- Bakounine Michel.- De la guerre à la commune.
Promis, je me mets très bientôt à Foucault, Deleuze, Guattari. Mais laissez-moi encore un peu profiter des enseignements et de la verve de mon papy, et de l'histoire de son temps.
- Casanova Jacques.- Histoire de ma vie.
Suite. Un autre grand enfermé, bien que pour des raisons bien différentes : Casanova n'avait cure de la liberté d'autrui, c'est la sienne, avec les bonnes fortunes qui allaient avec, qui l'intéressaient. Et même si l'un comme l'autre étaient francs-maçons. L'évasion du vénitien fut des plus rocambolesque, certainement comme celle du russe, qui passa de la Sibérie au Japon pour rentrer en Europe, mais je connais peu les péripéties de celle-ci. La belle du libertin est de la trempe de celle du comte de Monte Cristo, mais elle est avérée.
Extraits de la partie enfermement :
Le lendemain à la pointe du jour Messer Grande (chef de la police - note du blogueur) entra dans ma chambre.. Me réveiller, le voir, et l'entendre me demander si j'étais Jacques Casanova fut l'affaire du moment (d'un instant - note du blogueur). D'abord que je lui ai répondu que j'étais le même qu'il avait nommé, il m'ordonna de lui donner tout ce que j'avais écrit, soit de moi, soit d'autres, de m'habiller, et d'aller avec lui. Lui ayant demandé de par qui il me donnait cet ordre, il me répondit que c'était de la part du Tribunal. [...]
Le mot Tribunal me pétrifia l'âme ne me laissant que la faculté nécessaire à l'obéissance.
Mon secrétaire était ouvert ; tous mes papiers étaient sur la table où j'écrivais, je lui ai dit qu'il pouvait les prendre ; il remplit un sac qu'un des ses gens lui porta, et il me dit que je devais aussi lui consigner (remettre - NDB) des manuscrit reliés en livres que je devais avoir [...] ; c'étaient la Clavicule de Salomon ; le Zecor-ben ; un Picatrix ; une ample instruction sur les heures planétaires aptes à faire les parfums, et les conjurations nécessaires pour avoir le colloque (des entretiens - NDB) avec les démons de toutes les classes. Ceux qui savaient que je possédais ces livres me croyaient magicien, et je n'en étais pas fâché.
Messer Grande me prit aussi les livres que j'avais sur ma table de nuit : Arioste, Horace, Pétrarque, Le Philosophe militaire, manuscrit que Mathilde m'avait donné, le Portier des chartreux (roman obscène - NDB), et le petit livre des postures lubriques de l'Arétin [...].
Tandis que le Messer Grande moissonnait ainsi mes manuscrits, mes livres, et mes lettres je m'habillais machinalement ni vite, ni lentement ; j'ai fait ma toilette, je me suis rasé, C. D. me peigna, j'ai mis une chemise à dentelle, et mon joli habit, tout sans y penser, sans prononcer le moindre mot, et sans que Messer qui ne m'a jamais perdu de vue osât trouver mauvais que je m'habillasse comme si j'eusse dû aller à une noce.
En sortant de ma chambre je fus surpris de voir trente ou quarante archers dans la salle. On m'a fait l'honneur de les croire nécessaires pour s'assurer de ma personne [...].
Au son de la cloche de Terza, le chef des archers entra, et me dit qu'il avait l'ordre de me mettre sous les Plombs.
Les Plombs c'est sous le toit en plomb du grand bâtiment blanc.
Là-haut.
Je l'ai suivi. Nous montâmes dans un autre gondole, et après un grand détour par des petits canaux nous entrâmes dans le grand, et descendîmes au quai des prisons. Après avoir monté plusieurs escaliers, nous passâmes au pont éminent, et enfermé, qui fait la communication des prisons au Palais ducal par dessus le canal qu'on appelle rio di Palazzo.
A droite, on distingue l'"éminent" pont dit aussi des soupirs.
[...]
Cet homme, qui était le geôlier, empoigna une grosse clef, il ouvrit une grosse porte doublée de fer, haute de trois pieds, et demi, qui dans son milieu avait un trou rond de huit pouces de diamètre, et m'ordonna d'entrer [...] Ma taille étant de cinq pieds, et neuf pouces, je me suis bien courbé pour entrer ; et il m'enferma. [...] Ayant fait le tour de cette affreuse prison, tenant la tête inclinée, car elle n'avait que cinq pieds et demi de hauteur, j'ai trouvé presque à tâtons qu'elle formait les trois quarts d'un carré de deux toises. [...] La chaleur était extrême. Dans mon étonnement la nature m'a porté à la grille seul lieu, où je pouvais me reposer sur mes coudes : [...] je voyais la lumière qui éclairait le galetas, et des rats gros comme des lapins qui se promenaient.
Ces hideux animaux, dont j'abhorrais la vue, venaient jusque sous ma grille sans montrer aucune forme de frayeur. [...]
Au son de vingt-une heure (deux heures et demie avant le coucher du soleil - NDB) j'ai commencé à m'inquiéter de ce que je ne voyais paraître personne, [...] mais lorsque j'ai entendu sonner les vingt-quatre heures je suis devenu comme un forcené hurlant, frappant des pieds, pestant, et accompagnant de hauts cris tout le vain tapage que mon étrange situation m'excitait à faire. Après plus d'une heure de ce furieux exercice ne voyant personne, n'ayant pas le moindre indice qui m'aurait fait imaginer que quelqu'un pût avoir entendu mes fureurs, enveloppé de ténèbres j'ai fermé la grille, craignant que les rats ne sautassent dans le cachot. [...]
