jeudi 29 décembre 2016

Bons dessins, décès de merde


     C'était mon préféré des dessinateurs de Siné mensuel. Sa pleine page de crobards était pour moi un pur délice chaque premier mercredi. J'étais très réceptif à son humour, peut-être mon côté Suisse (oui, j'ai la double nationalité, mon sang est un quart suisse, un quart morvandiau, et une bonne moitié bâtardo-parisienne). J'ai évidemment beaucoup de sympathie pour Carali, ou Berth. Mais c'était vraiment à la lecture de Mix et Remix qu'un sourire intérieur me lavait un peu de toute cette délétère atmosphère au sein de laquelle nous survivons.


     Après Siné, la légende, Puig Rosado, le poète et Chimulus, le discret mais attachant fils de , Mix et Remix, l'humoriste tout en rondeurs.



     Vous avez des nouvelles de Jiho et de Lindingre ?...

dimanche 25 décembre 2016

Sacqueboute IV

     Mon premier disque de jazz, quand j'étais minot, avec un autre de Stan Getz, était avec Bob Brookmeyer. C'étaient en fait deux cassettes, offertes par ma mère je crois. Ce quartet sans piano (nul besoin ici !) avec Gerry Mulligan au saxophone baryton et le tromboniste Bob Brookmeyer à l'instrument objet de cette chronique, jouait live dans une sorte de compil' de l'album, ou de pirate du concert à la salle Pleyel à Paris en 1954. L'un des titres de la cassette était le standard Bernie's tune, de Bernie Miller, que j'ai redécouvert il y a peu par d'autres musiciens, sans faire le lien, jusqu'au déclic qui m'a replongé dans le temps perdu. Ce jazz plus moderne que celui qu'écoutait mon père qui s'était arrêté au swing des 30's - 40's, m'avait paru à l'époque beaucoup plus agréable que l'autre, par le côté cool, "west coast" du son, plus feutré, mais néanmoins méchamment swingant. Un duo trombone / sax baryton est assez inhabituel, ce qui, en plus de l'excellence de la musique, fait de ce disque une pièce d'anthologie. Si j'avais dès l'enfance retenu le nom et les traits caractéristiques de Gerry Mulligan et de son gros engin, c'est depuis très peu de temps, depuis que je m'intéresse au trombone, que j'ai identifié celui de Bob Brookmeyer et les quelques informations s'y rapportant. 

Ici on est bien des années après, en 1981, mais on retrouve les deux engins et leurs souffleurs, sur Bernie's tune.
     Pour la petite histoire, Bob Brookmeyer était le professeur de la magnifique et génialissime Maria Schneider, compositrice et arrangeuse, une très, très très grande artiste, surdouée, qui, pour couronner ce panégyrique, a décidé de se retirer du circuit commercial et a créé ou rejoint le collectif ArtistShare, qui permet de participer à des souscriptions pour un album, et de recevoir celui-ci une fois réalisé.      

     RAJOUT DU 12/01/2017

     Je viens de réaliser qu'ici aussi (voir Sacqueboute V) le trombone est à pistons. C'est de la triche !


Joueurs de sacque-boute précédents :
- Daniel Zimmerman
- Frank Rosolino
- Rico Rodriguez
- Kid Ory

mercredi 21 décembre 2016

La dose de Wrobly, frimaire 2016 ère commune


     Wroblewski va mieux, il a moins lu en frimaire. Peut-être que finalement un jour il parviendra à lire normalement, avec modération.




     - Joël de Rosnay.- Je cherche à comprendre.

     Bon, ça c'est un livre qu'on m'a prêté. Un pote de la bourgeoisie libérale de droite, mais sympa, pas agressif, pas prosélyte, plutôt ouvert. Et puis, comme malgré ses 61 ans et sa corpulence je n'hésite pas à l'envoyer s'écraser aux quatre coins du tatami et qu'il revient toujours m'attaquer avec de bonnes dispositions et le sourire, à ma sympathie à son égard se mêle une certaine admiration.

     L'auteur du bouquin (de Rosnay), est un technophile ravi de la tablette, limite VRP de la colonisation totale de nos vies par le numérique, en plus des ses propres bouquins, même s'il s'oppose vaillamment aux abus des méchants transhumanistes qui sont un peu excessifs, ah ! et aussi aux GAFA et aux NATU, qui font rien qu'à tout monopoliser. Cela dit, c'est un scientifique et certains passages de son livre sont intéressants, qu'il décrive "l'unité de la nature" (même s'il en profite après pour naturaliser l'épatante interconnexion technologique généralisée), ou qu'il nous parle d'une certaine spiritualité athée, en citant des philosophes ou des forts en maths qui peuvent nous être sympathiques. Extrait :

     "Voici l'histoire d'une extraordinaire amibe sociale dont le nom est un poème à lui seul : Dictyostelium discoideum. Cette amibe vit dans les forêts, sur des tapis de feuilles mortes, et se nourrit de bactéries ou de levures. C'est un être vivant unicellulaire microscopique très particulier étudié dans de nombreux laboratoires à travers le monde en raison de sa faculté à passer du stade individuel à un stade social, et ce de manière réversible. En d'autres termes, il peut se transformer en élément constitutif d'un organisme vivant composé de plusieurs dizaines de milliers d'autres amibes sans perdre sa capacité à revenir à son état individuel.

