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jeudi 20 avril 2023

La Dose de Wrobly : germinal 2023 EC

- Franz Kafka. Le Procès.
      J'ai profité d'un deuxième séjour, trente ans après le premier, à Prague, magnifique ville pleine d'Histoire et de légendes, pour relire ce chef d’œuvre d'un de mes écrivains préférés. Flippant et drôle.
Quelle bonne surprise au musée Kafka ! Qui vois-je ? Notre grand ancien François Claudius Koënigstein, alias Ravachol ! Il se trouve que notre terroriste était célèbre à la fin du XIXème siècle en Bohême (comme dans toute l'Europe d'ailleurs a priori, traumatisée par les innombrables attentas anarchistes, de l'assassinat de Sissi à celui de Sadi Carnot en passant par de multiples autres actes individuels justiciers, dont on ne mesure plus vraiement l'ampleur aujourd'hui) suite à ses hauts faits contre des magistrats persécuteurs du prolétariat révolutionnaire. Quand le petit Franz se rebellait un peu trop contre le cuisinier de ses parents qui l'emmenait à l'école le matin, ce dernier le traitait de Ravachol, ravigotant stigmate !
Kafka sur les épaules d'un homme sans tête. Cette sculpture mesure 3,75 mètres de hauteur, a été sculptée par Jaroslav Rona en 2003 à l'occasion du 120ème anniversaire de la naissance de Kafka, et s'inspire d'un rêve de l'écrivain tchèque de langue allemande, qu'il avait décrit dans un texte.

- Arthur Miller.- Les Sorcières de Salem.
     Après Vu du pont et Je me souviens de deux lundis en germinal 2021, mon troisième Miller (non, pas Henry, plutôt Arthur, en l’occurrence). Glaçant, effrayant, tiré d'une histoire vraie de chasse aux sorcières en 1692 dans le Massachusetts à l'issue de laquelle 25 personnes furent exécutées. Quand le capitalisme naissant et le patriarcat, alliés à la religion et à la superstition, accomplissent une forme de génocide (féminicide) pour asseoir leur suprématie.
- Lois McMaster Bujold.- Immunités diplomatiques / L'Alliance.
   Plus qu'un roman après ces deux-là et je pourrai reprendre mon propre programme de lecture, de la littérature, de la poésie, de la philo, des documentaires de critique radicale, des polars sociaux ou politiques, de la BD, des langues étrangères ou autre, mais selon mon propre agenda et mes propres désirs ! Je rappelle que la saga Vorkosigan m'a été prêtée et que je suis ravi d'avoir découvert ces romans que je n'aurais jamais lus sans cela, que j'y ai pris parfois du plaisir, parfois moins. Mais j'ai hâte et suis content d'arriver au bout !

vendredi 30 décembre 2022

La Dose de Wrobly : frimaire 2022 EC


     Je suis en vacances. Eh ! oui, je suis encore tributaire du salariat, je n'ai pas eu le courage ni les idées, les amis, les moyens à mettre en œuvre pour déserter le monde de l'économie... Je dépend donc encore aussi de ces minces temps compensatoires que sont les congés, et j'essaye d'en profiter, non pas pour consommer plus, mais au contraire pour me désaliéner un peu. Je manque donc de temps devant écran pour alimenter ce blog, je les fuis ! Toutefois comme j'aime de toute mon âme la petite famille de mes lecteurs, je parviens ce jour à vous partager une brève Dose de Wrobly, celle de novembre / décembre. A bientôt quand j'aurais repris le chagrin (même si les cadences de plus en plus infernales me laissent de moins en moins de temps pour créer sur Google...). 


- Tennessee Williams.- La Nuit de l'iguane.
     J'avais découvert Arthur Miller au printemps 2021, en cette fin d'automne je découvre Tennessee Williams. J'aime bien aussi. Ça se passe sur la côte ouest du Mexique avec un pasteur défroqué et torturé, la colonie de femmes touristes qu'il guide suite à reconversion professionnelle, une jeune peintre errante sensible et philosophe et son père quasi centenaire, et d'autres personnages hauts en couleur s'agitant de manière plaisante sous les yeux d'un pauvre iguane capturé en vue d'un repas ultérieur...
     Je n'ai pas le temps d'en écrire plus, si ce n'est que ça fait du bien de s’ouvrir un peu et de sortir de sa zone de confort livresque.


- Lois McMaster Bujold.- La Danse du miroir.
     La suite. Plus j'avance plus j'aime, je m'attache. Le héros est doublé de son frère clone désormais, un type assez torturé, lui aussi...

jeudi 20 janvier 2022

La dose de Wrobly : nivôse 2021-2022 EC

- Danièle Pistone.- Histoire de la musique en France de 1789 à 1900.

Musicienne jouant du qanon et danseuse, image de Musique et instruments de musique du Maghreb.

"De la fondation à 1900 se succédèrent à la tête de l'établissement (le Conservatoire - note du blogueur) : [...]
      - D.F.E. Auber, de 1842 à 1871
      - Salvador Daniel, sous la Commune (6)
      - Ambroise Thomas, de 1871 à 1896 [...]
(6) A la mort d'Auber, il se plaça lui-même à la tête de l'établissement ; mais il fut tué quelque quinze jours plus tard."

