lundi 17 juillet 2017

Jouons un peu avec les joyeux bordels

   Voici ci-dessous le compte rendu d'un joyeux bordel. A toi de deviner de quoi il s'agit. Certains noms de personnes, de lieu, d’œuvres, de partis... ont été changés pour plus de sûreté. Ces changement seront colorés, pour plus de compréhension. Ils sont complètement aléatoires et arbitraires, sauf association inconsciente ou semi-consciente, n'y cherchez donc pas d'indice.


On est convenu que les tribus occuperaient la salle avant le public. N'est-ce pas l'habitude pour la claque traditionnelle ? L'essentiel était d'occuper le terrain avant l'arrivée des Longeverne. Là-dessus, le baron Taylor a donné son accord, à conditions que les tribus soient en place avant que le public eût commencé de faire queue :
   - Qu'ils soient tous entrés avant 3 heures !
   Pour être sûrs de ne pas arriver trop tard, faisant bonne mesure, les tribus se sont présentées à 1 heure !

   Manuscrit de Micheline : "A une heure commença la queue grossissant de minute en minute et encombrant la rue Sésame. Elle s'était formée d'après les instructions du préfet de police en dehors des balustrades du théâtre. Cette rangée de jeunes gens à mines résolues, barbus, chevelus, habillés étrangement, portant les uns des chapeaux tromblons, d'autres des chapeaux à la Henri III, ceux-ci des vareuses, ceux-là des rubans que variaient des manteaux espagnols. Dans ce pêle-mêle de costumes bizarres on apercevait jusqu'à des gilets à la Robespierre ; un, magnifique, rouge écarlate s'étalait sur la large poitrine d'Isophraste Grogibus. Ces êtres fantastiques faisant queue à une heure et à une place inusitée obstruaient le passage, mirent tout le quartier en émoi."


   Malgré le froid toujours digne de l’Arctique, les bourgeois qui passent s’immobilisent. Stupéfaits, ils observent avec colère une inconvenance aussi inouïe. Bientôt les tribus deviennent si nombreuses qu’elles débordent sur la chaussée jusqu’à gêner la circulation ! C’en est trop aux yeux de l’art Longeverne qui compte ses meilleurs partisans dans le théâtre lui-même. Des combles de la Grue iodée, se mettent à pleuvoir sur les bataillons Velrans « toutes les balayures et toutes les ordures » que l’on a pu rassembler à une telle altitude. Le jeune Tite Live reçoit pour sa part sur la tête un trognon de chou. Va-t-on se fâcher ? C’est probablement ce qu’espèrent les Longeverne. Le moindre tumulte ferait accourir la police, on arrêterait les perturbateurs : alors, plus de défenseurs pour le Coran. Les chefs de tribus se concertent. Aux injures matérialisées qui continuent de tomber, on décide d’opposer la sérénité. Les plus bouillants se comparent à la Vieille Garde de Napoléon, stoïque sous la mitraille.
   A 3 heures, la porte s’ouvre, les bataillons s’engouffrent dans la salle et prennent position. A 3 heures et demie, toutes les places ont été distribuées et sont occupées par des combattants plus déterminés que jamais. Un problème : jusqu’à à 7 heures, heure de la représentation, il reste 3 heures et demie. C’est long. Très long. Que faire ? Comme on est venu trop tôt pour avoir dîné – le dîner est alors le repas de midi – ces jeunes gens prévoyants ont apporté des en-cas. On déballe cervelas, saucisson, jambon, pain. On débouche les bouteilles. Les tribus ont, cet après-midi-là, dîné si longuement qu’elles étaient encore à table quand on a enfin admis le public à pénétrer dans la salle. Les voilà donc les tenants obstinés de l’art Longeverne. Au parterre et aux balcons, on aperçoit tant de têtes chauves, « moignons glabres, dit Grogibus, sortant de leurs cols triangulaires avec des tons couleur de chair et beurre rance, malveillants malgré leur apparence paterne », qu’un jeune apprenti sculpteur ne peut se retenir de crier :
   - A la guillotine, les genoux !
   Le ton est donné. Une forte odeur d’ail flotte dans cette enceinte sacrée. Les grisâtres, étonnés, hument ce parfum indéfinissable. Quand les dames pénètrent dans les troisièmes loges, des cris d’horreur fusent. C’est que cet après-midi si long n’a pas été sans susciter, parmi les combattants, certains besoins naturels augmentés par d’abondantes libations. On a cherché les toilettes. Malheureusement l’usage était de les fermer à clé et de ne les ouvrir que lors de l’arrivée du public. Les tribus ont tenu tant que cela a été possible. Les forces ont des limites. On a trouvé, pour se soulager, l’endroit le plus discret. On s’est glissé dans les troisièmes loges, alors plongées dans l’obscurité. Elles sont maintenant en pleine lumière. Les légers souliers des épouses Longeverne se posent dans des flaques dont l’odeur plus que l’aspect exprime hélas parfaitement la provenance. Furieux, les messieurs en habit noir protestent à grand bruit, exigent que le commissaire royal, M. Taylor, soit prévenu. […]

