lundi 28 septembre 2015

Désert et jungle


   Les frontières n’existent pas. Elles existent moins encore que tant de ces choses dont nous dissertons à longueur de conversation et que nul n’a jamais vues : la société, la France, le temps, ou le concept de fleur. Il y a des mers, pour certaines presque infranchissables. Il y a des cols, des montagnes escarpées, des lacs dont les rives se perdent à l’horizon, il y a des déserts aussi, toujours habités, étrangement habités, les déserts ;

Les oiseaux de proie sont leurs principaux prédateurs.

                                                                il y a des langues et des histoires, des traditions et des liens de parenté, d’amitié. Mais il n’y a pas de frontières. C’est pourquoi il faut un tel appareillage pour attester leur existence contre toute évidence. Des miradors, des barbelés, des guérites et des passeports, des hommes en uniformes et désormais aussi des scanners, des drones, des capteurs, des miracles de technologie infrarouge, des caméras inventées juste pour les surveiller, les frontières – ces fictions impératives.

Bye-bye Saint-Eloi.

Les poulets sont leurs principaux prédateurs.

jeudi 24 septembre 2015

Quatre mois après

"Il y avait à Paris, dans le quartier de la Chapelle, un pauvre Arabe du nom d’Abd el Martin et on l’appelait Abdel tout court, ou le Crouïa, ou l’Arbi, ou le Biquemuche, ou encore Bique à poux, parce qu’il avait, en effet, des poux. […]


Appuyé sur le manche de son balai, le patron regardait l’Arabe avaler un café tiède et se laissait aller à méditer tout haut : « Pour celui qui veut bien réfléchir, disait-il, on est peu de chose. Je vois par exemple toi. Qu’est-ce que tu es ? de la pourriture. D’où tu deviens ? on n’en sait rien. A quoi tu sers ? J’en causais une fois au coiffeur et c’est bien ce qu’on disait ensemble, que jamais le gouvernement ne devrait tolérer une pareille vermine sur le territoire, à plus forte raison dans une ville comme Paris qui est le cœur de la France. Je ne suis pas contre l’étranger, au contraire, mais j’estime néanmoins qu’il y a des limites. Et d’abord, tu viendrais à disparaître, fusillé, ou n’importe quoi, qui est-ce qui le saurait ? personne. Je dirais peut-être à Mme Alceste : « Tiens, on ne voit plus le Crouïa qui buvait du vinaigre. » Et puis c’est tout. Et dans quinze jours, je t’aurais sûrement oublié. C’est bien la preuve que tu es moins que rien. […]

Sale temps pour les diabétiques.

Les deux inspecteurs entrèrent dans l’impasse à la première heure du matin. L’un était un jeune homme portant chapeau mou sur l’oreille et un imperméable dont il nouait la ceinture avec une coquette négligence. L’autre, M. Ernest, était d’une tournure plus classique. Trapu, moustachu, avec des épaules de tueur et d’énormes mollets qui imprimaient aux jambes du pantalon une forte courbure, il portait le chapeau melon et le pardessus noir d’une coupe ministérielle.
[…]
A l’entrée de la rue Pajol, Abdel, jetant un dernier regard en arrière, eut un mouvement des épaules et parut avoir encore une velléité de fuite. Avec une agilité qu’on n’eût pas attendue de son âge et de sa corpulence, M. Ernest le botta au revers de la capote, d’une double détente, sûre et puissante, qui lui tira un gémissement. Sur le trottoir, une vieille femme qui promenait son chien, eut un geste de pitié et de protestation.
« Avec ces animaux-là, lui dit l’inspecteur, il faut ça. Ils ne comprennent rien d’autres. »
Marcel Aymé.- Derrière chez Martin, 1938.

