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Bref, puisque les tribus vivaient en fonction de la nature - et non la nature en fonction d’elles comme c’est le cas de nos sociétés - je me suis demandé comment les Cro-Magnons avaient pensé leur vie ensemble.
Et la première chose dont je pris conscience était qu’une tribu ne pouvait exister qu’à condition d’être autonome. Et qu’à cette fin chacune devait déterminer son nombre en fonction des ressources accessibles - avec, cela va de soi, des résultats variables selon les lieux et les régions du monde, mais avec une obligation commune : pratiquer d’une manière ou d’une autre un contrôle des naissances, obligation à laquelle toutes, où que ce soit, ont satisfait - chaque tribu ayant sa réponse propre, réponse que les Sioux, les Bushmen, les Papous, les Cro-Magons et les autres vivaient sans pour autant l’avoir jamais théorisée. Ne changeant pas de milieu comme nos plombiers de tapis, chacun SAVAIT, selon le sien et en vertu d’une expérience qui remontait à la nuit des temps, ce qu’il devait savoir pour faire ou ne pas faire d’enfants.
Et ce qui était vrai de la démographie, l’était du territoire - l’exigence d’autonomie déterminante ici aussi de sa définition et de son étendue – laquelle était naturellement fixée par les distances que les chasseurs pouvaient couvrir aux alentours de leurs campements. Le territoire était somme toute comme aborné de l’INTERIEUR, limité par les efforts que le Cro-Magnon était capable, et désireux, de consentir durant ses chasses. Si bien que la seule idée de s’agrandir aurait été stupide en soi ; et qu’à ce niveau tout le monde pouvait dormir tranquille, aucune tribu n’ayant jamais à se sentir menacée par ses voisines dans son existence même.
Ce qui ne signifie d’ailleurs nullement qu’il n’y aurait pas eu des heurts. Toutes les tribus d’une même région, en agissant de la même manière et en fonction des mêmes besoins, n’auraient pu éviter de se rencontrer et de s’opposer à propos de l’un ou l’autre buffle. Surtout que, le gibier n’arrêtant pas de se déplacer et la nature entière d’évoluer au rythme des saisons, toutes les données territoriales fluctuaient sans arrêt. Aucune répartition définitive des terres n’aurait été pensable. Si bien que des problèmes d’appropriation se reposaient en permanence, que la bagarre était le seul moyen de les résoudre, que la guerre faisait intrinsèquement partie de la vie dite sauvage, et que tous, en plus d’être chasseurs, devaient être guerriers.
Guerriers, et donc sauvages, je l’entends le dire d’ici du fait que les seules images que nous ayons de la guerre nous viennent tout droit de 14-18, Verdun, Hiroshima, du sang partout, des éventrés, des millions de morts, brancards, Croix-Rouge, culs-de-jatte, lance-flammes : le mot « guerre » à peine prononcé fait penser à « barbarie ».
Or un guerrier sauvage était d’autant moins barbare que, pratiquant généralement l’exogamie, chaque tribu avait autant besoin de ses voisines que ses voisines avaient besoin d’elles. […]
Robert Dehoux.- Le Zizi sous clôture inaugure la culture.
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