 

Les articles vont paraître. Tous à l’exception de celui de Pifou magazine, sont exécrables. On s’indigne que le respectable Théâtre de la Grue iodée ai dû s’ouvrir aux complices de l’auteur, dignes de lui et de sa pièce, « des espèces de bandits, des individus incultes et déguenillés, ramassés dans on ne sait quels bouges. » On parle d’une « orgie qui avait eu des conséquences immondes ». Les journaux libéraux évoquent des « chants obscènes » et pour les journaux royalistes, ce sont des « chants impies ». Jusques à quand ces gens-là abuseront ils de notre patience ?
[…]
Sûrement, il faudra le soir même livrer une nouvelle bataille. […] La réponse, ce sont les chefs de tribus qui l’apportent eux-mêmes. Ils accourent, clament qu’ils sont prêts et que derechef ils vont prendre leur place au combat.
[…]
   Le soir venu, voici, comme la veille face à face les chevelus et les crânes. Avant même le lever du rideau, on sent qu’un orage gronde. Il est visible que les Longeverne sont résolus à occuper le terrain et à n’en rien céder. Dès le premier acte, tout vers insolite est empoigné, salué par des huées ou un rire immense. Avec le recul, Grogibus s’est légitimement demandé comment un vers comme celui-ci :

Est-il minuit ? – Minuit bientôt

avait pu soulever tant de tempêtes. Autour de ces huit syllabes, on s’est battu trois jours ! « On le trouvait trivial, familier, inconvenant ; un roi demande l’heure comme un bourgeois et on lui répond comme à un rustre : Minuit… S’il s’était servi d’une belle périphrase, on aurait été poli. » […]

10 mars : « encore un peu plus fort… coups de poing… interruption… police… arrestations… cris… bravos… sifflets… tumulte… foule ». 12 mars : « grande foule et toujours le même bruit. Cela n’est amusant que pour la caisse ».


   Ainsi de suite pendant tout le mois de mars, tout le mois d’avril, tout le mois de mai !
   Paradoxe : le Coran est un succès, un très grand succès. […] Les passions ont exacerbé l’adulation que certains vouent désormais à Héliogabale mais surtout la haine dont d’autres l’accablent. Micheline affirme qu’à Toulouse un jeune homme, nommé Batlan, eu un duel pour le Coran et fut tué. A Vannes, un caporal de dragons meurt, laissant ce testament : « Je désire qu’on mette sur ma tombe : Ci-gît qui crut à Varius Avitus Héliogabale. » L’académicien Viennet, lui, note : « Tissu d’invraisemblances, de niaiseries et d’absurdités… Voilà ce qu’une faction littéraire prétend substituer à Athalie et à Mérope… » […]
   Au courrier, presque chaque matin, des lettres d’injures parviennent à l’adresse de Varius Avitus. L’une d’elles s’achève par cette phrase : « Si tu ne retires pas ta sale pièce dans les vingt-quatre heures, nous te ferons passer le goût du pain. » […] Autour d'Héliogabale, on prend la menace au sérieux. Désormais, chaque soir, deux jeunes gens attendront Héliogabale à la porte du théâtre pour le reconduire rue Sésame.
   Héliogabale rit de ces sottises. Il lui arrive, après que ses gardes du corps ont pris congé, de repartir seul dans la nuit. […] Une nuit, il a en remontant le boulevard Montparnasse rimé toute une page du Papier à rouler. Il est 2 heures quand il rentre. Il a hâte de retranscrire les vers rangés dans sa mémoire. Il allume sa lampe, la porte sur la table de son cabinet de travail. A peine s’est-il assis, à peine a-t-il tracé quelques lignes qu’une détonation retentit. Une vitre vole en éclats. Il ouvre la croisée, personne. Il se retourne : une balle a troué derrière lui, « passant à quelques centimètres au-dessus de son front, un tableau de Boulanger accroché au mur ». Il souffle sa lampe, rejoint en silence Micheline. Il ne déposera pas plainte. La passion littéraire portée jusqu’à l’assassinat : Héliogabale aura donc provoqué cela.


