Affichage des articles dont le libellé est émeutes. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est émeutes. Afficher tous les articles

lundi 20 juin 2016

Moi j'bichais car je les adore

    - […] les fautifs, ce sont les propriétaires, non les fermiers.
   A ces paroles, toutes les faces se tournèrent du côté du konak*.
Costaké dit :
   - Ca va barder… Le Baragan commence à faire flamber ses chardons !


    Nous étions devant l’auberge de Stoïan. Des villageois, loqueteux, hâves, courbaturés, venaient fébrilement l’un après l’autre, et questionnaient en balbutiant. Alors nous nous aperçûmes que cette nouvelle n’était pas le seul événement de la journée, et qu’avec elle, un second gendarme nous tombait sur le nez. Ils étaient présents, naturellement, ces deux piliers de l’oppression, bien nourris, bien vêtus, bien armés, peu loquaces, graves surtout, comme les oreilles de leurs maîtres. Et tout de suite, l’ancien de dire à Costaké :
    - Tu ferais mieux de garder ta langue au chaud, l’ami !
    Puis à l’instituteur :
    - Vous, monsieur Cristea, lisez à l’avenir les journaux chez vous !
    Et aux paysans :
    - Que faites-vous ici ? Retournez à vos foyers ! Les rassemblements sont interdits…
    - Pourquoi ? demanda un homme ; est-ce qu’on a décrété l’état de siège ?
    Le gendarme fonça sur l’audacieux :
   - Ah, tu connais déjà la Constitution ? Viens un peu que je t’apprenne un article que tu ignores !
   - Ce fut un cortège tumultueux qui suivit l’arrêté jusqu’à la mairie, où le paysan passa quand même la nuit à apprendre l’article en question. Mais cet « article » plaida avec une langue de feu, dans le grand procès qui commença sur le champ.

Viens un peu que je t’apprenne un article que tu ignores !

   Le lendemain, très tôt, nous fûmes éveillés par les hurlements du paysan battu, qui, dès qu’on le lâcha, se mit à courir par tout le village en criant :
   - Au secours, hommes bons, au secours ! Ils m’ont tué !
   Tout le monde accourut sur la place de l’auberge, où l’homme s’était écroulé, la tête noire, méconnaissable. Toudoritza lui prodigua des soins. L’aubergiste lui fit avaler un bon verre d’eau de vie. On cherchait du regard les gendarmes. Ils tardèrent plus d’une heure à arriver. Pendant ce temps, le battu se remit un peu et raconta l’affreuse nuit qu’il avait passée à la gendarmerie. Les paysans écoutaient, blêmes. Des femmes pleuraient. Et voici les gendarmes, qui s’approchaient en se dandinant et en ricanant, fusil au dos, revolver à la cuisse.
   - Assassins ! Bourreaux !
   Un silence complet. Les apostrophés, arrêtés au milieu de la foule, essayèrent de découvrir à qui appartenait la voix de femme qui avait proféré ces mots. Ils n’y réussirent pas.
   - Qui est la parchoaura qui insulte ainsi l’autorité ? cria l’ancien gendarme.
   Une bousculade, et une femme se planta devant eux :
   - Moi !
   C’était Stana, les mains sur les hanches, rouge comme le feu, avec un regard de folle et la poitrine haletante. Son ventre énorme s’avançait, pointu, et levait bien haut le devant de la jupe.
   - C’est toi, putain ? fit en marchant vers elle le gendarme furieux.
   - Oui, oui ! Moi. Assassins ! Bourreaux ! C’est moi qui vous dit cela, moi, la putain de votre maître !
   Et avec un ahrr ptiou ! un gros crachat partit de sa bouche, droit dans les yeux du gendarme.


   Au même instant, avec un Sus à eux ! voici le paysan battu qui saute sur le dos du nouveau gendarme et le jette à terre – ce qui fit promptement se retourner son collègue, la main au revolver – mais on ne put plus rien distinguer, car ce ne fut qu’une mêlée sourde, au milieu de laquelle six coups de feu retentirent, et les deux gendarmes restèrent ensanglantés sur la place qui se vida en un clin d’œil.

