vendredi 24 mai 2019

La dose de Wrobly : floréal 2019 EC

ERRATUM
Dans ma controversée Dose de germinal, j'avais oublié l'ouvrage suivant, impardonnable je suis ! Mais j'ai l'excuse du décalage horaire et de la difficile reprise du collier.

Marcel Aymé.- Vogue la galère.
   Tout d'abord je souhaiterais partager ma franche déception depuis que j'aborde la partie dramatique de l’œuvre d'Aymé. Je trouve ses romans et nouvelles infiniment plus enthousiasmants. Je suis d'autant plus déçu que j'ai de vagues souvenirs d'adaptation cinématographique assez savoureuse (je pense à Clérambard, que je n'ai pas encore lu cependant, et j'en pressens d'autres à tort ou à raison, je mêle peut-être ces traces avec des adaptations de nouvelles...)
   Ici pourtant un thème qui promettait pourtant de remonter le moral : une mutinerie sur une galère. Mais la mutinerie tourne au cauchemar. Je me demande souvent face à de tels cas, si l'auteur veut transmettre un message réactionnaire ou si, au contraire, il souhaite mettre en évidence les écueils sur lesquels ne pas s'éperonner, afin que la mutinerie, la révolution, ou l'utopie ne reproduisent pas le même schéma que le monde qu'elles voulaient mettre à la casse. On sait que pour Orwell, authentique révolutionnaire, l'intention était la deuxième, notamment dans Animal farm. Mais j'avais un prof, certainement réac, qui nous donnait comme exemple pour que nous restions raisonnables le livre Sa majesté des mouches, que je n'ai pas lu, dans lequel des mômes sur une île déserte, reproduisent une société violente et hiérarchisée. Ici, dans Vogue la galère, les mutins ne pensent qu'à violer les deux femmes du bord. Il y a peut-être le problème du lieu clôt du théâtre de l'action, autorisant le retour de tous les instincts de domination. Et par ailleurs, pour survivre, il va bien falloir que quelqu'un rame. Mais après la révolution, il faudra bien quand même aussi éviter les famines et produire au moins de quoi bouffer pour tout le monde, même si les voies de réalisation et marges de maneuvre seront beaucoup plus nombreuses que sur une coque de noix perdue au milieu de l'océan... On pourrait objecter également que cette révolte navale a eu un premier chef, puis un deuxième, qu'elle n'a pas été précédée par un apprentissage sur le tas de la liberté et de l'égalité, par l'auto-organisation et l'action directe, et que finalement ce sont les réflexes du vieux monde qui sont réapparus dans leur version moins policée, lors de cette crise. Dans ce cas, il est vrai, l'émancipation des prolétaires (et particulièrement des prolétaires les plus universellement exploitées, les femmes) n'aura pas été l’œuvre des prolétaires eux-mêmes.


Michel Bakounine.- Les Ours de Berne et l'Ours de Saint-Pétersbourg : complainte patriotique d'un Suisse humilié et désespéré.
   Pourtant, papy nous avait tout appris, ou presque, ce ne sont pas les compagnons Espagnols qui nous dirons le contraire. Ici il est question, entre autre, de la Suisse, « cette Helvétie jadis si indépendante et si fière, […] gouvernée aujourd’hui par un Conseil général qui ne semble plus chercher son honneur que dans les services de gendarme et d’espion qu’il rend à tous les despotes », patrie de mon grand-père maternel, qui m'en a légué la nationalité d'ailleurs. Pour le trafic d’Appenzeller c'est très utile.


   Ici, l’ours de Saint Pétersbourg, c’est le tsar de toutes les Russies et les ours de Berne ce sont les membres du Conseil fédéral Suisse, le gouvernement d’outre Léman, quoi. Bakounine s’insurge et dénonce l’abdication de tout droit d’asile et de toute dignité d’une république prête à se mettre en huit pour livrer aux despotes absolus d’Europe les opposants politiques qu’ils lui réclament. Quelle actualité et quelle bégaiement plombant de l’Histoire à l’époque des rapts de Cesare Battisti par l’idole de gauche Evo Morales qui l’offrit au fasciste l’extradant aussitôt vers l’Italie, qui le saisira et l’enterra dans ses oubliettes (« il ne s’agit pas, - déclare-t-on – de la poursuite et de l’extradition de […] coupables de crimes politiques, oh que non ! Il ne s’agit que de simples assassins et faussaires. – Mais qui sont ces assassins, ces faussaires ? Naturellement tous ceux qui, plus que les autres, ont eu le malheur de déplaire au gouvernement […], et qui ont eu, en même temps, le bonheur d’échapper à ses recherches paternelles »); et de Julian Assange dans des conditions semblables (« Le prétexte officiel, et il en faut toujours un, - l’hypocrisie, comme dit une maxime passée en proverbe, étant un hommage que le vice rend à la vertu, - le prétexte officiel dont se sert le ministre […] pour appuyer sa demande, c’est la condamnation prononcée par le tribunal […] pour violation du secret des Lettres. […] N’est-ce pas sublime ? l’empire, ce violateur par excellence de toutes les choses réputées inviolables […] poursuivant […] qui aurait violé le secret des lettres ! Comme si jamais, lui-même, il avait fait autre chose ! ») !