Des précisions ici

« Entre le 2 juin et le 29 juillet, les réfugiés de la Chapelle ont subi pas moins de dix évacuations par les forces de l’ordre. La première est l’expulsion du camp sous le métro aérien à La Chapelle. C’est le début de leur errance dans le 18ème. Durant deux mois, les camps sont évacués les uns après les autres, sans solution pérenne, jusqu’au 29 juillet et l’évacuation définitive de la Halle Pajol. Le 30 juillet, les locaux de Ni Putes Ni Soumises sont occupés, et le lendemain, c’est au collège désaffecté Guillaume Budé (19ème) que les migrants se réfugient. Ils y sont toujours. »
Siné mensuel n° 45 – septembre 2015.

Enfin, je ne suis pas les nouvelles au jour le jour, je ne lis que des mensuels et des blogs, n'écoute que des radios libres et ne contemple pas la TV, mais je crois bien qu'ils n’y sont plus non plus, arrêtez-moi si je me trompe.

mardi 22 septembre 2015

Bientôt la trève


En attendant, des gardes qui expulsent, des décideurs qui le leur ordonnent, des Bidochons décomplexés, serviles aux puissants, impitoyables aux miséreux, qui piaffent, et moi, et moi, et moi... (tiens, encore un Jacques, mais celui-là ne doit pas être dans le besoin, rassurons-nous). Bon, malgré tout, on va essayer de pas faire une tête d'enterrement...

vendredi 18 septembre 2015

Jacquerie

Il doit bien y avoir une vingtaine d'années (comme le temps passe !), on m'offrit une compilation de Maurice Fanon. Dedans, une chanson fait référence à quatre Jacques. Non, ils ne sont pas frères.


Maurice Fanon

Je connais un peu Jacques Debronckart. Un pote m'avait enregistré une cassette à peu près à cette même époque avec sur l'autre face Couté par Pierron, ou alors Pour en finir avec le travail, je ne me souviens plus bien, ce que je sais c'est que j'ai perdu tous ces albums, vous savez ce que c'est pour les plus anciens, la bande se met en vrille, on essaye de la remettre, ça marche une fois, deux fois et puis crac ! on arrache tout tellement ça tape sur les nerfs. Heureusement, chaque mois je peux écouter un titre du Couté ici, et même parfois un du second, et on en a entendu du premier. J'suis heureux.

Jacques Debronckart

En revanche je connais mal Jacques Bertin. Oh ! j'ai bien dû l'entendre à l'occasion sur une radio libre (j'adore les radios libres), mais sans l'identifier. J'ai l'impression qu'on en parle peu, contrairement à Alain Leprest par exemple... C'est en relisant un texte de Zo d'Axa, réédité au Passager clandestin dans un recueil intitulé Vous n'êtes que des poires, livre qui m'avait fait envie en passant devant l'éventaire alors que j'ai les mêmes textes à la maison, avec d'autres, sous le titre En dehors chez Champ libre, bref, c'est en lisant le petit Passager, que je suis tombé sur une note de Bernard Langlois faisant l'éloge de Bertin. J'espère mieux connaître ce poète-chanteur (ici diseur) à l'avenir.

 Jacques Bertin

Pour revenir au Zo d'Axa, deux passages m'ont troublé par leur actualité, alors que mon syndicat recevait un tract d'une organisation de gauche de gauche grecque, appelant à se ruer aux urnes après la trahison de la gauche de gauche élue au pouvoir. Gauche de gauche élue au pouvoir que les manifestants de gauche de gauche français, furieux du putsch de la zone euro, se sont refusés résolument de stigmatiser, les élus, ce n'est pas leur faute, ils ont été forcés de trahir, nos pauvres chers amis...

Je trouve que le catéchisme anti-électoraliste, même si j'en suis un ardent zélateur, est un peu rebattu, rabâché, depuis le temps. Mais en fait non, le clou est toujours à ré-enfoncer. Extraits :

"Un moment vient où l’on comprend l’œuvre que pourrait accomplir un parlement vraiment démocratique.
Une heure tinte — généralement celle où l’on pose sa candidature — une heure tinte, argentine, où l’on perçoit l’urgence de la politique en chambre de députés. Il y a sûrement belle besogne à faire au sein de la Chambre — ce sein que l’on ne savait voir.
Du haut de la tribune parlementaire, les mots acquièrent de la portée. Ils se répercutent jusqu’aux plus petits hameaux du pays.
Ils se commentent à l’étranger.
L’étranger guette. Ne l’oublions pas. Les bons Français ont un devoir :
Élire un parlement digne d’eux."

