Il arriva soudain une chose folle : un bruit d’eau suivi de
l'apparition d'un filet puis d'un ruissellement au bas de la porte du meuble.
La malheureuse Marcelle pissait dans son armoire en jouissant. L’éclat de rire
ivre qui suivit dégénéra en une débauche de chutes de corps, de jambes et de
culs en l’air, de jupes mouillées et de foutre. Les rires se produisaient comme
des hoquets involontaires, retardant à peine la ruée vers les culs et les
queues. Pourtant on entendit bientôt la triste Marcelle sangloter seule et de
plus en plus fort dans cette pissotière de fortune qui lui servait maintenant
de prison.
Georges Bataille.- Histoire de l'oeil.
André Masson
Magdeleine, DRH d’un grand groupe du CAC 40, a frôlé le burnout en découvrant sur sa tablette les images de l’ignominie insondable de mauvais
pauvres molestant un de ses collègues. Prise d’un éveil spirituel fulgurant, elle prend la décision de se faire carmélite, et ce juste un mois
avant que sa boîte fasse un tabac au salon Milipol, pour ses fameux fouets
vendus aux pétromonarchies du Golfe et à l’Iran, entre autres.
Ce matin là, 25 décembre, dans sa cellule du Carmel de V…, Magdeleine a trouvé au coeur ses lourds
brodequins montants un paquet de minces ficelles brunes. Il y en avait sept
attachées ensemble à une extrémité, tandis que chaque brin, long d’environ
cinquante centimètre, était agrémenté de trois doubles nœuds : le tout
formant un martinet d’excellent aloi.
- Ma chère fille, vous allez être initiée ce soir même aux joies de la pénitence corporelle. Voici une discipline dont il vous faudra user pendant la durée d’un Ave Maria.
[…]
Ici, un détail qui pour réaliste qu’il soit, n’en vaut pas
moins d’être consigné. On voudra bien se souvenir que depuis plus d’un mois, je
ne m’étais pas déshabillée. Depuis plus d’un mois, je n’avais pas changé de
linge. Je n’en devais d’ailleurs pas changer de sitôt. La fameuse
« tunique de purification » qui me tenait lieu de chemise, la même,
celle qui m’avait été donnée le jour de mon entrée au couvent, devait, vous
m’entendez bien, me rester sur le corps sans être lavée durant les dix mois de
noviciat. Alors, en la posant, ce soir-là, pour la première fois depuis
trente-trois jours, ma peau fut prise d’une espèce de prurit, en d’autres
termes il me vint une soudaine, une irrésistible, une furieuse envie de me gratter.
Oh ! que cela me démangeait ! J’aurais voulu
pouvoir me libérer de ce fourmillement sous-cutané, me masser, me frotter avec
un gant de crin ou quelque chose de rude, me rouler sur un lit d’orties
fraîches.
Mais je n’avais rien de semblable à disposition, et même si
je m’étais grattée avec mes seules mains, avec mes ongles, Sœur Elisabeth
aurait entendu, et elles se serait opposée, au nom de la pudeur, au nom de la
décence, à ce que je prolonge cette occupation délectable.
- Dans un instant, expliqua-t-elle, j’irai ouvrir les portes
des autres cellules, puis je réciterai dans le couloir cinq Ave Maria. Vous
vous fustigerez pendant le premier Ave Maria seulement. Vous frapperez un
coup à chaque syllabe : A-ve-Ma-ri-a. Un Ave Maria fait soixante-sept
coups. Soixante–sept, rappelez-vous : vous ne devez pas dépasser ce
chiffre. Vous pouvez prendre la discipline indifféremment de la main droite ou
de la main gauche et frapper sur tout le buste, par devant ou par derrière, à
volonté. Toutefois, pour que ce salutaire exercice rende toute son efficacité,
il vaut mieux ne pas appliquer plus de deux coups de suite au même endroit.
Autrement la peau s’engourdit et l’on ne sent plus rien. Vous être prête,
Magdeleine ? Alors je vais ouvrir les portes de vos compagnes. En ce qui
vous concerne, je vous répète : un seul Ave Maria, soixante-sept coups,
pas un de plus, sous peine d’offenser gravement Notre Seigneur Jésus-Christ.
Elle sortit en laissant la porte ouverte toute grande. Puis
j’entendis qu’elle ouvrait plusieurs autres portes dans le couloir. M’étant
retournée l’espace d’une seconde, je l’aperçus qui revenait se poster à
l’entrée de ma cellule.
Une faible toux qui ressemblait à un gémissement s’éleva
tout près de moi dans la cellule voisine de la mienne.
Sœur Elisabeth de la Compassion laissa s’écouler environ une
minute, puis commença à articuler lentement, à très haute voix, en détachant
chaque syllabe avec la régularité d’un métronome :
- A ve Ma ri a gra tia ple na...
Dès le premier A, un bruit caractéristique m’avait fait
sursauter. Quiconque n’a pas entendu ce bruit-là ne saurait s’en faire une
idée. C’était, en plus sec, comme une salve d’applaudissements aussitôt
interrompue, comme, au cours d’une bourrasque, le claquement d’un paquet de pluie
contre une vitre.
