c’est un vrai teigneux s’il pense que vous participez d’un des trois grands maux : élitisme, sectarisme ou hypocrisie. Comme Mulkern est une incarnation des trois réunis, Richie se le paie une ou deux fois par semaine.
Tout le monde adorait Richie Colgan – jusqu’au jour où ils ont publié sa photo sous sa signature. Un nom bien irlandais. Un bon garçon irlandais. Qui traquait les gros manitous corrompus à la mairie et à la Chambre. Et puis ils ont publié sa photo, et tout le monde a pu voir que sa peau était aussi noire que le cœur de Kurz*, et soudain c’était devenu un « provocateur ». Mais il fait vendre de la copie, et sa cible de prédilection a toujours été Sterling Mulkern. Parmi les surnoms qu’il a donnés au sénateur figurent le « Mauvais Double du père Noël », « Sterling le Détourneur », « Mulkern le Magouilleur » et « Hippopo l’Hypocrite ». Boston n’est pas une ville pour politiciens sensibles.
Dennis Lehane.- Un dernier verre avant la guerre.

* Allusion au personnage du roman de Joseph Conrad Au cœur des ténèbres, repris par Francis Ford Coppola dans Apocalypse Now où il est interprété par Marlon Brando.

Pour finir, contrairement à ce qu'aurait pu nous faire croire un déferlement de haine sur Tweeter (Salamark : "La marche pour la dignité, une marche contre la France, une marche raciste et antisémite" ; Filani : "Pas contents ? Qu'ils partent !" ; Alan FK : "Marche de la dignité = marche de la pleurniche"... etc., etc., ad nauseam), il ne s'est rien passé ce 31 octobre 2015, comme nous l'a confirmé le JT de 20 heures de France 2. Heureusement qu'il reste des journalistes, s'il fallait croire le fourre tout qu'on trouve sur les réseaux !


Cette marche de 10 000 personnes n'a jamais existé.


- Les voisins avaient anticipé cette année, ils avaient fait les stocks de bonbons !
- Rhô oui ! Et t'as vu les mômes, y en avaient avec des déguisements vraiment chouettes !

Il faut dire que de l'extrême droite à l'extrême gauche et chez des libertaires (un texte de cette dernière obédience tourne, connectez-vous sur votre site fasciste préféré, il y a été fraternellement reproduit), on les en avait un peu dissuadés, pas assez matures, pleins de préjugés et de croyances archaïques (je vous parle même pas de leurs fringues), et en plus ils n'ont assimilé ni Onfray, ni la philosophie allemande. Ca choque le bon goût et fait pouffer dans les milieux distingués. Ils peuvent nous être reconnaissants.

lundi 2 novembre 2015

Madeleine agrandissante

J'ai revu Blow up la semaine dernière. J'ai l'impression que ce film, sorti quelques années avant ma naissance, a toujours fait partie de mon univers. mon père avait été abonné quelque temps aux Fiches de monsieur Cinéma, et celle du film d'Antonioni était parmi les plus accrocheuses pour nos regards enfantins (avec celle de la créature du lac, une jeune vierge (?) dans les bras), à mon frère et à moi (je vais parler de mon frère sans connaître ses impressions de l'époque, je n'étais pas dans sa tête, mais il fait partie de ce même univers de l'enfance, alors je l'intègre dans mon propre film). Notamment cette photo :



Je trouvais ce regard aux yeux clairs, exprimant une concentration extrême sur ce qu'il voit, son modèle en l'occurrence, assez fascinant, d'autant qu'en regardant la photo de cette prise de photo, sa focale, c'était moi. Mais si le visage de David Hemmings était resté imprimé dans mes rétines, je n'avais pas retenu son nom. C'est au hasard de cette séance récente que, après avoir identifié son patronyme, j'ai cherché à en savoir plus sur lui. Il a pas mal joué, mais des seconds rôles, dans des films, mais aussi beaucoup dans des séries : les personnes de ma génération, qui, au temps de l'enfance et de l'adolescence, furent comme moi en proie à l'ennui d'une société de travail, de loisirs et de supermarchés, ayant fatalement été menées, de temps en temps, devant l'oeil froid du terminal télévisuel, en reconnaitraient plus d'une. Et puis j'ai cherché des photos, et j'ai trouvé ça :



C'est dans des moments comme ça que je reprends cruellement conscience que pour moi aussi, le temps passe, et que je n'ai plus six ans, à contempler ces belles images cinématographiques. Hemmings est mort d'une crise cardiaque il y a quelques années.

