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mercredi 25 août 2021

La Dose de Wrobly : thermidor 2021 EC


- Lawrence Block.- Le Blues des alcoolos.
   Un opus plutôt drôle de la série des Matt Scudder, qui recherche plutôt le ton sinistre habituellement. Ici on a un comique de caractère preque westlakien, bien moins réussi évidemment, mais on se demande parfois si la bande de plus ou moins alcoolos mise en scène n'est pas une à la manière de la troupe de bras cassés se réunissant dans l'arrière salle de l'O.J. Bar & Grill d'Amsterdam Avenue... Ce roman étant bâti sur un flashback, Scudder reboit. Et s'attaque à trois intrigues à la fois.



- Jean Racine.- Athalie.
   Je ne connaissais pas celle-ci. Autant j'ai quasi lu tout Corneille, autant de Racine seules Phèdre et Bérénice m'avaient inondé de leurs charmes. Ici nous ne sommes plus ni dans la mythologie grecque (bien que nous y restions dans la tragédie), ni dans la love story politique de l'antiquité romaine, mais dans les contes et légendes de Palestine (la pièce est commanditée, treize ans après que Racine ait renoncé au théâtre pour se réconcilier avec la religion, par la dévote madame de Maintenon, on comprend vite pourquoi). L'histoire est issue du livre des Rois de l'Ancien Testament, où elle est à peine esquissée en une demie page (en papier Bible). Mais Racine la détaille de manière presque Sévère Sulpicienne, en utilisant des procédés qui ne sont pas sans évoquer un à la manière de Flavius Josèphe. En gros, ce sont des fanatiques du pouvoir qui se tirent la bourre avec des fanatiques religieux, et qui s'entretuent méchamment. Bouh !


Salomone Rossi (1570-1630).- Al Naharot Bavel, psaume 136 de David en hébreu.

Extrait :
   "C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit.
Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n’avaient point abattu sa fierté ;
Même elle avait encor cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d’orner son visage,
Pour réparer des ans l’irréparable outrage.
« Tremble, m’a-t-elle dit, fille digne de moi.
Le cruel Dieu des Juifs l’emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille. » En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a paru se baisser ;
Et moi, je lui tendais les mains pour l’embrasser.
Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange
D’os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux."

   C'est beau comme du Baudelaire !

jeudi 21 janvier 2021

La dose de Wrobly : nivôse 2020-2021 EC


- Jules Vallès.- L'Enfant.
   Il y a 35 ans que j'aurais dû lire ce roman, quand j'ai commencé à me passionner pour la geste révolutionnaire et l'épopée anarchiste, et naïvement fantasmé pouvoir y participer notablement. D'autant qu'il fait partie il me semble de ces pépites subversives enseignées parfois malgré tout au collège, désamorcés et falsifiés le plus souvent certes, comme 1984 d'Orwell, autre monument de la critique sociale radicale que j'ai lu tardivement alors que son auteur était pour moi un modèle, une figure tutélaire, un maître... par le bouche à oreille et ce que j'en avais lu dans la presse. Le communard Vallès me semble de même avoir toujours fait partie de mon panthéon personnel, alors que je ne l'avais pas lu. Certes, ces deux écrivains étaient aussi des activistes, ayant mouillé leur chemise, connu la prison pour Vallès et risqué leur peau en pratiquant la critique des armes. C'est surtout pour cela que je les vénérais et que le je les adule encore.
Vallès et Vingtras étaient d'origine paysanne. Écœurés par l'arrivisme petit bourgeois de leurs parents, ils gardaient un amour sensuel et affectif pour les mœurs et le milieu des campagnes. Ici la zad du Triangle de Gonesse (95), mobilisée le dimanche 17 janvier 2021 contre la gare en plein champs prévue par les autorités dans le but d'urbaniser les terres agricoles pour des entrepôts, Amazon, Auchan ou autres.

   Mais après avoir lu l'Enfant, je peux dire en toute sincérité que le Vallès littérateur n'a rien à envier en vertu au Vallès combattant. J'ai dévoré ce roman autobiographique, le narrateur et jeune personnage principal Jacques Vingtras possédant de nombreux traits de personnalité de l'auteur et ayant vécu à quelques licences romanesques près la même vie. Aucun temps mort, aucune longueur. Et, ce qui m'a le plus surpris, que j'ignorais : cette description de la vie d'un enfant martyr est pleine d'humour, un humour efficace qui m'a fait rire, souvent, c'est assez rare pour le signaler ! Et ces métaphores et comparaisons savoureuses, colorées, naturalistes ou oniriques, contribuant beaucoup à l'humour par leur côté insolite et concret. Quel talent ! Et puis, toutes proportions gardées, les chemins, personnalités et époques différant forcément, je me suis un peu identifié à cet enfant trouvant une résilience à tant de souffrances et de tristesse dans le désir de révolte et de fraternité, dans le sentiment d'appartenance aux cohortes de tous les opprimés.
   Combien de temps s’égrainera avant que je lise la suite de la trilogie ? Autant que pour ma rencontre avec l'Enfant ? Le Bachelier et l'Insurgé viendront-ils à moi avant le croque-mort ? Vous le saurez en lisant les prochains épisodes de la Dose de Wrobly...

   A lire aussi, plus actuel : Lyes Louffok.- Dans l'enfer des foyers.- J'ai lu.

- Dr Christophe Fauré.- S'aimer enfin.
   "Chaque jour, chaque semaine apporte son lot de souffrances et d'espoirs vains. De magnifiques personnes meurent, les unes après les autres. Aucun traitement efficace n'enraye la maladie. Pas du tout préparé à cela, j'accompagne des malades en fin de vie à peine plus âgés que moi. Le sida fait peur, mais j'éprouve une étrange fierté à être présent auprès de ceux et celles qu'on rejette comme des pestiférés. Chacun des soignants de ce service semble animé par cette ferveur, le souci farouche de protéger ceux qui sont vulnérables. Le mot "hospitalier" prend une dimension qui m'avait échappé jusque là."
   On m'a offert ce livre, je ne me souviens plus qui (d'où l'intérêt des dédicaces, en plus du petit exercice créatif), pourtant c'est récent, le dépôt légal est d'octobre 2019... Je ne pense pas que cette personne lise ce blog, mais je la remercie de nouveau ici pour cette gentille attention.
S'aimer, c'est aussi aimer notre milieu de vie commun, à nous autres, animaux et végétaux, et se battre pour le défendre. Ici un opposant à la gare de métro en plein champs du Triangle de Gonesse (95), se dirigeant vers l'entrée du chantier en portant un génie, le 17 janvier 2021.

    L'argument : un psychiatre, semble-t-il médiatique, pétri par la dépression, en arrive à se fait moine bouddhiste tibétain en Périgord. Au bout de deux ans, lors d'un pélerinage en Inde, il a une révélation fulgurante de sa mission en ce monde et décide de rendre sa robe et de se consacrer de nouveau à la médecine.

