lundi 12 juin 2017

Un peu de solidité allemande

     Il sortit et referma la porte.
     
Bon Dieu, se dit-il, c'est le moment de lire pour se calmer quelques poèmes de Goethe [Ripley vient de régler son compte à coup de bouteille de Margaux sur la tronche à un magnat du tuyau américain qui lui pompait l'air pour une histoire de faux tableau. Note du blogueur]. Der Abschied ou un autre. Un peu de solidité allemande. Cette certitude qu'avait Goethe de sa supériorité, de son génie. Voilà ce qu'il lui fallait. Il prit les Goethe Gedichte, et son inconscient, ou la chance, fit que le volume s'ouvrit à la page de Der Abschied. Tom le connaissait presque par cœur, mais il n'aurait jamais osé le réciter à quelqu'un, parce qu'il craignait que son accent ne fût pas excellent. Les premiers vers le bouleversèrent :

          Lass mein Aug' Abschied sagen,
          Den mein Mund nicht nehmen kann !
     Que mes yeux disent l'adieu que mes lèvres ne sauraient prononcer...

          Schwer, wie schwer ist er zu tragen !
          Und ich bin...

     Le bruit d'une portière de voiture le fit sursauter. Quelqu'un arrivait.

Patricia Highsmith.- Ripley et les Ombres

"Les premiers vers le bouleversèrent"

     Pas à une bonne action près, en ces temps d'incertitude anxieuse, voir de pesante angoisse, La Plèbe vous offre la totalité du poème, pour vous caler un peu, ajouter une bonne dose de farine dans la pâte trop molle et trop humide de votre état de vie actuel.

"Laß mein Aug den Abschied sagen"

                           Der Abschied

          Laß mein Aug den Abschied sagen,
          Den mein Mund nicht nehmen kann!
          Schwer, wie schwer ist er zu tragen!
          Und ich bin doch sonst ein Mann.

          Traurig wird in dieser Stunde
          Selbst der Liebe süßstes Pfand,
          Kalt der Kuß von deinem Munde,
          Matt der Druck von deiner Hand.

          Sonst, ein leicht gestohlnes Mäulchen,
          O wie hat es mich entzückt!
          So erfreuet uns ein Veilchen,
          Das man früh im März gepflückt.

          Doch ich pflücke nun kein Kränzchen,
          Keine Rose mehr für dich.
          Frühling ist es, liebes Fränzchen,
          Aber leider Herbst für mich !



Bon, il a fallu que je m'y colle, on peut compter sur personne. C'est un premier jet :

Que mes yeux disent l’adieu
Que mes lèvres ne sauraient prononcer !
Dur, qu’il est dur à porter !
Et pourtant je suis bien un homme.

Triste sera en cette heure
Même le doux gage aimé,
Froid le baisé de ta bouche,
Faible la pression de ta main.

D’habitude (ou sinon ?), un léger bisou volé,
Oh ! comme il m’a ravi !
Ainsi nous réjouit une violette
Qu’on cueille tôt en mars,

Pourtant je ne cueille plus de petit bouquet,
Plus de roses pour toi.
C’est le printemps, chère Francette,
Mais malheureusement c’est l’automne pour moi !

Dernière minute. Une collaboratrice plus compétente m'envoie enfin sa traduction. Vous la trouverez ci-dessous.

ADIEU

Que mes yeux disent l’adieu
Que mes lèvres ne sauraient prononcer,
Adieu pénible, comme il me pèse!
Et pourtant, je suis bien un homme.

Même le gage le plus tendre de l’amour
Engendre maintenant la tristesse
Froid est le baiser de tes lèvres,
Fade est la pression de ta main

Jadis, une bise furtivement dérobée
O que cela me charmait!
Ainsi nous réjouit la violette
Que l’on cueille au mois de mai.

Mais je ne cueille plus de couronne,
Plus de rose pour toi.
C’est le printemps, ma chère Fränzchen
Hélas, pour moi c’est l’automne.