La fameuse poire électorale

Ou :

"Les mendigots, les candidats, les tirelaines, les soutire-voix ont tous un moyen spécial de faire et refaire le Bien public.
Ecoutez les braves ouvriers, les médicastres du parti : ils veulent conquérir les pouvoirs... afin de les mieux supprimer.
D'autres invoquent la Révolution, et ceux-là se trompent en vous trompant. Ce ne seront jamais les électeurs qui feront la Révolution. Le suffrage universel est créé précisément pour empêcher l'action virile. Charlot s'amuse à voter…"

Bon, l'action virile, moi je fais pipi assis, alors je ne sais pas trop ce que c'est, ça sonne un peu macho, je ne sais comment le prendre. Mais une action révolutionnaire c'est peut-être ce qui se passe dans les quartier d'Exárcheia, les zads, les camps no borders, en lien avec les luttes ouvrières, et "qu'ont soit des millions dans la rue, pour que les flics s'en relèvent plus !", comme chanterait l'album cité plus haut... Tiens, l'un des interprètes de cet album n'était-il pas un Jacques, lui aussi ? Peut-être le quatrième, ce fameux Jacques Ma...chin...

Vivent les jacques !

 En hommage, entendez : "dire que Fred Deux est mort !"

mardi 15 septembre 2015

Bright moments

La première fois que j’ai identifié Roland Kirk, c’est par le rire. Un rire concomitant, ce qui n’en a que plus de saveur. J’écoutais une radio publique musicale périphérique avec une amie, c’était l’émission de jazz vespérale. Je n’étais pas tranquille : c’est moi qui avais mis la radio et, d’une part cette émission dégage un certain ennui, comme un ronron de morceaux sans ligne directrice enchaînant des inconnus pour un non spécialiste comme moi entrelardés de quelques tubes souvent rebattus ; d’autre part cette dite amie n’apprécie pas forcément le jazz, en tout cas pas certain jazz moderne ; or, ce doit être karmique chez moi, mais je suis souvent inquiet quand j’écoute la musique que j’aime avec d’autres personnes. Ca a commencé à l’adolescence avec le métal.

Je déconseillerais aux plus timides de nos jeunes lecteurs de développer une passion pour le heavy-metal. Ca n'aide pas pour emballer, bien au contraire. Je n'ai jamais compris pourquoi, mais le beau sexe se désintéresse complètement du Seigneur des Ténèbres

En m’ouvrant par la suite à des musiques plus savantes (classique, jazz), je m’étais dit que cela me permettrait au moins d'être à l’aise auprès de ceux qui m’avaient appris à les apprécier. Las ! On est au bord de la crise de nerf quand je mets un CD, c’est trop moderne (encore le dernier Coltrane, Albert Ayler, ou Archie Shepp je comprends que ça puisse taper sur les nerfs, mais Sonny Rollins !… quoique, avec Don Cherry, évidemment...), trop contemporain (encore, les chants d’oiseaux d’Olivier Messiaen je comprends que ça puisse dérouter un petit peu, mais Debussy !… quoique, Pelléas... évidemment...), on préfère radio Bernard Arnault à France Musique, et je ne suis toujours pas tranquille….
Mais revenons à Roland Kirk.

 N'est-ce pas qu'elles sont magnifiques ?

Ce jour-là, ma compagne a joyeusement pouffé au moment où Kirk criait en même temps qu’il soufflait dans sa flûte, dans une scansion cyclique en deux temps au cœur d’une rythmique au groove profond, juste quand je commençais moi-même à m’amuser intérieurement de l’entendre. Ca m’a vraiment soulagé, et réjouit, les instants de communion artistique sont tellement rares… et je me suis vivement intéressé à ce musicien-là.