- Charles Baudelaire.- Correspondance II : 1860-1866.
   Le 9 avril prochain Baudelaire aurait eu 200 ans. J'entame donc le tome II de sa correspondance, ce qui clôturera pour moi la lecture de l'ingégralité de ses écrits. J'ai évidemment moins de sympathie pour le personnage que pour Orwell ou Vallès, ce fut plutôt un sale con dans le quotidien, même s'il a beaucoup souffert, de la pauvreté (ce qui ne fait pas naître en lui le moindre sentiment de solidarité à l'égard des damnés de la terre, au contraire, contrairement à Vallès, de douze ans son cadet), mais aussi de la dépendance aux drogues, et en cela je ne peux qu'avoir une certaine compassion pour lui. Mais même s'il fut parmi les insurgés en juin 48, il renonça ensuite à toute préoccupation politique et afficha des positions réactionnaires, par provocation peut-être, par le sentiment toujours plus aigû de sa supériorité aristocratique, puis par une misanthropie qui croitra jusqu'à la haine xénophobe envers nos amis Belges qu'il exprima dans ses pamphlets, parmi les plus violents qu'écrivain produisit contre un peuple. Ce deuxième tome illustre d'ailleurs cette descente progressive de l'orgueil à l'arrogance, de l'arrogance au mépris, du mépris à la haine. En 1866, Baudelaire aura un genre d'attaque cérébrale, à la suite duquel il ne prononcera plus, pendant un an et jusqu'à sa mort, que ces mots, résumant son état de vie : Crénom ! Le grand poète romantique auteur du majestueux et magnifique Albatros : Crénom ! Pour ceux qui n'auraient pas envie de se fader les oeuvre complètes et toute la correpondance pour cerner le personnage, vient de sortir, d'après ce que ma mère m'a dit qui l'a vu à la télé donc c'est que c'est vrai, un livre de Jean Teulé intitulé justement Crénom, Baudelaire !. Je ne sais pas ce ce que ça vaut, mais crois avoir compris que ça balaye tout le côté anecdotique de la vie du purotin qui rêvait de gloire et de puissance en se camant au laudanum et en tapant (financièrement) sa mère ainsi que toute personne susceptible de lui prêter 100 francs, 50 si ce n'est pas possible.
Végétal irrégulier.

   Cela aurait pu être le rêve d'un aménageur qui, comme notre poète, lutterait de manière obsessionnelle contre tout morceau de morale dans l'art : l'abolition du vivant dans un radieux monde vitrifié.

Rêve parisien

 À Constantin Guys.

I

De ce terrible paysage,
Tel que jamais mortel n'en vit,
Ce matin encore l'image,
Vague et lointaine, me ravit.

Le sommeil est plein de miracles !
Par un caprice singulier,
J'avais banni de ces spectacles
Le végétal irrégulier,

Et, peintre fier de mon génie,
Je savourais dans mon tableau
L'enivrante monotonie
Du métal, du marbre et de l'eau.

Babel d'escaliers et d'arcades,
C'était un palais infini,
Plein de bassins et de cascades
Tombant dans l'or mat ou bruni ;

Et des cataractes pesantes,
Comme des rideaux de cristal,
Se suspendaient, éblouissantes,
À des murailles de métal.

Non d'arbres, mais de colonnades
Les étangs dormants s'entouraient,
Où de gigantesques naïades,
Comme des femmes, se miraient.

Des nappes d'eau s'épanchaient, bleues,
Entre des quais roses et verts,
Pendant des millions de lieues,
Vers les confins de l'univers ;

C'étaient des pierres inouïes
Et des flots magiques ; c'étaient
D'immenses glaces éblouies
Par tout ce qu'elles reflétaient !

Insouciants et taciturnes,
Des Ganges, dans le firmament,
Versaient le trésor de leurs urnes
Dans des gouffres de diamant.

Architecte de mes féeries,
Je faisais, à ma volonté,
Sous un tunnel de pierreries
Passer un océan dompté ;

Et tout, même la couleur noire,
Semblait fourbi, clair, irisé ;
Le liquide enchâssait sa gloire
Dans le rayon cristallisé.

Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges
De soleil, même au bas du ciel,
Pour illuminer ces prodiges,
Qui brillaient d'un feu personnel !

Et sur ces mouvantes merveilles
Planait (terrible nouveauté !
Tout pour l'œil, rien pour les oreilles !)
Un silence d'éternité.

II

En rouvrant mes yeux pleins de flamme
J'ai vu l'horreur de mon taudis,
Et senti, rentrant dans mon âme,
La pointe des soucis maudits ;

La pendule aux accents funèbres
Sonnait brutalement midi,
Et le ciel versait des ténèbres
Sur le triste monde engourdi.

Charles Méryon (né la même année que Baudelaire,1821, et mort à 46 ans également).- Le derrière de Notre-Dame, le quai de la Tournelle. Baudelaire a écrit une appréciation de son talent. "Je lui ai promis de rédiger un texte pour ses gravures. Or, si tu peux comprendre tout ce qu'il y a d'insupportable dans la conversation et la discussion avec un fou, tu penseras comme moi que je paye mes albums fort cher." Lettre à sa mère du 4 mars 1860.

   J'entendais une fois de plus hier à la radio Recueillement et Je te donne ces vers... et je me suis fait la réflexion qui concluera cet article, à savoir que, si je trouve certains poèmes de Baudelaire magnifiques, qu'ils me font du bien, et si je peux trouver aussi dans le personnage de Charles un certain comique de caractère, dans ses excès, son côté entier, teigneux, finalemenet, ce que je préfère dans Baudelaire, c'est Léo Ferré.

lundi 21 décembre 2020

La dose de Wrobly : frimaire 2020 EC


- Bruno Alexandre.- Chroniques d'un incroyant, tome 2.
      J'ai encore appris plein de choses sur la religion en lisant ce tome 2 (pour le tome 1 voir la Dose de fructidor 2020 E. C.). Notamment que l'"Immaculée Conception" n'avait rien à voir avec la virginité de Marie quand elle accouche de Jésus, mais avec le fait qu'elle-même n'a pas été touchée par le péché originel quand sa daronne à elle l'a conçue. Méfions-nous donc quand un journal trouve swag d'ironiser sur la religion par quelques informations parcellaires, de ne point aller ensuite croiser le fer polémique avec des papistes en l'occurrence sans connaître tous les tenants et aboutissants de la question. Aussi je me disais bien que Marie vierge enceinte datait d'avant Jean-Roger Caussimon et surtout d'avant la prononciation solennelle du dogme de l'Immaculée Conception par Pie IX en 1854, à mon esprit revenant comme un caillou critique dans ma chaussure conceptuelle ces vers de François Villon :

Envers le fils de la vierge Marie
Que sa grâce ne soit pour nous tarie.