   On n'en saura pas plus sur la mort de cet honorable monsieur... On apprendra par contre ceci sur ses centres d'intérêts et ce qu'il apporta à la musique en France :
"Dans les gazettes, les articles la concernant (la musique arabe - note du blogueur) sont toutefois plus rares que ceux relatifs à la musique extrême-orientale [...] ; mais les Expositions Universelles contribuèrent à faire connaître les mélodies arabes et S. Daniel (24) par exemple, venant d'Alger, avait fait découvrir à plusieurs reprises aux Parisiens (25) de semblables concerts. D'authentiques instruments furent présentés à nos compatriotes (26).

(24) Celui-là même qui devait se placer à la direction du Conservatoire pendant la Commune [...].
(25) Voir, entre autres, son article dans Le Ménestrel du 27 janvier 1867, pp. 65-67 et son concert de musique arabe au Palais Pompéien en 1866 (ibid. du 8 juillet 1866).
(26) Voir Le Ménestrel XXX, 1863, pp.353-354, pour la description de ce spectacle."

   C'est peu, mais ce livre a au moins le mérite d'évoquer Francisco Salvador Daniel. L'histoire officielle du Conservatoire de Paris, elle, n'en a pas fait autant : elle fait succéder Ambroise Thomas à Auber. C'est ce qu'on apprend en tout cas dans ce passionnant article du splendide blog La Commune de Paris (voir aussi ci-contre), qui nous raconte toute l'histoire de cet attachant musicien communard.

Zohra de Francisco Salvador Daniel.


- Michel Bakounine.- Michel Bakounine et l'Italie : 1871-1872.
   Troisième emprunt de ce livre d'archives du Russe internationaliste, j'espère le finir cette fois-ci. L'occasion de rappeler quelque banalités malheureusement pas superflues dans notre actualité libéralo-fasciste :
"[...] la noble passion de la liberté. Et la liberté, quoi qu'en dise Mazzini et avec lui tous les idéalistes - qui, naturellement, ne comprennent rien à ce mot et qui, lorsque la chose se présente à eux, la détestent - la liberté, par sa nature même, ne peut être seulement individuelle - une telle liberté s'appelle privilège - la liberté vraie, humaine, complète d'un seul homme implique l'émancipation de tout le monde, parce que, grâce à cette loi de solidarité qui est la base naturelle de la société, je ne puis être réellement libre, me sentir et me savoir libre, si je ne suis pas entouré d'hommes également libres, et l'esclavage du dernier d'entre eux est mon esclavage."


- Molière.- Les Fourberies de Scapin.
   Il y a une semaine Jean-Baptiste aurait eu 400 ans. Et cela personne n'en parle. Le boycott médiatique de l'auteur du Malade imaginaire n'est-il pas la preuve la plus symptomatique du grand complot des élites et de son non moins gigantesque reset pharmaceutique ? Je laisse votre esprit critique méditer cette question. Ou bien, comme le mien, se taper une bonne farce avec de francs fourbes dedans pour fêter ça.

- Jean-Patrick Manchette.- L'Affaire N'gustro.
   Qu'il est bon quand, comme moi, on a boycotté depuis l'adolescence tous les appareils idéologiques d'Etat (sauf quelques rares émissions de réel service public à la radio) et capitalistes, tous ces nauséeux médias bourgeois, pour rester pur, se préserver de toute leur pub, propagande et lénifiante entreprise d'abêtissement, et qu'on se retrouve dans telle activité à attendre son fils et que deux personnes vous entreprennent avec passion du dernier Houellebecq, dernier produit d'appel de l'industrie littéraire à la mode dont je n'ai que foutre et dont je ne souhaitais pas dans ma vie simple ententre parler, quel bonheur, donc, de n'avoir jusqu'à présent pas été complètement branché non plus, d'avoir plutôt fôlatré dans ses découvertes artistiques, poétiques, littéraires, philosophiques... plutôt que de s'être précipité le plus vite possible sur ce qu'il fallait avoir lu dans les milieux avancés auxquels je me flatte malgré tout d'appartenir, quoi qu'il m'en coûte, quel plaisir, donc de se retrouver la cinquantaine bien sonnée avec tout plein de Manchette à découvrir ! J'en suis donc à mon troisième : L'Affaire N'Gustro, après Ô dingos, ô châteaux ! et Laissez bronzer les cadavres ! Je ne vous en dis naturellement pas plus, pas mon genre de divulgâcher, et je retourne bicher avec mon petit chef-d’œuvre de vrai glauque, rien à voir avec les 700 pages du m'as-tu-vu bouffon courtisan catholique ci-dessus et bien à contre cœur-évoqué...

mercredi 25 août 2021

La Dose de Wrobly : thermidor 2021 EC


- Lawrence Block.- Le Blues des alcoolos.
   Un opus plutôt drôle de la série des Matt Scudder, qui recherche plutôt le ton sinistre habituellement. Ici on a un comique de caractère preque westlakien, bien moins réussi évidemment, mais on se demande parfois si la bande de plus ou moins alcoolos mise en scène n'est pas une à la manière de la troupe de bras cassés se réunissant dans l'arrière salle de l'O.J. Bar & Grill d'Amsterdam Avenue... Ce roman étant bâti sur un flashback, Scudder reboit. Et s'attaque à trois intrigues à la fois.



