vendredi 29 janvier 2016

Ca branle dans le manche

Dénoncer, pourfendre, tenter de convaincre, ne servirait ici de rien. « Un monde de mensonges, disait Kafka, ne peut être détruit par la vérité, seulement par un monde de vérité » - plus vraisemblablement par des mondes de vérité. […] Ce que nous préparons, ce n'est pas une prise d’assaut, mais un mouvement de soustraction continu, la destruction attentive, douce et méthodique de toute politique qui plane au-dessus du monde sensible.
Julien Coupat et Éric Hazan.- Libération le 25/01/2016.

En écoutant l’usine besogner sourdement, il devenait plus sensible à la nudité de cette cour pailletée de mâchefer. Elle lui remettait au cœur le vide menaçant d’une cour d’école traversée jadis pendant une heure de classe, alors que les bâtiments d’autour bloquaient derrière leurs vitres froides toute une vie remuante et mal résignée dont la plainte lui venait aux lèvres ; l’espace désert d’une cour de caserne, certain jour où il passait dans les chambrées activer les préparatifs d’une revue de détail et qu’il avait eu, en regardant par la fenêtre, le désir d’y voir pousser un arbre ; la cour d’un hôpital, dont la solitude, épiée par des fenêtres blêmes, l’avait averti de la mort d’un ami ; la cour d’une prison centrale, sa profondeur entrevue sous un ciel bas ; la cour d’un rêve épuisant qui le visitait parfois : nulle construction, nul tracé n’en indiquaient les contours et il s’obligeait à la délimiter strictement, par un effort mental qui lui était une torture.

 Les mauvais jours vont finir un de ces jours, non ?... Dans le pire des cas je me serais soustrait une journée au chagrin, j'aurais marché deux heures (bon pour le cardio !), et j'ai rencontré une collègue et deux potes... toujours ça de pris.

Ressaisissant ces angoisses qui veillaient au fond de son cœur, Chauvieux songeait vaguement […] à la modeste révolte qui se préparait peut-être derrière ces grands murs, et la grève, l’occupation, les résultats à en attendre, lui apparaissaient comme l’aménagement dérisoire d’une incurable misère dont toutes ces cours, surgies dans sa mémoire, lui offraient l’image et la sensation écoeurante. L’idée même d’une véritable révolution restait si dépendante du décor et de toutes les données les plus importantes du problème qu’elle ne soulageait pas l’esprit. Au mieux, il ne pouvait s’agir que de travailler au nom d’un principe nouveau, Chauvieux songeait qu’on ne l’eut pas apaisé, ouvrier, en lui proposant des satisfactions d’ordre moral. Seule la destruction de l’usine, croyait-il, aurait pu lui sembler raisonnable. 

Il paraît qu'on va encore bientôt être appelé à voter pour les valets de rois du pétrole et d'empereurs du tiroir caisse...

  Depuis trois semaines, le travail s’effectuait dans une apparente discipline, mais qui ne pouvait tromper personne. Chefs d’atelier et contremaîtres sentaient quelque chose d’insolite dans les rapports professionnels qu’ils entretenaient avec les ouvriers. C’étaient d’insignifiantes manifestations d’humeur, un regard qu’on ne rencontrait plus, un mot qui manquait pour accueillir un ordre, une indifférence polie au reproche ou certaine façon vigilante d’ignorer une présence. Dans les trois derniers jours, ces symptômes s’étaient aggravés. Les ordres étaient parfois discutés, plusieurs contremaîtres avaient été pris à partie assez vivement, et les observations, d’ailleurs prudentes, étaient accueillies avec ironie.
[…]

Gare à la revanche ? Je lutte donc je suis, version longue.

