lundi 23 novembre 2015

De la chemise IV

   Boris Vian est l'auteur d'au moins 400 chansons. De nombreuses n'ont pas été chantées, d'autres l'ont été par maints interprètes, plus ou moins bons. Ici c'est l'ami Mouloudji qui s'y colle. Que ce soit l'auteur ou l'interprète, j'ai mis du temps à les apprécier, c'est récent. Pour Vian peut-être que quand j'étais concierge dans les 90's j'ai trop entendu sur mon poste à transistor la Java des bombes atomiques, générique d'une émission pacifiste (qui existe toujours et dont la chanson introductive est restée la même ; heureusement, j'ai changé de job et ne suis plus à l'écoute depuis lurette à c't' heure). Cette chanson je ne l'ai jamais comprise. "Mon oncle" ("infâme bricoleur", etc.), c'est un gentil ou un méchant ? Méchant, il fabrique des bombes atomiques ; bon, il fait sauter ministres et officiels ; méchant, il finit premier ministre (excusez-moi pour le schématisme de mon analyse critique, mais j'ai fait mes études dans ma loge...). Et puis je ne sais pas, la musique et l'interprétation me sciaient les oneilles. Jusqu'au jour où j'ai entendu dans l'émission Dans l'herbe tendre, la Messe en Jean Mineur. Là je me suis dit que l'auteur d'une telle chanson ne pouvait être vraiment mauvais. En plus je viens de découvrir dans le vieux Série noire me venant de mon père que je viens de commencer (La Dame du lac de Chandler), qu'il est traduit par les Vian ! quel multi-talent !
   Quant à Mouloud, mon parcours avec lui fut similaire à celui que je menai avec Boris, je n'avais entendu que des chansons un peu larmoyantes (comme celle ci-dessous, certes) et n'ai découvert le joyeux luron qu'ultérieurement.
   Pour plus de choses sur Vian et Mouloud, on peut cliquer.


Ils ont sonné à ma porte
Je suis sorti de mon lit
Ils sont entrés dans ma chambre
Ils m'ont dit de m'habiller

Le soleil par la fenêtre
Ruisselait sur le plancher
Ils m'ont dit mets tes chaussures
On chantait sur le palier

J'ai descendu l'escalier
Entre leurs deux uniformes
Adossé à une borne
Un clochard se réveillait

Ils me donneront la fièvre
La lumière dans les yeux
Ils me casseront les jambes
A coups de souliers ferrés

Mais je ne dirai rien
Car je n'ai rien à dire
Je crois à ce que j'aime
Et vous le savez bien

Ils m'ont emmené là-bas
Dans la grande salle rouge
Ils m'ont parqué dans un coin
Comme un meuble... comme un chien

Ils m'ont demandé mon âge
J'ai répondu vingt-sept ans
Ils ont écrit des mensonges
Sur des registres pesants

Ils voulaient que je répète
Tout ce que j'avais chanté
Il y avait une mouche
Sur la manche du greffier

Qui vous a donné le droit
De juger votre prochain
Votre robe de drap noir
Ou vos figures de deuil

Je ne vous dirai rien
Car je n'ai rien à dire
Je crois à ce que j'aime
Et vous le savez bien

Ils m'ont remis dans la cage
Ils reviennent tous les jours
Ils veulent que je leur parle
Je me moque des discours

Je me moque des menaces
Je me moque de vos coups
Le soleil vient à sept heures
M'éveiller dans mon cachot

Un jour avant le soleil
Quelqu'un viendra me chercher
On coupera ma chemise
On me liera les poignets

Si vous voulez que je vive
Mettez-moi en liberté
Si vous voulez que je meure
A quoi bon me torturer

Car je ne dirai rien
Je n'ai rien à vous dire
Je crois à ce que j'aime
Et vous le savez bien.

   Ensuite, dans le cadre du jumelage de toutes les antennes régionales de Radio Guépéou (special joke), celle-ci, extraite d'un album que personnellement j'emporterais sur l'île déserte. Parfois des personnes se trompent connement, ou sont de véritables ordures dont l'inspiration artistique les dépassant produit de purs chefs d'oeuvres, ce qui est le cas de l'apologiste sénile d'un des plus grands tueurs en série du XXème siècle doublé d'un profanateur des saints noms de révolution, communisme, prolétariat, auteur du magnifique poème ci-dessous référencé...
Quant à Ferré, il est inégal, et peut parfois me scier les oreilles aussi quand il se met à gueuler (surtout en public, et avancé en âge) pour compenser des textes et des musiques abscons et sans saveur, mais il a créé des merveilles, entre autres et peut-être particulièrement quand il chante les poètes.


