La première fois que j’ai identifié Roland Kirk, c’est par le rire. Un rire concomitant, ce qui n’en a que plus de saveur. J’écoutais une radio publique musicale périphérique avec une amie, c’était l’émission de jazz vespérale. Je n’étais pas tranquille : c’est moi qui avais mis la radio et, d’une part cette émission dégage un certain ennui, comme un ronron de morceaux sans ligne directrice enchaînant des inconnus pour un non spécialiste comme moi entrelardés de quelques tubes souvent rebattus ; d’autre part cette dite amie n’apprécie pas forcément le jazz, en tout cas pas certain jazz moderne ; or, ce doit être karmique chez moi, mais je suis souvent inquiet quand j’écoute la musique que j’aime avec d’autres personnes. Ca a commencé à l’adolescence avec le métal.
Je déconseillerais aux plus timides de nos jeunes lecteurs de développer une passion pour le heavy-metal. Ca n'aide pas pour emballer, bien au contraire. Je n'ai jamais compris pourquoi, mais le beau sexe se désintéresse complètement du Seigneur des Ténèbres
En m’ouvrant par la suite à des musiques plus savantes (classique, jazz), je m’étais dit que cela me permettrait au moins d'être à l’aise auprès de ceux qui m’avaient appris à les apprécier. Las ! On est au bord de la crise de nerf quand je mets un CD, c’est trop moderne (encore le dernier Coltrane, Albert Ayler, ou Archie Shepp je comprends que ça puisse taper sur les nerfs, mais Sonny Rollins !… quoique, avec Don Cherry, évidemment...), trop contemporain (encore, les chants d’oiseaux d’Olivier Messiaen je comprends que ça puisse dérouter un petit peu, mais Debussy !… quoique, Pelléas... évidemment...), on préfère radio Bernard Arnault à France Musique, et je ne suis toujours pas tranquille….
Mais revenons à Roland Kirk.
N'est-ce pas qu'elles sont magnifiques ?
Ce jour-là, ma compagne a joyeusement pouffé au moment où Kirk criait en même temps qu’il soufflait dans sa flûte, dans une scansion cyclique en deux temps au cœur d’une rythmique au groove profond, juste quand je commençais moi-même à m’amuser intérieurement de l’entendre. Ca m’a vraiment soulagé, et réjouit, les instants de communion artistique sont tellement rares… et je me suis vivement intéressé à ce musicien-là.
Puissent nos antithéistes me pardonner cette offense.
Il me fait l’effet d’un personnage de cartoon. Quand je l’écoute, j’ai l’impression d’être dans un film des Marx brothers, ou dans une fanfare de rue mettant tout en panique sur son passage. La rue, la nuit torride, urbaine, avec flonflons et dialogues ou cris divers, on l’entend aussi dans certains bruitages d’album, avec des échos de la voix de Billie Holiday, donnant une impression de vie, le Frisco de Kerouac, la Nouvelle-Orléans, le New-York des clubs de jazz…, je ne suis pas assez branché pour être allé aux States, mais ces sons là m’évoquent ces noms de lieu littéraires.
Sacré cardio !
Aveugle à 2 ans, hémiplégique à 40, ce qui ne l’empêchait pas d’être virtuose : multi-instrumentiste (saxophone ténor et d’autres improbables saxos dont certains de sa fabrication ou modifiés par lui, flûtes, clarinettes…), son jeu est fait d’acrobaties diverses : respiration continue, jeu de deux voir de trois saxophones en même temps… Je le vois bien avec une troupe de clowns activistes et une masse émeutière envahir comme dans Tintin et les Picaros le palais présidentiel, non pour y participer à un putsch, mais pour en chasser les squatteurs actuels, aider à l’installation de sans-papiers et sans-abris dans les meubles et y construire des cabanes dans le parc.
Une mine de cuivres
Mais en même temps, malgré cette truculence, c’est du pur jazz, pour moi c’est l’essence du jazz, swingant et mélodique, rien d’ardu, pas la peine d’avoir effectué un chemin de croix musical pour y comprendre quelque chose, ça s’écoute très bien : presque mainstream, de l’excellente musique populaire, bref, l'étoffe d'une légende à la Mozart, pourtant peu connue hors amateurs (je crois savoir que le ténor du jazz de France Musique de l'époque l'avait pris en grippe... à vérifier...).
Et moi qui ai du mal à faire deux choses à la fois...
Ce jeudi à 20h30, la modeste mais néanmoins instructive et swingante émission Jazzlib’ consacrera son deuxième volet au fou soufflant. Avec la présence d’un spécialiste, habitué de mettre les mains sur les anches, véritable puits de science et d’anecdotes concernant clarinettes, saxophones et leurs interprètes, et de l'animateur passionné habituel, Yves, à qui j'ai emprunté le choix des vidéos ci-dessus : encore un bon moment en perspective.
JAZZLIB' c'est où, c'est quand, c'est comment ?
Jazzlib' sur radio libertaire 89,4 FM en RP. Tous les 1er et 3e jeudis de 20:30 à 22:00.
Ecoute en streaming, podcast ou téléchargement MP3 pendant un mois ici pour les zones hors RP, province, étranger : clic ou clic droit "enregistrer la cible du lien sous" pour télécharger, sur le lien correspondant à LA BONNE DATE (Jazzlib'/entre chiens et loups). (Attention à bien vérifier que vous êtes sur le 1er ou/et 3e jeudi, vous avez en haut à gauche, les semaines disponibles.)
Bonne écoute !
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