mercredi 30 mai 2018

Durruti, Ascaso et bibi II

   J'écoute Fréhel chanter La Gouine en lavant la vaisselle et je me demande si j'aurais marché dans la combine quand, revenu à Paris, il veut trucider Alphonse XIII, Durruti... Vite affranchis des moindres méandres de l'affaire, les flics se jettent alors sur lui tels des bêtes fauves sur un steak-frites et, avec Francisco Ascaso, les voilà pour six mois embastillés ferme du côté de la Santé ! Personnellement je me suis toujours assez bien débrouillé pour n'aller jamais en prison (du moins jusqu'à présent) et, croyez-moi sur parole, je ne pense pas que j'aurais pris semblable risque seulement pour éliminer de la planète un rejeton royal roulant carrosse officiel sur les Champs-Elysées ; quand même l'intéret du moment, aussi la satisfaction artistique qu'on pourrait légitimement retirer d'un tel acte créatif. Je lui dis ça à Buenaventura en rigolant et que décidément, non ! jouer les Ravaillac de nos jours ne suffit plus ; nous ne sommes plus en vingt-sept, mon vieux ! Il pique une athlétique colère dans la cuisine Durruti, Fréhel fait couic ! je casse deux assiettes et trois verres à pied dans l'évier...


   Une autre fois - parce que c'est toujours branle-bas et castagne avec lui -, il bondit à la tribune d'un meeting, à Figols, et harangue fiévreusement les mineurs catalans qui aussitôt se révoltent. Nous voici embarqués dans cinq rudes journées de combats, d'une rue l'autre, chausse-trapes et barricades ; attention les yeux ! Fusillades entre gardes civils et ouvriers auxquels se sont joints des soldats retournés par Buenaventura ; proclamation, entre deux mitrailles, du communisme libertaire : abolition de la propriété privée et de l'argent. Ça canarde de toutes parts, nous sommes le 19 janvier 1932 ; on ne sait vraiment plus où on en est !... Moi, "Ce n'est qu'un début, continuons le combat !" je hurle avec les autres au milieu de pétarades et étincelles ; mais quand même je m'inquiète de ce qu'ils vont penser les gratte-papier de la Banque Populaire quand, retour de rêveries, je vais leur siffloter à l'oreille que l'indice C.A.C. 40 n'existe plus et que, désormais, payer un loyer me paraît du dernier superflu... Sans compter que, 32 ! 33 ! 34 !, comme toujours Durruti se retrouve en cellule et moi bien seul, traînant savates à la traque d'un petit potage populaire. A l'Olympia Fréhel de plus belle continue de chanter Il n'est pas distingué. C'est le triomphe du music-hall !

lundi 28 mai 2018

Nouvelle imposture d'un grand gourou dévoilée

Morihei Ueshiba démasqué : pour des milliers d'adeptes, c'est la chute !

   Comme vous le savez maintenant, fidèles lecteurs, je suis amené, pour me soigner, à suivre une cure à vie d'aïkido. Le fondateur de cet art, vénéré par tout pratiquant, était, du moins nous le croyions, le grand mystique (j'avais souvenir du qualificatif de "personne la plus religieuse du Japon", ou approchant, mais je n'ai pas retrouvé cela sur le net... Si vous avez des tuyaux sur cette citation fantôme...) Morihei Ueshiba.

   Il se trouve que je me rendai à la fin du mois d'avril dernier, pour une fête anti-fasciste, dans une certaine ville de Toscane.


