lundi 25 octobre 2021

Romain

   En 1987, à 18 ans, je revenais vivre dans la banlieue parisienne quittée quinze ans plus tôt pour la province, une province sans aura, où mes parents avaient été mutés. Durant mon enfance, tout en étant bercé par le jazz et la musique classique qu'écoutait mon père, ainsi que Brassens, j'ai développé un goût pour les grands de la chanson française et, dès l'école primaire, pour un petit jeune nommé Renaud, qui faisait parler de lui avec son Marche à l'ombre, puis dont ma mère me vanta le génialissime Hexagone, et de qui j'ai été vraiment fan pendant des années.

   Puis au collège je me suis converti au heavy metal, sans déloyauté cependant pour mes amours précédentes. Et tout en restant ouvert : j'aimais aussi beaucoup les Sex Pistols et Exploited.

    En fin de lycée cependant, juste avant de partir, j'ai rencontré un condisciple étrange. Il avait les cheveux en brosse et était plutôt propre sur lui, avec des Doc Martens ou assimilées, aux antipodes de ma tignasse grasse jusqu'aux épaules, de mon cuir noir, de mes jeans sales, de mes clous, mes chaînes, mes bottes et de toute la panoplie qui va bien, plus le côté réellement destroy lié à ma chute dans la pillave à 16 ans. Ce collègue de lycée, que les filles trouvaient chou, avait un certain prestige parce qu'il faisait régulièrement des séjours à Paris, et c'est lui qui m'a fait découvrir, en en parlant à d'autres mais mon oreille préparée s'est aussitôt dressée, les Bérurier noir, et, grâce à des tracts, flyers, slogans anti-flics et anecdotes retour de manif, l'existence de toute une scène liée à des idées anarchistes et antifascistes dans la capitale ! Cela m'a évidemment beaucoup attiré car depuis mon plus jeune âge c'est Anarchie qui m'inspirait, et à laquelle j'aspirais. J'ai donc trahi le métal pour écouter ces groupes, chouilla.

   Mais parallèlement, arrivé à Paris, je me suis aussitôt réglé sur une radio libre, sans pub ni actionnaires, pour moi c'était déjà rédhibitoire, qui passait énormément de chansons françaises, des classiques certes, Brassens, Ferré... mais aussi une masse de saltimbanques que je ne connaissais ni des lèvres ni des dents. Parmi elles.eux, Romain Didier. 

   J'ai instantanément apprécié sa voix à l'inflexion chaude, lisse, stable, peut-être un peu monotone, sans vibrato ni éraillement, ni expression trop marquée, théatralité (à la Renaud, Higelin, Thiéfaine...) un peu comme les voix de Lavilliers ou de Béranger, mais en moins virile, plus tendre, avec parfois des montées dans les aigus, un genre d'Yves Duteil de gauche. Et des mélodies qui dès la première écoute me poussaient à les fredonner. Une douceur qui venait faire le pendant de mes pulsions vers la violence musicale.

   Je n'en ai jamais su beaucoup plus que les quelques titres entendus à la radio. Mais il y a quelques années j'ai acheté un CD, l'occasion, l'herbe tendre, dans une des dernières librairies parisiennes. On sentait que Romain avait pris un peu de bouteille... Mais je n'ai pas été trop déçu. Le temps passant, moi vieillissant sans m'en rendre compte, tous les anciens de la génération de mes grands-parents, puis de mes parents, tombant comme des mouches au champ de la loi de la vie et de la mort, je n'étais même pas sûr que ce Didier fût encore vivant. Quelle ne fut donc pas ma surprise d'entendre ce fantôme découvert dans une radio associative ultra confidentielle 35 ans auparavant invité dans la matinale d'une radio d'Etat, on va dire de service public, c'est plus gentil surtout quand ça nous fait entendre de belles choses malgré tout. 

   Et j'y ai appris qu'il vient de sortir un album, à 71 ans, mais aussi que c'était un pote et un parolier d'Alain Leprest ! Leprest que, lui aussi, j'avais découvert sur cette radio confidentielle, mais qui a eu un certain succès d'estime par la suite chez un certain public avancé, et que j'avais rencontré fin 80's débuts 90's dans de petits cabarets de la butte aux Cailles, le Merle moqueur, ou la Folie en tête, je ne sais plus, dans le 13ème arrondissement de Paris, où il participait à des enregistrements d'émissions de cette même fréquence, j'en avais déjà parlé quelque part, ici ou en commentaire d'un autre blog. Un mec très sympa pour un stalinien, cet Alain, jeune, costaud, genre fort des halles en débardeur, et déjà grand beuveur, mais pas dépressif, joyeux et expansif. Donc Romain Didier, moins connu apparemment, lui était lié...

   Dans l'avant dernier album, que je possède donc, j'ai choisi cette chanson. Je préfère ses chansons nostalgiques, tendres, qui m'émeuvent vraiment, celle-ci est plutôt satirique et vacharde, même si elle n'est pas sans vérité évidemment, à l'heure du succès populaire d'un certain Z..., mais je la trouve rigolote dans son constat sinistre...


   J'en sais donc un peu plus sur cette voix de ma jeunesse qui ne s'est pas tue, mais guère plus. Si je tombe sur un de ses anciens disques dans une quelconque librairie survivante aux plateformes, j'essaierai de me le procurer, avec une jouissive curiosité je le confesse, et le but de me faire un sniffe de madeleine.

2 commentaires:

  1. Au Merle Moqueur, dans les 90' je braillais à la Cour des Ânes tous les mardis soirs !

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  2. Je suis sûr qu'on a dû se croiser, entre l'Hôtel Ouistiti de la République et la Butte de Wroblewski !...

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