mercredi 4 février 2015

Un beau roman inattendu



J'ai trois sources de lectures :

- le Tas : des bouquins à lire, accumulés depuis bien 30 ans, et qui augmente parfois plus vite qu'il ne diminue,  dans un ordre aléatoire ;
- les cadeaux : parfois des daubes (Houellebeck...), destinées à être lues quand même car il est bon de connaître l'ennemi ; parfois de bonnes surprises (un roman primé de Leroy sur Zelda Sayre, la compagne de Scott Fitzgerald, par exemple) ou de très bons coups, pas forcément des surprises (aussi variés, mais j'y reviendrai, que Les Origines du totalitarisme d'Hannah Arendt, les oeuvres complètes de François Villon, ou un recueil de romans de Gaston Leroux...
- ce que je ne peux pas m'empêcher d'emprunter à la bibliothèque ;

A travers ces trois syntagmes, je dégagerais trois paradigmes, qui pourraient s'apparenter à des types de contenu des livres :

- de la littérature, dite plutôt classique, ou grande, du Lagarde et Michard augmenté disons ;
- des essais ou des documentaires (philo, spiritualité, sociologie, langues, arts, histoire, géographie, ...) ;
- de la littérature dite plutôt populaire : polars, BDs, science fiction (même si j'ai beaucoup de lacunes dans ce dernier genre)...

Anyway, je digresse. Le beau roman en question ne correspond à aucun des trois syntagmes précédents, puisqu'il m'a été conseillé par la prof d'anglais qui m'a formé dernièrement. Il se situe entre littérature plutôt classique et documentaire de langue, puisque je l'ai lu dans le texte, pour me perfectionner dans celle de Shakespeare. Ou plutôt de Dos Passos, puisque John Williams est étasunien, ainsi que son roman, ses personnages, ses lieux, ses évènements. Un anglais qui se lit très bien si on a quelques rudiments.

Stoner est un enfant de paysans pauvres. Comme ses parents et beaucoup de leurs collègues, il n'attend pas grand chose de nouveau de la vie, sinon les même travaux pénibles se reproduisant inexorablement au rythme cyclique des saisons. Travail pénible quand on n'est pas assez nombreux et qu'on doit pour survivre, en échanger les fruits contre de l'argent, ce truc dont il n'y a jamais assez pour tout le monde, au lieu de les mettre en commun et d'en jouir ensemble.

Stoner est un de ces personnages dépassé par les évènements. Un jour son père lui propose d'aller à Columbia, à l'université, étudier l'agronomie, pour revenir aider aux champs ensuite avec des compétences techniques utiles. Il bénéficiera pour cela bien sûr d'une bourse, et devra aider dans la ferme ou il sera hébergé.

Attention, ce n'est pas un roman social, sur le fameux ascenseur, même si Stoner l'emprunte. C'est la découverte fortuite d'une voie, d'une passion qu'une petite ouverture dans la fatalité permet  de suivre, de nourrir : à l'université Stoner se découvre, étonné et effrayé, une attirance péremptoire pour... la littérature de langue anglaise. Ses parents l'apprendront bientôt, il ne reviendra pas à la ferme, il n'y peut rien, ça s'est trouvé comme ça...

Les Etats-Unis entrent dans la grande guerre. Y aller : he would prefer not to. C'est plutôt mal vu, c'est l'Union sacrée là-bas aussi, bellicisme, patriotisme, haine du boche, un vieux prof d'allemand manque en faire les frais en frôlant le lynchage. Non, Stoner n'ira pas finalement, il se fait embaucher comme enseignant par son mentor, sans l'avoir vraiment décidé, mais en se laissant mener sur cette pente qu'il sent être la sienne.

Puis il tombe amoureux, pas un coup de foudre, plutôt un courant de rivière, et il le suit, comme d'habitude, cette fois même résolument. Las, cette jeune femme de St-Louis, Edith, fille de bourgeois d'affaire, se révèle très névrosée, nouée, incapable de rien partager avec lui, ni physiquement, ni affectivement, ni intellectuellement. Elle passe de la maladie à la compulsion de corvées ou travaux réservés aux filles de cette époque, comme encore pas mal de la nôtre d'ailleurs. Quand un jour l'idée fixe et soudaine lui vient d'enfanter, ses sens se déchaînent férocement, mais juste le temps de concevoir. Après, plus rien. Après la mort de son père, suicidé de 29, sa névrose devient psychose (enfin je suis pas psychiatre...), elle change de personnalité et se met à persécuter activement son mari cette fois, tentant même de le séparer de sa fille, avec qui il avait noué de tendres liens, pour dresser celle-ci par une éducation rigoriste. J'ai pensé à un symptôme de traumatisme suite à un inceste paternel pour Edith, certains évènements peuvent le laisser penser, mais rien n'est dit clairement.

Puis à son grand étonnement encore une fois, Stoner devient bon. Bon prof. Apte à transmettre sa passion à ses étudiants (la passion de la grammaire médiévale et de la renaissance, faut le faire !). Bon écrivain.  Et il aime ça ! La fac devient pour lui un refuge, un "home", ou il passe le plus clair de son temps pour échapper à l'ambiance morbide de sa "house". Il  rencontre des personnes sympathiques, excentriques, élèves et profs. Et puis, toujours sans le vouloir, il va rencontrer l'amour avec une de ses élèves, il y aura donc adultère....

J'en suis là. C'est très émouvant, ce personnage est sympathique qui découvre sa mission, sa passion, peut-être le bonheur, malgré lui, mais avec une ouverture d'esprit qui lui permet de ne pas rater le coche. Contrairement au personnage de Melville, son leitmotiv ne serait pas "I would prefer not to", mais "why not ?"

C'est comme ça que j'aurais peut-être dû faire. Mais j'étais plutôt névrosé, comme Edith, et il a fallu que je quitte tôt les études pour avoir un salaire pour faire la fête pour oublier tout ça... Bref, trop réactif le gars (ou pas assez...), pourtant loin d'être un hyper-actif...

Bof, au final, j'en ai trouvée une pas si mal, de voie, puisque j'en suis à faire ce blog.

3 commentaires:

  1. Bonne critique puisqu'elle me donne envie de lire le livre...

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  2. Merci. Je vous suggère de le lire en anglais, si vous maîtrisez un peu cette langue. Je ne sais pas ce que vaut la traduction, je ne sais même pas s'il en existe une à vrai dire...

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