vendredi 18 novembre 2016

C'est trop injuste


      - C’est comme ça, mon vieux. Nous sommes des flics et personne ne peut nous blairer. Comme on n’a pas assez d’embêtements, il faut encore qu’on vous ait, vous. Comme si on était pas déjà assez ballotés entre le coroner et ses services, le Conseil municipal et sa maffia ; le Commissaire de jour et le Commissaire de nuit, la Chambre de commerce et monsieur le Maire dans son bureau à lambris dorés, quatre fois plus grand à lui tout seul que les trois pièces dégueulasses dont dispose tout le personnel de la brigade criminelle.


Comme si on n’avait pas eu cent quatorze assassinats à débrouiller l’année dernière, dans trois pièces qui n’ont pas seulement assez de chaises pour que la brigade de service puisse s’y asseoir. On passe sa vie à retourner des dessous crasseux, à renifler des vieux chicots. On grimpe des escaliers sombres pour aller cueillir des sacs à vins qui brandissent des revolvers et on n’arrive pas jusqu’en haut. Pendant ce temps-là, notre femme nous attend pour se mettre à table ; elle nous attend ce soir-là, et tous les soirs suivants… C’est fini, nous ne rentrerons plus jamais à la maison.

"[…] l’autorité suprême, c’est le citoyen lui-même. 

Mais les soirs où on rentre, on est tellement claqués qu’on ne peut ni manger, ni dormir, ni même lire les conneries que les journaux racontent sur nous. Alors on reste étendus dans le noir, au fond d’une maison sordide, dans un quartier sordide, à écouter les pochards qui se marrent au bistrot du coin. Et juste au moment où on va enfin sombrer dans le sommeil, c’est le téléphone qui sonne et il faut se lever pour remettre ça.

Dans notre pays on n’est pas encore arrivé à comprendre cela. On considère l’autorité comme une ennemie.

Jamais rien de ce qu’on fait n’est bien, jamais. Pas une seule petite fois. Si on obtient des aveux, c’est qu’on les a extorqués de force et, en plein tribunal, un margoulin d’avocat vient nous traiter de Gestapo et se foutre de notre gueule parce qu’on est quelquefois brouillés avec la grammaire. A la première erreur, on nous recolle à la circulation. Alors on passe les bons petits soirs d’été à ramasser les poivrots dans le ruisseau, à se faire engueuler par les putains et à délester de leurs couteaux les métèques en chemises à carreaux. Mais tout ça ne suffit pas à notre bonheur. Il faut encore que vous soyez là.

Nous sommes une nation qui hait les flics." (Procureur Endicott)

      Il s’arrêta pour reprendre haleine. Son visage luisait un peu. Il pencha le buste en avant.
      – Il faut qu’on vous ait sur le dos, reprit-il. Il faut qu’on ait des salopards à licence privée qui ne disent pas ce qu’ils savent, qui s’en vont fouiner partout et remuer la poussière pour qu’à nous il ne reste plus qu’à l’avaler, qui escamotent les pièces à conviction et fabriquent des mises en scène insuffisantes pour tromper un môme de deux ans. Et si je vous disais que vous êtes le plus beau salaud des gars qui s’occupent de ce qui ne les regarde pas, hein, mon vieux ?
      - Vous cherchez à me froisser ? lui demandai-je.

Sofiane, 16 ans,"n’est pas encore arrivé à comprendre cela." Le con !

Propos glanés dans Fais pas ta rosière ! de Raymond Chandler.

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