     On apprend encore plein de choses dans ce tome 2 dont nous lûmes le 1er volume en fructidor dernier.


- Jean Barrué.- L'Anarchisme aujourd'hui / Michel Bakounine.- La réaction en Allemagne.
     Après l'hérésie contre le vivant ci-dessus décrite et critiquée par Alexandre Bruno, ces torrents de blasphèmes contre la liberté, l'égalité et la fraternité humaine, la lecture d'une version parmi d'autres de notre catéchisme révolutionnaire fait un bien fou ! Même si on le dévore dans nos pantoufles confinées.


- Lawrence Block.- Le Coup du hasard.
     Qui a tué la souris ? Le rôdeur au pic à glace, comme tout le monde l'a cru ? Ou bien le mari ? la maîtresse ? le voisin ? la sœurette ?... comme essaye de l'éclaircir Matt Scudder huit ans après les faits, en arpentant les cinq "bourgs" du New York du début des 80's. Pas évident quand on n'échappe à la gueule de bois que par une nouvelle biture ! Mais ce sera le dernier opus du Scudder alcoolique pratiquant, dès le prochain il aura rejoint les Alcooliques Anonymes et se contentera de la foi sans les œuvres... Enfin peut-être pas pour moi car je viens de me rendre compte que je me suis trompé dans l'ordre de mes lectures, j'en ai encore un à découvrir qui se passe avant celui-ci, donc en pleine imbibation de notre privé sans licence (ex-keuf, il faut bien le dire...).

jeudi 24 septembre 2020

La dose de Wrobly : fructidor 2020 EC

   Pendant l'été Wrobly a fait un sort au tome 1 des Mémoires de Saint-Simon dans la Pléiade et au tome 1 de la correspondance de Baudelaire dans la même collection. Il est d'autre part toujours en cours de lecture de L'Art japonais. Mais comme ces trois pavés sont déjà apparus précédemment dans cette rubrique, il ne les mentionne qu'en passant, pour vous dire qu'il n'a pas chômé, et qu'il ne chôme toujours pas, malgré confinement, travail à domicile et congés estivaux.

   Ce dernier mois il est revenu à des choses un peu plus easy reading.

- Bruno, Alexandre.- Chroniques d'un incroyant


- Block, Lawrence.- Au cœur de la mort (In the Midst of Death), 1977. 


- Gotthold Meyer, Alfred .- Construire en fer : histoire et esthétique (Eisenbauten : ihre Geschichte und AEsthetik), 1907.


   Bonnes lectures !

dimanche 2 février 2020

Judéophobie

Peu après la tentative de carnage dans une synagogue de Halle (Allemagne) en plein Yom Kippour, un sondage sur l'antisémitisme était réalisé auprès de 1 300 Allemands.


Plus de 20% des personnes interrogées déclaraient que le peuple juif avait "trop de pouvoir" sur l'économie et les médias.


L'enquête révélait que les personnes riches et diplômées n'étaient pas en reste : 18% étaient raccords avec les préjugés antisémites.


Au pays de la Solution finale, où les juifs ne représentents qu'environ 200 000 personnes sur une population de 80 millions, les actes hostiles envers eux ont augmenté de 20% en 2018.


Et au sein de l'AfD, on n'hésite pas à en rajouter.


Björn Höcke, membre de l'aile völkisch du parti, a qualifié le Mémorial du génocide de Berlin de "monument de la honte au cœur de la capitale" et a invité à rompre avec la culture de la repentance.


Propulsé tête de liste aux régionales en Thuringe, il est arrivé en deuxième position avec 23,3% des voix le 28 octobre dernier, doublant son score de 2014.


L'Histoire ne se répète jamais, dit-on, mais elle peut bégayer salement.










Brève issue du CQFD n° 182 de décembre 2019.

vendredi 4 octobre 2019

Remake

Tu dois être au courant que, depuis quelques années maintenant, mon pays, le Burkina, est la cible d’attaques djihadistes, notamment dans les villages qui ne sont pas protégés.
    Dans la nuit du 26 juillet, des hommes cagoulés et armés ont débarqué chez nous, et ce fut le début du calvaire. Les hommes ont été traqués et égorgés, les animaux emportés, les greniers et les biens pillés. Comme si cela ne suffisait pas, ils ont brûlé nos maisons. Il ne nous restait que la fuite. […] Si nous avons échappé aux kalachnikovs de ces barbares, on est loin d’être tirés d’affaire. Beaucoup sont sans nouvelles de leurs proches. […] « J’ai vu des femmes se faire battre jusqu’à ce que mort s’ensuive, ces gens n’ont aucune pitié. » La dame qui parle ainsi a perdu son mari et ses deux grands fils, tués et brûlés sur place.
Roukiata Ouedraogo.- "A l'aide !".- Siné Madame, octobre 2019.


Souvent, les Cosaques apparaissaient dans les endroits où ils étaient le moins attendus ; alors, tout ce qui était vivant disait adieu à la vie. Des incendies dévoraient les villages entiers ; les chevaux et les bœufs qu’on ne pouvait emmener étaient tués sur place. Les cheveux se dressent d’horreur quand on pense à toutes les atrocités que commettaient les Zaporogues. On massacrait les enfants, on coupait les seins aux femmes ; au petit nombre de ceux qu’on laissait en liberté, on arrachait la peau, du genou jusqu’à la plante des pieds ; en un mot, les Cosaques acquittaient en une seule fois toutes leurs vieilles dettes.
Nicolas Gogol.- Tarass Boulba.

 

mardi 16 octobre 2018

Casuistique et contrition vs pureté du Verbe

Un prêtre argentin ayant collaboré avec la junte expliqua la philosophie de celle-ci : "L'ennemi, c'était le marxisme. Le marxisme au sein de l'Eglise, disons, et dans la mère patrie - le danger que présentait l'avènement d'une nouvelle nation."
Naomi Klein.- La Stratégie du choc.

   [...] Jules* siffla le reste de vin et s'affala sur son lit, les bras en croix, sur le dos. La tête lui tournait. D'un main hésitante, il retroussa sa soutane et trifouilla sa braguette, sans résultat. Ah... du temps du séminaire, comme il était doux de se taper une petite pignole dans la solitude de la cellule, après complies. Bien sûr, c'était un péché, mais le révérend père Eusèbe savait se montrer indulgent, et, au confessionnal, il évacuait rapidement le problème de la chair. il prononçait "cheurre", avançant les lèvres en cul-de-poule. Outre les pignoles, Jules se souvenait du petit Louison, enfant de chœur de la paroisse Saint-Joseph, où, jeune vicaire, il célébra ses premières messes. L'adolescent était si naïf, si serviable... san aube froufroutante laissait deviner le galbe de la fesse, lorsqu'il se penchait pour servir le vin de messe. Ah, nostalgie de la jeunesse !
   Jules sombra dans un sommeil ponctué de puissants ronflements.