   Or, après m'être époumoné avec les camarades sur de jubilatoires Bella ciao, et avoir troussé quelques passes de tango argentin avec ma compagne, flânant dans le centre ville historique de cette merveilleuse bourgade, voilà-t-y pas que je me retrouve nez à nez avec ceci, dont je ne sais par ailleurs si l'auteur est Cellini Giambologna, Pio Fedi, ou alors carrément le grand Bounarroti (merci à mes lecteurs pudiques mais érudits de combler mon ignorance le cas échéant) :


   Or, qu'est cela ? Sinon ceci :


   Eh ! oui, c'est évidemment un ikkyo omote ! Découverte incroyable et qui ne restera pas sans conséquences sur l'avenir de l'équilibre des forces des fédérations sportives jeunesse et sport de France comme internationales. Sans compter les dépressions et, qui sait même, les seppuku que cette information risque de provoquer chez cette humanité fragile dont la résistance au monde moderne n'était étayée que par la foi en Sensei et la sueur en keikogi : l'aïkido n'a pas été créé de 1925 à 1969 par le grand mage (un mage de théâtre No, oui !) Ueshiba au Japon, mais à la Renaissance, du XVème au XVIème siècle, en Italie !


   Egaré sur la voie, je me sens, d'un coup, tout en disharmonie.

samedi 26 mai 2018

Sacqueboute XXXII : Viscosity

   Dans la saison 3 de la série Treme, le tromboniste de style New Orleans Antoine Batiste, surpris d'entendre une de ses élèves collégiennes jouer Now's the time de Charlie Parker (du be bop !!!) à la trompette, se met à se poser beaucoup de questions sur son art, et en vient à désirer se mettre au jazz moderne. Delmond Lambreaux, lui aussi de la Nouvelle Orléans, mais trompettiste star nationale de jazz actuel (un peu genre Wynton Marsalis), à qui Antoine demande conseil, lui suggère de s'entraîner à reproduire le chorus de J.J. Johnson sur le titre Viscosity. En non-exclusivité sur La Plèbe, voici ce titre. Bonne pratique, bon courage, et accrochez-vous !




Priviouslillonne Sacqueboute :

Fred Wesley
Dave Lambert
Curtis Fowlkes
Melba Liston
La Flûte aux trombones
Gunhild Carling
Nils Wogram et Root 70
Carl Fontana
Animaux
Trombone Shorty
Cinéma
Feu
Le Canadian Brass
Local Brass Quintet
Buddy Morrow
Bones Apart
J.J. Johnson
Lawrence Brown
Vinko Globokar
Les funérailles de Beethoven
Treme
Craig Harris
Mona Lisa Klaxon
Juan Tizol
Bob Brookmeyer
Daniel Zimmerman
Frank Rosolino
Rico Rodriguez
Kid Ory

 

jeudi 24 mai 2018

La dose de Wrobly : floréal 2018 EC


- Bossu.- Petite histoire de la Libre Pensée en France.

   Nos quarante-huitards libre-penseurs n'étaient peut-être pas tous athées, mais leurs conceptions déistes ou leurs visions d'un Jésus sans-culotte avaient parfois une saveur plus piquante que le catéchisme des béni-oui-oui de l'athéisme. Et étaient souvent tout autant sacrilège : subvertir, détourner le dogme, ou attribuer à la doctrine un sens originel que les pouvoir religieux auraient eux-mêmes détourné pour écraser la plèbe sous leur botte me semble aussi choquant, pour un adepte des sectes liberticides, et plus imaginatif et poétique, que la simple injonction à la négation. Cela dit je suis athée. Mais je n'ai aucun mérite, c'est l'éducation que m'ont donnée mes parents. Et je dois avouer également que l’Être suprême de Maximilien jamais n'éveilla en moi ne serait-ce que les prémices d'un début d'érection.
   Malheureusement il manque pas mal de pages à cette intéressante brochure.


- Gracchus Babeuf.- Le Manifeste des égaux.

   Un de mes préférés, qui a payé cher sa haine de l'oppression et de la misère, son amitié pour l'humanité souffrante, sa passion pour l'égalité sociale réelle et son besoin de faire quelque chose, mordicus, vaille que vaille, malgré réactions et résignations, pour l'émancipation.

Gracchus était pourtant tout l'inverse d'un premier de cordée, il était pour que tous trouvent leur place au banquet de la vie.

- Juan Pablo Escobar.- Pablo Escobar, mon père.

   Un chic type finalement. Plutôt le cœur à gauche. Bon, c'est sûr, fallait pas venir le faire chier. Mais il aimait bien fumer du politicien ou du juge à l'occasion, ça nous manque un peu de nos jours...


