« « Vous n’avez jamais écrit de roman authentiquement spirituel, lui dit le flic d’une voix lente, dont chaque mot était soigneusement articulé. C’est votre plus grande défaite secrète, et elle est à la source de votre comportement brillant et prétentieux. Vous ne vous intéressez pas à votre nature spirituelle. Vous vous moquez de Dieu qui vous a créé, et ce faisant vous mortifiez votre propre pneuma et glorifiez la boue qu’est votre sarx. Me comprenez-vous ? »
Ne vivons plus comme des esclaves !
Johnny ouvrit la bouche, la referma. Parler ou ne pas parler, telle était la question. Le flic résolut ce dilemme pour lui. Sans lever les yeux du volant, sans même un coup d’œil dans le rétroviseur, il posa les deux canons du fusil sur son épaule droite et les pointa vers l’arrière. Johnny s’écarta instinctivement, glissant vers la gauche, tentant de s’éloigner de ces énormes trous noirs.
Bien que le flic n’eût toujours pas levé les yeux, l’arme le traqua avec la précision d’un servomoteur contrôlé par radar.
Il a un miroir sur les genoux, forcément, se dit Johnny. Mais à quoi cela lui servirait-il ? Il ne pourrait rien voir d’autre que le toit de cette putain de voiture. Qu’est-ce qui se passe donc, ici ?
« Répondez-moi », dit le flic d’une voix sombre et triste.
Il avait toujours la tête baissée. La main qui ne tenait pas l’arme continuait à tapoter le volant. Une bourrasque de vent secoua la voiture, projetant du sable et de la poussière alcaline sur la fenêtre.
«Répondez-moi tout de suite. Je n’attendrai pas. Je n’ai pas à attendre. Il y en a toujours un autre qui passe. Alors… Est-ce que vous comprenez ce que je viens de vous dire ?
- Oui, dit Johnny d’une voix tremblante. Pneuma est le vieux mot savant désignant l’esprit. Sarx est le corps. Vous avez dit, corrigez-moi si je me trompe… - mais pas avec le fusil, s’il vous plaît, ne me corrigez pas avec le fusil… - que j’ai ignoré mon esprit au profit de mon corps. Et il est possible que vous ayez raison. C’est très possible. »
Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres !
Il glissa à nouveau vers la droite. Les canons du fusil suivirent précisément ses mouvements, bien qu’il eût pu jurer que les ressorts de son siège n’avaient pas fait le moindre bruit et que le flic ne pouvait pas le voir sans moniteur de télévision ou…
« Me lèche pas les bottes, dit le flic avec un soupir. Ton destin n’en sera que pire.
- Je… Je suis désolé… Je n’ai pas voulu…
- Sarx n’est pas le corps ; le corps, c’est soma. Sarx, c’est la chair du corps. Le corps est fait de chair – comme le mot est devenu chair par la naissance de Jésus-Christ -, mais le corps est plus que la chair qui le compose. La somme est plus grande que ses parties. Est-ce si difficile à comprendre pour un intellectuel de ton acabit ? »
Le fusil, toujours en mouvement, le traquait comme un autogyre.
« Je… Je n’ai jamais…
- Oh, je t’en prie. Même un naïf spirituel commet toi doit comprendre que du poulet en sauce n’est pas un poulet. Pneuma… soma… et s-s-s… »
Tous solidaires ce s’ra pas long, pour faire la nique au patron !
Sa voix était épaissie et il cherchait son souffle, tentant de parler comme une personne qui veut terminer sa phrase avant d’éternuer. Il laissa soudain tomber le fusil de chasse sur le siège et inspira profondément (le vieux siège craqua et recula un peu plus, coinçant à nouveau le genou de Johnny), et lâcha tout. Ce qui sortit de la bouche et du nez du géant n’était pas du mucus mais du sang et une substance rouge filandreuse comme du nylon. Ce truc éclaboussa le pare-brise, le volant, le tableau de bord, dégageant une odeur horrible de viande pourrie.
Johnny se cacha le visage dans les mains et cria. Il lui était impossible de ne pas crier. Il sentit ses yeux battre dans leurs orbites, et l’adrénaline rugir dans son système nerveux, sous l’effet du choc.
« Bon sang, rien de pire qu’un rhume d’été, hein ? » demanda le flic de sa voix sombre et légère à la fois.
Il se racla la gorge et cracha un caillot de la taille d’une pomme sauvage sur le tableau de bord, où il resta collé un instant, avant de dégouliner sur la radio comme une limace innommable, laissant derrière une traînée de sang, pour se retrouver une seconde suspendu sous la radio, et tomber finalement sur le tapis de sol avec un bruit mat.
Johnny ferma les yeux derrière ses mains et gémit.
« Ca, c’était sarx, dit le flic en lançant le moteur. Vous voudrez sans doute vous en souvenir… j’allais dire « pour votre prochain livre », mais je ne crois pas qu’il y aura un prochain livre. Et vous, monsieur Marinville ? »
Johnny ne répondit pas, gardant les mains sur ses yeux clos. Il songea que peut-être rien de tout cela ne se passait vraiment, qu’il se trouvait dans un asile, quelque part, en proie aux plus horribles hallucinations qui soient. Mais au fond de son cerveau, il savait que ce n’était pas le cas. La puanteur que l’homme avait éternuée… »
Ça c'est le rocher. Le prophète que tu veux est derrière.
Sauras-tu découvrir l'auteur de ce charmant "évangile" ? Sois beau joueur et un peu militant, ne demande pas à la "goole" vorace et off shore...
Eh ben ça tarde les réponses !
RépondreSupprimerJe n'osais y apporter mon humble grain de sel. Bah tant pis je me lance : De(é?)solation) du King.
J'ai aucun mérite, j'en ai terminé sa lecture cet été (ouais je sais : ne l'achevons pas avant la date officielle de son exécution !).
Mes respects sincères M. Wroblewski.
Si je ne suis pas trop indiscret pourquoi Wroblewski plutôt que Dombrowski, si ce n'est que le premier fût un survivant ?
Blaireau 58
Bravo Blaireau 58 ! Ca fait plaisir d'être lu par de fins lettrés comme toi ! Et je suis agréablement surpris aussi d'avoir plus de lecteurs que mes trois ou quatre habituels complices ! Jusque dans la Nièvre (une de mes origines soit dit en passant) !
RépondreSupprimerS'il te plaît, ne me dis pas la fin de Desolation, j'en suis à un peu plus de la moitié... Il est terrible !
Ben, Wroblewski pour plusieurs raisons. D'abord il est bien moins connu que Dombrowski, alors pour un pseudo, c'est moins transparent.
Ensuite il a défendu le quartier de la Butte aux Cailles, dans le XIIIème à Paris, quartier que j'ai pas mal arpenté quand j'étais jeune et que j'avais un petit boulot rue de Tolbiac. Nostalgie donc, et ça change du quartier radical du nord-est parisien. Et puis, oui, il en a fait vraiment baver aux versaillais, tout en sauvant sa peau, je suis admiratif.
Cela dit j'ai tout autant de tendresse pour Dombrowski, même si, l'un comme l'autre étaient des militaires.
Merci pour ta participation.