vendredi 20 janvier 2017

La dose de Wrobly : nivôse 2016-2017 ère commune


   - Amoros Miguel.- Les Situationnistes et l'anarchie. Quand je suis monté à la capitale après mon bachot, un peu plus de dix-neuf ans après la révolution manquée qui faillit renverser l'histoire, je m'étonnai auprès des mes aînés, de l'absence des anarchistes en mai 68, malgré l'esprit libertaire soufflant sur les évènements et les drapeaux noirs flottant dans les manifs et sur les barricades. Ils m'expliquèrent qu'à l'époque, comme la troisième république avait ses "Jules", l'anarchisme officiel était sous la coupe d'un triumvir de "Maurice", dont l'individu dominant émargeait avec conviction à un syndicat jaune dont il était le chauffeur du secrétaire général. Ce triumvir et ses troupes, propriétaires de l'Association pour l'étude, etc., elle même propriétaire de la F.A., pour ne pas la citer, et de ses oeuvres, s'occupaient essentiellement à préserver leurs possessions du complot marxiste qu'ils voyaient partout, et que représentait notamment toute tentative d'actualiser la critique et de tremper la théorie anarchiste dans l'insurrection qui venait. Bref, ils se repliaient sur eux-mêmes, refusaient toute nouveauté et se préservaient ainsi de tout ce bazar révolutionnaire. Je cite de mémoire, je n'ai pas vécu cela, je n'étais par né. Le livre montre qu'à côté de cela de nombreux dissidents, de l'intérieur et de l'extérieur, et des groupes actifs, existaient (Groupe libertaire de Ménilmontant, Makhno de Rennes, Sysiphe, GAR, Nanterre, l'Internationale Anarchiste...), et qu'ils se sont plus ou moins rapprochés de l'I.S.. On y retrouve aussi des personnages bien barrés et sympatoches (enfin, vu de loin et rétrospectivement en tout cas), comme Jacques Le Glou. Cet ouvrage de Miguel Amoros est passionnant, parce qu'il répond à mes questions (il serait temps), en confirmant ce que mes vieux amis perdus de vue ou morts me disaient, et en approfondissant la question. Cependant il ne se contente pas de critiquer une certaine fossilisation du mouvement, mais, anarchiste lui même, il démontre que les critiques de Debord et des situs (par exemple l'équation anarchisme = idéologie, que je ne comprenais pas bien quand je lisais l'I.S., et qui me désolait, moi qui me sentais anar, équation vérifiée par la tendance conservatrice évoquée plus haut, mais qui est loin de résumer l'épopée libertaire dans sa totalité - par ailleurs l'auteur définit clairement et à plusieurs reprise le terme "idéologie" quand il est sous la plume de Marx, puis de Debord, ce qui est bienvenu pour quelqu'un de limité comme bibi, ne faisant pas partie de l'avant garde) - que les critiques de Debord et des situs, donc, étaient schématiques, parcellaires et parfois fausses.

   Extraits, dans le désordre :


"Toutefois, le pire de tout n'était pas la bureaucratisation pseudo-libertaire, mais les conditions dans lesquelles celle-ci se développait, comme devait l'expliquer plus tard Debord à un scissionniste : " Si, pour vous, le côté inacceptable de la F.A. c'était surtout ou uniquement des propriétaires qui la dominaient légalement - on sait bien que la scission n'a rien reproduit de pareil -, pour nous c'était surtout le confusionnisme, le mélange des inconciliables, le manque de rigueur intellectuelle et même d'honnêteté dans l'information..."

 [...]

Les trois sous idéologies soeurs définissaient plus qu'un mouvement, un milieu ou se perdaient les méthodes révolutionnaires, l'ennemi de classe et l'histoire elle-même.
   "
Toute la tactique de ce mouvement devenu milieu tient à se faire une place au soleil de la "culture". Et Camus et Brassens collaborent avec les fantômes de Barcelone et de Cronstadt. L'anarchisme obtient ainsi une position respectable dans les souvenirs du vieux monde. Tout est récupéré, sauf Ravachol qu'on a relégué au grand-guignol. Ainsi être anarchiste, c'est aller à l'école. Les maîtres ne manquent pas, la fin de l'anarchie ne serait plus que la reconnaissance de l'autorité de ses souvenirs. Milieu veut dire aussi absence des extrêmes, absence tout court. Le milieu anarchiste n'a pas d'histoire, c'est le clos et le statique. Il se nourrit de lui-même". (Brochure Prolégomènes à un premier manifeste pour une Internationale anarchiste, Groupe libertaire de Ménilmontant, mais 1967.) [...]