- Jean Racine.- Athalie.
   Je ne connaissais pas celle-ci. Autant j'ai quasi lu tout Corneille, autant de Racine seules Phèdre et Bérénice m'avaient inondé de leurs charmes. Ici nous ne sommes plus ni dans la mythologie grecque (bien que nous y restions dans la tragédie), ni dans la love story politique de l'antiquité romaine, mais dans les contes et légendes de Palestine (la pièce est commanditée, treize ans après que Racine ait renoncé au théâtre pour se réconcilier avec la religion, par la dévote madame de Maintenon, on comprend vite pourquoi). L'histoire est issue du livre des Rois de l'Ancien Testament, où elle est à peine esquissée en une demie page (en papier Bible). Mais Racine la détaille de manière presque Sévère Sulpicienne, en utilisant des procédés qui ne sont pas sans évoquer un à la manière de Flavius Josèphe. En gros, ce sont des fanatiques du pouvoir qui se tirent la bourre avec des fanatiques religieux, et qui s'entretuent méchamment. Bouh !


Salomone Rossi (1570-1630).- Al Naharot Bavel, psaume 136 de David en hébreu.

Extrait :
   "C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit.
Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n’avaient point abattu sa fierté ;
Même elle avait encor cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d’orner son visage,
Pour réparer des ans l’irréparable outrage.
« Tremble, m’a-t-elle dit, fille digne de moi.
Le cruel Dieu des Juifs l’emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille. » En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a paru se baisser ;
Et moi, je lui tendais les mains pour l’embrasser.
Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange
D’os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux."

   C'est beau comme du Baudelaire !

dimanche 25 avril 2021

La dose de Wrobly : germinal 2021 EC

   Le mois dernier Wroblewski est parti pour New York. Littérairement s'entend. Manhattan, bien sûr, mais aussi Brooklyn. Deux genre différents, deux époques, mais des passions qui s'enveniment au sein de la grande pomme pourrie, avec les femmes pour proie, le patriarcat pour prédateur, y compris au sein des classes les plus opprimées de la jungle capitaliste, notamment la classe ouvrière. Les passions dominantes étant toujours les passions de la classe dominante.



Manhattan, vu de Brooklyn.

 


- Lawrence Block.- Huit millions de façons de mourir.

   Cette fois ça y est, Scudder a arrêté de boire et fréquente les Alcooliques Anonymes. Il décrit de manière magistrale ces premiers jours d'abstinence, cette tempête obsessionnelle orchestrée sous un crâne d'alcoolique par la puissante, déroutante, et surtout sournoise maladie dont il est atteint, mais seuls les appelés à de telles alarmes pourront s'y reconnaître et en vérifier la véracité. Les descriptions des groupes et des réunions sont aussi criantes de vérité, et font sourire l'adepte, surtout vues par les yeux d'un jeune abstinent bourru, encore dans la révolte, le déni et le jugement de celui pour qui "moi, c'est pas pareil".


   Mais que les chanceux qui peuvent picoler normalement ne soient pas déçus, ce polar vaut quand même son pesant de divertissement, au-delà des références à l'alcoolisme. Ainsi, vous pourrez vous amuser comme tout un chacun à essayer de deviner qui a bien pu transformer la souris en steak tartare à l'aide d'une machette. Son souteneur ? Il est pourtant si distingué, et cultivé, et plutôt sympathique... Alors ? Scudder, entre une réunion et 48 heures de trou noir actif suite à une rechute parviendra-t-il à en connaître le fin mot ?...


Greenpoint, Brooklyn. Chance, le souteneur de Kim, y emmène Scudder dans sa garçonnière secrète, une ancienne caserne de pompiers.


- Arthur Miller.- Vu du pont.
   Là je découvre un écrvain. Je le connaissais évidemment de nom, mais pour moi c'était un écrivain de la jet set. Le mari de Marylin Monroe. Et puis l'Arthur à rejeter avec mépris au profit de l'Henry du Serge et de sa beauté cachée.

   Et j'apprends qu'il était d'origine juive polonaise (avant d'être islamo-gauchiste j'étais, et je suis toujours, philosémite), ah !... Mais ça ne signifie finalement pas grand chose. Puis je réalise qu'il a été inquiété sous le maccarthysme, qu'il a comparu devant la Commission des activités non-américaines, comme Dashiell Hammet, pour le coup un écrivain que j'ai dans le collimateur depuis longtemps, mais refuse de révéler les noms de supposés communistes. Il est condamné, puis acquitté en appel. Il parait qu'il symbolise par ailleurs l'auteur engagé...


   Et puis j'ai vieilli. Quand j'étais ado, et ça a duré, les cyniques me faisaient vibrer, je m'identifiais, et j'étais obsédé sexuel et pas toujours bien conscient de ce que certains aspects de ce qui me paraissait une preuve de liberté avait de profondément phallocrate, machiste (j'utilise les vieux mots, je n'ai pas encore complètement assimilé le vocabulaire des études de genre et du féminisme ésotérique, mais je progresse...). Alors, oui, les paroles de Gainsbourg étaient pour moi d'évangile. Et d'autre part l'engagement, c'était ringard, il fallait être "dégagé", le militantisme était le stade suprême de l'aliénation. Avec ces belles idées je n'ai quasiment rien fait de ma vie qui puisse être mis au crédit d'un apport quelconque à l'avancée de la révolution. J'ai bien été obligé de constater que finalement, être dégagé, même si à vingt ans on se dit que l'idéologie éclatera au contact de la subjectivité radicale, être dégagé c'est beaucoup être engagé par défaut et passivement dans le meilleur des cas pour l'ordre dominant. Après il y a engagement et engagement, je n'évoque évidemment pas la soldatesque stalinienne ou plus largement léniniste, ou les représentants de commerce électoralistes sauce dém' ou autres. Je ne connais pas exactement les idées d'Arthur Miller, mais les intentions générales semblent s'accorder avec les tendances de ma vie d'aujourd'hui, au moins humanistes, même si certainement pas anarcho-communistes (je parle des idées d'Arthur Miller, mes aspirations sont restées anarcho-communistes, même si de manière purement idéales, restons humbles). Ah ! La dernière chose qui a éveillé mon attention favorable chez Miller : il incarne beaucoup des ses personnage au sein de la classe ouvrière.