Ecouter aussi cette version

Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu
Quand j'ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille

Qu'un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l'ancien légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage sans yeux

On part Dieu sait pour où Ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n'être plus du jeu
Les bonshommes là-bas attendent la relève

Roule au loin roule train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que la danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur

Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées

Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit
Déjà vous n'êtes plus qu'un mot d'or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s'efface
Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri.

9 commentaires:

  1. C'est marrant, ça, perso j'ai toujours entendu " Mon oncle, un fameux bricoleur..."
    sans jugement de valeur qui gâcherait un peu la chute.
    "Un fumeux bricoleur" marcherait aussi.
    Le GPU occasionnel.

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  2. Oh ! oui, c'est rigolo ça. Et c'est toi qui as raison, je viens de faire un sondage sur trois résultats de la Goule vorace. C'est freudien tout ça et pis c'est tout, l'oncle, un bricolage infâme... Mais c'est quand même moins surréaliste que "une orange, un marteau".

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  3. Vian, c'est plutôt 480 chansons, dont la plupart sont des merveilles, pas toutes encore interprétées (mais un bon paquet quand même). Rappelons qu'il a pondu cette somme alors qu'il est mort à 39 ans, à côté d'une douzaine de romans, de plein de nouvelles, de plusieurs pièces de théâtre, d'un opéra, de chroniques de jazz et de zizique, d'essais plus ou moins philosophiques, d'un Manuel de Saint-Germain-des-Prés… Pas étonnant que Gainsbourg l'ait choisi pour père spituel !
    Un recueil intégral des chansons est paru chez Bourgois voici quelques années, qui vaut le jus.

    Moi aussi j'ai toujours entendu "un fameux bricoleur" mais ne doutons pas que le malicieux Bison Ravi ait songé à l'ambiguïté phonique… Le terme "Tonton" a pris depuis un sens bien différent, sous le pinceau de Plantu…

    Quant au poème du patriotard-Agon (voir le texte de Malaquais), son dernier mot peut également s'entendre en deux sens, si l'on songe à Gabriel Péri.

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  4. Tu oublies qu'il jouait de la trompette George ! C'est important, mon fiston vient de commencer cet instrument, ça lui fait un père musical de plus à invoquer pour qu'il fasse bien ses exercices. Et puis, apparemment, de la traduction, puisque le Série noire que je lis est traduit par deux Vian dont un Boris. Oui, mort à 39 ans, c'est une personne exceptionnelle. Mais ne connaissant que quelques chansons sur les 480, je ne pouvais pas bien juger... C'est peut-être sa voix qui me déplaisait ("Je bois", "J'suis snob"...), je préfère interprété par d'autres. Et puis quand on fait trop de choses parfois c'est un peu bâclé... Mais il a finalement gagné mon coeur et mes oreilles.
    Merci pour le texte que je vais m'empresser de lire.

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  5. La trombinette, oui, il en reste quelques rares enregistrements, mais il a dû arrêter sur les instances du toubib, à cause de ses problèmes cardiaques. Imagine comme cela a dû lui fendre le cœur, justement !

    Les traductions avec sa femme de l'époque, Michèle, c'était pour mettre du beurre dans les épinards, même s'il était encore ingénieur à l'AFNOR, mais c'était pas du pipi de chat : non seulement il a traduit des très grands de la Série Noire, mais aussi l'un des chefs d'œuvre de la SF : Les aventures de à (réédité ensuite sous le titre Le monde du Ã), de Van Vogt, pour la collection Gallimard-Hachette "Le Rayon Fantastique".

    Sans parler de ses activités de Satrape au sein du Collège de 'Pataphysique…
    Bigre, quel bougre !

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  6. Je vois que tu connais bien le bougre, bigre ! Et que tu l'apprécies ! Tout cela me réjouit, encore une oeuvre dont je ne connais que la partie émergée, j'ai encore tout un monde à découvrir. En aurai-je le temps, moi qui ai déjà bien dépassé les 39 ans ?...

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  7. Pour appréhender le bougre, je vous recommande "Les Vies Parallèles de Boris Vian" de Noël Arnaud, son meilleur biographe...

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  8. Merci ElO ! On note ça et on vas voir sur le catalogue de notre bibliothèque favorite si on peut le trouver ! A bientôt !

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