A d'autres moments et dans d'autres lieux où la situation révolutionnaire voyait le retour des idées de l'anarchisme pratique, il n'y eut pas de "doctrine", mais une théorie de la révolution : à Morelos avec le mouvement libertaire de Zapata, dans le sud de l'Ukraine avec les soviets paysans et la Makhnovchtchina, ou dans la guerre révolutionnaire espagnole avec les milices et les collectivités. Le mouvement n'a pas été vaincu par ses carences théoriques ni par ses tactiques fantaisistes, mais par la force des armes. Une plus grande lucidité stratégique n'aurait pas modifié ce résultat.

   La thèse 93 déclare que les anarchistes
[...] - voir La Société du spectacle de Guy Debord (note du blogueur) -. Si Debord se référait à l'exemple de l'exil espagnol, à celui de l'anarchisme "légaliste" de 1890-1910 dénoncé par Darien et démoli par Libertad, ou au plus récent de la F.A., il avait raison ; mais pas dans tous les autres cas. L'équation "anarchisme égale idéologie" est fausse. N'oublions pas ce que " la partie non vaincue du mouvement vaincu" sur le plan théorique doit à l'anarchisme et l'importance pour la révolution des grandes vérités exprimées au bon moment, non par des idéologues médiocres, mais par de rudes orateurs, comme Durruti, Maroto, Makhno. Assimiler la critique de l'anarchisme à une critique de l'idéologie revient à privilégier le rôle des idéologues par rapport à tout autre facteur historique. Tant qu'un mouvement anarchiste socialement engagé a existé, les idéologues n'ont jamais formé un pouvoir séparé. De plus, nous pourrions difficilement qualifier d'idéologues des penseurs ou des propagandistes comme Anselmo Lorenzo, Ricardo Flores Magon, Rudolf Rocker, Alexander Berkman ou Gustav Landauer. [...]


En effet, la jeunesse, naguère largement identifiée à la subversion prolétarienne, a cessé d'exprimer la radicalité dès lors que, la course de vitesse entre le pouvoir et les révolutionnaires pour un usage émancipateur des nouvelles techniques ayant été définitivement perdue par ces derniers, elle a cru trouver réponse à son mal de vivre, du moins dans son expression de masse, dans les prothèses offertes par la technologie, affublant d'un masque juvénile la misère humaine de tous. George Orwell a écrit, avec sa lucidité coutumière : "Confrontées à un choix entre le servage et l'insécurité économique, les masses, dans tous les pays, choisiraient sans doute carrément le servage, en tout ca si on lui attribuait un autre nom" ("La révolte intellectuelle", Ecrits politiques (1928-1949), éditions Agone). Pour adapter cette réflexion à notre époque, cet "autre nom" est tout trouvé : on hésitera seulement entre "technologie", "développement" et "progrès", selon que l'on mettra l'accent sur la cause, l'effet ou le processus, ou encore sur l'idéologie. Disons que le progressisme est bien la croyance dominante dans un monde sans progrès humain, le soupir "sursocialisé" de la créature opprimée..." (Préface).

   Je précise que j'ai acheté ce livre à Publico, où je suis toujours accueilli très sympathiquement par Laurent, que je remercie encore.


   - Bakounine Michel.- La Liberté. Après ce retour sur un temps pas si ancien même si les moins de 55 ans... etc., un petit coup de grands anciens. Une compil' (j'ai l'impression qu'on dit medley quand on est progressiste, aujourd'hui...). C'est toujours bon de le lire, même si on n'est pas toujours d'accord (sont côté hégélien, par exemple, et puis 150 ans ont passé). Le petit plus de ce livre : le préfacier développe la thèse que Bakounine est marxiste (de fait, il est hégélien, bon, jusque là, on tique, mais on veut bien concéder ce point de vue...), puis qu'il est un précurseur de Lénine et de Mao, sanctifiés soient leurs noms majestueux ! Et cette thèse a pour but de réhabiliter le colosse russe migrant, trop méconnu et incompris à l'époque. En 1965. Merveilleuses années 60 !

   - Simenon Georges.- Le Chien jaune. Dialectique oblige, qui dit anarchie, dit flics. Commissaire en l'occurrence, le Maigret d’antan, d’une morale personnelle ronronnante de petit-bourgeois pantouflard. Troisième lecture de celui-ci, non qu'il m'ait particulièrement plu, les hasards des bouquins qui me tombent sous les mains, je ne me rappelle d'ailleurs jamais d'une lecture sur l'autre du dénouement. L'ambiance, comme d'habitude, est le point fort. Et puis je connais un peu Concarneau, arpenté quelques fois. En 1932, à l'époque du roman, les rues n'étaient même pas pavées, c'était de la terre, donc de la boue. Comme le temps passe !

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