Enfin, l’usine le dégoûtait. L’allégresse que manifestaient les ouvriers depuis qu’ils avaient obtenu satisfaction sur quelques points d’intérêt secondaire était pour lui un spectacle pitoyable et révoltant. Les responsables de cet enthousiasme dérisoire lui inspiraient un vif sentiment de rancune. Un soir qu’il rentrait chez lui, bouillonnant d’indignation, il s’était mis à écrire un livre qui commençait ainsi : Article premier. – Les ouvriers sont des esclaves. Article deux. – Leur condition d’esclave ne résulte en aucun cas de la forme du gouvernement ou de la constitution de l’Etat, mais de l’obligation où ils se trouvent, pour manger, de fournir un travail triste et abrutissant. Article trois. – Les doctrines et les partis qui, non contents de passer sous silence ces vérités élémentaires, détournent l’attention des intéressés sur d’autres objets, trahissent la cause des esclaves…
Marcel Aymé, Travelingue, roman hilarant, malgré ce que pourrait laisser paraître cet extrait, et malgré les circonstances sinistres de sa parution, qui ne peuvent laisser de mettre un bémol certain à l'affection que l'on a pour cet attachant et savoureux écrivain.

Certains pauvres s'y sont mis, à l'époque évoquée dans la fiction de Travelingue. On peut aller en discuter, et essayer d'avancer avec notre passé...

lundi 25 janvier 2016

Variétés populaires

Bon, pour ne pas être taxé d’élitisme, voici quelques poèmes ou chansons mainstream qui m’ont touché, de près ou de loin.

Bien sûr, il s’est laissé convertir par l’Eglise du Charlisme. Mais quelqu’un dont Eric Zemmour suppure de l’œuvre : "Dans le fond, c'est une espèce de dissertation d'un adolescent de 4e avec le sentiment qui va avec" ne peut pas être totalement mauvais. J’ai entendu ce slam par hasard, et c’était bon. Sur une ville que j’arpente quasi quotidiennement et où je passe un quart de mon temps.


Allez, et pour ne pas être accusé de parisianisme, une autre riante banlieue, où il fait bon vivre, et mourir. Chanson on ne peut plus populaire j’imagine (j’aime la polysémie de ce terme ! quel est le point commun entre Michel Sardou et Keny Arkana, par exemple ?), mais ne regardant pas la radio et n’écoutant pas la télévision, j’ai découvert ce titre hier par une collègue qui l’entonna lors d’un petit spectacle annuel où il était question de galette républicaine (pouah !). Je connaissais le chanteur, qui avait réussi à m’émouvoir par le passé, dans l'un de mes moments de sensiblerie sénile, notamment quand il évoquait son papa. Ici, il évoque sa chouette banlieue d'enfance.


Allez, et pour ne pas être soupçonné de franchouillardise, une petite incursion dans les quartiers populaires d’outre-atlantique, ou la violence fratricide du prolétariat frappe aussi :


Et pour finir une élégie à la paix. Afin qu'on ne m'intente pas un procès en idiotisme et irresponsabilité, je tiens néanmoins à avertir nos aimables lecteurs que certains propos peuvent heurter la sensibilité des plus intransigeants et vertueux antithéistes d’entre nous :



vendredi 22 janvier 2016

Le Lemmy du jour

«J’emmerde ces mecs qui ont survécu aux années 70 et qui entretiennent leur réputation de génies du rock dans des palaces. Lemmy, il voulait juste faire un nouvel album en buvant du whisky-coca.»
                                                                                  Dave Grohl, batteur de Nirvana.

  Pas très inspiré en ce moment. Alors on va s'écouter un petit Motörhead, Iron horse. Je ne pense pas que Lemmy pensait au train de banlieue quand il a écrit cette chanson. Avec son mode de vie rock'n'roll, il a pas dû se faire chier à le prendre quotidiennement comme les employés émasculés que nous sommes, mes collègues et moi. J'imagine :

Sur l'train d'la ligne H pour St-Denis il vole,
Sur l'train d'la ligne H pour Epinay-Villetaneuse il mourrait avec bonheur,
L'train d'la ligne H
est sa femme !
L'train d'la ligne H
est sa vie !
Tin tin tin tin tin tin, tin tin tin...

  La musique de Motörhead à ses débuts était très punk rock, avant de devenir de plus en plus métal. L'esprit punk, lui, est resté jusqu'au bout. Dans ce titre, issu du premier disque (On parole), on ne reconnait pas le gros son qui tache. Rythme lent, basses et guitares non saturées, voix de Lemmy non rauque. Un bon petit rock garage qui, avec d'autres titres du même opus, seront repris par la suite en plus graisseux, en plus lourd dans le bon sens du terme, en plus trash, en plus speed, en plus hard core, dans l'album Motörhead.

lundi 18 janvier 2016

Joyeuse fête !

