mardi 31 mai 2016

Figure controversée, avancés désemparés

   « […]
   - C’est bien naturel, allez. J’ai mes opinions à moi, mais j’estime qu’un prêtre est un homme comme un autre et qu’il a droit à se loger convenablement. Je vous dirai quand même qu’une maison comme la voilà telle, vous y êtes comme une puce dans un tas de foin. Ou alors, il vous faudrait femme et une pleine voiturée d’enfants. »
   Voiturier se mit à rire. […]



   « Je plaisante, dit Voiturier, mais c’est pour plaisanter. Nous autres gens avancés, on se figure qu’on en a contre la religion, mais c’est bien pas vrai. On en prend et on en laisse, voilà tout. Le coup de Jonas et de la baleine, j’aime autant vous le dire, on ne me le fera jamais avaler. A côté de ça, je vous prends par exemple Jésus-Christ. Moi, Jésus, j’ai rien contre lui. La raison du fait, si vous voulez savoir, c’est que Jésus-Christ, c’était l’homme avancé. Celui qui veut bien voir, Jésus-Christ, c’était le vrai socialiste.


   - Vous me l’avez déjà dit, riposta le curé agacé, mais vous vous trompez. Rien n’est plus faux que ce prétendu socialisme. En réalité, Notre-Seigneur était partisan de l’esclavage. Pour vous en convaincre, vous n’avez qu’à lire les Evangiles. Vous n’y découvrirez pas une parole pitoyable, pas une virgule de compassion à l’égard des esclaves qui se comptaient pourtant par millions à son époque. Pour lui, la forme de la société n’avait aucune espèce d’importance et il n’a jamais prêché que la fraternité en Dieu, celle qui n’empêche pas les maîtres de rosser leurs serviteurs. »


   Craignant d’en avoir trop dit, le curé se tut. Humblot était choqué et peiné par l’évocation d’un Jésus esclavagiste que de bonnes lectures lui avaient représenté comme un philosophe anarchisant.
   « Je l’aurais quand même cru un peu plus avancé, dit Voiturier, mais vous le connaissez mieux que moi. Un de ces dimanches, vous devriez le dire en chaire, que Jésus-Christ était pour l’esclavage. Ca ferait réfléchir bien du monde. […] »
 

Marcel Aymé.- La Vouivre.

vendredi 27 mai 2016

Trouver la voie


« L’aïkido, par exemple, dans lequel seule l’énergie cinétique de l’attaquant est mise à contribution et retournée contre lui-même. Ceci m’avait conduit il y a quelques années à préconiser la mise au point d’une sorte d’aïkido mental : au lieu de s’évertuer à fabriquer un arsenal théorique ou une forteresse doctrinaire de plus, on se bornerait dans cette discipline, à maîtriser des prises minimalistes susceptibles de retourner la puissance idéologique du pouvoir contre celui-ci. Ou selon le joli mot de Marx : à « faire danser les rapports pétrifiés en leur chantant leur propre mélodie ».
   Toutes ces techniques d’autodéfense sont des applications d’un concept clé de la philosophie chinoise, en particulier taoïste : wei wu wei, le non agir agissant. Bornons-nous ici à n’en donner qu’une information banale, voir simpliste : l’abstention, la suspension d’activité, le non-engagement sont aussi des moyens d’agir. »
Guillaume Paoli, Eloge de la démotivation, éd. Lignes 2008.

   On trouve la définition et la transposition un peu courte. Certes il y a dans l'aïkido la notion de tenkan (changement de direction) qui permet de retourner l'attaque contre son auteur en la déviant. Mais il y a aussi le concept incontournable de irimi, "entrer" dans le centre du partenaire (il n'y a pas d'adversaire ou d'ennemi en aïkido - son application dans la guerre de classe n'est qu'une transposition des compétences qu'il a permis d'acquérir ; la pratique de cet art est considéré comme "collective", sur l'ensemble du tatami), "traverser la chair" au sens littéral. Après des décennies de pratique, une hyper-sensibilité et une réactivité concomitante permet de rentrer dans le partenaire avant même qu'il ait pu développer son attaque, à la naissance de celle-ci, cette entrée pouvant et devant, dans une perspective martiale ("on dirait qu'on jouerait à se mettre sur la gueule") être définitive. Heureusement, un deuxième principe, le tenkan, qui suit immédiatement le irimi, illustre la volonté de clémence que porte cette pratique tant physique que spirituelle : après être entré et avant la "destruction" du partenaire, on pivote et celui-ci chute quasiment tout seul, mais nous l'aidons et l'accompagnons, principe de sollicitude. Il y a donc engagement au début, et à la fin de la technique. Un entrainement d'une heure d'aïkido peut être épuisant, c'est mieux d'ailleurs, si on veut en extraire la substantifique moëlle, mais il laisse le choix. Le keikogi y est souvent à tordre en fin de séance.