   Cuvant son beaujolais, il dormit toute la nuit. La bouche pâteuse, il s'éveilla fort tard, dérangé par un rayon de soleil qui se faufilait au travers des persiennes et vint lui chatouiller le nez.
   Jules se leva et contempla la banlieue ouatée d'une brume matinale. Aussitôt, il s'en fut s'agenouiller sur son prie-Dieu, après avoir pissé un coup.
   - MMrmmrmr... ecce, advenit dominator Dominus... mrmr... et regnum in manus ejus et potestas et imperium... mrmrmr... et Gloria patri et filio et spiritui sancto sicut erat in principio mrmrmr et nunc et semper et in saecula saeculorum... amen ! Ah !... s'écria-t-il, une bonne petite prière pour chasser la gueule de bois, y a qu'ça de vrai !
   Mais alors qu'il se relevait, un rayon flamboyant perfora le ciel bas et lourd, s'incurva et vint frapper Jules, qui courba la tête.


    - JULES... JULES... JULES...
   La voix était grave, caverneuse. C'était Sa voix, à Lui. Jules se mit à trembler. Depuis quelque temps, le Très-Haut condescendait à parler au chanoine, surtout le matin.
   - JULES... JULES... M'entends-tu ?
   -Quatre sur cinq seulement, ô Seigneur ! J'ai... j'ai un peu picolé hier soir ! avoua Jules.
   Le rayon redoubla d'intensité et effleura la barbe du chanoine, dont quelques poils roussirent. Jules comprit que le Très-Haut était en colère.
   Je l'f'rai plus, Seigneur ! sanglota-t-il.
    - Bougre d'abruti ! tonna la voix. Je me contrefous que tu picoles ! Ce n'est pas ce misérable petit péché de rien du tout qui provoque Mon courroux !
   - Ah bon ?
   On m'a dit que tu t'étais encore laissé embobiner par la canaille !
   - C'est qu'ils m'ont remis un chèque pour mes pauvres ! plaida Jules, en rentrant la tête dans les épaules.
   Tassé sur son prie-Dieu, il s'attendait à recevoir une raclée en bonne et due forme à coups de rayon, mais il sentit passer sur sa nuque le souffle divin. C'était un soupir très doux, parfumé d'encens.
    - Ah ! Jules... se lamenta le Seigneur. Mon pauvre Jules ! Que fais-tu de Mon enseignement ? Combien de fois t'ai-je expliqué ? Avec Mon infinie bonté, Mon infinie patience ?
   - Pardon, ô Seigneur...
   - N'implore pas, misérable ! gronda la voix.
   Le rayon crépita et Jules sentit une morsure brûlante sur sa joue.
   - Combien de fois t'ai-je menacé des flammes de l'enfer si tu t'obstinais dans la voie de la collaboration de classes ? Crétin !
   - Je fais de mon mieux, ô Seigneur ! protesta faiblement Jules en portant la main à sa blessure.
    - Silence ! C'est pourtant simple, nom de Moi ! s'écria le Tout-Puissant. Reprenons là où nous en étions la dernière fois ! Récite un peu !
   - Le capital-extorque-la-plus-value-à-la-classe-ouvrière... ânonna Jules ;
   - Ah ! ah ! on fait des progrès... susurra la voix. Allez, va chercher ton cahier !
   Jules s'installa à la table, tailla son crayon. Et, une fois de plus, le Seigneur exposa ses préceptes d'amour.

    Un quart d'heure plus tard, la leçon durait toujours. L'élève se faisait durement tirer l'oreille.
   - C'est pourtant simple, Jules ! s'énervait le Très-Haut. La chute tendancielle, oui, ten-dan-cielle, écris plus vite ! Tendancielle du taux de profit amène la récession lors de laquelle le capital brise les forces productives ! Jules, enfin, c'est élémentaire !
   Le chanoine écoutait. Religieusement.
   - Bon, soupira le Seigneur. Voyons si tu sais au moins le premier cours... Qu'est-ce qui détermine la valeur d'échange d'une marchandise ?
   - Ah, elle est dure, celle-là, Seigneur ! Attendez, j'y suis ! C'est la quantité de travail socialement nécessaire pour la produire ! J'ai bon, Seigneur ?
   - C'est bien, Mon fils, c'est bien... Pour la semaine prochaine tu me réviseras la composition organique du capital ! Tu te souviens, n'est-ce pas ? C sur c+v et tout ce qui en découle...
   - Tes vœux seront exaucés, Seigneur, murmura Jules après avoir regagné son prie-Dieu.
   - Mais cesse dont de te prosterner ainsi ! Un peu de dignité, que dia... ah, tu m'en fais bafouiller ! Jules ! Je fonde de grands espoirs sur toi, à condition que tu veuilles bien t'amender ! Tu es Jules, et sur Jules je rebâtirai mon église ! Car, vois-tu, je n'ai plus grand monde de présentable ! A part de gras pantouflards qui s'endorment au moindre cantique, nom de Moi ! Et l'autre Polack qui se prend pour... pour...
   Le Seigneur s'étranglait d'indignation.
   - C'est une mauvaise passe, ça va se tasser, ô Seigneur ! s'écria Jules.
   Mon troupeau se disperse ! reprit La voix. Je sens que ça foire dans les siècles des siècles, en vérité je te le dis... prie et médite, car je suis l'Unique !
    Soudain, le rai de lumière se tarit. Le chanoine se retrouva seul, à mi-chemin entre Dieu et les hommes. La tâche était rude. A maintes reprises, le Tout-Puissant s'était confié à Jules, son serviteur le plus dévoué. Il lui avait dit la colère des humbles qui arrivaient au ciel furieux de s'être laissé gruger toute leur vie.
   Depuis un petit siècle, le Seigneur recevait régulièrement la visite d'un certain Karl. Un brave garçon, certes un peu bougon, mais qui ne disait pas que des sottises. Karl connaissait avec ses disciples les mêmes déboires que le Seigneur. On tripatouillait le dogme, on sombrait dans la corruption en se foutant du populo crédule... Tant d'efforts pour en arriver à ce désastre.
   Jules était atterré par ces révélations. Il n'osait contredire le Seigneur de crainte d'être illico muté chez Belzébuth. Que faire ? A l'évidence, du côté divin, ça ne tournait plus très rond. Mais Jules, humble brebis dans l'immense troupeau humain, ne pouvait brandir l'étendard de la révolte contre le Créateur...
[...]
    Mais alors qu'il désespérait, il entendit La Voix.
   - Jules... Jules... Jules... Bougre d'abruti ! Vois ce que tu as fait ! Au lieu de suivre mes conseils et de guider mes brebis sur une ligne classe contre classe, tu as semé la division dans le camp ouvrier !
   - Mais Seigneur, moi et mes biffins, nous ne sommes que de pauvres pâtres...
   - Des pâtres, des pâtres ! Mais... tant de zizanie ! ricana le Très-Haut.
   Jules, la tête entre les mains, s'attendait à subir la caresse brûlante du rayon divin, en guise de punition.
   Rien ne vint.
[...]
   - Oui... terrible ! murmura le médecin. [...] Mais venez, Jules est tout près de là, j'entends sa voix !
    Un jeune curé à cheveux longs vint à leur rencontre. Le médecin fit les présentations.
   - Voilà l'abbé Jacques, notre évangélothérapeute ! C'est lui qui soigne votre frère, Ernestine...
   Jules était assis dans l'herbe, vêtu de rouge des pieds à la tête, et lisait un ouvrage de Lénine.
   - Alors, Jules, comment va ? demanda l'abbé.
   - Arrière, laquais de la bourgeoisie, suppôt du capital ! ricana le chanoine.
   - Ah ! Jules, mon Dieu... sanglota Ernestine. Saint Marc, saint Jean, saint Louis et tous les saints...
    - Ma sœur, ne vous tourmentez pas ! s'écria l'abbé. Jules fait de grands progrès...
   Il les entraîna un peu à l'écart. Ils s'assirent sur un banc.
   - Mais je ne comprends plus... dit Etienne. Il a renié saint François ?
   - Tout à fait ! reprit l'abbé Jacques. C'est bien pourquoi j'affirme qu'il progresse ! Il se range aujourd'hui résolument sous la bannière du Seigneur, même s'il croit que celui-ci s'est converti au marxisme. Jules éprouve en fait une grande culpabilité, qui date du temps du séminaire. Il n'est devenu capucin que pour faire plaisir à ses parents.
   - C'est bien vrai, comment le savez-vous ? s'écria Ernestine.
   - L'hypnoconfession, ma sœur ! répondit l'abbé. En fait, son ambition d'adolescent était de mener une grande carrière ecclésiastique, devenir cardinal et, qui sait... pape ? Il y a renoncé. D'où une récrimination sans cesse refoulée contre la hiérarchie épiscopale que Jules transcrit aujourd'hui dans son délire révolutionnaire... Me suivez-vous ?
   - Tout à fait ! s'exclama Étienne, fasciné par la clairvoyance de l'abbé.
   - Dans son délire antérieur, ce non-dit était déjà présent ! poursuivit Jacques. D'où la référence à saint François, fondateur d'un ordre mendiant, résolument hostile aux fastes de l’Église officielle... Suis-je clair ?
   - Vous l'êtes, mon père, vous l'êtes... dit gravement Étienne.
   - Il faut laisser opérer l'Esprit-Saint, conclut l'abbé. Jules retrouvera une vie normale, j'en suis persuadé !
   - Puisse Dieu vous entendre, mon père, murmura Ernestine.
   L'abbé s'était levé et se dirigeait vers Jules.
   - Tout va bien, camarade ! lui lança-t-il.
   -Mort aux bourgeois ! répondit Jules.
   Ernestine voulut lui remettre les quelques friandises qu'elle avait apportées, mais il la traita de grenouille de bénitier.


