vendredi 14 juin 2019

Guerre et paix

- Le Plus dignement (ou Le Plus beau) (一番美しく, Ichiban utsukushiku), 1944.
   Un film de propagande de guerre côté production, à l'arrière, qui m'a surpris, surtout que ce film date de juste après La Légende du grand judo (1943), plutôt pacifiste et humaniste, même si les valeurs d'engagement total et de loyauté se retrouvent dans les deux fictions. Rappelons qu'en cette période de guerre, dans ce régime militariste et nationaliste, il ne faisait pas bon contester l'ordre établi et la religion d'Etat shintoïste. Ici, la religion, c'est celle de l'entreprise et de la production. Les ouvriers d'une usine d'optique sont invités à augmenter leur quota de production de 100 % en vue de l'effort de guerre (les dividendes ne sont pas évoqués, ce qui n'empêchera pas Kurosawa de traiter de l'avidité meurtrière du capitalisme dans Les Salauds dorment en paix, par exemple, en 1960). Les femmes, quant à elles, n'auront qu'une augmentation de 50 % de leur production à effectuer. Et là, attention : grogne, fronde, remous parmi les ouvrières. Pourquoi 50 % d'augmentation de travail sans gagner plus ? Alors que les hommes ont 100 %, c'est injuste ! Finalement le magnanime patron leur accorde 80 % d'augmentation de travail. Joie dans les travées, les fifres et tambours et équipes sportives féminines de la boîte ! La mission sera remplie, coûte que coûte, question d'honneur. Si on demande humblement un congé, c'est pour aller chercher une ouvrière tombée malade et que ses parents peinent à laisser partir. Et si on a de la fièvre, on supplie la chef de le celer, pour pouvoir continuer à trimer ! Idem quand la mama meurt au pays, on veut rester ! Les sourires attendris face à ces sacrifices sont glaçants : illustrant la mièvrerie et le pathos du mal, ils révèlent par transparence des rictus de tête de mort. On se demande parfois si le film n'est pas un long pamphlet ironique, tellement c'est gros. Mais je ne pense pas : même si Kurosawa n'y mettait peut-être pas toute sa sincérité et n'en pensait certainement pas moins (enfin je l'espère et la suite de sa filmographie le laisse plutôt entendre), il s'agit bien là d'un film de commande, approuvé par le ministère de l'information et de la guerre, et destiné à être pris au premier degré, reprenez-moi si je me trompe. Ce qui confère au film un intérêt documentaire, historique, sur la deuxième guerre mondiale, et idéologique, par cette propagande de ferveur au travail et sa version japonaise, à comparer avec les versions stakhanovistes lénino-staliniennes, maoïstes, fordistes, nationales-socialistes, ou de chez Bruno Pizza... 


- Un merveilleux dimanche (素晴らしき日曜日, Subarashiki nichiyobi), 1947.
   Deux amoureux dans la dèche à Tokyo après la guerre. Le gars, amer, se dit que la possession physique sera au moins ça de pris. Mais la gosse n'est pas d'accord. Drame, raccommodage. Déprime et espoir. Jeu, rêve, dérive, déambulation. Un joli film réaliste social sentimental.


- La Rivière rouge (Red River) de Howard Hawks, 1948.
   Un grand propriétaire de bétail fasciste (le propriétaire - John Wayne -, pas le bétail), malgré tout dans la dèche faute de débouchés, décide de remonter vers le nord avec ses milliers de bêtes pour les vendre. Au moment où il s'apprête à faire pendre deux de "ses" hommes ayant préféré tenter de fuir la tyrannie du tonton flingueur, il se fait gentiment remettre à sa place par celui qu'il considère comme son fils (la coqueluche de l'époque, Montgomery Clift), qui prend en main la caravane de bidoche pour la mener à bon port avec humanité. Le vieux, laissé en plan, rageur, décide de se venger et de tuer le jeune Œdipe.


- La Piste des géants (The Big Trail) de Raoul Walsh, 1930.
   Premier rôle principal de John Wayne, qui n'était pas encore fasciste. Une caravane de colons traverse les vastes territoires indiens d'Amérique du nord, traversant 1000 morts et dangers. Wayne joue un jeune éclaireur ami des indiens et désireux de venger un de ses potes assassiné par des rascals. Un peu de paternalisme incontournable à cette époque pour les autochtones en voie d'extermination mais nul racisme dans ce film. Appréciable.

L'intégral.

Ceci est évidemment ma dernière actu ciné.