Mes compagnes du noviciat se flagellaient…
Quant à moi, j’avais raté ce premier coup. Désireuse de
rattraper le temps perdu, à la seconde syllabe, je m’envoyai résolument le
martinet sur l’épaule gauche. Surprise ! Cela me causa tout juste un léger
chatouillement. Je frappai plus fort, dans le dos et sur les côtes, en ayant
soin de changer de place à chaque coup, ainsi que la maîtresse des novices me
l’avait recommandé. Cela faisait mal, bien sûr, mais point tellement… Mais non,
point tellement mal. J’irai même jusqu’à
prétendre que l’insupportable démangeaison qui me parcourait l’épiderme
trouvant là une manière de diversion, j’en arrivais à oublier la douleur
elle-même pour uniquement goûter le soulagement physique qu’elle me procurait.
[…]
[…]
André Masson
Je n’invente rien, je n’embellis rien. Je ne cherche
aucunement l’effet. Chacune de mes phrases, au contraire, volontairement
dépouillée de toute fioriture, de tout artifice littéraire, cherche à se
maintenir dans les limites de la froide description. Ce n’est pas ma faute si,
traitant des pénitences corporelles au Carmel, j’ai parfois l’air de piller
Sacher Masoch, ou de démarquer certains ouvrages spécialement écrits à
l’usage des vieux messieurs férus d’éducation anglaise, et dans lesquels il est
question de cravaches, de domination et de bottes à hauts talons.
[…] au Carmel, en ce qui touche la discipline, chaque
religieuse s’administrant elle-même le fouet dans sa cellule, dont la porte est
seulement laissée ouverte sur le couloir, on entend beaucoup plus qu’on ne voit... […]
Ainsi qu’il m’avait été prescrit, dès le second Ave Maria,
je cessai de frapper et je demeurai comme hébétée, les bras ballants et la tête
vide, incapable de m’analyser ni de prêter un sens à l’acte que je venais de
commettre.
Une indéfinissable langueur me pénétrait, qui annihilait en
moi toute velléité de raisonnement. L’idée ne me venait pas de remettre mes
habits. Le torse nu, je restais là sans bouger, littéralement médusée, à
écouter l’infernale musique que continuaient à faire les martinets sur les
chairs des autres novices.
Machinalement mon regard s’attachait à la courbe d’un de mes
seins, dont l’ombre se profilait démesurément agrandie sur le mur blanc.
Et flic… Et flac ! Les coups pleuvaient toujours, et
ils semblaient redoubler de violence au fur et à mesure que s’égrenaient les
syllabes latines.
Pourtant, à chaque Ave, le nombre de flagellantes diminuait.
Je veux dire que certaines novices n’ayant comme pénitence que deux Ave Maria, d’autres en ayant trois, d’autres en ayant quatre, chacune cessait d’elle-même
au moment voulu.
Au cinquième et dernier Ave, il n’y eut qu’un seul martinet
en action, mais il était manié avec une terrible vigueur. Cette novice-là
devait avoir à expier des fautes particulièrement graves. Elle se frappait avec
une véritable furie, précipitant la cadence et contraignant Sœur Elisabeth à
réciter plus vite.
De troublantes onomatopées me parvenaient confusément entre
chaque coup, entremêlées de soupirs, de sanglots étouffés, de plaintes
enfantines. Et puis, à la fin, ces mots exhalés d’une voix mourante :
[…] l’on avait accordé à cette pécheresse la pénitence
insigne : la flagellation durant cinq Ave Maria (soit trois cent
trente-cinq coups) avec des verges de fer…
Car je n’étais moi, avec mon pitoyable martinet de mauvaise
ficelle, bon tout au plus à chasser les mouches ou à épousseter les meubles,
qu’à l’orée d’un des cycles dantesques qui composent, dans les Carmels,
l’effroyable enfer des pénitences corporelles.
Il y a un apprentissage en tout, et là comme partout au
couvent, le dosage est de règle. A une débutante inexpérimentée, le simple
fouet de ficelle nouée doit suffire. Mais à la longue, l’accoutumance vient, la
chair se blase, et il faut, pour provoquer la douleur, des instruments de
flagellation plus perfectionnés et plus barbares : verges de bouleau, fouets de cuir armés de boules d'acier, verges de fer garnies
de griffes recourbées qui arrachent à chaque coup une parcelle d’épiderme.
Ces charmants accessoires mirent à peu près six mois à
défiler dans ma cellule, après quoi on en revint savamment au martinet du
début, car la torture à laquelle on s’habitue perd de son efficacité, et il est
nécessaire de donner au corps quelque répit de temps à autre pour qu’il
recouvre toutes ses facultés de souffrir.