* A ne pas confondre avec l'abbé Jules, dont nous avons évoqué les affres ici, ici, et . Jules est en l'occurrence chanoine. Il est par ailleurs très fortement inspiré par un abbé ayant réellement existé, et dont nous tairons le nom par respect pour sa charogne qui doit, à l'heure actuelle, souffrir d'un degré de décomposition plus que certain, depuis le temps.

vendredi 2 mars 2018

La fabrique du Catholique

   La manifestation des cent vingt prêtres, le 11 mai 1966, marqua le point culminant du cléricalisme de gauche.


   Son objectif était de protester contre les tortures faites dans un commissariat à un étudiant membre du P.C. Ils voulaient ainsi donner un sens universel aux protestations que certains secteurs de l’Église, religieux et laïques, n'élevaient que lorsque la victime était un militant catholique.
[...]
    A onze heures et demie je commençai à tourner sur la place de la cathédrale avec mon vélomoteur. Les ensoutanés arrivaient isolément pour se rassembler dans le cloître de la cathédrale. Mais toute discrétion était inutile, car je pus me rendre compte que le secret était devenu secret de polichinelle. Je comptai au moins huit "Sociales"* fouinant aux alentours, avec leur touche incomparable.
   Les prêtres passèrent du cloître à l'intérieur de l'église, où ils demeurèrent quelques minutes.
   Il était 13 heures 5 quand le spectacle commença. Un long cortège de soutanes, en rangs par trois, commença à sortir par la porte de la cathédrale. Traversant la large place il se dirigea vers la rue Joaquin Pou, qui aboutit à la porte même du commissariat. Il était impressionnant de voir cette longue file de soutanes, surtout quand on connaissait le sens de la manifestation. Ils avaient peur, c'était évident pour plusieurs, mais ils étaient dignes et décidés.
    Quelques inspecteurs en civil s'approchèrent de ceux qui marchaient en tête, essayant de les dissuader, allant même jusqu'à leur saisir le bras pour les sortir des rangs. Mais ils ne cédèrent pas et le cortège continua d'avancer jusqu'à son but. Moi, je suivais cette marche, qui présageait un drame, le cœur serré. Quand la tête du cortège disparut dans la rue Joaquin Pou, je fis le tour par la Via Layetana et me plaçai au coin de cette dernière et de la place Maestro Luis Millet, simulant une panne à mon vélomoteur. Accroupi, une clé anglaise à la main, je ne perdis aucun détail des évènements.
    Quand la tête de la manifestation fut arrivée devant la porte du commissariat, on attendit un peu que tous soient là. Un prêtre se détacha alors avec un papier : le texte de protestation. Comme on lui interdisait l'entrée, il voulut le remettre au planton, qui refusa de prendre cette responsabilité. Après plusieurs refus, le papier resta finalement abandonné sur une des voitures officielles stationnées là, où un policier le ramassa un moment après.
   Et là commença l'incroyable. Les inspecteurs qui flanquaient la manifestation, aidés par d'autres qui sortirent de l'intérieur du commissariat, commencèrent à invectiver grossièrement les curés, les frappant à coups de poing, à coups de pied, essayant de les disperser. Des éléments de la Police armée furent obligés de participer au travail, ce qu'ils firent avec beaucoup moins de conviction. Plus tard on apprit que huit d'entre eux avaient été mis aux arrêts pour avoir refusé de participer à la bastonnade.
   Les prêtres, sous la pluie de coups, ne se mirent pas à courir, ni ne se dispersèrent, comme l'espérait leurs bourreaux. Ils se dirigèrent vers la place Urquinaona. Le plus gros de la troupe prit par la Alta de San Pedro, jusqu'à l'église de San Francisco de Paula, qu'il trouva fermée ; il se joignit alors au groupe qui montait par Junqueras. Plus pâles que la cire, sans desserrer les lèvres, ils supportaient stoïquement les insultes et les coups. Je m'imaginais qu'ils devaient éprouver les mêmes sentiments que les martyrs en présence des bêtes dans les cirques romains. Le public, surpris devant un spectacle tellement insolite, restait muet, témoin impassible et impuissant de cette raclée sacrilège.