Puissent nos antithéistes me pardonner cette offense.

Il me fait l’effet d’un personnage de cartoon. Quand je l’écoute, j’ai l’impression d’être dans un film des Marx brothers, ou dans une fanfare de rue mettant tout en panique sur son passage. La rue, la nuit torride, urbaine, avec flonflons et dialogues ou cris divers, on l’entend aussi dans certains bruitages d’album, avec des échos de la voix de Billie Holiday, donnant une impression de vie, le Frisco de Kerouac, la Nouvelle-Orléans, le New-York des clubs de jazz…, je ne suis pas assez branché pour être allé aux States, mais ces sons là m’évoquent ces noms de lieu littéraires.

Sacré cardio !

Aveugle à 2 ans, hémiplégique à 40, ce qui ne l’empêchait pas d’être virtuose : multi-instrumentiste (saxophone ténor et d’autres improbables saxos dont certains de sa fabrication ou modifiés par lui, flûtes, clarinettes…), son jeu est fait d’acrobaties diverses : respiration continue, jeu de deux voir de trois saxophones en même temps… Je le vois bien avec une troupe de clowns activistes et une masse émeutière envahir comme dans Tintin et les Picaros le palais présidentiel, non pour y participer à un putsch, mais pour en chasser les squatteurs actuels, aider à l’installation de sans-papiers et sans-abris dans les meubles et y construire des cabanes dans le parc.

Une mine de cuivres

Mais en même temps, malgré cette truculence, c’est du pur jazz, pour moi c’est l’essence du jazz, swingant et mélodique, rien d’ardu, pas la peine d’avoir effectué un chemin de croix musical pour y comprendre quelque chose, ça s’écoute très bien : presque mainstream, de l’excellente musique populaire, bref, l'étoffe d'une légende à la Mozart, pourtant peu connue hors amateurs (je crois savoir que le ténor du jazz de France Musique de l'époque l'avait pris en grippe... à vérifier...).

Et moi qui ai du mal à faire deux choses à la fois...

Ce jeudi à 20h30, la modeste mais néanmoins instructive et swingante émission Jazzlib’ consacrera son deuxième volet au fou soufflant. Avec la présence d’un spécialiste, habitué de mettre les mains sur les anches, véritable puits de science et d’anecdotes concernant clarinettes, saxophones et leurs interprètes, et de l'animateur passionné habituel, Yves, à qui j'ai emprunté le choix des vidéos ci-dessus : encore un bon moment en perspective.

JAZZLIB' c'est où, c'est quand, c'est comment ?

Jazzlib' sur radio libertaire 89,4 FM en RP. Tous les 1er et 3e jeudis de 20:30 à 22:00.

Ecoute en streaming, podcast ou téléchargement MP3 pendant un mois ici pour les zones hors RP, province, étranger : clic ou clic droit "enregistrer la cible du lien sous" pour télécharger, sur le lien correspondant à LA BONNE DATE (Jazzlib'/entre chiens et loups). (Attention à bien vérifier que vous êtes sur le 1er ou/et 3e jeudi, vous avez en haut à gauche, les semaines disponibles.)

Bonne écoute !

jeudi 10 septembre 2015

Un enseignement spirituel

« « Vous n’avez jamais écrit de roman authentiquement spirituel, lui dit le flic d’une voix lente, dont chaque mot était soigneusement articulé. C’est votre plus grande défaite secrète, et elle est à la source de votre comportement brillant et prétentieux. Vous ne vous intéressez pas à votre nature spirituelle. Vous vous moquez de Dieu qui vous a créé, et ce faisant vous mortifiez votre propre pneuma et glorifiez la boue qu’est votre sarx. Me comprenez-vous ? »

Ne vivons plus comme des esclaves !