Notion de irimi.


Notion de tenkan : toute l'oeuvre de l'Inconsolable tourne autour du travail (en allemand "arbeit", terme qui fit les beaux jours d'un slogan du patronat allemand, que des épiciers déclassés transformés en tueurs de masse reprirent finalement à leur compte), et n'aurait pas dépareillé dans cette play-list

Pour illustrer la thèse de Guillaume Paoli, on aurait plutôt utilisé la comparaison avec le bel art du Bowling.

vendredi 13 mai 2016

Shopping et baise et littérature.

A l'heure où les artistes impertinents, l'esprit embrumé par leur indigestion de pognon, embrassent la police, cette police qui assassine ou mutile les jeunes rebelles ou simplement pauvres et moins blancs que blancs ; à l'heure où les intellectuels bourgeois réaffirment leur fidélité indéfectible à leur classe sociale au moment ou leurs hommes liges imposent un renforcement de plus de la prostitution du prolétariat  à celle-ci, il est bon de se pencher sur les nouvelles publications scientifique concernant ce type d'intellectuel reconnu, insolent le cul sur sa chaise, mais féroce et impitoyable dès que la louche de son caviar risque de perdre quelques cm3.

Bourgeois bien nourri, regardez cette trogne, il devait bien aimer le jus de la treille, autant que les petite femmes des Maison ! Ah ! Gaule ! Gaule ! Bon, il aimait moins que les ilotes relèvent la tête...

A la plèbe on a toujours éprouvé de l'antipathie pour Gustave Flaubert. Ca veut pas dire qu'on le boycotte, on a l'esprit ouvert, et personnellement j'ai lu L'Education sentimentale, et peut-être même Bouvard et Pécuchet, mais j'avoue que ça ne m'a absolument pas transcendé et que je n'en ai quasiment gardé aucun souvenir (à part l'apparition, oui et alors ? c'est génial ?). Je n'étais peut-être par prêt, ou dans de bonnes conditions. Et je suis open pour réessayer, voir même lire la Bovary. Ah si ! Pardon, deux textes m'ont vraiment transporté, mais leur thématique est religieuse, on va encore me traiter d'islamo-gauchiste, c'est La Légende de Saint-Julien l'hospitalier, et Hérodias, dans les Trois contes. Un coeur simple m'a profondément ennuyé. Ah ! J'avais oublié Salambô, mais dans la version de Druillet. Druillet + Flaubert, c'est un peu fatigant, mais ça ne m'a pas empêché de nommer ma chatte du nom de la princesse carthaginoise, pauvre petite chérie partie trop tôt. C'est comme ça, maniaque littéraire jusque dans les baptêmes (athées, athées, restez calme !), je ne vous ai pas dit comment s'appelle mon fils, et sans discernement.


Bref, ce n'est pas pour son oeuvre que nous détestons Flaubert, mais parce qu'il a assassiné les communards comme on sait, verbalement bien sûr, en crachant dessus. Il fait partie de ces bourgeois se servant comme piédestal d'une certaine satire de sa propre classe sociale, mais qui dès que le peuple s'émancipe, court derrière la troupe baiser les bas des dominants en criant haro sur les pouilleux ! Bien sûr, on sait bien que des salauds peuvent créer des merveilles, l'exemple bateau étant Céline, ou Aragon. Et on a remarqué que Flaubert est quand même très apprécié, chez les amateurs de livres, mais aussi chez les libertaires, ou d'autres... A votre avis, qui est la première traductrice de gros Gustave en anglais à Londres en 1886 ? Eleanor Marx-Aveling, fille de, oui... papa ! Alors, encore une fois, en toute humilité, on se dit qu'on le relira un jour...


