mercredi 21 juin 2017

La dose de Wrobly : prairial 2017 ère commune


   - Charles Baudelaire.- Les Paradis artificiels.
   Bon, étant clean depuis une quinzaine d'années, j'avoue que les histoires de drogues (alcool, évidemment, et médicaments psychotropes compris), aujourd'hui, ça m'ennuie profondément. Je ne me sens plus concerné, je suis passé à autre chose, et quel bonheur ! Quant à ceux qui, à l'instar du bon Siné, jusqu'à leur dernier souffle, ont porté en bannière comme quelque chose d'immensément transgressif, de foutrement subversif et choquant le fait de boire du pinard (parfois la fascination des porte-jarretelles leur permet une petite variante), même s'ils sont très sympathiques par ailleurs, pardon, mais sans vouloir jouer les Céline, lourdingue ! Bien évidemment ce n'est pas pour cela que j'apprécie les manches à balais dans le fion à la Philippe Val. Je souhaite évidemment une bonne éclate à tous les consommateurs, comme je souhaite aux personnes atteintes de dépendance et connaissant les souffrances insoutenables des stades avancés de cette maladie de connaître la grâce d'une prise de conscience lucide de la vraie nature, impitoyable, de celle-ci, et la foi dans la possibilité de se rétablir, par la communisation libertaire des expériences, de la force et de l'espoir d'autres malades en rétablissement. Ceci ne m'empêche nullement, je dirais presque bien au contraire, d'être favorable aux démarches de légalisation intelligente du cannabis et des autres drogues, pour qu'on cesse enfin d'emmerder les fumeurs, et qu'on réduise les risques pour les addicts chroniques. Je suis prêt à signer une pétition du CIRC s'il y en a, mais pour le reste, le sujet m'emmerde plutôt. Aujourd'hui j’atteins mes paradis à coup d'endorphines, sans passer par des produits modifiant le comportement : essorage sur le tatami, siestes délicieuses, chant ou scansion hyper ventilants, musique, plus rarement malheureusement promenades en pleine nature et inspiration des fragrances grasses, capiteuses et sucrées des floraisons végétales d'un printemps chaud, manif de tête (une liqueur forte), plus rarement encore, à cause de la pollution lumineuse, contemplation de la voie lactée, poésie,... Ce dernier moyen nous ramène à Baudelaire qui, après des descriptions des effets des drogues (celle de ceux du hachisch est d'ailleurs saisissante de vérité, et rappelle bien des souvenirs ! comme les raisonnements tordus des personnes pour qui la consommation d'alcool n'est déjà plus quelque chose d'anodin, et qui considèrent, comme Baudelaire ou son narrateur, les non buveurs comme des "imbéciles", des "hypocrites", des gens "foncièrement méchant"s : mon jugement tout craché il y a vingt ans ; ou encore ces scènes à la fois burlesques et pathétiques de muflées dantesques : un pur miroir de ma jeunesse), et des explorations en rhapsodie de nombreux champs (et pas seulement de cannabis) en rapport à ce thème, revient à cet accès au supra-naturel par la poésie, accessible à chacun sans passer par le dealer. Pour ce dernier point j'ai bien été obligé de le suivre et j'avoue aujourd'hui que je ne m'en porte pas plus mal.

   Mais à la fin de Du vin et du hachisch, étude parue en 51 et sur la base duquel Baudelaire a bâti ses futurs Paradis en 58, le merveilleux poète fait un peu figure de beauf à la Gérard de Coluche : "Le vin exalte la volonté, le hachisch l'annihile. Le vin est un support physique, le hachisch est une arme pour le suicide. Le vin rend bon et sociable. Le hachisch est isolant. L'un est laborieux pour ainsi dire, l'autre essentiellement paresseux."sic et etc. Pris au second degré c'est très drôle, mais il ne semble pas que cela ait été l'intention de Baudelaire, et c'est finalement peu étonnant de la part d'un écrivain qui effectue dans ses œuvres un va et vient constant entre cynisme morbide et génuflexion contrite. Il nous a cependant habitué à une intelligence bien supérieure : ici ses ailes de géant semblent bien l'empêcher de marcher.