      Si l'amibe est placée dans un milieu carencé en eau et en bactéries, elle émet un code de détresse sous la forme d'une molécule bien connue des biologistes, l'AMP cyclique. Attirées par cette molécule (car disposant de récepteurs capable de lire et de décoder ce code chimique), les autres amibes forment une sorte de procession, se dirigeant vers un point central qui grossit progressivement en se transformant en un organisme sociétal. A l’œil nu, une sorte de petite limace longue d'un à deux millimètres est visible. Le plus étonnant dans ce phénomène de morphogenèse est que les processions d'amibes forment des cercles ou des spirales ressemblant aux bras des galaxies de l'univers. [...]


      La vie de Dictyostelium discoideum ne s'arrête pas là. On voit pousser à la surface de cette petite limace une tige formant une boule au sommet et contenant des spores capables de survivre pendant des mois dans les conditions extrêmes qui ont conduit les amibes à se rassembler. Dès que les conditions redeviennent normales, la boule s'ouvre, libérant les spores, qui redeviennent des amibes individuelles et indépendantes."


     - Marcel Aymé.- Le Chemin des écoliers.

     Je poursuis mon intégrale Marcel Aymé. Comme vous avez pu le constater si vous suivez, j'en suis à sa période d'après seconde guerre mondiale, plus amère que les précédentes. Après 36 et le Front populaire, nous voici sous l'Occupation. On y retrouve le farcesque personnage fasciste de Malinier, déjà croisé dans Travelingue, et qui poursuit sa croisade anti-juifs, communistes, francs-maçons, poètes et peintres cubistes. On sent venir la Traversée de Paris, et on a tellement un bon souvenir du film d'Autant-Lara, qu'on a hâte. Je crois que c'est le recueil de nouvelles qui arrive, Le Vin de Paris. Ensuite, il y aura Uranus, etc.


vendredi 16 décembre 2016

Une oeuvre controversée


   Pier Paolo Pasolini est très fort. Avec des moyens somme toute réduits, des effets spéciaux pour le moins spécieux, et sans HD ni même 3D (!), je crois qu'il nous a livré ici le seul film qui a failli réellement me faire dégueuler dans la salle, ou alors je n'étais pas dans mon assiette ordinaire. Évidemment il n'est pas question ici de vertueuse indignation ou de vertu outragée, non, juste un phénomène physiologique qui s'est spontanément déclenché quand les protagonistes se sont mis à manger du caca.

   Pour la petite histoire le réalisateur se fit assassiner peu de temps après la sortie du film.

   Un document au charme désuet, mais à découvrir absolument.

    Promis, pendant ces quelques jours de trêve des confiseurs, W. mettra en ligne des choses plus positives, constructives, moins clivantes que la coprophagie. Nous tenterons d'être dans la réconciliation, de rassembler plutôt que diviser.

   Ma dernière actu ciné.


La Plèbe écoute tout le temps :
Jeudi 15 décembre (c'était hier, mais il vous reste le téléchargement !) : Jazzlib' (jazz). Thème de la bi-mensualité : nouveautés rééditions suite.
When, where, how ?
Jazzlib' sur radio libertaire 89,4 FM en RP. Tous les 1er et 3e jeudis de 20:30 à 22:00.
Podcast ou téléchargement MP3, pendant un mois, sur la grille des programmes.
Cliquer sur le lien correspondant à la bonne date (Jazzlib'/Entre chiens et loups). Attention de bien vérifier que vous êtes sur le 1er ou/et 3e jeudi, vous avez, en haut à gauche, les semaines disponibles.