On ne saurait d’ailleurs laisser croire que ces châtiments
atroces sont imposés aux Carmélites,
qu’on fait violence à ces
malheureuses femmes, qu’on les force
à se fouetter au sang, à se lacérer sauvagement la peau chaque soir, avant de
se mettre au lit. Non pas ! ces châtiments là, ce sont les Carmélites
elles-mêmes qui les réclament, qui les quémandent, qui les mendient auprès de
leurs supérieures, en s’accusant le plus souvent de péchés imaginaires.
La moindre entorse à la règle, la plus ridicule
peccadille : un éternuement au chœur, un faux-pas dans l’escalier, une
miette de pain tombée de la table pendant la collation, toue leur est bon, tout
leur sert de prétexte pour revendiquer leur droit à la souffrance physique.
Au Carmel on est accoutumé à ces saintes exagérations. On ne
s’étonne de rien. On prend tout au sérieux. Seulement, les supérieures
permettent ou ne permettent pas. Elles jugent de l’opportunité d’une
fustigation plus prolongée ou plus sévère d’après l’état de sainteté du sujet,
de tells sorte que les plus rudes pénitences corporelles en viennent à être
considérées non pas comme des punitions, mais comme des privilèges, comme des
récompenses, ou si vous voulez comme des primes à la vertu et à la perfection
que toutes les religieuses ne peuvent mériter également.
Vous alléguerez peut-être que dans ces conditions, il n’y a
qu’à fauter gravement pour se voir octroyer ces… récompenses de la manière la
plus libérale. Erreur ! Si l’on admet la faute vénielle, la peccadille
sans importance en guise de prétexte, si l’on feint de consentir à ce qu’elle
soit la raison déterminante d’un surcroît de macération, il n’en est pas de
même pour la faute grave et surtout pour la faute commise de propos délibéré.
Bien au contraire, s’il est établi que la délinquante a péché intentionnellement,
dans le seul but d’obtenir un Ave Maria supplémentaire, on réduit sa ration
normale de discipline, et parfois même on la supprime tout à fait. Ainsi, par
un paradoxal renversement des choses, c’est cette réduction ou cette
suppression qui constitue le châtiment.
Car l’écueil a été prévu. On ne veut pas que les Carmélites
deviennent masochistes par goût ou par plaisir. Nombre d’entre elles parce qu’elles ont des nerfs ou
un tempérament ne sont que trop portées à confondre l’âpre et noble jouissance
du martyr enduré pour Dieu, avec certaine jouissance morbide et d’ordre
purement sexuel provoquée par la flagellation.
Notez que la plupart du temps elles sont de bonne foi. Dans
leur naïveté, dans leur totale ignorance de la vie, et de ses laideurs, elles
s’imaginent au moment psychologique que c’est Dieu qui leur verse ces délices,
et elles s’abandonnent sans scrupules ni retenue aux transports dont il a bien
voulu les combler.
Nul élitisme dans la publication de ce poème de Victor Hugo, il se trouve simplement que nous n'avons pas trouvé La Religieuse, de Georges Brassens...
On réagit contre cela. On lutte autant que l’on peut contre
cela, mais pas toujours avec succès. Je n’en donnerai pour preuve que la scène
dont je fus témoin quelques jours après ma prise d’habit.
Sœur Angèle de l’Incarnation, une belle fille de vingt-deux
ans, pleine de vie et de santé, avait été mise au régime des verges de fer, qui
lui avait été constamment refusé jusqu’alors. On se méfiait de sa nature et
l’on avait raison.
La séance qu’elle nous valut ce soir là mérite d’être
relatée.
Dès le commencement du second Ave nous l’entendîmes haleter
et balbutier des mots sans suite. Puis ce furent des râles, et enfin de longs
cris spasmodiques, entrecoupés d’exclamations délirantes :
- Oui, mon Sauveur ! Merci, mon Sauveur !
Ah ! merci !... merci !...
La Mère Supérieure s’était précipitée pour fermer la porte
de Sœur Angèle, mais il était trop tard : le mal avait été contagieux.
D’une autre cellule maintenant parvenaient ces mots dits sourdement, d’une voix
étrangement rauque :
- Tiens, mon Dieu… tiens, mon Dieu… tiens, mon Dieu…
Celle-là offrait, à n’en pas douter, quelque chose à Dieu.
Qu’offrait-elle ? Ses souffrances ? Ou bien… elle-même au sens
biblique du terme ?
Finalement toutes les portes furent refermées au quatrième
Ave Maria, la Supérieure ne se souciant pas d’en entendre davantage.
Et le lendemain des sanctions étaient prises contre les deux
fautives. A la trop ardente Sœur Agnès on redonnait son martinet de cuir qui ne
lui causait aucune sensation. Quant à l’autre religieuse on réduisait la durée
de sa pénitence de quatre Ave à deux.
A cette époque là j’étais une jeune fille. Je ne savais pas.
Cette scène inouïe avait déterminé en moi plus d’épouvante que de trouble. Mais
plus tard je devais réfléchir à ces choses et comprendre… comprendre que ce
soir là, au Carmel de V… j’avais assisté à de véritables crises de fureur
érotique.
Hans Bellmer
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