6 commentaires:

  1. Chouette, on ne connaissait point Ichiban Utsukushiku et on va se jeter là dessus comme la vérole sur le bas clergé.
    Par contre, on tient Red River pour un sommet du western. On l'a d'abord vu à 10 ans dans le cinoche d'un village pyrénéen et on en est resté scotché et triste. Triste de voir un John Wayne aussi dégueulasse.
    Fasciste ? Vous exagérez, un baron du bétail dans la grande tradition de l'époque.
    Ceci posé, certains ricains ont la dent dure .
    Et puisqu'on est dans la musique, le délicieux Monty (à côté de lui James Dean est un ectoplasme) eut aussi son hommage dans un grand disque : https://www.youtube.com/watch?v=AY5JfQY6BHw.
    That's Montgomery Clift, honey !

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  2. Je me disais bien que vous étiez un westerneux, je crois même avoir observé que vous êtes un classique, et que vous ne portez pas plus que cela dans votre cœur le revival spaghetti, me trompé-je ? Et bien moi aussi, longtemps j'ai été un fan de westerns, tous genres confondus, je tenais même, minot, un répertoire de tous ceux que j'avais vus avec une photo sommaire et un petit commentaire chipé dans le magazine télé.
    J'écris ce blog en quatrième vitesse, c'est pourquoi j'ai pris un gros raccourci en utilisant le terme qu'on souhaiterait n'avoir plus jamais à prononcer, pour qualifier tant le personnage de Red River que l'acteur incarnant son rôle principal. Mais il faut reconnaître et j'y suis prêt, que même si le grand Jojo, sur son âge mûr, s'est fait le chantre d'une Amérique bien dégagée derrière les oreilles, sans lui on pourrait sûrement rayer de la carte des chefs d’œuvres une bonne vingtaine de westerns, qui n'auraient pas été ce qu'ils sont.

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  3. Et oui, le Duke fut un grand acteur en plus d'être un fieffé réac. Il s'est surtout comporté comme une ordure lors de la "chasse aux sorcières" à Holywood. Et le fait qu'il ne fut pas le seul n'y change rien.
    À propos, me revient une anecdote : lors d'une mise en accusation de Manckiewicz par Mc Carthy lui-même (enfin , je crois me souvenir sinon c'était Cecil B de Mille l'accusateur) un borgne se leva et dit "Je m'appelle, John Ford, je fais des westerns et ne comptez pas sur moi pour vos saloperies".
    Enfin, en gros...

    Classique, moi ? Non, pas que, il y a des westerns "récents" que j'aime bien. Mais comme disait Sergio Leone "Je suis peut-être le père du western spaghetti mais mes enfants sont tarés".
    Allez, assez de cuistrerie pour aujourd'hui.
    Jules

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  4. Je peux aisément renchérir dans la cuistrerie. Il est fort possible que l'immortel John Ford ne soit pas pour rien dans la dérive droitière du cow-boy aux coups de poings venant de loin. Voici pourquoi : selon la dernière femme de Wayne, celui-ci aurait beaucoup culpabilisé de ne pas avoir fait la guerre, la deuxième mondiale, alors que tous ses collègues, les James Cagney, les Jimmy Steward... étaient partis au front comme tout le monde. Wayne s'était fait réformer pour soutien de famille. Mais pour corser le tout, il parait que John Ford, son ami et avec qui il tourna vingt films, le charriait souvent, et ce sur les plateaux devant tout le monde, en ironisant sur son grand courage de combattant, en réalité ses années de guerre tranquilles à la maison. Tout cela est évidemment à vérifier.

    Oui, des collabos du Mc Carthysme (pour le coup une belle variante de fascisme) il y en eut pas mal, de Cecil Billets de Mille (impossible de retrouver qui l'appelait comme ça) à Walt Disney, en passant par Elia Kazan, mais il y eut aussi les cibles, Manckiewicz, Dashiel Hammet..., et puis des personnes ayant conservé un minimum de dignité face à l’hallali, comme Ford.

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  5. "Armons-nous et partez !" Ironisait ma grand-mère au sujet de ce genre de personnages va t'en guerre.

    Cecil Billets de Mille, j'avais lu ça dans la bd Kebra de Tramber et Jano. Faut savoir lacher Proust de temps en temps.
    J.

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  6. Il me semblait que c'était un mot d'un cinéaste ou écrivain connu, genre celui qui taxa Salvador Dali d'Avida Dollar, mais je ne me souviens de rien de plus. Ce qui est sûr c'est que je n'ai pas encore lu Kebra...

    Un petit jeu dans le post suivant si vous êtes en forme et que vous en avez le goût...

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