Johnny ouvrit la bouche, la referma. Parler ou ne pas parler, telle était la question. Le flic résolut ce dilemme pour lui. Sans lever les yeux du volant, sans même un coup d’œil dans le rétroviseur, il posa les deux canons du fusil sur son épaule droite et les pointa vers l’arrière. Johnny s’écarta instinctivement, glissant vers la gauche, tentant de s’éloigner de ces énormes trous noirs.
Bien que le flic n’eût toujours pas levé les yeux, l’arme le traqua avec la précision d’un servomoteur contrôlé par radar.
Il a un miroir sur les genoux, forcément, se dit Johnny. Mais à quoi cela lui servirait-il ? Il ne pourrait rien voir d’autre que le toit de cette putain de voiture. Qu’est-ce qui se passe donc, ici ?
« Répondez-moi », dit le flic d’une voix sombre et triste.
Il avait toujours la tête baissée. La main qui ne tenait pas l’arme continuait à tapoter le volant. Une bourrasque de vent secoua la voiture, projetant du sable et de la poussière alcaline sur la fenêtre. «Répondez-moi tout de suite. Je n’attendrai pas. Je n’ai pas à attendre. Il y en a toujours un autre qui passe. Alors… Est-ce que vous comprenez ce que je viens de vous dire ?
- Oui, dit Johnny d’une voix tremblante. Pneuma est le vieux mot savant désignant l’esprit. Sarx est le corps. Vous avez dit, corrigez-moi si je me trompe… - mais pas avec le fusil, s’il vous plaît, ne me corrigez pas avec le fusil… - que j’ai ignoré mon esprit au profit de mon corps. Et il est possible que vous ayez raison. C’est très possible. »

Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres !

Il glissa à nouveau vers la droite. Les canons du fusil suivirent précisément ses mouvements, bien qu’il eût pu jurer que les ressorts de son siège n’avaient pas fait le moindre bruit et que le flic ne pouvait pas le voir sans moniteur de télévision ou…
« Me lèche pas les bottes, dit le flic avec un soupir. Ton destin n’en sera que pire.
- Je… Je suis désolé… Je n’ai pas voulu…
- Sarx n’est pas le corps ; le corps, c’est soma. Sarx, c’est la chair du corps. Le corps est fait de chair – comme le mot est devenu chair par la naissance de Jésus-Christ -, mais le corps est plus que la chair qui le compose. La somme est plus grande que ses parties. Est-ce si difficile à comprendre pour un intellectuel de ton acabit ? »
Le fusil, toujours en mouvement, le traquait comme un autogyre.
« Je… Je n’ai jamais…
- Oh, je t’en prie. Même un naïf spirituel commet toi doit comprendre que du poulet en sauce n’est pas un poulet. Pneuma… soma… et s-s-s… »

Tous solidaires ce s’ra pas long, pour faire la nique au patron !

Sa voix était épaissie et il cherchait son souffle, tentant de parler comme une personne qui veut terminer sa phrase avant d’éternuer. Il laissa soudain tomber le fusil de chasse sur le siège et inspira profondément (le vieux siège craqua et recula un peu plus, coinçant à nouveau le genou de Johnny), et lâcha tout. Ce qui sortit de la bouche et du nez du géant n’était pas du mucus mais du sang et une substance rouge filandreuse comme du nylon. Ce truc éclaboussa le pare-brise, le volant, le tableau de bord, dégageant une odeur horrible de viande pourrie.
Johnny se cacha le visage dans les mains et cria. Il lui était impossible de ne pas crier. Il sentit ses yeux battre dans leurs orbites, et l’adrénaline rugir dans son système nerveux, sous l’effet du choc.
« Bon sang, rien de pire qu’un rhume d’été, hein ? » demanda le flic de sa voix sombre et légère à la fois.
Il se racla la gorge et cracha un caillot de la taille d’une pomme sauvage sur le tableau de bord, où il resta collé un instant, avant de dégouliner sur la radio comme une limace innommable, laissant derrière une traînée de sang, pour se retrouver une seconde suspendu sous la radio, et tomber finalement sur le tapis de sol avec un bruit mat.
Johnny ferma les yeux derrière ses mains et gémit.
« Ca, c’était sarx, dit le flic en lançant le moteur. Vous voudrez sans doute vous en souvenir… j’allais dire « pour votre prochain livre », mais je ne crois pas qu’il y aura un prochain livre. Et vous, monsieur Marinville ? »
Johnny ne répondit pas, gardant les mains sur ses yeux clos. Il songea que peut-être rien de tout cela ne se passait vraiment, qu’il se trouvait dans un asile, quelque part, en proie aux plus horribles hallucinations qui soient. Mais au fond de son cerveau, il savait que ce n’était pas le cas. La puanteur que l’homme avait éternuée… »