Un compagnon nous envoie ses voeux, nous nous empressons de les transmettre à notre lectorat.

   Lorsque l’on a coupé la tête du roi louis XVI, le 21 Janvier 1793, il n’y a que 223 ans, on a coupé la tête de Dieu. Durant l’ancien régime, le pouvoir temporel (Potestas), et sa hiérarchie de gouvernement des hommes et des choses, devait son maintien et sa reproduction transgénérationnelle non seulement au rapport de force combiné des armes et de l’administration, mais aussi à la sacralisation de sa prétendue légitimité garantie par la bénédiction du pouvoir spirituel (Auctoritas), représenté par l’église. Couper la tête du roi, fut aussi un acte symbolique d’affirmation d’une séparation entre pouvoir temporel et spirituel… qui devait se poursuivre 112 ans après par la séparation de l’église et de l’état, affirmant un peu plus la laïcité publique. Cependant, preuve, de l’inaccomplissement social de cette laïcité, le maintien du pouvoir temporel sous la forme de la hiérarchie de l’Etat, fut la garantie par et pour la classe bourgeoise dominante de sa protection, en dépit de toute légitimation par le sacre du divin… Une voie ouverte au développement du capitalisme moderne... Une Potestas d’Etat libérée, par la mort du divin, de toute tutelle spirituelle, mais garantie par une Auctoritas, non divine, fondée par une morale de droits de l’homme ayant gravé dans son marbre les éléments textuels devant légitimer la permanence de la domination bourgeoise.

Quel bonheur de revoir ainsi la place de la Concorde : on n’y trouve plus [...] les colonnes précipitées d’une fourmilière d’esclaves motorisés (Guy Debord en son Panégyrique) !

   Cependant, la mort du divin sacré, non restaurable autrement que par l’alliance de la force des armes et de la manipulation obscurantiste et sectaire, rend totalement injustifié et illégitime l’exploitation du travail et la domination politique, le capitalisme et l’Etat !

   Pas plus que n’était justifiable et légitime le maintien de cette guillotine, dont souffrit finalement bien plus le peuple que la noblesse et la bourgeoisie, et qui heureusement a été mise au musée, avec l’abolition de la peine de mort !

   La déclaration universelle des droits de l’homme, dans sa version bourgeoise, reproduisant d’une façon laïcisée la justification monothéique créée par les hommes du maintien et de la reproduction entre générations du patrimoine privatif au dépend du collectif, du patriarcat sexiste et homophobe, et du droit absolu de disposer de la nature et des espèces animales (ce dont on perçoit scientifiquement les limites aujourd’hui !)…, doit être sévèrement critiquée. Mais non dans son aspiration fondamentale, plutôt dans son insuffisance, son inaccomplissement, en affirmant et postulant que ni l’exploitation du travail humain, ni la propriété privée des moyens collectifs de production et de distribution, d’intérêt public, ne sont des droits de l’homme !

Deux cents grenadiers ont en quelques heures dressé l'obélisque de Louqsor sur sa base ; suppose-t-on qu'un seul homme, en deux cents jours, en serait venu à bout ? écrira Proudhon 47 ans après, utilisant cette place, qu'un autre tyran dota du monument que nous connaissons, comme lieu de son exemple du principe de force collective.