- Charles Baudelaire.- Œuvres complètes, suite.

   On continue, avec des œuvres de jeunesse, La Fanfarlo, nouvelle ironique, par exemple, qu'il n'a plus jamais ré-évoquée après la parution des Fleurs ; et puis ces Maximes consolantes sur l'amour, pastiche du De l'amour de Stendhal, qu'il dédie à sa belle sœur, femme de celui qui contribua activement à le mettre sous tutelle financière toute sa vie ; maximes qui prêchent à cette femme, bien sous tous rapports, qu'il est délicieux d'aimer des femmes laides, physiquement et moralement vicieuses, infidèles, vérolées, malades, maigres, bêtes, incultes, consanguines, voir même dévotes !..., de manière très animale si possible. Charles finit par faire entendre à la femme de son demi-frère qu'il l'aime beaucoup.


   Pour boucler la boucle un peu de théâtre du même auteur, extrait qu'un libre penseur facétieux n'eût pas renié :

LE MARQUIS
[...]
Parbleu ! voilà, je pense, un bon Vénitien.
Serait-ce du Giorgione ?

IDÉOLUS
Non, c'est un Titien.

LE MARQUIS
Certes je les préfère à l'école romaine.
Leur coloris l'emporte.

IDÉOLUS
Ô pauvre gloire humaine !

LE MARQUIS
Michel-Ange est fort beau : son Jugement Dernier
Pour chasser un démon vaut mieux qu'un bénitier.

SOCRATÈS
Ce tableau, Monseigneur, comme au temps des agapes,
A fait jeûner un moine et converti trois papes.

LE MARQUIS
Toujours rude bouffon !

FORNIQUETTE
Vous ne croyez donc pas ?

SOCRATÈS
A vos beaux yeux, Madame, ainsi qu'à ce compas.

IDÉOLUS, à part.
Amour, impiété, tête de fou, de sage,
Vides toutes les deux.

FORNIQUETTE, à Idéolus.
Vous boudez

IDÉOLUS
Non.

FORNIQUETTE
Je gage
Que de ce qu'ils ont dit vous êtes attristé.
Tenter ainsi le diable et de franche gaîté !

IDÉOLUS
Vous achetez beaucoup de fleurs à la Madone ?

FORNIQUETTE
Vous aussi vous raillez ! La Vierge vous pardonne !
On songe à son salut... A propos, cette nuit, [...].

Titien.- La Vénus d'Urbin, 1538, Musée des Offices, Florence.

mardi 15 mai 2018

Durruti, Ascaso et bibi

   Même au mitan de décembre au Mexique il fait toujours beau et Durruti et Ascaso, pistolet Star au poing, à contre-jour soudain surgissent, ils braquent la caisse et crient bien fort : "Haut les mains !" (en espagnol, bien sûr). Il y a aussi Gregorio Jover qui, d'un revers de manche, récupère vite fait le peu de ferraille resté sur le comptoir comme si les grosses coupures, déjà dans le sac, ne suffisaient pas. "C'est pour faire l'appoint !" il dit en rigolant, pour décrisper Durruti et Ascaso tandis que leur guimbarde pourrie démarre en crachant ses poumons et les emporte tous trois vers un joyeux Noël pour le journal du syndicat et des panoplies de Robin des Bois pour les petits morveux des favélas. Nous sommes en 1925, un peu comme aujourd'hui ; à Paris Fréhel - la Reine des apaches - chante Du gris et déjà Buenaventura Durruti, le rebelle, est mon ami.