   Mais au-delà de ces considérations d'ordre biographique, et anecdotique, au-delà des préoccupations de l'opinion de l'auteur, de sa couleur politique, qui sont un peu une hérésie en terme d'appréciation littéraire pure, je dois dire que la lecture de cette première pièce (oui, Arthur Miller était dramaturge) m'a passionnée, une tension est savamment installée puis amplifiée tout au long de l'intrigue, avec un chié de suspense à la clé, et un putain de fatum des familles, un genre de tragédie grecque avec des Siciliens au pays des indiens exterminés par l'impérialisme WASP, qui fait que si on lit peut-être Henry Miller de la main gauche (je ne l'ai pas encore essayé), je constate aujourd'hui qu'il est difficile de ne pas lire Arthur Miller sans se ronger ongles et sangs !

Vue du pont.

lundi 21 octobre 2019

La dose de Wrobly : vendémiaire 2019 EC



- Thierry Jonquet.- Rouge, c'est la vie.

Extrait 1 :

[…] le 30 juillet 1903 […] Bruxelles où s’ouvrit ce jour-là, en catimini, le second congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie […] conclave secret, conspiratif. Ce congrès n’est pas anodin. Ses conséquences ont pesé assez lourd dans l’histoire du siècle [...]. Les débats qui s’y déroulèrent, ces débats auxquels participèrent quelques messieurs barbus dont on ne possède même pas une photo de groupe, pourraient paraître totalement ésotériques. Ils étaient cinquante-cinq, les messieurs en question. Une belle poignée d’allumés qui s’étaient juré de faire la peau au régime tsariste, de conquérir le pouvoir depuis l’Oural jusqu’à Vladivostok. Et qui y sont parvenus. Des marginaux, des rêveurs. Des clandestins qui vivaient sous de fausses identités, poursuivis par l’Okhrana, la police politique du tsar, des proscrits toujours à mi-chemin entre l’exil à Londres, Paris, ou la déportation en Sibérie.
   Transportons-nous dans le temps, dans l’espace, à Bruxelles, en 1903. Les délégués se retrouvent. Le POSDR n’est qu’un groupuscule à l’avenir incertain. Son leader s’appelle Lénine. Il dirige un journal confidentiel, l’Iskra, l’Etincelle. Les « sociaux-démocrates » regroupent quelques petits cercles militants, intellectuels pour la plupart. Ils cherchent à gagner en influence dans la classe ouvrière qui commence à se développer en Russie. Ces cercles ne représentent quasiment rien en regard d’une organisation de masse, rassemblant déjà, elle, des milliers de travailleurs. Le Bund, le Parti socialiste juif. Le Bund, composante parmi d’autres au congrès du POSDR de 1903, n’a droit qu’à… trois délégués, alors que n’importe quel minuscule comité local du POSDR dispose à lui seul de deux mandats ! L’infrastructure clandestine du Bund s’est pourtant chargée de l’acheminement de tous les délégués jusqu’à Bruxelles. Autant dire que sans le Bund le congrès ne se serait tout simplement pas réuni. N’auraient pu s’y rendre que les militants déjà exilés. C’est-à-dire Lénine et ses proches. Isolés, coupés des masses qu’ils entendaient mener à la bataille.
    La question primordiale débattue lors de ce congrès concernait la nature du dispositif organisationnel à mettre en place. Groupuscule, le POSDR aspirait à devenir un véritable parti, mais de quel type ? Lénine opte pour une armée de révolutionnaires professionnels, ultra-centralisée, dirigée par un état-major omnipotent. Ses adversaires défendent au contraire l’idée d’une fédération d’organisations libres de leurs décisions, coordonnant de façon bien plus souple leurs actions vis-à-vis du centre directeur. A l’issue du congrès de 1903, Lénine l’emporte. Il devient majoritaire, bolchevik, en russe. Ses détracteurs deviennent minoritaires, c’est-à-dire mencheviks.
    A ce congrès, le Bund revendique le droit de représenter la classe ouvrière juive, ès qualités. A défaut d’un territoire national, il existe une langue – le yiddish -, une culture affirmée, des traditions multiséculaires, les délégués du Bund pensent que cela suffit pour affirmer la spécificité de leur organisation dans la fédération qu’ils espèrent encore voir naître. Ce droit leur sera refusé. Lénine ne transige pas. Trotski, qui participe au congrès, non plus. Juive ou goy, la classe ouvrière est une, indivisible. Le Bund ne cède pas. De ce fait, il se condamne à rompre avec le POSDR. Rupture douloureuse. Dramatique. Certains délégués en ont les larmes aux yeux. Les représentants de la classe ouvrière juive de Russie, de Pologne, d’Ukraine vont désormais suivre leur propre chemin.
    Quatre mois auparavant, en avril, l’opinion internationale avait été frappée de stupeur, d’indignation, à la suite d’un pogrom survenu à Kitchinev, en Bessarabie. Quarante-sept morts, six cents blessés. Le pogrom de Kitchinev marqua une rupture, un tournant dans l’attitude de la communauté juive à l’égard de ses tortionnaires. Ce n’était pas le premier pogrom, et ce ne fut pas le dernier. Mais, à la suite de cette tuerie, le Bund se décida à organiser des milices d’autodéfense. Révoltés par le pogrom de Kitchinev, certains délégués bundistes qui arrivaient à Bruxelles pour débattre avec Lénine de l’avenir du POSDR avaient une question à poser, une petite question, pas théorique, mais bien concrète. Une question à cent kopecks : les pogromistes n’étaient-ils pas, par hasard, en partie recrutés parmi les travailleurs sociaux-démocrates russes avec lesquels les bundistes espéraient édifier un monde fraternel ? Dans l’hypothèse d’une réponse affirmative, était-il encore possible de croire au socialisme après Kitchinev ? 