   Si nous ne souhaitons plus le retour des guillotines populistes et démagogiques, nous pensons que 223 ans, long à l’échelle d’une vie, cela reste très bref à l’échelle de l’histoire. L’AIT, Association Internationale des Travailleurs, n’a-t-elle pas elle-même que 152 ans ? Et seulement 93 ans, pour sa forme la plus aboutie, celle de l’anarcho-syndicalisme ! Ainsi l’émergence historique moderne, dans sa précision politique et économique, d’une volonté humaine individuelle et collective, d’accomplir l’œuvre majeure d’une société solidaire, égalitaire et libertaire, réactive cette nostalgie pré-antique, dont les radicaux transgénérationnels puisent dans les profondeurs de cet âge d’or péri-néolithique comme dans une matrice mémorielle aux racines de notre humanité. Une nostalgie radicale réactivée, pendant des siècles d’ancien régime, lors de ces fêtes populaires des fous et autres saturnales, en défiant les églises, qui s’efforçaient de les réprimer sans jamais parvenir à les réduire ! Une nostalgie radicale qui n’en est pas moins, dans sa forme moderne, qu’à ses balbutiements…

   Qui oserait penser et formuler que l’aspiration révolutionnaire la plus radicale, dans sa modernité, sa profondeur et sa volonté d’accomplissement, puise son inspiration, par ses racines, tant dans la réalité que dans le réel, à la source de la nostalgie inconsciente des traditions les plus anciennes, en opposition à ces fausses traditions fondées par les colonisations de religions et de dominations d’Etat, aliénant les corps et leurs pensées ?

Lui ne nous a jamais soûlé de fumée.

   Dieu est mort, et les religions sont, au regard des savoirs et connaissances, tant dans l’infiniment petit, dans l’espace immense, que dans l’histoire de la terre et de l’évolution des espèces, condamnées par l’histoire à venir ! Dans cette époque troublée de chaos capitaliste mondial, il est logique que les religieux se cabrent à l’extrême, dans leurs pires expression violentes et oppressives ! Pour croire et infliger leur sens, mais aussi se maintenir coûte que coûte, ils peuvent nuire pendant quelques décennies encore, ce qui est long à l’échelle d’une vie humaine, mais dérisoire en regard de l’histoire humaine et de la vie ! Mais ces religions vouant un culte à ce Dieu créé par les hommes eux-même, à l’image de leurs dominants, et qui même sous couvert d’un vernis humaniste usurpé et antérieur de par la nature sociable de l’humain, ne sont là que pour justifier la reproduction de l’exploitation économique de l’humain et de la nature, sont de toute façon condamnées à mourir par l’histoire à venir ! Dieu est mort, mais son cadavre pourrissant et exposé à tous vents nous empoisonne. Alors qu’on l’enterre !!!

   Pas plus que l’aspiration au droit humain individuel, détournée par la partie bourgeoise de la république, ne peut remettre en cause l’aspiration à la chose publique combinée à celle de la reconnaissance du droit de l’individu, pas plus l’abominable détournement reproductif des structures hiérarchisées du monothéisme expérimenté en URSS et en Chine ne peut remettre en cause les aspirations, complémentaires et indissociables, à la liberté et l’égalité rendues possibles par la solidarité instituée !

Lui n'a jamais fait arrêter personne avec une lettre de cachet (ce que notre bon exécutif non-exécuté actuel, 223 ans après, peut de nouveau quasiment accomplir ad libitum, grâce à l'état d'urgence).

   Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, et prenons vigoureusement nos distances d’avec tous ces crétins et autres idiots utiles, gauchistes et fachos identitaires, tous manipulateurs du communautarisme régressif, pour affirmer, de façon universelle, que la seule transformation restant à accomplir, sur les fondements de ce qui est acquis, reste la résolution et l’accomplissement laïc de la question sociale ! Par le pouvoir temporel de la république démocratique directe, fédérative, internationale et sociale dans le monde entier, et, en l’absence du divin, par l’Auctoritas de l’éthique anarchiste constituée et des savoirs en constructions permanentes… Pour substituer le gouvernement des hommes par l’administration humaines des choses, dans le respect des espaces naturels et des ressources, pour la satisfaction solidaire des besoins de chacun-e en fonction des capacités de chacun-e.

Meilleurs vœux de réussites à tous nos ami-e-s qui, dans le monde, oeuvrent, en conscience ou non, dans ce sens !

Pour le 21 janvier, la tête de veau n'est plus obligatoire.