Pas trouvé par Marguerite, vous l'aurez par Berthe

   Quand il m'arrive (pas souvent) de pousser la porte de la Banque Populaire [...], alors, c'est plus fort que moi, toujours je pense à Durruti et à son pistolet magique. Dans ma tête je crie bien fort : "! Manos arriba !" Mais parce que rien de ce qui m'est naturel ne peut apparaître comme vraiment dangereux, les paniquards de derrière les guichets, ne reniflant que dalle de louche là-dessous, du coup ne bronchent pas d'un cil et m'accueillent froidement tel n'importe quel quidam dont le compte depuis des lustres est dans les choux. Ainsi je reste planté au beau milieu de la banque, l'air un peu triste avec mon pistolet tirant à blanc dans ma tête et, oubliant tout à fait d'être odieux, je m'entends demander poliment au charançon de service s'il ne voudrait pas, par hasard, me consentir une petite avance, juste pour tenir jusqu'à la prochaine paye et ne pas mourir de faim ni surtout crever de soif avant le trente du mois. Sûr, je reste trop modéré au milieu des furieux et ne manifeste hélas pas, dans mon quotidien, la même impatience révolutionnaire que mon ami Durruti.

mercredi 2 mai 2018

Le bac français sans rater l'émeute II

   Mes chers lycéens en classe de première, vous n'avez plus le temps de vous préparer au baccalauréat de français, puisque vous êtes en grèves, en manifestations, en occupations, et c'est tout à votre honneur. Mais rassurez-vous, La Plèbe, Hâte, déjà va ! vous propose ici un cours de rattrapage du commentaire composé, afin de vous donner quand même quelques éléments pour passer l'épreuve traditionnelle en toute quiétude. Nous avons choisi l'admirable poème de Baudelaire, l'un des plus beau, La Beauté. Voici, pour commencer, le sonnet en lui-même.

La beauté.

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles ;
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !


    Voyons le second quatrain : Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris. Que la Beauté trône, j'y consens, mais dans l'azur ? Et ce sphinx incompris est-il assez platement redondant ? Sans compter que là non plus, la comparaison ne s'impose pas irrésistiblement. Passons. J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes. Je sais ce que sont un cœur de boue, un cœur de pierre, un cœur d'artichaut, mais je vous défie de me dire ce que c'est qu'un coeur de neige. Est-ce pureté, froideur, indifférence, inviolabilité ? Nous n'en saurons rien. Quant à la blancheur des cygnes, il s'agit très probablement de la couleur de la peau. Imaginez un corps blanc comme le plumage des cygnes. Ce serait assez dégoûtant. D'autre part, ce que nous savons de Baudelaire nous permet d'avancer qu'il avait peu d'inclination pour ce genre de peau. Mais il a suffi que cet assemblage de mots lui semble d'un effet heureux et il a renié ses préférences. Et voici maintenant ce fameux vers tant admiré, tant célébré : Je hais le mouvement qui déplace les lignes. C'est absurde. Quelque idée qu'un poète se fasse de la beauté, il ne peut refuser de la voir dans le mouvement, dans la vie, dans le déplacement des lignes. Et Baudelaire moins que tout autre, lui qui a aimé la danse. Aucun doute, il a été victime de l'expression "beauté sculpturale" que lui a suggéré le premier vers. A mon avis, c'est très grave, car si les poètes, non contents de chercher à nous envoûter par des artifices de langage, se laissent eux-mêmes surprendre par des expressions toutes faites, le risque de confusion devient extrême. Que faut-il penser maintenant du vers suivant ? Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris. Celui-ci aussi doit tout à "beauté sculpturale". A qui en douterait, je conseillerais de lire attentivement Les Fleurs du Mal où il apparaît que le dogme de l'impassibilité de la beauté n'est baudelairien que par accident. Vous objecterez qu'un sonnet constitue un tout, qu'il n'est pas loyal de se reporter ainsi à d'autres oeuvres de l'auteur et que celui-ci peut très bien dire noir dans un poème et blanc dans un autre sans mériter le reproche d'incohérence. Je l'admets - quoiqu'à contrecoeur, parce qu'enfin, l'idée que se fait un poète de la beauté passe pour être des plus importante et doit lui tenir en tête un peu plus que le temps d'écrire un sonnet. Mais j'y pense, que représente cette Beauté qu'on nous décrit ici ? une croyance ou une vision ou une préférence du poète ? ou bien une figure à la mode, simplement ? Pensez-y avant de vous endormir.

Chuis beeelle ! Oh ! Mortel !

A SUIVRE...