Extrait 2 :

   Les maoïstes ? Victor les trouvait assez rigolos avec le Petit Livre rouge qu’ils agitaient à tout propos, comme un talisman, un grigri. La lecture de La Cause du peuple, leur journal, n’était guère fatigante, intellectuellement parlant. On comptait le mot « peuple » à peu près cinq fois par paragraphe. La syntaxe était pauvre, rien de plus normal, puisque conçue pour être assimilée par ledit peuple, lequel est asses fruste, comme chacun sait. Dès qu’ils se trouvaient placés en difficulté lors d’une discussion un peu vive, les maos s’en tiraient en scandant Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao ! Et les anars de répliquer, imperturbables Pif, Pifou, Tonton, Tata, Hercule ! Ce qui plongeait les premiers dans une rage folle.

Extrait 3 :

   Bardé de toutes ces munitions polémiques, Victor s’enhardit. Au lycée, les discussions avec les ex-copains de la JC devinrent saignantes. Il en savait désormais bien plus qu’eux, hélas, sur l’histoire de leur propre parti. Le Pacte germano-soviétique, la demande faite aux Allemands de laisser L’Huma reparaître en pleine Occupation, le « retroussons nos manches » ou le « il faut savoir terminer une grève » lancés par Thorez à la Libération, sans compter les pleins pouvoirs votés à Guy Mollet au début de la guerre d’Algérie, et d’autres encore plus croustillantes, il leur envoyait tout dans les dents.



- Marcel Aymé.- Clérambard.

Extrait 1 :


   Araignée, ma sœur, sois la bienvenue chez nous. Hier encore, je n'étais qu'un pauvre ignorant et j'aurais laissé ma femme t'écraser. Mais depuis, un peu de lumière du ciel est descendu dans mon cœur. Je sais maintenant ce qu'un homme doit de tendresse et de respect à toues les créatures [...]. Non, tu n'es pas une bête répugnante. Ton corps a la forme d'un bel ovale. Tes longues pattes poilues sont finement dentelées. Tu es comme la fleur d'un fil de la Vierge. [...] Désormais tu seras la joie de la maison et notre amitié en sera la douceur. [...] Va, petite soeur, va. Tu es chez toi, libre d'aller et venir à ta volonté. Ici, tu n'as pas besoin de vivre cachée. [...] Ta vie m'est aussi précieuse que celle de ma femme. [...] Elle est allée se nicher derrière le portrait. Peut-être qu'en ce moment, elle passe la tête en dehors du cadre pour regarder ce que je fais. Comme c'est charmant, ces petites bêtes !


   Je n'ai pas encore lu tout le théâtre de Marcel Aymé, mais je crois que cette pièce-ci est vraiment la meilleure. Hilarante. L'indignation et l'incrédulité étreignant les honnêtes gens face à la défection de l'un d'entre eux me semble être susceptible de constituer une véritable caresse, spirituellement érogène et consolatrice, pour tous les prolétaires aspirant à une vie simple et libre. Qui plus est à chaque réplique de Clérambard je crois entendre Philippe Noiret, ce qui n'est pas pour affailblir ma jubilation, d'autant que j'aime autant Yves Robert que Marcel Aymé. Le préfacier du livre dit de Clérambard (qui vit un éveil spirituel, une transformation soudaine et radicale de sa vision du monde, de ses motivations, de sa personnalité, de ses objectifs) qu'il passe d'un excès à l'autre. Je ne trouve pas, c'est renvoyer dos à dos une fois de plus l'instrumentalisation du vivant, et sa reconnaissance comme élan partagé. Certes le vocabulaire relié au concept bizarroïde et un peu baroque de "Dieu" et tout le folklore qui l'entoure suite à certaines circonstances historiques n'est pas utile pour l'enseignement éthique qu'on peut retirer de l’œuvre, mais il fallait bien relier la conversion de l'aristocrate ruiné à des références culturelles, même si cultuelles, connues de tous. En tout cas, aimer le vivant et m'assoir sur la morale bourgeoise, moi ça me va. Aujourd'hui, Clérambard serait zadiste. Et cet héroïsme, dont je ne suis, à l'instar de l'immense majorité de mes concitoyens attachée à ses chaines semblant malgré tout garantir un confort auquel envisager de renoncer apparaît au-dessus des forces ordinaires, pas habité, cet héroïsme ne devrait en être que plus inspirant pour le décliner, en masse, en force collective libératrice plus abordable mais plus efficiente pour tous.