   Pourquoi me direz-vous lire un livre sur les drogues si les drogues me soûlent ? Parce que j'ai relu il y a peu Les Fleurs du mal, que j'y ai pris bien du plaisir, et que j'ai eu envie d'aller plus loin que je n'avais été dans la découverte de l'auteur. J'y ai appris ou réappris pas mal de choses, notamment dans la préface. Par exemple que Thomas de Quincey (la partie des Paradis concernant l'opium est à l'origine une traduction de Baudelaire des Confessions d'un mangeur d'opium de cet auteur anglais), était dans l'Anthologie de l'humour noir de Breton, et je n'en avais aucun souvenir. Micro-pointe de rappel, quand tu nous tiens !


   Extrait de la préface de Jean-Luc Steinmetz :

   "Plus inquiétant et délibérément satanique, Aleister Crowley, sous le pseudonyme d'Olivier Haddo, donne un essai sur la psychologie du hachisch dans sa revue The Equinox, que complètent bientôt trois articles : une mise au point pharmaceutique, le texte de Ludlox cité auparavant, enfin la traductino du Poème du hachisch de Baudelaire par Crowley lui-même, qui reproche, du reste, à l'auteur des Fleurs du Mal son excessive prudence et reconnaît que le hachisch démontre surtout "qu'il existe un autre monde à atteindre". Au sein du mouvement de la beat generation adonnée aux stupéfiants, le hachisch, parmi d'autres drogues, sera considéré avec intérêt comme "la plus faible et la plus douce des lentilles grossissantes" (Ginsberg), et l'étonnant William Burroughs, s'accordant ainsi avec la pensée de Crowley, pourra dire qu'il est "un guide vers des domaines psychiques" atteignables cependant sans l'usage des drogues."


   - Antonin Artaud.- Oeuvres VII : Héliogabale ou l'anarchiste couronné et Les nouvelles révélations de l'être.
    "Dès ses premiers écrits, Artaud s'exprime au nom d'une souffrance sur laquelle il n'appelle aucun apitoiement, mais dont il dénonce la dégradante emprise. "Je penses toujours à un taux inférieur", dit-il, ou bien encore, victime d'un dédoublement nullement fantasmatique qui agence sa déperdition : "J'assiste à Antonin Artaud." Le recours à l'opium, en pareil cas, ne soigne plus une syphilis, mais un mal de vivre, et là où Baudelaire conseillait d'affronter bon gré mal gré l'angoisse, Artaud se confie aux stupéfiants, pour l'usage desquels plaide sa "lettre ouverte aux législateurs" de la loi de 1917. "Je suis maître de ma douleur", affirme-t-il. Prendre une drogue ne soulève en lui aucune curiosité particulière, puisque seul compte le résultat libérateur qu'il en attend - ce qui ne l'empêchera pas d'apprécier suffisamment Les Paradis artificiels pour vouloir en importer dans Le Théâtre et son double l'un des titres les plus notoires : "Le Théâtre de Séraphin". Les quelques pages qu'il regroupe sous cet intitulé ont beau se situer loin des remarques de Baudelaire, elles n'en signalent pas moins l'univers ainsi révélé, ou retransformé, et la volonté active de conférer une nouvelle dimension au corps de l'acteur et de l'homme. L'idée d'une "androgynéité" (le mot est de Baudelaire) est sensible, et celle d'un change humain. Mais Artaud, qui conquerra une sorte d'illumination non pas avec le hachisch ni l'opium, mais avec les champignons hallucinogènes du rite de Titiguri des Indiens du Mexique, concevra toujours l'opium comme un poison asservissant ; il pressentira le vaste réseau des dealers posé sur la société, que montrent dans leur perception paranoïaque les romans de William Burroughs."

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