jeudi 23 septembre 2021

La dose de Wrobly : fructidor 2021 EC

 - Nicolas Bouvier.- L'Usage du monde.
   Magnifique, instructif et passionnant. Deux potes suisses, l'un peintre, l'autre écrivain, partent dans la petite Fiat qu'ils ont retapée direction l'Inde. Via la Yougloslavie, la Macédoine, la Turquie, l'Iran, le Pakistan, et l'Afghanistan. Le livre se termine quand Nicolas Bouvier, que son compagnon a quitté à Kaboul pour aller rejoindre sa fiancée à Ceylan quelques semaines plus tôt, prend le chemin du sous-continent, désormais seul au volant d'une Fiat qui, on le pressent, fera vite long feu. Un Sur la route sans sexe, sans drogue et sans jazz, même si la musique y est très présente, notamment la tzigane, mais aussi celle que nos deux globe-trotters ne dédaignent pas de taquiner, entre autres à l'accordéon, faisant souvent la joie de leurs hôtes... Conséquemment, le fait que même aux pays de l'opium ils ne soient jamais défoncés par des produits, rend tout cela beaucoup moins lourdingue que les tribulations de Kerouac. Ici, seule la sensibilité mue par les immensités traversées ou l'humanité rencontrée est exprimée, avec une littérature simple mais efficace. Le casanier que je suis a évidemment appris plein de choses. Et pour couronner le tout, l'humour irrigue ces pages, un humour tendre et fraternel, jubilatoire. J'ai été fort surpris, timoré et certainement endoctriné que je suis par une certaine idéologie hobbesienne et européo-centriste dominant notre meilleur des mondes, je me disais qu'un tel périple devait forcément mettre la vie des protagonistes en jeu à chaque étape, qu'ils étaint des trompes la mort, des têtes brûlées (il est vrai qu'à quelques occasions l'incident a été évité de très peu et qu'aucun des régimes des pays traversés ne ressemble à la douce utopie d'Anarchie). Mais finalement j'ai fermé le livre rasséréné, en me disant, peut-être en proie à un excès inverse, qu'au bout du compte les gens sont gentils sur cette bonne vieille terre, et en ressentant quelque chose comme le goût de la fraternité humaine.

 - Dolent Jean / Daquin Thomas.- La Sécurité militaire.
   La suite m'a tout de suite ramené les pieds sur terre...

   "Voilà donc un service enveloppé de mystère dont les compétences sont définies de manière si floue qu'elles n'ont point de limites certaines ; qui est chargé en principe de veiller sur ce qui doit rester secret - mais c'est lui qui décide de ce qui est secret et ses manuels vont jusqu'à annoncer bellement "considérer comme secret tout ce qui n'est pas rendu public" ; un service ne disposant pas des moyens que la législation réserve aux seuls officiers de police judiciaire (interrogatoires, perquisitions, gardes à vues) mais qui les utilise tous en se débarrassant du même coup des garanties accordées au citoyen ; un service qui opère en marge de la loi."
Gilles Perrault, vers 1980.

   Depuis nous avons eu les drones policiers, la reconnaissance faciale, le fichage biométrique de la population avec les papiers d'identité qui vont bien, les cartes de crédits (bientôt sociaux ?), les passes Navigo et sanitaires. Et les barbouzeries diverses toujours au taquet, même si aujour'hui, 84 % de la population étant équipée de "téléphones intelligents" munis d'appareils photo capables de lire des codes-barres tels que les QR, outils que l'administration s'est elle même appropriée, avec la cryptographie, pour sécuriser les documents qu'elle délivre, nous sommes assez cons pour nous fliquer nous mêmes et les uns les autres avec l'infrastructure qu'on s'est payé de nos propres deniers, exonérant par là l'Etat d'une grande part de ce coût de contrôle et de surveillance. Aujourd'hui certains crient à la dictature. Je crois plutôt que tout cela prouve que nous sommes bel et bien en démocratie (un Etat, une classe dominante, un parti unique, le parti du capitalisme, et le piège à con électoral qui va avec), cette maladie chronique dont la phase terminale est le fascisme. Et ça nous laisse déjà bien assez de taf comme ça.

 - Walter Benjamin.- Écrits radiophoniques.
   "Quant au texte Lichtenberg. Un aperçu, il s'agit d'une curieuse pièce radiophonique [...]. Mettant en scène la vie du philosophe et physicien Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), cette pièce est certainement le seul texte de Benjamin relevant de la science-fiction. On y découvre notamment des extra-terrestres - les êtres lunaires - dissertant scientifiquement sur le comportement des hommes et la vacuité de leurs agissements, cinq ans avant que La Guerre des mondes d'Orson Welles ne sème la panique chez les auditeurs américains."
Philippe Baudoin.

   Walter Benjamin est vraiment un diamant, j'en découvre sans cesse une nouvelle facette : ici son activité radiophonique ! Découvrir ça, moi qui ai toujours été passionné de radio (en tant qu'auditeur)! Et vous pourrez vous en rendre compte vous-mêmes en écoutant, ici... la radio !!! En l'occurrence France Culture, avec un entretien de Stéphane Hessel, qui a bien connu Benjamin, ami de ses parents, et qui le reconnait sans hésitation dans le rôle de Kasperl dans la seule émission de Benjamin à avoir été conservée comme archive sonore, la pièce radiophonique (Hörspiel) Charivari autour de Kasperl (Radau um Kasperl diffusée le 9 septembre 1932 par la radio de Cologne), même si la plupart des biographes et spécialistes germanophones restent assez réservés sur le sujet. Troublant voyage dans le temps.

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