BOUCHEES A LA REINE VEGETALIENNES

Pour 8 bouchées :

* 8 feuilletés végétaliens pour bouchées à la reine (trouvés à Leader Price)
* 170 gr de champignons de Paris frais épluchés & émincés
* 1 petit oignon émincé
* 2 CS d'huile
* 3 pincées d'ail en poudre
* 1 belle pincée de noix de muscade moulue
* 1 cub'or 1/2 écrasé ou son équivalent en sel
* poivre
* 300 ml de lait végétal (ici, lait de soja)
* 25 gr de maïzena
* 200 gr de tofu asiatique coupés en petits cubes
* 40 gr de quinoa cru ou 110 gr de quinoa cuit
* 2 cc de vin blanc (facultatif)

****

Si vous n'avez pas de restant de quinoa, rincer abondamment et faites cuire dans de l'eau bouillante 40 gr de ce fabuleux taboulé des incas cru jusqu'à ce que le petit germe blanc sorte et que la graine soit translucide. Mettre de côté.

Dans un saladier, dissoudre la maïzena dans le lait végétal, ajouter les cub'or écrasés ou le sel, la noix de muscade, l'ail et le poivre. Réserver.

Dans une grande poêle anti-adhésive, faites revenir avec 2 CS d'huile, les champignons et les oignons afin de les attendrir puis ajoutez les cubes de tofu jusqu'à ce que ces derniers commencent à dorer.

Ajoutez alors lait végétal + maïzena et remuez avec une grosse cuiller jusqu'à ce que le mélange épaississe et là vous stoppez touuuuuut. En fin de cuisson, si vous le désirez, rajoutez le vin blanc. Vérifier l'assaisonnement.

Préchauffer le four th° 6.

Sortez vos croûtes feuilletées et creusez légèrement avec un couteau pointu pour sortir le petit chapeau.

Remplir les bouchées de farce végétalienne, poser le petit chapeau par dessus et faire réchauffer 10/15 mn (vérifier en plongeant la lame d'un couteau dans la farce, si elle ressort chaude, c'est tout bon).

Si les croûtes dorent un peu trop vite, couvrir de papier aluminium et poursuivre la cuisson.

Merci au blog blog Vegansfields, à qui j’ai emprunté cette recette.

Bon appétit, joyeuse fête et heureux 21 janvier les amis !

vendredi 15 janvier 2016

Un ministre à la boutonnière

N'étant pas compétent pour parler de Pierre Boulez, sauf pour quelques conduites d’orchestres symphoniques (grand rêve de Léo, qui s’y mit en fin de carrière) dans des œuvres magistrales de Debussy, Mahler, Stravinski…, pour lesquelles je n’aurais d’ailleurs pas plus à dire, si ce n’est que j’ai pris un grand pied à leur écoute (mais vu mon amateurisme, j'aurais certainement pris le même pied si ç'avait été Léo à la baguette...) ; vu, donc, mon incompétence boulezienne, je vous passe du Ferré, en live et en studio (je suis toujours un peu stressé et dérangé dans mon confort d’écoute quand Ferré ne sait plus son texte et laisse passer trois ou quatre mesures, bouche bée ou en doublant certains vers, avant de le retrouver, se rattrapant à ce moment là en accélérant son débit à la va comme je te mitraille). 

Avec image animée du récitant et de ses trous de mémoire

Sans image animée de l'artiste scandant, mais sans trous de mémoire

MUSS ES SEIN ? ES MUSS SEIN !*

La Musique... La Musique...
Où elle était la Musique ?

Dans les salons lustrés aux lustres vénérés ?
Dans les concerts secrets aux secrets crinolines ?
Dans les temps reculés aux reculs empaffés ?
Dans les palais conquis aux conquêtes câlines ?

C'est là qu'elle se pâme c'est là qu'elle se terre la Musique...
Nous c'est dans la rue qu'on la veut la Musique !
Et elle y viendra !
Et nous l'aurons la Musique !

MUSS ES SEIN ? ES MUSS SEIN !

Depuis voilà bientôt trente ans
Depuis voilà bientôt dix jours
Depuis voilà bientôt ta gorge
Depuis voilà bientôt ta source
Depuis que je traîne ma course
Au creux des nuits comme un forçat
A patibuler mon écorce

MUSS ES SEIN ? ES MUSS SEIN !

