Episode précédent : Traumatisée par la violence inouïe des rapports sociaux portée par des prolétaires fainéant ayant presque lynché ses collègues, Magdeleine, DRH d’un grand groupe, est subjuguée par un éveil spirituel la menant droit en cellule. Aujourd’hui, elle découvre la vraie nature de la démocratie représentative, en son symbole maculé : l’isoloir.
J’ai expliqué qu’une seconde porte de bois noir se trouvait à la tête de mon lit.
Je croyais en avoir terminé avec la visite de ma cellule, et j’étais revenue déposer ma lampe-de-chœur sur la table, quand je me souvins tout à coup de cette porte.
Elle était plus petite et plus basse que celle de l’entrée et fermait à l’aide d’un verrou rouillé.
Qu’y avait-il derrière ? Donnait-elle sur un couloir ? Permettait-elle de communiquer avec une autre cellule ? Je résolus d’en avoir le cœur net et poussai le verrou délibérément.
[…]
L'installation artistique nommée ”Oeuvre ensemble pour le
climat"© est une invitation à un temps de réflexion et d'engagement dans
des isoloirs de vote aux couleurs de l'arc en ciel. C'est aussi un temps
d'immersion dans la couleur d'un isoloir de son choix, et un temps de création
pour tous, de 9 à 99 ans.
J’avais à peine entre-bâillé la porte en question, qu’une odeur alcaline de fétidité ancienne parvenait à mes narines et me suffoquait littéralement. Je dus m’appuyer au chambranle pour ne pas choir de toute ma hauteur.
- Oh ! c’est épouvantable, fis-je avec consternation. Jamais je ne pourrai…
C’était épouvantable en effet. Quelque effort d’imagination que vous fassiez, vous n’arriverez point à imaginer cette odeur ni la répugnante indigence du dispositif d’où elle provenait.
Représentez-vous dans un placard étroit une espèce de récipient cylindrique en fer galvanisé nanti de deux anses. Un seau de toilette ? Si vous voulez, mais un seau de toilette sans rebords et sans couvercle. Vous m’entendez bien sans couvercle. La « tinette » des prisonniers a, m’a-t-on assuré, un couvercle. Ce raffinement est ignoré au Carmel, où par amour de Dieu, par esprit de sacrifice, on méconnaît volontairement les lois de l’hygiène la plus élémentaire.
Par terre, à même le carrelage, un paquet de gros papier gris : du papier d’emballage ni plus ni moins. Et pas d’eau naturellement. Rien pour atténuer l’horrible simplicité de cette installation. Je n’insisterai pas. Mais il faut tout de même que l’on sache encore ceci : le récipient est vidé seulement tous les trois jours – rendez-vous compte l’été – par une religieuse, professe ou novice, pour qui cette corvée constitue une pénitence. Rassurez-vous : il n’y a pas d’injustice : toutes les religieuses, même la Révérende Mère Supérieure, même la maîtresse des novices, même les plus anciennes qui sont membres du Chapitre, passent en moins de deux mois, à tour de rôle, par cette pénitence-là.
Avertie par un coup de cloche, l’habitante de la cellule tire l’objet hors du placard, le pousse ou le traîne jusque dans le couloir, puis elle referme sa porte. Peu après la sœur de corvée passe, enlève la chose sur un petit chariot, et l’emporte vers les communs. Il y a dans un coin du jardin une fosse…
Un quart d’heure plus tard, autre coup de cloche. Le récipient est rendu vide, mais non désinfecté : crésyl ni acide phénique, rien. On l’a rincé tout au plus avec un peu d’eau claire(*).
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J’avais remis précipitamment le verrou, et je m’étais sauvée à l’autre extrémité de la pièce, loin, le plus loin possible de ce placard qui devait rester ma principale hantise pendant la durée de mon séjour au Carmel.
L’effroyable odeur cependant me poursuivait. […]
Je devais vivre dix-huit mois dans cette atmosphère pestilentielle et subir du matin au soir ce supplice de l’odorat, un des plus raffinés qui soient, car si la rigueur de certaines souffrances s’émousse à la longue par l’effet de l’accoutumance, cette souffrance-là par contre ne diminue jamais d’intensité : elle est toujours aussi vive, aussi cruelle, elle se renouvelle sans cesse, maintenant le sens olfactif dans un état de perpétuelle rébellion qui finit par affecter durement le reste de l’organisme.
On a beau essayer de n’y plus penser, il semble que cette odeur dont les narines sont emplies, dont les vêtements sont imprégnés, dans laquelle l’on vit et l’on se meut, il semble que cette odeur qui vous accompagne partout se dégage de vous-même. Elle vous inflige à tout moment – et cela sans doute est-il calculé et voulu – comme un avant-goût de la putréfaction du tombeau.
Peyronnec Magdeleine / Marcy Jean-Benoit.- J'ai été Carmélite.
