mercredi 22 mars 2017

La dose de Wrobly : ventôse 2017 ère commune

      Je n'ai pas beaucoup lu ce mois-ci. Il faut dire que j'ai eu du mal avec Austria, dont je vous ai déjà parlé ici. C'est bien écrit, on ne s'ennuie pas une seconde, c'est sous forme d'enquête du narrateur censé ne faire qu'un avec l'auteur, avec des va et vient temporels, des focalisations sur chaque personnage... Mais c'est tellement horrible, ce tortionnaire, violeur, assassin, incestueux, séquestreur, bon père de famille et patriarche, ayant longuement prémédité le forfait l'ayant rendu célèbre, comme une araignée sa toile avant d'y condamner ses proies, le pire étant qu'il est rigoureusement impossible que personne, pendant 24 ans, locataires du rez-de-chaussée, voisins, facteur, propre femme et enfants ayant eu la chance de remonter du tortionnaire, d'ailleurs certains on témoigné avoir entendu des bruits étranges, mais n'avoir fait qu'éluder par des interprétations plus ou moins fantaisistes, le tout tiré d'un fait divers réel et récent (2008, l'année Tarnac) dont on peut voir quelques images sur le net, que j'avais physiquement du mal à prendre le livre, c'était pénible. Il y a pourtant des passages drôles, mais on rit jaune (l'avocat faisant visiter la maison du crime, cynique et sarcastique au premier abord, finalement clairement traumatisé par ce job et dépressif, qui finit par se foutre en l'air sur l'autoroute ivre mort). Cependant Wrobly n'a jamais abandonné un livre en cours de route, et il avait quand même très envie de voir où voulait en venir l'auteur, au bout du compte, à part taper sur l'Autriche... 


      - Alain Decaux.- Victor Hugo.
     Wrobly aime lire de tout. Du beau, du bon, et parfois même du benêt. Des ennemis même à l'occasion, pour mieux les connaître. De temps en temps il arpente les étagères et pioche l'ouvrage d'autrui. C'est le cas ici. Un peu suffocant et blême après Austria, j'ai eu envie de me rafraîchir avec une bio mainstream du père Hugo, que j'aime bien. Je connais ses défauts, d'ailleurs la seule monographie sur sa vie que j'avais lue avant était de Paul Lafargue, dont la thèse essentielle était que Victor n'était qu'une girouette bourgeoise. Je me souviens que cette brochure était éditée par Lutte Ouvrière. Je préfère Hugo. Quant à l'auteur de cette biographie-ci, on pouffe de suite en lisant son nom. On se souvient des imitations aussi débiles que l'original était caricatural à la TV de notre enfance (je parle pour les plus de 45 ans). On sait aussi ce que sont les académiciens français, une bande d'incompétents réactionnaires et férocement machistes, inutiles, attachés à un folklore grotesques, paresseux comme des chats, ce qui pourrait être une qualité, mais se permettant de donner des leçons de français aux locutrices et aux locuteurs. On n'ignore pas non plus qu'un historien de plateau télé n'a d'historien que le nom, comme un philosophe se gavant du fromage médiatique n'est philosophe que dans le miroir de son ego surdimensionné. Mais parfois, l'un comme l'autre, peuvent-être des compilateurs, nuls certes, mais dont la surproduction littéraire peu de temps à autre apporter une certaine détente, quelqu'amusement et quelques informations ou piqûres de rappel, faciles à lire. Ainsi Decaux, plagiant j'imagine les ouvrages de spécialistes sérieux de son époque, dissipe quelques idées reçues sur la vie de l'auteur des Misérables. Par exemple, Hugo a toujours dit qu'il était fils d'un père officier de l'armée républicaine, et d'une mère chouanne. Comme c'est romantique cette union des contraires ! Eh bien rien n'est plus faux, le père d'Adèle a tissé consciencieusement une pure légende autour de sa vie, pour la postérité. Sa mère, Nantaise, était d'une famille terroriste, très proche de Carrier, le génocideur de vendéens et de chouans. Elle a même dû à un moment quitter Nantes avec les siens, non par peur des bleus, mais par peur des représailles des rescapés d'une population civile décimée. Bref, Histoire et petite histoire, je me fais plaisir sans trop d'effort.



     - James Meek.- Un acte d'amour.
     "J'ai dit à Chanov qu'il avait cruellement manqué. Il m'a répondu qu'il ne pouvait pas participer à cela. En prononçant "cela", il pointait son doigt vers l'endroit d'où je venais. Il m'a demandé où était le reste du régiment. Je lui ai appris que la plupart des hommes avaient péri. Il a hoché la tête, ajoutant qu'on parlerait quand même de victoire.
     J'ai voulu savoir ce qu'il entendait par là. Il a répondu que ceux qui commandaient, le tsar, ses maréchaux, les grands capitalistes et autres financiers, ne réfléchissaient pas en terms de vie ou de mort de simples individus, pas plus qu'ils ne comptaient les roubles et les dollars en coupures unitaires. En affaire, à la table de jeu, ils perdaient des milliers pour gagner des millions ; et quand ils perdaient des millions, il leur en restait bien d'autres en réserve. Ils dépensaient les hommes de la même manière. Un régiment d'un millier d'âmes était une mise insignifiante."
     Si vous souhaitez vous émanciper de l'oppresseur, de "ses généraux, ses nobles et ses capitalistes", faire la nique au "président français", ses "courtisans", "leurs états-majors et leurs places boursières, aussi riches et puissants fussent-ils", et vivre le communisme dès aujourd'hui, vous apprendrez dans ce livre un moyen simple et tranchant (mais non, ce n'est pas la guillotine), comment n'y avons nous pas pensé plus tôt ? de parvenir enfin au paradis sur terre.

