mardi 12 juin 2018

Doukipudonktan


Doukipudonktan, se demanda Gabriel excédé. Pas possible, ils se nettoient jamais. Dans le journal, on dit qu’il y a pas onze pour cent des appartements à Paris qui ont des salles de bain, ça m’étonne pas, mais on peut se laver sans. Tous ceux-là qui m’entourent, ils doivent pas faire de grands efforts. D’un autre côté, c’est tout de même pas un choix parmi les plus crasseux de Paris. Y a pas de raison. C’est le hasard qui les a réunis. On peut pas supposer que les gens qui attendent à la gare d’Austerlitz* sentent plus mauvais que ceux qu’attendent à la gare de Lyon. Non vraiment, y a pas de raison. Tout de même quelle odeur.

 Gabriel extirpa de sa manche une pochette de soie couleur mauve et s’en tamponna le tarin.

« Qu’est-ce qui pue comme ça ? » dit une bonne femme à haute voix.

Elle pensait pas à elle en disant ça, elle était pas égoïste, elle voulait parler du parfum qui émanait de ce meussieu.

« Ça, ptite mère, répondit Gabriel qui avait de la vitesse dans la repartie, c’est Barbouze, un parfum de chez Fior.

– Ça devrait pas être permis d’empester le monde comme ça, continua la rombière sûre de son bon droit.

– Si je comprends bien, ptite mère, tu crois que ton parfum naturel fait la pige à celui des rosiers. Eh bien, tu te trompes, ptite mère, tu te trompes.

– T’entends ça ? » dit la bonne femme à un ptit type à côté d’elle, probablement celui qu’avait le droit de la grimper légalement. « T’entends comme il me manque de respect, ce gros cochon ? »

Le ptit type examina le gabarit de Gabriel et se dit c’est un malabar, mais les malabars c’est toujours bon, ça profite jamais de leur force, ça serait lâche de leur part. Tout faraud, il cria :

« Tu pues, eh gorille. »

Gabriel soupira. Encore faire appel à la violence. Ça le dégoûtait cette contrainte. Depuis l’hominisation première, ça n’avait jamais arrêté. Mais enfin fallait ce qu’il fallait. C’était pas de sa faute à lui, Gabriel, si c’était toujours les faibles qui emmerdaient le monde. Il allait tout de même laisser une chance au moucheron.

« Répète un peu voir », qu’il dit Gabriel.

Un peu étonné que le costaud répliquât, le ptit type prit le temps de fignoler la réponse que voici :

« Répéter un peu quoi ? »

Pas mécontent de sa formule, le ptit type. Seulement, l’armoire à glace insistait : elle se pencha pour proférer cette pentasyllabe monophasée :

« Skeutadittaleur… »

Le ptit type se mit à craindre. C’était le temps pour lui, c’était le moment de se forger quelque bouclier verbal. Le premier qu’il trouva fut un alexandrin :

« D’abord, je vous permets pas de me tutoyer.

– Foireux », répliqua Gabriel avec simplicité.

Et il leva le bras comme s’il voulait donner la beigne à son interlocuteur. Sans insister, celui-ci s’en alla de lui-même au sol, parmi les jambes des gens. Il avait une grosse envie de pleurer.

Raymond Queneau.- Zazie dans le métro.

* Dans le film, il s'agit de la gare de l'Est : les cinéastes ont de ces audaces !

Un autre classique

Comme certaines personnes peuvent vous décevoir ! Je me trouvais pas mal de points communs avec ma bibliothécaire, elle me semblait une femme intelligente, plutôt calme et réservée, donc pleine de promesses intellectuelles et sensibles. Quand je lui ai dit que j'avais vu ce film (pour la première fois, comme, à ma grande honte, je n'ai pas encore lui le livre - à ma décharge j'ai lu le Jounal de Sally Mara, pas piqué des vers non plus -, même si ces deux œuvres sont pour moi cultes a priori, sacrées, incriticables parce qu'elles sont nimbées de tout un monde, Queneau, quoi, merde ! le Paris de Queneau, merde ! pour moi c'était comme un premier pèlerinage à la Mecque pour un bon musulman !), quand je lui ai dit que j'avais vu ce film, donc, m'attendant à un grand moment de communion, elle me répondit qu'elle n'avait pas trouvé ça terrible (comme on dirait d'un vulgaire film de maintenant) !!!, et qu'avec sa fille elles avaient arrêté avant la fin !!!! C'est dingue comme on peut se tromper, ça me fait penser à une maîtresse (ce n'est pas le cas ici, s'il vous plaît !) de Desproges, qu'il adulait, et pour qui il n'a finalement plus ressenti qu'antipathie dégoûtée, après qu'elle ait foutu de la flotte dans son paraît-il ineffable vin (je n'y connais rien en pinard). Alors plus rien n'a de sens ? Plus rien ne veut plus rien dire ? Toutes valeurs sont cul par dessus tête ? Pas terrible Queneau adapté par Louis Malle ? Mon cul !

Bon, calmons-nous. Vous aussi vous souhaitez savoir si Gabriel est homosessuel ou pas, et ce qu'c'est d'être homosessuel ? Eh bien vous le saurez (ou pas) en regardant ce film jusqu'au bout.


Ma dernière actu ciné.

2 commentaires:

  1. J'aime bien la fin du journal de Sally Mara.
    De mémoire : "En sentant la froideur de la rampe sous ma main, je compris que j'étais mariée !"

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  2. Le coup de la rampe ! C'est aussi ce qui me reste le plus du roman. Moi je me rappelais de la phrase équivoque "Tiens bon la rampe !".

    Cheers old sport !

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Y a un tour de parole !