Giacomo Casanova.- Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même.
   Heureusement nous avons, dans les deux livres suivants, de quoi nous remonter le moral.
   Encore un grand évadé, même si pas du tout du même style que le précédent. On se souvient qu'on l'avait laissé débouchant sur le toit du Palais des Ducs de Venise, s'évadant de sa cellule de la redoutable prison des Plombs. C'était ici. Saura-t-il ne pas glisser sur les plaques de plombs du toit et ne point se fracasser le crâne sur la dalle du palais ou finir noyé dans le canal. Parviendra-t-il à conquérir la plus belle des belle, avec son boulet de complice de père Balbi, moine paillard faisant un peu figure de Sancho Pancha dans cette rocambolesque évasion, je trouve.

   "Je sortis le premier, le père Balbi me suivit. Soradaci, qui nous avait suivis jusqu'à l'ouverture du toit, eut ordre de remettre la plaque de plomb comme elle devait être et d'aller ensuite prier son saint François. Me tenant à genoux et à quatre pattes, j'empoignai mon esponton d'une main solide, et en allongeant le bras, je le poussai obliquement entre la jointure des plaques de l'une à l'autre, de sorte que, saisissant avec mes quatre doigts le bord de la plaque que j'avais soulevée, je parvins à m'élever jusqu'au sommet du toit. Le moine, pour me suivre, avait mis les quatre doigts de sa main droite dans la ceinture de ma culotte. Je me trouvais soumis au sort pénible de l'animal qui porte et traîne tout à la fois, et cela sur un toit d'une pente rapide rendue glissante par un épais brouillard."

Un esponton.

Jack London.- Grève générale.
   Encore du baume au coeur : une grève générale victorieuse. La bourgeoisie est affamée et se transforme en bande de pillards bestiaux. Un bémol, dos à eux, les autres affamés sont les miséreux des faubourgs, ghettos et taudis. On retrouve là malheureusement l'inspiration marxiste du grand romancier : le lumpenproletariat ne prend pas part à la lutte et à tout à perdre d'un bouleversement des rapports de classes. Mais ne boudons pas notre plaisir à apprécier le spectacle narré de ce quarteron de richards se battant comme des hyènes pour dépecer un vieux cheval et s'en disputer la viande, viande qu'ils se feront racketter peu après par de plus costauds. Les ouvriers honnêtes et en grève, eux, ont pensé à faire des réserves, et se tapent joyeusement la cloche dans leurs quartiers. Point de révolution après la victoire cependant, alors que le capital mord la poussière, mais juste la satisfaction des revendications ouvrières.
   La deuxième nouvelle de ce petit livre, Au sud de la Fente, est encore plus savoureux. C'est une parodie de l'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de Stevenson, Jekyll étant ici un universitaire bourgeois et conservateur qui, pour les besoins de ses travaux sociologiques, se grime en ouvrier et passe certains laps de temps à vivre comme l'un d'entre eux, en leur sein. Petit à petit, il en prend l'aspect, le comportement, les goûts, manières de penser et de parler, réflexes, amours et haines : ce sera notre Mr Hyde. Devinez qui gagne à la fin ? Je vous aide, ce sera comme chez Stevenson !

   "Catherine Van Vorst observa encore l’homme qu'elle avait connu sous le nom de Freddie Drummond. Sa tête dominait la foule, et son bras enlaçait toujours la taille de la femme. Assise dans son automobile, attentive, elle vit le couple traverser Market Street, franchir la Fente, et disparaître le long de la 3e Rue dans le ghetto du travail.

   Dans les années suivantes, à l’université de Californie, aucune conférence ne fut prononcée par Frédérick A. Drummond, et aucun livre sur le monde du travail ne parut sous cette signature. En revanche émergea William Totts, un grand leader syndicaliste. Ce fut lui qui épousa Mary Condon, présidente des gantières, et organisa la grande grève victorieuse des cuisiniers et serveurs. Il participa aussi à la constitution de nombreux nouveaux syndicats, dont celui des croque-morts et celui des plumeurs de volaille.
"


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