Je suis un arbre non daté
Depuis que je bois à ma porte
Et que de l'enfer tu m'apportes
De quoi trancher sur l'avenir
Depuis que rien ne se dévore
A part les ombres sur le mur
Depuis que tu me sers encore
La défaite sur canapé

MUSS ES SEIN ? ES MUSS SEIN !

Une araignée m'a dit " bonsoir "
Elle se traînait au crépuscule
Depuis que mon âme bascule
Vers des pays plus mécaniques
Depuis que gavé de musique
Je vais porter ma gueule ailleurs
Une araignée m'a dit, d'ailleurs
"Le tout Léo, c'est d'avoir la pratique !"

MUSS ES SEIN ? ES MUSS SEIN !

Ludwig ! Ludwig ! T'es sourdingue ?
Ludwig la Joie Ludwig la Paix
Ludwig ! L'orthographe c'est con !
Et puis c'est d'un très haut panache
Et ton vin rouge a fait des taches
Sur ta portée des contrebasses
Ludwig ! Réponds ! T'es sourdingue ma parole !

MUSS ES SEIN ? ES MUSS SEIN !
Cela doit-il être ? Cela est !

La Musique... La Musique...
Où est-elle aujourd'hui ?
La Musique se meurt Madame !
Penses-tu ! La Musique ?

Tu la trouves à Polytechnique
Entre deux équations, ma chère !
Avec Boulez dans sa boutique
Un ministre, ou deux, à la boutonnière

Dans la rue la Musique !
Music ? in the street !
La Musica ? nelle strade !
Beethoven strasse !

MUSS ES SEIN ? ES MUSS SEIN !
Cela doit-il être ? Cela est !


*Le dernier mouvement du quatuor à cordes no 16 en fa majeur, op. 135, de Ludwig van Beethoven porte une inscription de la main du compositeur : « Muß es sein? Es muß sein! » (« Le faut-il ? Il le faut ! »). Il s'agit probablement d'une référence à une conversation entre deux amis surpris par le musicien, qui s'est amusé de l'opposition et qui en fait une traduction musicale, même si on peut y voir des connotations métaphysiques, puisque le verbe « müssen » porte la notion de nécessité inévitable et peut donc facilement amener la notion de destin (littéralement : « Cela doit-il être ? Cela doit être ! »).
Wikipédia. 

Müssen (v.) : devoir. Ex. : Wir müssen widersetzen = Nous devons résister.

lundi 11 janvier 2016

Kulturindustrie

Pendant les quelques jours de congés du solstice d’hiver, j’ai consommé comme une bête, je me suis goinfré, une actu ciné de dingue !

La guerre des boutons :
La première fois, j’avais l’âge de Lebrac. Pas déçu à la revoyure, bien au contraire, un véritable enchantement qui perdure ! Surtout que visionné avec un petit personnage qui m’est cher, qui a l’âge du petit Gibus, et qui à la frousse d’aller jusqu’aux toilettes tout seul, pas grand l'appart', pourtant. "J'peux marcher comme ça moi ! J'ai pas la frousse moi !".


Ca me fait penser qu’on m’a piqué mon Louis Pergaud, et dans ce cas-là, le livre vaut le film et le film vaut le livre. Dommage, j’aurais bien remis le nez dedans aussi…

Dark passage (Les Passagers de la nuit) 
Le couple le plus durable du cinéma. Un roman de David Goodis : à lire, quand j’aurai fini Hammet et Chandler, Westlake et Jonquet (presque fini), et Manchette. Curiosité technique : la moitié du film est en plan subjectif, jusqu’à ce que le héros se fasse refaire le portrait par un chirurgien pas piqué des hannetons ! Après, c’est Humphrey ! Et dire que je viens de lire La Dame du lac de Chandler (traduction Vian), dont j’apprends que son adaptation ciné est intégralement en plan subjectif ! Il faut que je trouve ce film !