7 commentaires:

  1. Cher Wrob, oserais-je exprimer à la fois ma gratitude devant votre louable effort de nous instruire avec la poésie allemande, enfin goethienne et mon embarras (celui de la poule face à un couteau, dit-on) de ne pouvoir déchiffrer cet édifiant poème, malgré les 8 ans où j'ai usé mes fonds de culotte en cours d'allemand (bah oui j'ai redoublé ce qui pourrait peut-être expliquer mon incompétence teutonnière) en me contentant de graver sur mes pupitres successifs "Weder gott noch gebieter", ce qui a fini par me valoir une colle avec les félicitations de mon prof sur ma connaissance d'un allemand légèrement suranné (19ème ajouta-t-il).
    Bref une française traduction serait-elle envisageable de votre gracieuse bonté ? Ou était-ce juste pour le fun comme disait les d'jeuns y'a bien longtemps.
    Portez-vous bien cher Wrob.
    Blaireau 58

    PS : je n'ai pas de blog. Trop feignant.

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  2. Mon cher Blaireau, salut ! Et très content de vous relire ! Je me tourne vers notre interprète attitrée dans la langue de Max Stirner et revient vers vous très vite.

    Tschüss !

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  3. Bon, en attendant que notre traductrice ait peaufiné son bijou linguistique, à mon tour de vous citer deux lapidaires petites phrases que j'aimais à inscrire pendant les cours :

    Gegen Staat hilft nur die Tat.

    Wir wollen eine Welt Anschauung ohne Weltanschauung.

    Et celle-ci, de Stirner, in Le Faux principe de notre éducation, 1842, précisément :

    Wer ein ganzer Mensch ist braucht keine Autorität zu sein.

    A vos dicos !

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    1. Oh bordel c'est autrement coton que ma pauvre expression !
      Je note que vous étiez assidu en cours ou que vous aviez un bon dico de citations teutonnes.
      Et puis lapidaires, c'est vite dit pour un non comprenant !
      Le blaireau du 58 qui contemple esbaudi ses camarades franciliens.
      C'est beau la grande ville le jour ?

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  4. Pas aussi beau que de franchir la Porte du Croux après une promenade le long de la redoutable et magique Loire sauvage, malgré les moustiques, mais nous avons bien d'autres nuisances au pays des particules fines.

    Approximativement.

    Contre l'Etat, il n'y a que l'action (lu sur une affiche autonome allemande dans les années 90).

    Nous voulons une vision du monde sans idéologie (me souviens plus ou je l'ai lu, idem certainement).

    Un humain entier n'a pas besoin d'être une autorité (lu quand j'étais ado dans l'ouvrage de Stirner bilingue ci-dessus référencé. Stirner y parle de son taf de prof. Je l'ai testé un peu il y a quinze ans quand je bossais dans des collèges-lycées du 93 et que je ne voulais pas être une autorité : pour rester entier il a fallu que je me barre fissa de cet univers carcéral ou un ensemble d'humains se transforme en nid de frelons. Merci Max !)

    Tiens une autre, lue à Trèves, ville natale de Marx, au bord de la Moselle, quand j'ai fait Koblenz-Thionville à vélo il y a quelques années, c'était un auto-collant du syndicat de l'AIT allemand, la FAU, de mémoire : Keine angriff ohne antwort : das heisst syndicalismus !

    Pas d'attaque sans réponse, c'est c'est ça le syndicalisme !

    Désolé pour le poème, les traducteurs de la Plèbe sont en grève. Leurs revendications étaient de prendre les "Meerschneichen" (à vous de bosser un peu) de la rédaction deux fois par jour, mais le directeur a refusé, trop de pipi à nettoyer sur les fauteuils. Ils sont déter' et ne lâchent rien... Wir sollen warten...

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  5. Widerstand braucht phantasie.
    Comme on disait alors .

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  6. Merci Jules, très bien aussi.

    Blaireau, j'ai très vite tenté une traduc' supra. A améliorer grandement.

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Y a un tour de parole !