vendredi 8 janvier 2016

Jouons un peu avec la matière

Que le monde soit un gros caca, on n’a pas attendu Cioran pour le savoir.
Jean-Pierre Martinet

Après le succès de notre évocation douce-amère de l’autel d’Aise de Magdeleine, et après ces jours, proches encore, au cours desquels :


Vint Gloutonnerie aux pattes graisseuses ;
La serviette attachée au cou,
Bajoues enflées, menton en branle,
Grasse à pleine peau, d’une peau huileuse ;
Rivée dans un spacieux fauteuil
Avec trois parts dans son assiette ;
Insatiable ; à l’homme aux mœurs simples,
Elle apprit à se crever de mangeaille
[…]
Et d’elle est née la troupe
[…]
Assoupissement, en bonnet de laine,
Faisant son somme après le repas ;
Hydropisie au teint blafard,
Grosse bedaine et lente démarche ;
Goutte princière, enveloppée de fourrures ;
Asthme, qui siffle et n’ose faire un geste.


… pourquoi ne pas s’alléger le sang et les circuits cérébraux par un petit jeu culturel bien digne de nous, matérialistes que nous sommes !

Voici donc deux extraits de deux poèmes de notre personnage mystère, à découvrir donc, où se révèle cette obsession de la matière fécale qui est certainement une des formes de la folie où tombera l’auteur(e) vers la fin de sa vie. La plus frappante des deux pièces reste néanmoins la deuxième où le dégoût morbide des excréments est si extraordinaire, que l’on se demande si l’on est pas déjà en présence de l’œuvre d’un(e) malade mental(e). Mais nous avons cru bon de donner cette pièce psychopathologique pour plaire à notre lectorat freudien.



O généreuse Déesse Cloaquine,
Pourquoi te confiner dans tes temples ?
On ne te laisse plus vivre au grand air ;
Pourquoi ces autels souterrains ?

Quand Saturne seul régentait le ciel,
- Cet âge doré ignorant l’or –
Ce globe, que tu avais en partage
Recevait les dons de tous les hommes.
Tu avais dix mille autels à la ronde
Tout couronnés d’offrandes fumantes.
Là, chaque jour tes fidèles zélés
Plaçaient en hâte leurs sacrifices.
De douces vapeurs montaient vers toi,
Soit des bords d’un ruisseau jaseur,
[…]
Soit de l’abri d’un frais bocage,
Où deux amants venaient flâner ;
Soit d’un val fleuri, gente offrande
Portée sur l’aile d’un zéphyr ;
Là, poussait mainte fleur abstersive :
Tes fleurs favorites, de teinte jaune,
Le crocus avec la jonquille,
La molle primevère et le narcisse.
[…]



Voluptueuse Aise, fille de richesse
Qui, sournoisement infecte nos cœurs.
Nul ne te quête plus au grand air,
Ni ne te dresse de candides autels ;
Mais dans d’obscènes réduits ou caves,
On t’offre un sacrifice impur.
De là naissent des vapeurs malsaines,
Qui offensent ton nez exigent.
Ah, qui, en ces jours décadents,
Donne l’offrande comme Nature l’y pousse ?
Nature, jadis, point ne distinguait
Entre le sceptre ou bien la bêche…

Grands de ce monde, pourquoi dédaigner
De payer tribut à même le sol ?
Pourquoi, par paresse et orgueil,
Mettre l’autel au bord de vos couches ?
Car le plus laid des pots d’argile
Reçoit des offrandes plus sincères
Que le vase d’argent qu’une fière Duchesse
Enferme dans un coffret de cèdre.

Mais toute dévotion n’est pas morte
Chez nos frustes pasteurs du Nord,
Dont les offrandes en files dorées
Ornent les bords de notre rivière limpide ;
Garnissent parfois les dunes fleuries
De pointes en spirales et couronnes doubles ;
Ou dorent dans un clair matin
Les humbles branches d’un buisson.
[…]
Mon pied, souvent, par maladresse
Rapporte ici la vile substance ;
Ou, si le soulier est hors de cause,
Je dore, malgré moi, le passepoil terni ;
Mon jupon s’orne d’une deuxième frange,
Teinte au contact de la branche sacrée.



Et voici notre deuxième extrait :

L’altière Célia a mis cinq heures
A s’habiller (peut-on faire moins ?) ;
Elle ressort mise comme une déesse
Tout en dentelles, brocart, drap d’or…
Stréphon passe, et voit la pièce vide.
[…]
Il entre à pas de loup, et il scrute
[…]
Stréphon va-t-il vous dire la suite ?
Faudra-t-il vous parler du coffre ?
Quelle étourdie ! Ne pouvait-on
L’avertir d’enlever ça d’ici ?
Ne pas le laisser au beau milieu
Pour prêter le flanc à nos sarcasmes.
En vain le menuisier, plein d'astuce
A contrefait gonds et moulures,
Afin qu'un profane pût se croire
En présence d'un bonheur du jour...
Car Stréphon voulut, coûte que coûte,
Voir ce qu'il y avait à l'intérieur,
(Il suffisait de soulever le couvercle)
L'odeur l'avait mis sur la piste.
[…]
Ainsi Stréphon souleva le couvercle,
Pour voir ce qui se cachait dans le coffre
Les vapeurs s’échappèrent par le trou ;
[…]
O puisse jamais ne se revoir
Chez Célia le meuble sans gloire !
[…]
Telle quand aplatie et salée,
La côtelette d’agneau, reine des viandes,
Est, selon les lois de la cuisine
Rôtie devant un feu léger ;
Si, devant les babines alléchées,
Une goutte de graisse tombe sur la braise,
La flamme devient fumée puante
Qui corrompt la chair d’où elle sort ;
L’odeur de suif est si infecte
Que vous maudissez la souillon.
Ainsi, certaines choses innommables,
Quand elles font plouf, dans le coffre puant
Répandent une odeur d’excrément
Qui gâte les parties dont elles sortent,
Et donne aux jupons et chemises
Un parfum qui les suit partout.

Terminant donc sa vaste enquête
La mort dans l’âme, Stréphon s’enfuit,
Et dans ses transports, il répète
Dire que Célia, que Célia chie !... 


Si vous voulez vous marrer franchement, si ce burlesque passe près de chez vous, ruez-y vous ! Entre les slapsticks muets de Chaplin et le savoureux bon goût de « Hara-Kiri », cependant résolument ancré dans la modernité. Ca s'appelle Bigre.

P.S. (beurk) : si un noble lecteur peut m'expliquer comment enlever ce laid halo blanc autour du texte de l'article, j'en serais fort aise, et lui serai éternellement reconnaissant...
Wrob. pour La Plèbe.

4 commentaires:

  1. Hello
    La chute du deuxième extrait m'évoque Swift.
    Pour le halo, sélectionne ton texte en le collant sur un traitement de texte (Word, odt) sur lequel tu pourras virer tout ça avant de le recoller sur ton blogue. Ça devrait marcher.
    Salud !

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  2. Oh ! ben dis-donc t'es drôlement fort toi ! Oui, c'est bien Swift, bravo !
    Merci du tuyau, j'avais trouvé un truc en mode htlm, en effaçant ce code : span style="background-color: white;" Malheureusement il y en a des dizaines...
    A bientôt !

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  3. Au fait qu'est-ce qui t'a mis sur la voie dans la chute du deuxième extrait ?

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  4. Une mienne amie qui, connaissant cette chute, en a fait une de ses plaisanteries occasionnelles.
    Excellent humoriste, ce Jonathan Swift.

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