Ça c'est le rocher. Le prophète que tu veux est derrière.

Sauras-tu découvrir l'auteur de ce charmant "évangile" ? Sois beau joueur et un peu militant, ne demande pas à la "goole" vorace et off shore...

mercredi 9 septembre 2015

Condoléances à tous les rude boys

Et spéciale dédicace à tous les ceusses qui n'aiment pas le reggae !

Rico Rodriguez, 1934-2015

lundi 7 septembre 2015

Même plus les yeuses pour pleurer

"On lit dans les livres qu'au temps jadis, un singe parti de Rome pouvait arriver en Espagne sans toucher terre, rien qu'en sautant d'arbre en arbre. Si c'est vrai, je ne sais... De mon temps, seuls le golfe d'Ombreuse, dans toute sa largeur, et sa vallée qui s'élève jusqu'à la crête des montagnes, possédaient pareilles forêts foisonnantes. La renommée de notre région n'avait pas d'autres motifs.


Aujourd'hui, on ne reconnaît plus la contrée. A l'époque de la descente des Français, on a commencé à couper les bois comme des prés qu'on fauche chaque année. Mais ils n'ont pas repoussé. On croyait que le déboisement tenait aux guerres, à Napoléon, à l'époque ; mais il ne s'est pas arrêté. Le dos des collines est si nu que nous ne pouvons le regarder, nous qui l'avons connu jadis, sans un serrement de cœur.


Où que nous allions, autrefois, nous trouvions toujours des branchages et des frondaisons entre le ciel et nous. L'unique zone un peu basse, c'étaient les bois de citronniers ; encore des figuiers dressaient-ils leurs troncs tordus au milieu des plants d'agrumes. Plus haut, ils obstruaient le ciel de leurs coupoles aux lourds feuillages. Quand il n'y avait pas de figuiers, c'étaient des cerisiers aux feuilles brunes, ou des cognassiers délicats, des pêchers, des amandiers ; puis des sorbiers, des caroubiers, quelque mûrier ou noyer vétusté. Au-delà des jardins commençait l'oliveraie : un nuage gris argent qui floconnait jusqu'à mi-côte. En bas s'entassait le pays, entre le port et le château ; et là encore, au milieu des toits, surgissaient partout les chevelures des yeuses, des platanes, même des rouvres, végétation tout à la fois fière, fougueuse et ordonnée, caractéristique de la zone où les nobles avaient construit leurs villas et clos de grilles leurs parcs.


Au-dessus des oliviers commençait la forêt. Pins et mélèzes, jadis, avaient dû régner sur la région ; ils descendaient encore sur les deux versants du golfe jusqu'à la plage, en vagues et remous de verdure. Les rouvres étaient bien plus nombreux, plus serrés qu'on ne le croirait aujourd'hui ; ils ont été la première, la plus précieuse victime de la cognée. Tout en haut, les pins cédaient le pas aux châtaigniers : la forêt se hissant sur la montagne, on ne lui voyait pas de limites. Tel était l'univers de sève au milieu duquel nous vivions, nous autres habitants d'Ombreuse, presque sans nous en apercevoir."
Italo Calvino.- Le Baron perché.


Voilà, vous savez tout de mes vacances. Sauf que les arbres croisés sont bretons et non italiens. Mais c'est bon de n'avoir ni tout vu ni tout lu ni tout bu, parce que j'ai découvert Italo Calvino, et j'ai beaucoup aimé.