Extrait 2 :


LE CURÉ


   Votre zèle m'apparaît des plus respectables, mais prenez garde d'être présomptueux. Rien ne vous a préparé à la tâche que vous prétendez assumer. Vous pouvez vous tromper et entraîner les autres dans l'erreur.
CLÉRAMBARD
 
   Même si je reste fidèle , humblement fidèle à l'enseignement de l’Évangile ?
LE CURÉ
 
   Malheureux ! Comment saurez-vous si vous lui êtes fidèle ? L’Évangile est une nourriture qui a besoin d'être accommodée, comme toutes les nourritures. Et l’Église, seule, a compris la nécessité de protéger les fidèles contre la parole du Christ. Elle seule sait les retenir sur la pente des interprétations dangereuses.
CLÉRAMBARD
 
   Je n'ai pas l'intention de me priver des lumières de l'Eglise.
LE CURÉ
 
   Tant mieux. Mais l’Église se méfie des francs-tireurs et à juste titre. D'autre part, en ce qui concerne les miracles...
CLÉRAMBARD
 
   Vous avez raison, je m'étais trompé. Il n'y a pas eu de miracle.
LE CURÉ
 
   Ah ! Vous n'y croyez plus !
CLÉRAMBARD
 
   Non, pas à celui-là, mais je crois aux miracles passés et à venir, car il y en aura encore, j'en suis sûr. Il y en aura jusqu'à la fin des temps. Et je ne désespère pas qu'un jour Dieu me favorise d'un miracle. Ce n'est pas que j'en aie besoin pour assurer ma foi. Je n'en suis plus là. Mais je voudrais pouvoir en témoigner à la face du monde ! Ah ! de quelle ardeur je témoignerais ! Ce miracle-là, je le proclamerai d'un bout à l'autre de la terre, par les villes et par les campagnes ! Et on m'entendra gueuler dans les rues et aux carrefours et sur les places ! J'en étourdirai les passants, les hommes et les femmes, les curés aussi ! Et pour ceux qui oseraient ricaner, je me charge de leur frotter les oreilles !
LE CURÉ 
 
   Vous ne changerez jamais. Ni la foi, ni la charité, ni François d'Assise n'y feront rien. Vous resterez l'homme violent, excessif, intransigeant, que vous avez toujours été. C'est ce qui me fait peur pour vous, monsieur le Comte. Qui sait si vous n'allez pas, dans un mouvement de charité inconsidéré, vous enflammer pour des idées soi-disant généreuses et, disons le mot, révolutionnaires ?
CLÉRAMBARD
 
   Pourquoi pas ? Il y a tant d'injustice dans le monde !
LE CURÉ 
 
   J'en étais sûr ! Vous voilà déjà parlant justice et injustice ! Sachez-le, Notre-Seigneur lui-même ne fondait aucune espérance sur la justice de ce bas-monde. Ce n'est que dans l'au-delà que la veuve et l'orphelin peuvent compter sur Lui.
CLÉRAMBARD 
 
   Curé, vous êtes en train d'interpréter les Évangiles.

vendredi 22 mars 2019

La dose de Wrobly : ventôse 2019 EC


  - Anton Tchekhov.- La Cerisaie / Oncle Vania.
  On se souvient de ma dose de prairial 2018, pour laquelle j'avais boudé un bouquin de Tchekhov de la bibliothèque de ma compagne, faute de désir (pour le bouquin, je vous reparlerai de ma vie sexuelle une autre fois). Finalement, deux évènements m'ont fait revenir en arrière, éveillant un début d'érection littéraire à l'idée de prendre connaissance de l’œuvre dramatique de celui auquel je ne nie nullement la qualité de grand écrivain, mais que je n'ai jamais rencontré, voilà tout. C'est maintenant chose faite.
  Les évènements sont : 
  1- ma mère s'est offerte ses œuvres complètes pour ne pas mourir idiote, et 
  2- j'ai aperçu le personnage de Tchekhov himself dans un divertissement cinématographique auquel j'ai bien voulu accompagner ma petite famille, Monsieur Edmond. Pour ajouter au caractère incitatif de ces simples correspondances, il y eut la situation à la fois cocasse et hautement morale de son personnage dans la diégèse du film : 
  1- il est au bordel, c'est censé être rigolo ;
  2- mais il ne consomme pas, donc pas d'apologie de la prostitution ! On reste dans l'éthique libertaire.
  La pièce Oncle Vania commence bien, avec un humour de caractère rafraichissant, se poursuit un peu lourdement avec le personnage atrabilaire de Vania et des histoires d'amour (à mon âge, vous savez, pourtant je n'ai que trois ans de plus que Vania, ah ! misère !)... Je poursuis tranquillou...