Pour l’intrigue : taulard évadé, faux coupable vrai innocent, ange gardien sexy et amoureuse, tueur(se) machiavélique et haineux(se), traque, fuite… Du bon noir, à l’intrigue un peu simplette cependant et au (attention pas spoiler free !) happy-end franchement pas crédible

Tante Hilda :
On avait aimé un autre film catastrophe du même auteur, évoqué ici. L’éco-warrior (une quarantenaire, c’est l’héroïne, dire que je m’éloigne à grands pas de cette tranche d’âge, à laquelle je peux, ici, n’était le sexe - mais quelle différence ? -, m’identifier un peu…) ; le techno-scientiste repenti et amoureux ; et la capitaliste psychopathe écocidaire. Attention pas spoiler free : un happy-end en demie teinte : la méchante, arrêtée pour un temps, nuit toujours puisque son esprit, son monde, bande encore…  


Terrifiant, mais heureusement, c'est de la SF, c'est pas comme si c'était notre monde.

vendredi 8 janvier 2016

Jouons un peu avec la matière

Que le monde soit un gros caca, on n’a pas attendu Cioran pour le savoir.
Jean-Pierre Martinet

Après le succès de notre évocation douce-amère de l’autel d’Aise de Magdeleine, et après ces jours, proches encore, au cours desquels :


Vint Gloutonnerie aux pattes graisseuses ;
La serviette attachée au cou,
Bajoues enflées, menton en branle,
Grasse à pleine peau, d’une peau huileuse ;
Rivée dans un spacieux fauteuil
Avec trois parts dans son assiette ;
Insatiable ; à l’homme aux mœurs simples,
Elle apprit à se crever de mangeaille
[…]
Et d’elle est née la troupe
[…]
Assoupissement, en bonnet de laine,
Faisant son somme après le repas ;
Hydropisie au teint blafard,
Grosse bedaine et lente démarche ;
Goutte princière, enveloppée de fourrures ;
Asthme, qui siffle et n’ose faire un geste.


… pourquoi ne pas s’alléger le sang et les circuits cérébraux par un petit jeu culturel bien digne de nous, matérialistes que nous sommes !

Voici donc deux extraits de deux poèmes de notre personnage mystère, à découvrir donc, où se révèle cette obsession de la matière fécale qui est certainement une des formes de la folie où tombera l’auteur(e) vers la fin de sa vie. La plus frappante des deux pièces reste néanmoins la deuxième où le dégoût morbide des excréments est si extraordinaire, que l’on se demande si l’on est pas déjà en présence de l’œuvre d’un(e) malade mental(e). Mais nous avons cru bon de donner cette pièce psychopathologique pour plaire à notre lectorat freudien.



O généreuse Déesse Cloaquine,
Pourquoi te confiner dans tes temples ?
On ne te laisse plus vivre au grand air ;
Pourquoi ces autels souterrains ?

Quand Saturne seul régentait le ciel,
- Cet âge doré ignorant l’or –
Ce globe, que tu avais en partage
Recevait les dons de tous les hommes.
Tu avais dix mille autels à la ronde
Tout couronnés d’offrandes fumantes.
Là, chaque jour tes fidèles zélés
Plaçaient en hâte leurs sacrifices.
De douces vapeurs montaient vers toi,
Soit des bords d’un ruisseau jaseur,
[…]
Soit de l’abri d’un frais bocage,
Où deux amants venaient flâner ;
Soit d’un val fleuri, gente offrande
Portée sur l’aile d’un zéphyr ;
Là, poussait mainte fleur abstersive :
Tes fleurs favorites, de teinte jaune,
Le crocus avec la jonquille,
La molle primevère et le narcisse.
[…]



Voluptueuse Aise, fille de richesse
Qui, sournoisement infecte nos cœurs.
Nul ne te quête plus au grand air,
Ni ne te dresse de candides autels ;
Mais dans d’obscènes réduits ou caves,
On t’offre un sacrifice impur.
De là naissent des vapeurs malsaines,
Qui offensent ton nez exigent.
Ah, qui, en ces jours décadents,
Donne l’offrande comme Nature l’y pousse ?
Nature, jadis, point ne distinguait
Entre le sceptre ou bien la bêche…

Grands de ce monde, pourquoi dédaigner
De payer tribut à même le sol ?
Pourquoi, par paresse et orgueil,
Mettre l’autel au bord de vos couches ?
Car le plus laid des pots d’argile
Reçoit des offrandes plus sincères
Que le vase d’argent qu’une fière Duchesse
Enferme dans un coffret de cèdre.