     Un livre enthousiasmant et captivant que m' a conseillé l'ami Jules, entre aventure, Histoire (1919 en Sibérie, une compagnie tchèque bloquée - j'ignorais complètement cet épisode de la guerre de 14 - les rouges avancent...), suspense, humour du désespoir (la déjeuner chez le capitaine Matula est, entre autre, savoureux). Merci l'ami pour ce bon plan. Il parait que Johnny Depp est en train (le Transsibérien ?) d'en faire un film, ça fait un peu peur. On préfère repenser à Corto Maltese en Sibérie, avec des personnages aussi dingues et fantasques que Raspoutine ou le baron Roman Fedorovitch von Ungern-Sternberg... J'ai pensé aussi à Jack London, à Croc-Blancs par exemple, même si ça se passe de l'autre côté du détroit de Béring, chez les voisins. Anecdote : bien que récent, ce livre était déjà relégué au magasin de la bibliothèque, et je crois bien être le seul à l'avoir emprunté.... Ils ne savent pas ce qu'ils perdent !

     Un petit bémol cependant, que je rajoute après coup (31/03/2017). L'auteur cite précisément ses sources à la fin du roman, cependant il ne dit rien de celui qui, me semble-t-il, lui a inspiré le personnage de Samarin. Ses théories sans scrupules, son fanatisme "révolutionnaire" l'autorisant à tout écraser, à tout trahir sur son passage, m'a diablement fait penser à Netchaïev, ce jeune opportuniste, manipulateur et retors, escroc et assassin à ses heures (de camarades bien entendu), renouvelant la théorie de Machiavel (pour lequel j'ai plus de sympathie), mais au service de la révolution russe (quelle révolution attendre de telles pratiques? pas celle d'un "anarchiste révolutionnaire" comme l'auteur aime qualifier Samarin à plusieurs moments et de manière un peu surprenante dans le fil du récit, nulle exposition préalable ne nous y ayant préparé ; je penche plus pour ma part à celle des chefs bolcheviques). Au début du récit d'ailleurs, c'est à vérifier mais j'en suis quasi sûr,  le Catéchisme du révolutionnaire de Netchaïev apparaît, sans que l'auteur en soit cité, récité par la petite amie de Samarin. Comme le roman est visiblement inspiré des romans russes, on saisit bien le clin d'oeil, car Dostoïevski lui-même s'était servi de Netchaïev pour camper un de ses personnages, je ne me souviens plus dans quel ouvrage, dénigrant par ce fait tous les révolutionnaire. Par ailleurs, Bakounine est évoqué à un moment, comme une clé tombée dans la soupe, ce Bakounine vieillissant qui s'était lui-même laissé circonvenir, et s'était, contre tout bon sens mais avec une grande affection, attaché à ce sinistre trublion, vers 1870.

Bref, это здорово (eto zdorovo) !

5 commentaires:

  1. Non, savent pas ce qu'ils perdent.
    J'insiste et bisse auprès du lectorat, ce roman russe écrit par un Écossais est un petit bijou. Brillant passage que celui de la bataille. On y apprend aussi ce qu'est une "vache" chez les déportés en Sibérie et en cavale.
    Za vache zdorovie ! ou plutôt Cink ! comme on dit en tchèque.

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  2. Si nous traitions nos "vaches" (celles du slogan Mort aux vaches), comme les évadés sibériens les leurs, non seulement ça réglerait les problèmes de sous-alimentation, mais encore cela réconcilierait les viandards et les vegans, ou alors ces derniers feraient preuve du plus étroit sectarisme.

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  3. приятного аппетита (priïatnovo apïetita) !

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  4. Un petit adenda à ton adenda, mon colonel : il me semble bien que le père Dostoïevski fait référence à Netchaïev dans "Les démons", pas son bouquin le plus connu.
    Par ailleurs, c'est pas pour défendre la barbu mais Bakounine a assez vite rompu avec le terroriste opportuniste qui a fini bien seul.
    En tout cas, bravo pour avoir reconnu le "cathéchisme du révolutionnaire". Ça m'avait complètement échappé.
    Salud !

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  5. Oui, maintenant que tu le dis, c'est bien dans Les Démons que ça se passe. Merci ! Et oui, Bakounine a fini par rompre, mais il a eu un peu de mal, avec des allers et des retours, comme pour une rupture amoureuse, ou quand on décroche d'un produit. Mais d'autres aventures l'attendaient, au sein de l'Internationale, sur les barricades de Lyon... et il a bien rebondi suite à cette erreur où l'affectif (son pays perdu, la Russie ; le fils qu'il n'a jamais eu... ; je n'irai pas jusqu'à parler d'une homosexualité refoulée, ce serait pousser le bouchon interprétatif un peu loin) a joué un rôle important.

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Y a un tour de parole !