"Il y avait à Paris, dans le quartier de la Chapelle, un pauvre Arabe du nom d’Abd el Martin et on l’appelait Abdel tout court, ou le Crouïa, ou l’Arbi, ou le Biquemuche, ou encore Bique à poux, parce qu’il avait, en effet, des poux. […]
Appuyé sur le manche de son balai, le patron regardait l’Arabe avaler un café tiède et se laissait aller à méditer tout haut :
« Pour celui qui veut bien réfléchir, disait-il, on est peu de chose. Je vois par exemple toi. Qu’est-ce que tu es ? de la pourriture. D’où tu deviens ? on n’en sait rien. A quoi tu sers ? J’en causais une fois au coiffeur et c’est bien ce qu’on disait ensemble, que jamais le gouvernement ne devrait tolérer une pareille vermine sur le territoire, à plus forte raison dans une ville comme Paris qui est le cœur de la France. Je ne suis pas contre l’étranger, au contraire, mais j’estime néanmoins qu’il y a des limites. Et d’abord, tu viendrais à disparaître, fusillé, ou n’importe quoi, qui est-ce qui le saurait ? personne. Je dirais peut-être à Mme Alceste : « Tiens, on ne voit plus le Crouïa qui buvait du vinaigre. » Et puis c’est tout. Et dans quinze jours, je t’aurais sûrement oublié. C’est bien la preuve que tu es moins que rien. […]
Sale temps pour les diabétiques.
Les deux inspecteurs entrèrent dans l’impasse à la première heure du matin. L’un était un jeune homme portant chapeau mou sur l’oreille et un imperméable dont il nouait la ceinture avec une coquette négligence. L’autre, M. Ernest, était d’une tournure plus classique. Trapu, moustachu, avec des épaules de tueur et d’énormes mollets qui imprimaient aux jambes du pantalon une forte courbure, il portait le chapeau melon et le pardessus noir d’une coupe ministérielle.
[…]
A l’entrée de la rue Pajol, Abdel, jetant un dernier regard en arrière, eut un mouvement des épaules et parut avoir encore une velléité de fuite. Avec une agilité qu’on n’eût pas attendue de son âge et de sa corpulence, M. Ernest le botta au revers de la capote, d’une double détente, sûre et puissante, qui lui tira un gémissement. Sur le trottoir, une vieille femme qui promenait son chien, eut un geste de pitié et de protestation.
« Avec ces animaux-là, lui dit l’inspecteur, il faut ça. Ils ne comprennent rien d’autres. »
Marcel Aymé.- Derrière chez Martin, 1938.
Des précisions ici
« Entre le 2 juin et le 29 juillet, les réfugiés de la Chapelle ont subi pas moins de dix évacuations par les forces de l’ordre. La première est l’expulsion du camp sous le métro aérien à La Chapelle. C’est le début de leur errance dans le 18ème. Durant deux mois, les camps sont évacués les uns après les autres, sans solution pérenne, jusqu’au 29 juillet et l’évacuation définitive de la Halle Pajol. Le 30 juillet, les locaux de Ni Putes Ni Soumises sont occupés, et le lendemain, c’est au collège désaffecté Guillaume Budé (19ème) que les migrants se réfugient. Ils y sont toujours. »
Siné mensuel n° 45 – septembre 2015.
Enfin, je ne suis pas les nouvelles au jour le jour, je ne lis que des mensuels et des blogs, n'écoute que des radios libres et ne contemple pas la TV, mais je crois bien qu'ils n’y sont plus non plus, arrêtez-moi si je me trompe.
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