Panaït Istrati, juste et grand écrivain

Pour être honnête envers nos aimables lecteurs qui souhaiteraient suivre l’exemple des ces damnés de la terre roumains à bout de misère et d’humiliations, précisons tout de même que, après de franches reprises individuelles et collectives au château du seigneur local, suivies de l'incendie canaille de celui-ci (le château, pas le seigneur, bien planqué à Bucarest), sans compter la joyeuse combustion de la mairie, le village sera rayé de la carte par les bombardements de l'armée royale, ne laissant a priori, mis à part notre petit narrateur caché au fond d’une charrette aux chevaux emballés dont le conducteur, comme les rares rescapés des bombes, avait été fini à coup de fusil par la soldatesque vengeresse, ne laissant dis-je donc, aucun survivant.

 Le Baragan

* Konak = château.

mardi 31 mars 2015

Une sans rue

« Elle cousait dix-sept heures par jour; mais un entrepreneur du travail des prisons, qui faisait travailler les prisonnières au rabais, fit tout à coup baisser les prix, ce qui réduisit la journée des ouvrières libres à neuf sous. Dix-sept heures de travail, et neuf sous par jour ! Ses créanciers étaient plus impitoyables que jamais. Le fripier, qui avait repris presque tous les meubles, lui disait sans cesse : Quand me payeras-tu coquine ? Que voulait-on d’elle, bon Dieu ! Elle se sentait traquée et il se développait en elle quelque chose de la bête farouche. Vers le même temps, le Thénardier lui écrivit que décidément il avait attendu avec beaucoup trop de bonté, et qu’il lui fallait cent francs, tout de suite; sinon qu’il mettrait à la porte la petite Cosette, toute convalescente de sa grande maladie, par le froid, par les chemins, et qu’elle deviendrait ce qu’elle pourrait, et qu’elle crèverait, si elle voulait. — Cent francs, songea Fantine ! Mais où y a-t-il un état à gagner cent sous par jour ? — Allons ! dit-elle, vendons le reste. L’infortunée se fit fille publique. »
Extrait d’un manuscrit sauvé par Madame Juliette Drouet, alors que son auteur, menacé d’une arrestation certaine par les sbires du hacheur de parisiens Napoléon le Petit en décembre 1851, avait dû prendre la fuite et s’exiler. Cet auteur, aimé, adoré, admiré, vénéré par cette même Dame Drouet, eut une certaine notoriété pour laquelle l’inspiration, le soutien, les encouragements, la consolation, la tendresse, la sensualité, l'intelligence, le travail de « Juju » furent essentiels.


Repères historiques :
- Coup d’Etat de Napoléon III, décembre 1851 : 400 parisiens saignés ; - Journées de répression de juin 1848, 2ème république : 5000 parisiens occis ;
- Répression de la Commune de Paris, mai 1871, 3ème république : 7500 parisiens abattus.
La grâce séduisante d'une gorge naissante
Un nuage de taffetas cachant ses doux appâts
C'est Juliette Drouet partant pour Guernesey
Où trottent des ânons portant de longs caleçons

Dans la vieille diligence qui sautille en cadence
Elle tire de son corsage un merveilleux message
Et Juliette Drouet plus fraîche qu'un bouquet
Se met à le relire et rougit de plaisir

Près d'elle sur la banquette un argousin la guette
On ne plaisantait pas sous Napoléon III
Mais Juliette Drouet jette au loin le billet
Un chevreau le dévore le pandore s'endort

Mais voici Guernesey, Juliette aux aguets
Aperçoit sur le port la barbe de Victor
Tous les vieux Anglo-Normands sourient en les voyant
Marcher bras dessus, bras dessous se faire les yeux doux

Les petits ânes en caleçon ouvrent de grands yeux ronds
On ne voit pas tous les jours le génie et l'amour
Dans le champ des étoiles une faucille d'or
Juliette s'endort dans les bras de Victor

Une faucille d'or dans le champ des étoiles
Veille jusqu'à l'aurore sur Juliette et Totor

Ricet Barrier.