Après les fiches, il y a eu le film. Je me souvenais l'avoir vu avec le lycée. Réfléchissant à l'époque sur le thème du film, ne maîtrisant pas encore bien mes concepts, j'avais pensé à "l'illusion". Le prof, de philo je crois, avait dit (de mémoire) : "bon, vous avez tous compris que le thème du film est "l'imaginaire". Et certes, le personnage ne se fait pas d'illusion sur telle ou telle espérance, il se fait bel et bien un film, ou plutôt une photo.

Mais ce dont je ne me souvenais plus, et ce que ce nouveau visionnage presque 30 ans après m'a rappelé, c'est que ce film était devenu culte pour mon frère et moi, et que nous nous identifiions au héros, en l'imitant parfois. Espèce d'ado attardé, ce personnage s'ennuyant dans sa vie et courant partout comme un chien fou, multipliant provocations et extravagances dans l'espoir de trouver quelque chose d'excitant, était fait pour nous plaire. Y compris sa tyrannie avec ses modèles et sa muflerie avec les femmes, tant on est un peu beauf quand on est ado. C'est son côté Groucho Marx qui nous faisait le plus marrer. Je ne sais pas si Antonioni a pensé à lui en créant le personnage, nous en tout cas oui en le voyant. Je me rappelle qu'on l'imitait pour cela. A un moment, surjouant une scène de séduction hypnotique, limite psychédélique, il fixe dans les yeux la femme avec une impassibilité de chamane, et un regard de serpent. Le téléphone sonne. Il ne réagit pas et poursuit son entreprise de subjugation. Le téléphone sonne une deuxième fois, trois fois, quatre... au bout d'un certain nombre de sonneries, il sort subitement de sa transe d'envoûtement en se jetant tel un gardien de but sur le téléphone, renversant tout sur son passage, téléphone compris, puis rampe frénétiquement jusqu'au combiné, pour finalement prendre la communication allongé sur le plancher. On aimait bien faire pareil avec mon frère. Ca foutait un peu le souk chez ma mère.


Bon, ce film est fameux à plus d'un titre :

- on y voit Jane Birkin nue, à 20 ans, avec sa copine, une première en Angleterre, qui a interdit le film,

- la musique est de la légende vivante du piano et du jazz : Herbie Hancock ! Malheureusement on l'entend peu,

- on y voit dans une scène hilarante, non pas Jimmy Page dans son groupe d'avant Led Zeppelin, comme je l'avais d'abord cru, mais Jeff Beck (merci à Jules et à Entre les Oreilles - voir commentaires) ; hilarante parce que quand Beck donc casse sa guitare sur scène et en envoie les morceaux dans la fosse, dans le public hystérique, il y a Hemmings qui se bat comme un lion pour récupérer un morceau de manche, qu'il finit par arracher et emporter dehors ; une fois dehors, joyeux et hilare de sa victoire, il finit par regarder son fétiche, et le jette sur le trottoir comme un déchet ; un jeune dans un groupe bavardant appuyé sur une voiture voyant cela, ramasse le manche, le regarde, puis le rejette de la même manière comme une merde,

- le scénario est une adaptation de Julio Cortazar, dont je n'ai lu que quelques petits textes vers mes 20 ans, mais que j'avais trouvé plein d'humour,

- il y a de vrais moments de suspense et de tension angoissante, mais attention, sans vouloir être spoiler, j'avertis quand même les amateurs d'énigmes "policières" où tout s'explique à la fin qu'ils risquent d'être frustrés. Quand à l'énigme qui fait que je ne parviens pas à justifier le deuxième et le troisième paragraphe de cet article, elle reste totalement irrésolue.

Pas un film qui m'a bouleversé donc, mais une petite musique d'enfance et d'adolescence, un surgissement inattendu, même si progressif, d'un bouquet d'émotions spatio-temporelles légères et fugaces ; et un film intéressant au demeurant.

Le seul film d'Antonioni que j'aie vu en plus de celui-ci, est l'Avventura, il y a quelques années seulement. Encore une histoire de disparition. Pas transcendant non plus, mais j'y ai découvert (oui, c'est tard, mais je suis loin d'être un cinéphile averti) Monica Vitti. J'en devins illico éperdument amoureux.


Ma dernière actu ciné.

Ce 12 novembre 2015, je rajoute cette vidéo en hommage à Phil Woods, qui vient de mourir le 29 septembre, et qui jouait dans la bande originale du film :