Mais toute dévotion n’est pas morte
Chez nos frustes pasteurs du Nord,
Dont les offrandes en files dorées
Ornent les bords de notre rivière limpide ;
Garnissent parfois les dunes fleuries
De pointes en spirales et couronnes doubles ;
Ou dorent dans un clair matin
Les humbles branches d’un buisson.
[…]
Mon pied, souvent, par maladresse
Rapporte ici la vile substance ;
Ou, si le soulier est hors de cause,
Je dore, malgré moi, le passepoil terni ;
Mon jupon s’orne d’une deuxième frange,
Teinte au contact de la branche sacrée.



Et voici notre deuxième extrait :

L’altière Célia a mis cinq heures
A s’habiller (peut-on faire moins ?) ;
Elle ressort mise comme une déesse
Tout en dentelles, brocart, drap d’or…
Stréphon passe, et voit la pièce vide.
[…]
Il entre à pas de loup, et il scrute
[…]
Stréphon va-t-il vous dire la suite ?
Faudra-t-il vous parler du coffre ?
Quelle étourdie ! Ne pouvait-on
L’avertir d’enlever ça d’ici ?
Ne pas le laisser au beau milieu
Pour prêter le flanc à nos sarcasmes.
En vain le menuisier, plein d'astuce
A contrefait gonds et moulures,
Afin qu'un profane pût se croire
En présence d'un bonheur du jour...
Car Stréphon voulut, coûte que coûte,
Voir ce qu'il y avait à l'intérieur,
(Il suffisait de soulever le couvercle)
L'odeur l'avait mis sur la piste.
[…]
Ainsi Stréphon souleva le couvercle,
Pour voir ce qui se cachait dans le coffre
Les vapeurs s’échappèrent par le trou ;
[…]
O puisse jamais ne se revoir
Chez Célia le meuble sans gloire !
[…]
Telle quand aplatie et salée,
La côtelette d’agneau, reine des viandes,
Est, selon les lois de la cuisine
Rôtie devant un feu léger ;
Si, devant les babines alléchées,
Une goutte de graisse tombe sur la braise,
La flamme devient fumée puante
Qui corrompt la chair d’où elle sort ;
L’odeur de suif est si infecte
Que vous maudissez la souillon.
Ainsi, certaines choses innommables,
Quand elles font plouf, dans le coffre puant
Répandent une odeur d’excrément
Qui gâte les parties dont elles sortent,
Et donne aux jupons et chemises
Un parfum qui les suit partout.

Terminant donc sa vaste enquête
La mort dans l’âme, Stréphon s’enfuit,
Et dans ses transports, il répète
Dire que Célia, que Célia chie !... 


Si vous voulez vous marrer franchement, si ce burlesque passe près de chez vous, ruez-y vous ! Entre les slapsticks muets de Chaplin et le savoureux bon goût de « Hara-Kiri », cependant résolument ancré dans la modernité. Ca s'appelle Bigre.

P.S. (beurk) : si un noble lecteur peut m'expliquer comment enlever ce laid halo blanc autour du texte de l'article, j'en serais fort aise, et lui serai éternellement reconnaissant...
Wrob. pour La Plèbe.

lundi 4 janvier 2016

Ma pauvre Cécile


No longer mourn for me when I am dead
Than you shall hear the surly sullen bell
Give warning to the world that I am fled
From this vile world with vilest worms to dwell; 
Nay, if you read this line, remember not
The hand that writ it; for I love you so, 
That I in your sweet thoughts would be forgot, 
If thinking on me then should make you woe.
O, if (I say) you look upon this verse, 
When I (perhaps) compounded am with clay,
Do not so much as my poor name rehearse,
But let your love even with my life decay,
Lest the wise world should look into your moan, 
And mock you with me after I am gone.

William Shakespeare, sonnet 71 (traduction sur demande).