   Une gifle claqua près de moi. Je me retournai et reconnus un jésuite déjà âgé, auteur de plusieurs livres, qui se baissait pour ramasser ses lunettes que la gifle magistrale avait fait sauter. Dans cette position ils lui administrèrent un coup de pied dans le derrière qui lui fit embrasser le trottoir, pendant que le même pied écrasait les lunettes. J'en vis un autre qui recevait un coup de pied dans le bas-ventre. Avec acharnement ils les poursuivirent pendant plus de cent interminables mètres, comme un essaim de guêpes qui n'abandonnent pas leur proie. En arrivant place Urquinaona, ils se dispersèrent.
   Des énergumènes acharnés continuèrent encore la chasse, si bien qu'un capucin qui allait se réfugier dans le collège des Jésuites de la rue Capse, distant de quelque trois cents mètres du commissariat, reçut un coup de matraque sauvage sur la tête, qui le renversa ensanglanté.


    La seconde partie du drame fut une saynète grotesque. Les moyens de la propagande gouvernementale entrèrent en action. La télé exhuma les inévitables photos d'églises brûlées par les "hordes rouges", de prêtres assassinés par la "populace marxiste", de miliciens tirant des coups de fusils sur la statue du Sacré-Coeur, etc.** Les journalistes firent aussi de leur mieux. La version officielle, ce fut les journaux de Mouvement*** - Solidaridad Nacional, Arriba, La Prensa - qui la fournirent. Ils parlaient de "l'attitude tumultueuse, rebelle et provocatrice" des manifestants, dont le point culminant avait été l'"agression par un jeune prêtre d'un agent de l'autorité", si bien que celle-ci s'était vue obligée de dissoudre le cortège qui paralysait la circulation. Pueblo, sous le titre "Les nouveaux curés", assurait que le "spectacle de Barcelone est tellement grotesque qu'il n'en est pas édifiant". Informaciones intitulait l'article "Étonnement et peine". Mais celui qui enleva la palme fut Tele-Exprès qui qualifiait la manifestation de "procession politique" et les manifestants de "bonzes enquiquineurs" qui feraient mieux "d'aller répandre la bonne graine en Amazonie ou aux Andes".
   Peu après vinrent les condamnations de la manifestation. C'est le chapitre de la cathédrale de Grenade qui ouvrit le feu, suivi par les prêtres de Ciudad Real, les chefs de familles d'Elche et autres forces vives du même calibre, avec enfin l’épiscopat espagnol.
   Plus tard furent jugés ceux que la police considérait comme principaux meneurs. Ils furent condamnés à un an de prison qu'ils n'eurent pas à purger.

*Police politique. 
**Photos tirées des archives de la guerre civile. 
***Parti unique du régime franquiste.

Extrait de Barcelone : l'espoir clandestin, de Julio Sanz Oller, en promo chez CQFD, courez-y vite si vous voulez continuer de bicher !

lundi 13 février 2017

Islamo-gauchisme

« Oui, dimanche, c’est aussi une forme de référendum sur la conception de la laïcité qui doit être la nôtre : ou une laïcité qui s’efface ou une laïcité revendiquée. Cette belle laïcité qui est celle d’Elisabeth Badinter, de Caroline Fourest, de Mohamed Sifaoui (…) la laïcité de Malek Boutih. »
Manuel White

   J'ai entendu toujours avec peine, non seulement des jacobins révolutionnaires, mais des socialistes élevés plus ou moins à l'école de Blanqui, et malheureusement même quelques-uns de nos amis intimes, qui ont subi indirectement l'influence de cette école, avancer cette idée complètement anti-révolutionnaire qu'il faudra que la future république abolisse par décret tous les cultes publics et ordonne également par décret l'expulsion violente de tous les prêtres. D'abord je suis l'ennemi absolu de la révolution par décrets qui est une conséquence et une application de l'idée de l'Etat révolutionnaire - c'est-à-dire de la réaction se cachant derrière les apparences de la révolution. Au système des décrets révolutionnaires, j'oppose celui des faits révolutionnaires, le seul efficace, conséquent et vrai. Le système autoritaire des décrets, en voulant imposer la liberté et l'égalité, les détruit. Le système anarchique des faits, les provoque et les suscite d'une manière infaillible en dehors de l'intervention d'une violence officielle ou autoritaire quelconque. Le premier aboutit nécessairement au triomphe final de la franche réaction. Le second établit, sur des bases naturelles et inébranlables, la révolution.

 Idiot utile (barbu)

   Ainsi dans cet exemple, si l'on ordonne par décrets l'abolition des cultes et l'expulsion des prêtres, vous pouvez être sûr que les paysans les moins religieux prendront parti pour le culte et pour les prêtres, ne fût-ce que par esprit de contradiction, et parce qu'un sentiment légitime, naturel, base de la liberté, se révolte en tout homme contre toute mesure imposée, eût-elle même la liberté pour but.

Michel Bakounine.- Lettres à un français sur la crise actuelle, 1870.

mercredi 7 décembre 2016

Inimitié espagnole

C’est le chien enragé que tout passant a le devoir d’abattre, de peur qu’il ne morde les hommes et n’infecte les troupeaux.
Laurent Tailhade, 1902

Juan Bimba, un ancien dynamitero de la guerre d'Espagne, expulsé du Mexique où il avait été jugé peu conformiste par ses compatriotes staliniens. 