(*) NOTE D’UN DES AUTEURS. - Pour les lecteurs qui se refuseraient à ajouter foi à ce qui précède, pour ceux qui seraient tentés de croire que certains souvenirs de Mme Peyronnec ont été « enjolivés » ou arrangés dans on ne sait quel but de propagande antireligieuse, je préciserai que ce genre de mortifications est, avec quelques variantes, en honneur non seulement au Carmel mais dans d’autres ordres cloîtrés de femmes. Un fait encore récent le prouve, qui relève de la simple information et fut relaté en son temps par tous les journaux : l’accident survenu […] au couvent des Trappistines de Laval, et qui coûta la vie à trois malheureuses femmes. Cet après-midi-là, plusieurs religieuses avaient été désignées pour une pénitence insigne qui consistait à vider les cabinets à l’aide de vieilles casseroles. La fosse fut ouverte et une des sœurs y ayant placé une échelle, commençait à descendre lorsqu’elle tomba suffoquée par l’odeur. Une autre religieuse se précipita voulant la tirer de son épouvantable position, mais les émanations la foudroyèrent et elle tomba à son tour. Une troisième et une quatrième subirent le même sort. Prévenus par les tourières, les sapeurs-pompiers, des sauveteurs bénévoles, des médecins accoururent. On put dégager saine et sauve la dernière religieuse. On s’efforça de ranimer avec des ballons d’oxygène apportés en hâte, la troisième, qui avait été recueillie accrochée aux barreaux de l’échelle, mais tous les soins restèrent inutiles. Et ce ne fut qu’au prix d’efforts inouïs, après plusieurs heures de travail, qu’il fut possible de retirer les cadavres des deux premières. […]
Merci Wrob (non ce n'est pas de l'anti-"polonisme" primaire qui me fait ainsi abréger votre blaze, c'était juste de la paresse à taper comme un sourd, mais comme je me sens obligé de me justifier, c'est totalement improductif. On ne dira jamais assez de bien de l'improductivité, en système capitaliste bien sûr, en système socialiste c'est évidemment différent, vous pensez bien !!! Par ailleurs j'ai beaucoup aimé, hélas sans pouvoir conclure, une belle polonaise, ça devrait me dédouaner de l'anti-"polonaisisme" dont il était question).
RépondreSupprimerBon avec toutes ces digressions, à la con, je ne sais plus où
j'en suis ? Ah oui, je voulais juste dire à quel point c'est un bonheur de vous lire.
Malgré tout je regretterai seulement que dans la narration, fort plaisante par ailleurs, de cette DRH entrée au Carmel, ne figurent pas un peu plus de détails croustillants qui firent par exemple la renommée de l'ouvrage de Diderot ou de ceux du divin marquis. Mais je comprends bien que les temps soient devenus plus difficiles.
Mes respects général.
Blaireau 58
A noter que si je vis dans la Nièvre, je suis né et ai vécu toute ma jeunesse (25 ans environ) en Eure & Loir pas si loin de Ouarville où vous êtes décédé général communard.
RépondreSupprimerBon,on va arrêter le petit jeu des imbéciles heureux qui sont nés (ou qui vivent) quelque part...
Bien à vous général (en tant qu'objecteur de conscience, je crains d'avoir une certaine nostalgie de la discipline militaire !!! Nul n'est parfait !)
Blaireau 58
Grand merci mon cher Mustelidae, Melidae si j'en crois vos origines euréliennes ! Les gens de Ouarville doivent être à l'honneur dans cette période de guerre (Warville, je sais, elle est nulle). J'ignorais, ou je ne me rappelais plus que je fus mort en Eure-et-Loire. On dirait pas qu'ça m'gêne (ce serait le cas plutôt en Loir-et-Cher), au contraire, on dirait que je suis content d'avoir appris quelque chose sur mon autobiographie !
RépondreSupprimerLa Nièvre, j'en ai la nostalgie, en tant que fils, petit fils, arrière petit fils et plus de Morvandiau, je parlais encore hier du festival de musique traditionnelle d'Anost à une jeune femme ayant reconnu mon tee-shirt au sanglier jouant de la vielle ! Mais malheureusement ma compagne, que j'emmenai pour notre premier été ensemble dans ce merveilleux pays (j'avais même cet été là dans le mange-disque Heart on d'Eagles of Death Metal, rien à voir avec le propos, juste la vérité), préfère désormais consacrer les portions nomades de ses 5 semaines dans des lieux dégoulinants de conformisme : la mer, la montagne, le soleil... Qu'est-ce que c'est surfait !
Moi aussi, frustré par une injuste exemption du service sous le drapeau, je souffre d'une addiction à la discipline militaire, à telle enseigne que je ne manque jamais de saluer notre étendard bleu-blanc-rouge, avant de déféquer dessus.
Bref foin des digressions, c'est vrai que mes morceaux choisis de la vie de Magdeleine au Carmel manquent de sexe. Je vais tâcher de réparer ça, car il est un aspect de la sainte règle monastique qui ouvre la voie à de telles considérations : la discipline, non pas militaire cette fois... Je traduis : l'auto-flagellation. Je voulais arrêter un peu avec Magdeleine, mais pour vous plaire je mettrai en ligne l'extrait qui relate de telles pratiques émouvantes.
A venir donc dans quelques temps...