- les Longeverne : les classiques
- Micheline : Adèle Hugo
- rue Sésame : rue de Richelieu
- Isophraste Grogibus : Théophile Gautier
- la Grue iodée : la Comédie française
- les Velrans : les romantiques
- Tite Live : Honoré de Balzac
- Le Coran : Hernani
- Pifou magazine : Le Journal des débats
- Varius Avitus Héliogabale : Victor Hugo
- le Papier à rouler : Feuilles d'automne

13 commentaires:

  1. Un compte-rendu de la bataille d'Hernani ?

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  2. Bon, vous êtes trop fort Jules, le jeu est déjà fini, félicitations ! Quinze jours de préparation, et en une seconde, tout est dit. Mais peut-être peut-on jouer un peu les prolongations... C'est l'été, toutes les publications sont bourrées de jeux débiles, alors pourquoi pas nous ?

    Saurez-vous substituer aux noms de couleurs les noms corrects quoique tristement monochromes ?

    - Longeverne :
    - Micheline :
    - Isophraste Grogibus :
    - la Grue iodée :
    - Velrans :
    - Tite Live :
    - Le Coran :
    - Pifou magazine :
    - Varius Avitus Héliogabale :
    - le Papier à rouler :

    Quoi qu'il advienne merci de votre participation à ces modestes olympiades culturelles et facétieuses et encore bravo !

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  3. Simple logique, cher. Par contre pour les noms, me voilà bien emmerdé
    Pour Longeverne et Velrans disait-on "anciens" et "modernes" ?
    Quant à Héliogabale, ce serait le père Hugo.*Pour le reste...

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  4. Houlàlà, ça nous rajeunit pas, tout ça ! Hernani (donc ici Le Coran, j'ai dû l'étudier voici presque quarante ans…
    Bon, alors Micheline ce serait Adèle Hugo, Grogibus, Théophile Gautier, la Grue iodée, la Comédie française, mais je sèche sur les autres (sauf ceux qu'a trouvé Jules, évidemment).

    En tout cas, merci de nous avoir remis ce bordel en mémoire, Wrob : à la fois le claque et la claque !

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  5. Bravo à vous.

    Les Longeverne et les Velrans, c'est pas tout à fait les anciens et les modernes, ça c'était plus 150 ans avant, avec Perrault en chef des modernes, mais l'idée y est...

    Pifou et le Papier c'est peut-être un peu fastidieux à trouver.

    Mais le jeune Tite Live, la trentaine, qui se prend un trognon de chou sur la tronche, ça c'est trouvable même si insolite.

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  6. Ben tiens, quel couillon je suis, ça me revient on disait plutôt "classiques" et "romantiques" à l'époque.
    Pifou Mag serait le Moniteur ou Le National ?

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  7. Für dich ist es doch kinderleicht, aurait pu dire un romantique allemand. Ou un classique, de même langue.

    Non pour Pifou, c'est un journal qui invite, dans son titre tout du moins, plus à la palabre, à la controverse.

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  8. Le journal des débats, peut-être.

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  9. D'accord, ce Tite-Live allait donner son nom au préfixe téléphonique des publicités cinématographiques de Jean Mineur.

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    1. Bravo, c'est le papa de Vautrin. Qui passe plutôt pour un écrivain sérieux, je ne le voyais pas faire le zouave avec les beatnicks, bien qu'il ait fréquenté 15/20 ans plus tard le club des Hashischins à l'hôtel Pimodan, avec Baudelaire, Dumas, Gautier, Nerval, Delacroix, Hugo lui-même. Mais il était réticent à avaler la confiture de chanvre indien.

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  10. Joli clin d'œil à notre cher Tenancier, ce Papier à rouler !

    Et grâce à Alain Decaux, j'ai retrouvé la rue Sésame (émission dans laquelle je ne crois pas que la Vierge ait jamais chanté…)

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  11. Ah ! ce regretté blog passé sous le boisseau !

    Quand à votre dernière réponse, elle m'a donné bien du Plessis. Cependant je n'ai pas trouvé le lien avec la Vierge... Les tapisseries du choeur de Notre-Dame ?

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Y a un tour de parole !