      Bimba n'en revenait pas.
      - J'ai été dynamitero pendant la guerre d'Espagne et au siège de Madrid, dit-il. On montait à l'abordage des tanks fascistes et on balançait une grenade par la meurtrière pour bousiller l'équipage ; on se baladait sous le feu des autres avec des paquets de dynamite accrochés tout autour de la ceinture, et une cigarette au bec pour allumer la mèche au moment de les lancer. Les bouteilles d'essence, je n'en parle pas, ce n'est pas tellement dangereux. Vers la fin, on remplissait des flacons de cognac avec cette soupe de mort que nous traînons aux fesses cette nuit et, quand on les envoyait à la volée, il y avait des petits morceaux de tank qui retombaient tout autour de nous. [...]
     Le curé s'approcha [...] :
     - Vous n'avez pas le droit de faire ça. Il y a sept cents habitants dans ce hameau. [...]
     - Merde, mais il va nous porter la cerise ce con-là, s'écria Bimba. On n'est pas encore sautés, non ? Et même il n'y a rien de sûr à ce que ça arrive. Allez, faites pas chier les personnes, mon Révérend, on passe.
     - Mais vous n'avez pas le droit... On vous a aménagé une dérivation... Je me plaindrai à la Compagnie !
     - Ca, vous savez ! Si on saute, il n'y aura plus personne ni pour se plaindre ni pour recevoir l'engueulade, et si tout se passe bien, votre plainte, vous pourrez vous la mettre où vous voudrez, ils n'en feront pas grand cas.
   Luigi était Italien. Ce conflit avec un prêtre le mettait mal à son aise. Il intervint :
     - Et dans quel état est-elle, la dérivation ?
     Parfaite, monsieur, parfaite, assura le curé. Ils sont passés hier avec le bulldozer ; elle est meilleure que la rue principale, bien meilleure.
     - Allons-y toujours voir. [...]
     Le curé insistait. Le maire avait disparu depuis qu'il avait été question de la dérivation. Sans doute faisait-il confiance à l'éloquence de l'autre. Un prêtre est un professionnel, après tout.
     Il avait une bonne figure, ce vieux en soutane. Des yeux, surtout, tendres et tristes. Et ce qu'il disait...
     - Je suis un vieil homme, moi. Je n'ai pas peur. Mais ces pauvres gens, leurs maisons, leurs enfants... Je suis resté debout toute la nuit à prier pour qu'il ne leur arrive rien. Epargnez-les. Vous, vous êtes des hommes, vous saviez ce que vous faisiez en vous lançant là-dedans. Eux, ils n'y sont pour rien... Passez par ici. Moi, je vais me remettre à prier ; pour vous, cette fois.

Je recommanderai au Seigneur de garder auprès de Lui en Son Paradis le premier qui me dit à qui appartient ce dos.

     - Passe la main, dit Bimba. Moi, des curés, j'en ai trop brûlé pendant la guerre. J'ai plus confiance.
     - Porca Madonna, te tairas-tu, farabutto ! gronda Luigi le Pieux. D'accord, Padre, nous passerons par ici.
     - Merci, mon fils, merci pour mes brebis, reprit le vieil homme. Dieu te le revaudra. Je vais vous bénir pendant que vous partirez ; et prier pour vous tout le temps. Vous verrez : même si vous n'y croyez pas, ça vous portera chance. [...]


     Luigi est en tête. [...] Le pied à fond sur l'embreillage, il se penche, la tête hors de la cabine :
     Adios, Padre. Et bénissez-nous bien, que nous en avons besoin.
     Le prêtre recule d'un ou deux pas ; soudain il paraît très grand. Il lève les deux bras sous le ciel. La lumière des guirlandes lui fait une sorte de chasuble pourpre.
     - Benedicat vos omnipotens Deus...
     Il abaisse la main droite en un signe de croix démesuré.
     - Pater et Filius...
     Ils ont beau faire, ils écoutent. Ils sont même émus ; sauf Bimba qui, à mi-voix, jure tout ce qu'il sait de plus outrageant sur le compte de Dieu.
     - et Spiritus Sanctus.
     - Amen, répond Luigi en embrayant. [...]


     Mais, qu'est-ce qui se passe donc ? On dirait que le camion de Luigi revient. [...] Avant même l'arrêt, Bimba saute à terre. Il est blême de fureur.
     - Où est ce curé ? Où est cette saloperie de curé, bordel de Dieu de merde ?
     - Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qu'il t'a fait ?
     - Regarde !
     Sous le nez de Gérard il brandit l'écriteau qu'il a arraché aux mains de l'Italien :
     - Attention ! Vitesse extrêmement réduite ! Sol en mauvais état. Danger. Attention ! Attention !
     - Voilà ce qu'il m'a fait cette salope. Il s'est douté que si nous lisions ça, nous passerions par sa paroisse de merde, et il a eu peur pour sa précieuse petite vie, pour sa maison et pour tous ces scrofuleux qui sont son gagne-pain ! Où est-il, ce fumier, que j'en tue encore un avant de crever...


     Des hommes du village se sont approchés. [...]
     - Vous avez quand même enlevé l'écriteau, hein !
     - Non ! Pas nous.[...] C'est le Padre qui a tout fait. [...]
     - Oui, le Padre l'a enlevé. Il a dit que si vous le lisiez vous traverseriez le village...
     - Nous, on voulait s'en aller dormir tous ailleurs, cette nuit, dit un autre. Mais le Padre nous l'a défendu : son église et sa maison sont juste au bord de la grand-rue. Il ne voulait pas risquer de tout perdre.
      - Et si un de nous vous disait quelque chose, il a menacé de prier pour qu'il perde son bétail et que ses enfants meurent.
     "- Laissez-moi faire. Je me charge de tout, je les convaincrai, je les avertirai aussi des dangers de la nouvelle piste." [...]
     - Et où est-il maintenant ? [...]
     Ils se taisent tous, l'air buté. [...]
     Mais ils ne l'entendent pas de cette oreille ; surtout l'Espagnol.
     - Venez, vous autres ! lance-t-il à ses copains. On le trouvera bien...
     - Je reste au camion, répond Luigi. On ne peut pas les laisser seuls comme ça...
     Les autres emboîtent le pas à Bimba.


     Ils n'ont pas eu à chercher bien loin. Tout naturellement le prêtre s'était réfugié dans son église. C'est là qu'ils l'ont débusqué, blotti dans l'ombre d'un pilier.
     - Sors de là, lui a dit Gérard.
     Mais l'Espagnol s'est interposé :
     - Non. Ici. Dans sa tanière. Dans son coupe-gorge. Dans la maison de son maître. T'en fais pas, salope ! Peut-être qu'il descendra de sa croix pour prendre ta défense, l'autre fumier.
     Le prêtre était plus mort que vif. Mais il ne fit pas un geste pour se protéger, ne dit mot. D'un coup de pied dans la poitrine, Bimba l'écroula à la renverse. Puis il se jeta sur lui, le retourna face contre terre et, le saisissant aux oreilles, se mit à lui frotter le visage contre le sol de ciment. De toutes ses forces. Longtemps.
     - Arrête, dit le Roumain. Tu seras bien avancé quand tu l'auras tué. Tu ne profiteras même pas de ta prime.
     Mais Bimba ne lâcha prise que bien plus tard. Le vieux qui, au début, avait crié, ne respirait plus qu'à peine.
     Avant de quitter l'église, l'Espagnol arracha le crucifix du maître-autel et s'en servit comme d'une masse pour défoncer la porte du tabernacle. Il dispersa les hosties à la volée entre les travées de prie-Dieu et cracha dans le ciboire.
     Je voudrais avoir envie de chier, grogna-t-il.
     Quand Luigi, qu'ils retrouvèrent aux camions, apprit tout cela, il soupira.
     - Ca ne nous portera pas chance, murmura-t-il. 