  - Walter Benjamin.- L’Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit).
  Walter Benjamin fait partie de mes légendes, c'est à dire des auteurs ou humains en général dont j'ai beaucoup entendu causer, et que j'aime déjà avant même de les avoir lus, vus, connus, en tous les cas pour lesquels j'ai un grand désir, inassouvi mais plein d'espoir de l'être un jour, on a tellement tendance à se croire éternels. C'est déjà un ami, par ce que j'en connais par la bande, en qui je pense pouvoir faire une totale confiance (quand en plus les noms qui papillonnent autour du sien dans les gloses diverses sont Adorno, Brecht, Horkheimer, et qu'on est vaguement conscient du tragique de sa fin, l'attirance en devient difficilement supportable). Et bien ça y est, je le rencontre enfin directement. Et je peux dire que, enfant de la reproductibilité technique des œuvres d'arts comme nous le sommes tous (et il y a eu internet plus tard), qui n'ai que rarement pu me confronter aux originaux mais ai fait mon miel de livres, de poches pour la plupart, de disques, de films et de photos, et de photos de peintures ou de sculptures, etc. - je peux dire que quand je finis par rencontrer via une reproduction une de mes légendes, cette reproduction (ici un livre de poche emprunté en bibliothèque), possède l'aura dont parle Benjamin à propos des œuvres d'art du passé, les originaux, authentiques, uniques ici et maintenant, et possédant dans leur matérialité toute l'histoire et toute la tradition de ce qui les a créés. Alors, cette aura, ce halo, cette énergie, cette vibration, ce magnétisme que semble posséder l'objet comme s'il était à cheval entre plusieurs dimensions spatio-temporelles, et cette émotion qui me prend quand je le saisis ne correspond peut-être pas au concept d'aura de Benjamin, ici c'est mon propre désir et son assouvissement après tant de temps, et le sentiment de toucher à quelque chose de grand, à une expérience unique, qui auréole l'objet imprimé (j'ai pu ressentir la même énergie en voyage, quand j'ai pour la première fois posé le pied hors d'Europe à 37 ans par exemple - dans ma famille on avait plutôt intégré le fait que l'avion était pour les riches - ou bien, et là ça rejoint Benjamin, en contemplant quelque œuvre originale ou arpentant quelque ville mythique (Berlin, Venise, Rome, Arleuf-en-Morvan), le fameux syndrome de Stendhal. Cette aura, je la ressens aussi à la vision de certains films, le cinéma étant pourtant pour Benjamin le type même de l’œuvre reproductible non seulement dans sa diffusion, mais dans sa définition même, dans l'essence même de sa production et de sa finalité, ou de certains disques. Alors, même si l'industrie de la culture fait de nous des consommateurs compulsifs, endoctrinés, aliénés et boulimiques (j'ai pensé à la Société du spectacle, qui paraitra 28 ans plus tard), parfois, de mon être, surgit une dimension surréelle (au sens des surréalistes, donc pas surnaturel, cultuel, magique ou religieux - comme les élans de Lascaux, les statues de Vénus de la cella des temples ou les toiles des madones des cathédrales [la cooccurrence ici d'un cervidé avec deux personnages féminins humanoïdes ne procédant absolument pas d'un lien de causalité ou de similitude mais étant purement fortuit ] - pas plus qu'au sens d'une théologie esthétique genre l'art pour l'art), un monde qui vient me bouleverser doucement mais profondément, et me donner envie que la vie entière prenne cette dimension, donc de la changer passionnément.
  Voyez comme un simple petit livre peut me rendre grandiloquent. "Pure mystique !" fulminerait Brecht "Malgré la posture antimystique. C'est donc ainsi qu'on adapte la conception matérialiste de l'histoire ! Il y a plutôt de quoi s'effrayer." Et il est certainement probable que de telles consolations sentant le romantisme faisandé ont plutôt comme résultat de m'éloigner du front, au contraire.
  Quant à Benjamin, il jugerait certainement que je n'ai rien compris à son livre, mais ça ce n'est pas grave, je me suis fait plaisir en attendant le collapse.

vendredi 20 juillet 2018

La dose de Wrobly : messidor 2018 EC


- Marcel Aymé.- La Tête des autres.


VALORIN
   [...] Il faut m'excuser. Un séjour en prison de près de quatre mois vous fait oublier un peu les usages. Est-ce que vous avez été en prison ?

MAILLARD
   Pourquoi aurais-je été en prison ?

VALORIN
   Sait-on jamais... En tout cas, je pense que les hommes appelés à en juger d'autres devraient avoir fait un stage de deux ou trois mois en prison. Faute d'y être passés, ils ne peuvent pas savoir à quoi ils condamnent des accusés. Il est vrai qu'à ce compte-là, il leur faudrait tâter aussi de la guillotine. A propos, ça vous fait tellement plaisir lorsque vous réussissez à envoyer quelqu'un à la guillotine ou au poteau d'exécution ?


   Bon, depuis l'abolition de la peine de mort cette pièce a un peu vieilli, mais sa satire féroce de la Justice en général et de la corporation des procureurs en particulier reste malgré tout savoureuse : on a vraiment l'impression que l'auteur s'est juré de niquer toute la magistrature debout !


- Patricia Hishsmith.- Ripley s'amuse.




   Une merdouille comme Wrob les aime, surtout l'été, on se fait plaisir sans trop se prendre la tête. Cette fois notre ami Ripley, peut-être lassé d'assassiner des culs cousus d'or, manipule un artisan plutôt poussif, besogneux et mal argenté, affecté d'une leucémie qui plus est. Moins sympathique de sa part, mais où cela va-t-il mener ?...


   Comme vous le constatez, Wrobly baisse, baisse... Deux livres dans le mois. Heureusement il va consacrer les quelques semaines à venir à roupiller et bouquiner. Vivement !

vendredi 24 novembre 2017

De galères


Marie-Eugène Dellébeuse [...] serait donc né le 17 mai 1924 à Ambarès le Rotrou. Son père était un petit imprimeur de rien du tout qui avait ses presses dans le quartier de Grenelle, à Paris, et qui imprimait entre autres choses une feuille anarchiste appelée primitivement "A bas le sac d'écus", puis abréviativement "A bas le sac". [...] Des épreuves d'A bas le sac traînaient sur le marbre [...] : "Prolo, il est pour la subversion totale, et les sucreries social-mou et le garde-à-vous moscoutaire, comment il se les met au derche". [...]