D'autant qu'aujourd'hui, de nouveaux résultats critiques le prouvent, notamment ceux de Julian Barnes (dans Par la fenêtre, Folio), on sait que Flaubert était un précurseur, que dis-je un véritable prophète :

- Un premier indice venant corroborer cette thèse : cette nouvelle en trois ligne de Félix Fénéon (qu'on a à la bonne, lui,  par contre) :

"Delphine Delamare, 27 ans, épouse d'un officier de santé de Ry, se montra trop peu austère. Qui pis est, elle s'endetta. Au désespoir, elle avala du poison". Ca ne vous rappelle rien ? Le synopsis de madame Bovary, oui da ! Mais la chronologie prouve que Flaubert n'a pas pu s'inspirer de ce fait divers là, si nettement tracé par Fénéon. Conclusion : Flaubert visionnaire !

- Et le deuxième et définitif indice : Vous l'ignoriez, Madame Bovary, à l'occasion d'une nouvelle traduction américaine, fut publié en feuilleton par Play Boy. Le livre proposant cette traduction proposait quant à lui  en bandeau publicitaire : The original Desperate Housewives. Et Barnes de conclure : "Si tarte que cela paraisse", la vérité n'est pas si loin. Après tout, conclut-il, c'est "le premier grand roman moderne du genre "shopping-et-baise"".

L'excellente première saison des Desperate housewies, satire grinçante de l'american way of life de la middle class. Après ça va vite se recentrer vers le contraire : un martelage de l'idéologie libérale et bien pensante de la bourgeoisie étasunienne, le fameux shopping-et-baise, quoi.

Un précurseur qu'on vous dit. Mais vous ne nous en voudrez pas si avant de tâter de la Bovary, on se fait d'abord la trilogie de Jules Vallès, qu'on n'a pas encore lue.

Une Chronique de Delfeil de Ton dans Siné mensuel m'a inspiré tout ça. Et ciao à Siné qui, même s'il a souvent dit des bêtises, est toujours resté du bon (mauvais ?) côté de la barricade ! 

mardi 10 mai 2016

Bibliomanie insolite


   "Emprunts nombreux, en français, anglais ou allemand, d’une étendue de curiosité dont on retrouve la projection dans tel article, tel livre, mais souvent motivée par le pur plaisir de l’encyclopédie : voyages, explorateurs, guide (La Suède), philosophes (nombreux), littérature (choisie), histoire, sociologie, psychanalyse (Freud dès février 1923), peinture, Epictète en grec, Zarathustra en allemand, Léon Chestov en août 1924 (Les Révélations de la mort, Bataille commence d’apprendre le russe), un soudain intérêt pour Napoléon III, Les Champs magnétiques (il ne reçoit donc, ni n’achète, le livre, 2e édition, 1925, rendu dix-sept jours plus tard), Dostoïesvski encore, Gogol, six livres le 16 juin, retour un mois après (deux Dostoïevski dont Le Sous-sol, deux Lautréamont, Roussel et Senancour), réemprunt du Sous-sol et de Lautréamont cinq mois plus tard ; Lautréamont dont on ne souligne pas assez les effets de présence dans la phrase, dans la pensée de Bataille, plus des Fatrasies médiévales telles celles qu’il adaptera pour La Révolution surréaliste (il avait reçu en prix de l’Ecole des Chartes celles de Beaumanoir). Mais aussi, Hegel en novembre 1925 (deux ouvrages), plusieurs Conrad, plusieurs Cazotte, une histoire de la conquête de Mexico en espagnol, deux Lénine le même jour d’octobre 1926, Freud, le 9 mai 1927, les mémoires de Casanova, reprend deux fois Totem et tabou, en juin et en août, Hegel en traduction anglaise, plusieurs études consacrées à Manet, au Mexique, dans toutes les langues, quatre Huysmans un 4 août (1928), L’(Œil de la police, force études sur le sacrifice, L’Epatant (1908-1909) en 1930 (s’appeler Georges Bataille, avoir 33 ans, emprunter Les Pieds Nickelés à la Nationale)."

Francis Marmande.