vendredi 10 juin 2016

Tempête sous un crâne radical

Le maire saisit l’occasion d’aller se mêler aux autres buveurs […] il resta presque silencieux, l’air absent et soucieux. En effet, il était très loin d’eux et du café Judet […]. La tragédie antique, la shakespearienne et les drames d’Alexandre Dumas ne proposent que des situations d’une horreur médiocre, comparées à celle où se débattait Voiturier […]. Les vérités éternelles de la religion resplendissaient à ses yeux, et l’apparition […], par un enchaînement logique et inexorable que sa raison saisissait trop bien, ruinait son idéal républicain, anticlérical, et progressiste. Mais lui, adossé à l’enfer, se jurait de lutter contre Dieu pour la République laïque et démocratique aux côtés de son député radical. Comme tous le héros, il connaissait des moments de détresse et de défaillance. Souvent, il avait soif de Jésus, de la sainte Vierge, et enfourchait sa bécane pour aller se jeter aux pieds du Sauveur, baiser la robe de sainte Philomène oou les sandales de saint François-Xavier. Mais sur le chemin, il se reprenait en pensant au triomphe insolent de la clique réactionnaire, au désarroi de ses fidèles électeurs et à sa propre confusion en face de son député qui le regarderait tristement en caressant sa barbe noire. Se résignant alors à un compromis, il allait faire son signe de croix derrière un buisson et se rafraîchissait d’un Ave murmuré les mains jointes, parfois même se recommandant à Dieu et plaidant une cause qu’il savait désespérée. « Mon Dieu, disait-il, ce que j’en fais, c’est pour la justice. » Le soir, chez lui, après dîner, quand les domestiques étaient partis et qu’il se trouvait seul avec sa fille, il retrempait ses résolutions en évoquant les luttes et les humiliations d’autrefois. « Ces cochons-là, ils voulaient nous dominer. De ce temps-là, il n’y en avait que pour la soutane. On n’était pas seulement chez soi. Le curé fourrait son nez partout, jusque sous vos couvertures. Et il emmerdait la mairie et les conseillers, il tenait le maître d’école, le garde champêtre, le cantonnier, le percepteur, le juge de paix. Ceux de la clique avaient tous les droits, et nous, on était de fermer nos gueules. Mais bon Dieu on reverra pas ça. » Il sentait remuer en lui des raisons philosophiques qu’il essayait de faire surgir sous la lampe, mais qui restaient prises dans un bloc informe et n’arrivaient pas à s’exprimer. […] Mais la conscience torturée, l’esprit absorbé par la lutte impie, il voulait au moins avoir la paix dans sa maison.

Spartacus en croix
Bronze
Maison de la Mutualité, Cologne

   Sur la route, les sœurs Moineau passèrent devant le café et les compagnons du maire échangèrent des sourires à la vue de ces trois vieilles filles réputées les plus pieuses de la paroisse. Voiturier, empoignant son verre, prit une mouche qui était en train de s’y noyer et l’éleva en l’air à la façon d’une hostie en récitant : « Agnus Dei, qui tollit peccata mundi miserere nobis. » Pendant qu’il se livrait à cette facétie, son visage devenait livide, ses narines se pinçaient. Le simulacre parut audacieux, mais fit rire. Quoique un peu choqués, les buveurs reconnaissaient dans cette plaisanterie un humour vigilant qui était comme une garantie. Pour Voiturier, il ne s’agissait pas d’une plaisanterie, mais d’un blasphème proféré délibérément, dont il mesurait les conséquences avec une horreur lucide. Il voyait le glaive du Seigneur pointé sur sa poitrine, et la Vierge, sainte Philomène et saint François-Xavier s’écarter de lui avec dégoût pendant que le diable mettait une chaudière à bouillir sur le feu éternel. Avec un héroïsme surhumain, il choisissait de se damner sans rémission pour rester fidèle à son idéal de laïcité et mériter ainsi l’estime du député de l’arrondissement. « Voiturier, lui dirait le député, vous êtes un martyr de la cause radicale, mais vos souffrance éternelles n’auront pas été inutiles, car c’est avec des lapins de votre espèce qu’on arrivera un jour à foutre les curés à la porte. » Et peut-être qu’il lui ferait avoir la Légion d’honneur. […]

 Spartacus en croix
Bois polychrome.
Salle des séances, Assemblée nationale, Paris

Voiturier passa une nuit atroce […]. Il était en proie à un accès de fureur adorante, de fringale votive, il brûlait d’une soif ardente de dévotion et d’apostasie, mais il sentait peser sur sa conscience trente-cinq ans d’action anti-cléricale et progressiste, et l’ombre du radical barbu, député de la circonscription, avec des yeux pleins de tristesse et de reproche, le regardait suer sur sa couche. 

Marcel Aymé.- La Vouivre

L’abbé de Saint-Férit-Tonquaint de Fammines

mardi 31 mai 2016

Figure controversée, avancés désemparés

   « […]
   - C’est bien naturel, allez. J’ai mes opinions à moi, mais j’estime qu’un prêtre est un homme comme un autre et qu’il a droit à se loger convenablement. Je vous dirai quand même qu’une maison comme la voilà telle, vous y êtes comme une puce dans un tas de foin. Ou alors, il vous faudrait femme et une pleine voiturée d’enfants. »
   Voiturier se mit à rire. […]



   « Je plaisante, dit Voiturier, mais c’est pour plaisanter. Nous autres gens avancés, on se figure qu’on en a contre la religion, mais c’est bien pas vrai. On en prend et on en laisse, voilà tout. Le coup de Jonas et de la baleine, j’aime autant vous le dire, on ne me le fera jamais avaler. A côté de ça, je vous prends par exemple Jésus-Christ. Moi, Jésus, j’ai rien contre lui. La raison du fait, si vous voulez savoir, c’est que Jésus-Christ, c’était l’homme avancé. Celui qui veut bien voir, Jésus-Christ, c’était le vrai socialiste.


   - Vous me l’avez déjà dit, riposta le curé agacé, mais vous vous trompez. Rien n’est plus faux que ce prétendu socialisme. En réalité, Notre-Seigneur était partisan de l’esclavage. Pour vous en convaincre, vous n’avez qu’à lire les Evangiles. Vous n’y découvrirez pas une parole pitoyable, pas une virgule de compassion à l’égard des esclaves qui se comptaient pourtant par millions à son époque. Pour lui, la forme de la société n’avait aucune espèce d’importance et il n’a jamais prêché que la fraternité en Dieu, celle qui n’empêche pas les maîtres de rosser leurs serviteurs. »


   Craignant d’en avoir trop dit, le curé se tut. Humblot était choqué et peiné par l’évocation d’un Jésus esclavagiste que de bonnes lectures lui avaient représenté comme un philosophe anarchisant.
   « Je l’aurais quand même cru un peu plus avancé, dit Voiturier, mais vous le connaissez mieux que moi. Un de ces dimanches, vous devriez le dire en chaire, que Jésus-Christ était pour l’esclavage. Ca ferait réfléchir bien du monde. […] »
 

Marcel Aymé.- La Vouivre.