Un pareil impitoyable abandon ne me paraissait pas vraisemblable, quand même on aurait décidé de me faire mourir. L'examen de ce que je pouvais avoir fait pour mériter un traitement si cruel ne pouvait durer qu'un moment car je ne trouvais pas matière pour m'y arrêter. En qualité de grand libertin, de hardi parleur, d'homme qui ne pensait qu'à jouir de la vie, je ne pouvais pas me trouver coupable, mais en me voyant malgré cela traité comme tel, j'épargne au lecteur tout ce que la rage, l'indignation, le désespoir m'a fait dire, et penser contre l'horrible despotisme qui m'opprimait. La noire colère, cependant, et le chagrin qui me dévorait, et le dur plancher sur lequel j'étais ne m'empêchèrent pas de m'endormir [...] ;
je brûlais des désirs de vengeance que je ne me dissimulais pas. Il me paraissait d'être à la tête du peuple pour exterminer le gouvernement, et pour massacrer les aristocrates ; tout devait être pulvérisé : je ne me contentais pas d'ordonner à des bourreaux le carnage de mes oppresseurs, mais c'était moi-même qui devait en exécuter le massacre. Tel est l'homme ! et il ne se doute pas que ce qui tien ce langage dans lui n'est pas sa raison ; mais sa plus grande ennemie : la colère.
Vers midi le geôlier parut [...] - Ordonnez, me dit-il ce que vous voulez manger demain [...]. L'illustrissime secrétaire m'a ordonné de vous dire qu'il vous enverra des livres convenables, puisque ceux que vous désirez d'avoir sont défendus. - Remerciez-le de la grâce qu'il m'a faite de me mettre seul. - Je ferai votre commission, mais vous faites mal à vous moquer ainsi. [...] On vous a mis tout seul pour vous punir davantage, et vous voulez que je remercie de votre part ? - Je ne savais pas cela.
Cet ignorant avait raison, et je ne m'en suis que trop aperçu quelques jours après. J'ai reconnu qu'un homme enfermé tout seul, et mis dans l'impossibilité de s'occuper, seul dans un endroit presque obscur, où il ne voit, ni ne peut voir qu'une fois par jour celui qui lui porte à manger et où il ne peut pas marcher se tenant droit est le plus malheureux des mortels. Il désire l'enfer, s'il le croit (s'il y croit - NDB), pour se voir en compagnie. Je suis parvenu là-dedans à désirer celle d'un assassin, d'un fou, d'un malade puant, d'un ours. La solitude sous les Plombs désespère ; mais pour le savoir il faut en avoir fait l'expérience.
Cet ignorant avait raison, et je ne m'en suis que trop aperçu quelques jours après. J'ai reconnu qu'un homme enfermé tout seul, et mis dans l'impossibilité de s'occuper, seul dans un endroit presque obscur, où il ne voit, ni ne peut voir qu'une fois par jour celui qui lui porte à manger et où il ne peut pas marcher se tenant droit est le plus malheureux des mortels. Il désire l'enfer, s'il le croit (s'il y croit - NDB), pour se voir en compagnie. Je suis parvenu là-dedans à désirer celle d'un assassin, d'un fou, d'un malade puant, d'un ours. La solitude sous les Plombs désespère ; mais pour le savoir il faut en avoir fait l'expérience.
J'ai longtemps eu trois poches de Buzzati, hérités de la scolarité de mon frère, mais que je n'avais jamais lus, pas très envie, ça venait de l'école, donc ça devait être chiant, édifiant et gnan-gnan. Quand j'ai finalement lu le K longtemps après, il y a quelques années, je suis tombé sur le cul : immense. Et rebelote pour le Désert des Tartares. Je venais de découvrir un genre de Kafka, en un peu moins glaçant, dame ! celui-ci n'est pas tchèque, mais rital ! On y retrouve les mêmes spirales de l'absurdité du destin social, que les protagonistes sont littéralement impuissants à dévier tant soit peu, au contraire, ils contribuent tenacement à en dessiner les lignes. Et bien d'autres choses encore ! Je suis un peu déçu par l'invasion des ours, mais il faut bien convenir que je n'ai plus dix ans non plus...
- Mirbeau Octave.- L'Abbé Jules.
Pas un roman anticlérical (même si Mirbeau l'est évidemment, comme le prouve Sébastien Roch, déjà évoqué ici, racontant l'histoire d'un adolescent violé par un jésuite), décrivant une canaille de prêtre hypocrite, pervers ou fanatique, mais plutôt le portrait d'un inadapté au monde, tellement irascible qu'il en bascule dans l'hystérie voir la folie. Bien sûr, Jules a des côtés sympathiques pour nous, mais Mirbeau, malgré son anarchisme revendiqué, est aussi un romancier de la complexité, et certains aspects de l'abbé sont quand même assez débecquetants pour qu'on ne parvienne pas à s'identifier. La charge contre la bourgeoisie est en revanche, une fois de plus, lapidaire et sans appel.
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