En arrivant à Paris, la nouvelle Clara trouva l'imprimeur Dellébeuse en proie à une vive contrariété. A bas le sac ayant publié en première page une photo de M. Poincaré riant dans un cimetière militaire, il y avait eu interpellation à la chambre bleue horizon.
   - Les poulets vont sûrement faire une descente au siège d'A bas le sac, disait Dellébeuse.
[...]
   Obligé de repartir pour Paris le soir même, il tenait beaucoup à ne pas quitter la commune sans avoir dit au maire qu'il était une ordure légale et au gendarme qu'il compissait la maréchaussée. Il les trouva justement au café en train d'échanger des injures. Le maire, un petit gros rougeaud dans la trente-cinquaine, gueulait dans la figure du gendarme : "Où que t'étais, grande saucisse, dis-le donc où que t'étais pendant que je me faisais débiter la viande aux Eparges, à Verdun, à Soissons ? A l'arrière des lignes que t'étais, charogne, pour me tirer dessus si j'avais renâclé au coup dur. Mais j'ai une bonne chose à te dire, Maloupiat, c'est que je crache à la gueule de toute la gendarmerie et, en plus de ça, je te rappelle que je suis le premier magistrat de ma commune et que tu me dois le respect et l'obéissance !

Marcel Aymé.- Antoine Blondin


Mes deux dernières actus ciné.

lundi 2 janvier 2017

A history of violence II

     Bon, le paradoxe continue... La dernière fois que je suis allé au théatre, c'était au cinéma. Et là que je vais au théatre, c'est pour y voir un film, de Luchino Visconti...

     Après les bains de sang entre Capulet et Montaigu : l'incendie du Reichstag, les autodafés, Dachau, la Nuit des longs couteaux. Le tout vu du point de vue de la famille Krupp (des Dassault allemands de l'époque, nommés Essenbeck dans le scénario du film / pièce). Un grand choc, un grand malaise, mais un grand moment. Avec les stars de la Comédie française (Podalydès, Galienne...), avec même parfois leurs kikis. 


     Du coup, je me dis que je deviens accro à cette vieille maison. Je dois m'embourgeoiser, m'encroûter dans l'académisme (enfin, les mises en scène des deux pièces que j'ai vues me paraissent plutôt post-modernes, moi qui m'y connais peu en théâtre vivant - je ne parle pas de lire les Petits classiques, bien entendu, dont je suis très friand et habitué -).

     Bof, je préfère encore ça qu'avoir un smartphone, et vu que ma copine ne possède qu'un vieux téléviseur à écran non plat (on dit à tube cathodique ?) que je ne regarde pas sauf rare dévédé, je me dis que la balance de mes péchés devrait s'équilibrer. 


     Ah ! j'oubliais et de ma part ça semblerait poussif, parce que j'ai du mal à y croire, peut-être un coup de blues passager. Alors je vous fais suivre :

vendredi 14 octobre 2016

A history of violence

La « violence » est une nouveauté historique ; nous autres, décadents, sommes les premiers à découvrir cette chose curieuse : la violence. Les sociétés traditionnelles connaissaient le vol, le blasphème, le parricide, le rapt, le sacrifice, l’affront et la vengeance ; les Etats modernes déjà, derrière le dilemme de la qualification des faits, tendaient à ne plus reconnaître que l’infraction à la Loi et la peine qui venait la corriger. Mais ils n’ignoraient pas les guerres extérieures et, à l’intérieur, la disciplinarisation autoritaire des corps. Seuls les Bloom, en fait, seuls les atomes frileux de la société impériale connaissent « la violence » comme mal radical et unique se présentant sous une infinité de masques derrière lesquels il importe si vitalement de la reconnaître, pour mieux l’éradiquer. En réalité, la violence existe pour nous comme ce dont nous avons été dépossédés, et qu’il nous faut à présent nous réapproprier.
Tiqqun.- Introduction à la guerre civile.
      Essorée par de multiples adaptations à l’opéra, au cinéma, cantonnée dans sa réputation de drame romantique, elle est pourtant faite de vengeances, de déliquescence politique et de haines familiales paroxysmiques. Mais non ! je ne vous parle pas de la primaire de la droite.


Le contraste est brutal entre la naïveté d’adolescents éperdus et la violence programmée des Montaigu et des Capulet qui ensanglantent Vérone, mus par une rancœur ancestrale dont le sens même leur échappe. « À l’opposé de la fade légende qui l’entoure, la pièce de Shakespeare nous suggère une dimension cachée de l’âme humaine : l’idéologie de la virilité meurtrit les femmes, perd les hommes et dresse des tombeaux là où devraient s’ouvrir les lits du vrai bonheur. »


     « Il y a un soleil noir dans cette pièce, c’est cela qu’il faut travailler », déclare Éric Ruf qui en assure la mise en scène et la scénographie. Car cette tragédie qui recèle quelques savoureux moments de comédie est une pièce fantôme qui n’a pas été aussi souvent montée qu’on pourrait le penser. Entrée au répertoire de la Comédie-Française en 1920, elle n’a pas été donnée Salle Richelieu depuis 1952.
Repris et réagencé d'un texte de Marc-Henri Arfeux, sauf les caractères gras.


      C'est un comble, pour une fois que je vais au théatre, c'est au cinéma ; et moi qui ne vais plus jamais au cinéma (depuis qu'ils ont supprimé le ciné-club et les jeudis du patrimoine dans mon établissement de banlieue), quand j'y retourne, c'est pour du théatre ! Mais je ne regrette pas : déjà pour l'ami de ce blog William Shakespeare, dont je n'avais jamais lu ni vu cette pièce illustre et à l'origine d'un mythe ; ensuite parce que, avec les acteurs (magnifique Suliane Brahim dans le rôle de Juju), les décors, la mise en scène, et le prestige de la grande maison, pour le dire comme Mercutio après qu'il s'est fait tailler une boutonnière au foie par Tybalt : j'ai eu mon compte !