mercredi 14 décembre 2016

Rayonnement de la langue française


     Bon, Wroblewski a beau jouer les fiers-à-bras, il ne s'en est pas moins soumis au salariat il y a beau temps, et ne s'en est jamais échappé depuis. Et à l'heure où la sainte période de réconciliation et d'agapes nationales, chrétiennes, commerciales et viandardes approche, où expulsions de roms, migrants et autres pauvres ou activistes en leurs bidonvilles ou squatts sont déjà là, comme les bons sentiments et les particules fines, à cette heure bénite, donc, au chagrin, c'est les cadences infernales. Il faut payer Engie et Bouygues, Carrefour, Veolia et Microsoft avant la fin de l'année (avec l'argent dit public, bien entendu), alors "on" met la pression. Certes, il pourrait se dire que, de temps en temps, il fait aussi des virements pour des étudiants fauchés, le Wrobly, c'est social. Mais n'est-ce pas de la bonne conscience à bon marché ? Est-ce suffisant pour ne pas se sentir limite atteint de pharisaïsme de juger méprisables ces ravis du vitrifiage du monde qui veulent des empois à Europacity, à l'aéroport de NDDL, au Center Parc de Roybon, voir dans la maison poulaga, la publicité, l'armement, le nucléaire, la totomobile, le journalisme, les banques, les quartiers d'affaire, l'économie numérique, l'économie tout court... (ad libitum ou nauseam, au choix), des empois, quoi, même si la plupart de ceux qui ouvrent leur gueule pour ces empois, en ont déjà un, et qu'on ne les retrouve que rarement à nettoyer la merde des touristes, à temps partiel discontinu. Et puis, avoir pour dieux Durrutti, Makhno, Jacob, les communards les plus risque-tout, Bakounine..., et se voir obligé de fanfaronner devant un petit chef en sachant pertinemment que chaque matin on continuera de courber l'échine au moment de la sonnerie du réveil, parce que, il fait quand même froid dehors, ils doivent sacrément cailler, les insoumis, les zadistes et les damnés... A la personne qui en d'autres temps et d'autres contrées eut frôlé la jambisation, qui lui demandait d'accélérer la cadence, Wrob a juste répondu que c'était impossible, qu'il était à bloc, et qu'elle n'avait plus comme solution que d'aller demander à la présidence de mettre en branle une procédure de licenciement à son égard. Il joue les bravaches, le petit employé, pourtant il boit le calice jusqu'à la lie. Il a trop dû prendre la révolution pour un roman populaire. Alors qu'elle n'est pas un dîner de gala, comme disait un célèbre contre-révolutionnaire (et comme me le confirmait hier encore un ami révolutionnaire syrien), adepte concurrencé de la conservation de l'ancien régime d'oppression : domination, exploitation, aliénation, et, petite touche post-moderne, destruction irréversible de la planète et de la vie qui y grouillait.


     Pourtant, il est des raisons de se réjouir malgré tout, et de communier un peu avec la joie de galerie marchande et de diesel qui va illuminer une fois de plus notre solstice d'hiver et nos coeurs d'enfants emerveillés, et voici pourquoi.


Le saviez-vous ? 

     Malgré qu'il fasse partie de la famille des travailleurs, et donc qu'il soit limite taxable d'intelligence avec l'ennemi de classe, Wroblewski a grêvé quelquefois, grevé aussi, perruqué et pratiqué plus souvent qu'à son tour le "go canny" (à son niveau, bien sûr, de catégorie C). Eh ! bien cette expression, le "go canny", le pote Pouget l'a détrônée de son usage anglo-saxon, pour la remplacer par son équivalent bien de chez nous, employé depuis outre-Manche et Atlantique, au grand dam des rebelles au travail amoureux de la langue de Shakespeare de là-bas. Cocorico !* Inversement, les partisans du Capital, de la bourgeoisie et du travail bien fait du pays de Jean-François Copé se désolent que ce vocable de souche gauloise désignant une action de terrorisme cosmopolite se soit répandu aux pays de Wall Street et de la City.    

     Si le père Peinard savait qu'il a contribué au rayonnement de la langue française et à sa résistance face au suprématisme globish !!! Ne parlons plus de la langue de Voltaire, cet acariâtre à la Philippe Val (la comparaison s'arrête à l'acâriatreté, évidemment, il n'est pas question de talent d'écriture ou de pensée, arrêtez de me faire rire vous allez rouvrir ma fissure) pour désigner notre belle langue de Rabelais, mais évoquons désormais la langue de Pouget !

     J'ai dit !

     

* Il s'agit bien sûr d'une plaisanterie. A la Plèbe, et l'ensemble du comité de rédaction ne me contredira pas sur ce point, nous avons toujours répandu consciencieusement notre lisier le plus acide sur toute forme de patriotisme, nationalisme, chauvinisme et autre xénophobie.

lundi 12 décembre 2016

Appel

                                                            Ô toi, père paterne
                                                            Qui muas l'eau en vin,
                                                            Fais de mon cul lanterne
                                                            Pour luire à mon voisin.

                                                                                Rabelais.

Ce médicament n'est pas remboursé (authentique) !!!



     Faut-il y voir le lobbying de la manif pour tous ? Ou bien si c'était désormais un luxe que d'en avoir plein le cul ?

     Camarades, contrairement à la fissure de ma muqueuse anale, qui semble moins inquiétante que j'avais pu l'escompter, la fissure sociale, elle, s'agrandit de jour en jour. Alors debout ! compagnons, debout ! car demain comme hier, nous allons nous en prendre plein le fi(ll)on, ou le val(l)s(eur) si vous préférez. C'est alors que non contents de ne plus pouvoir nous asseoir, nous serons condamnés à vivre couchés (remarquez, ça peut aussi avoir son charme).

vendredi 9 décembre 2016

Sacqueboute III


      Grand écart : après l'ancêtre (Kid Ory), le tromboniste qui monte en ce moment.

      Daniel Zimmerman est-il de la famille de Bob Dylan ? Ah ! non, il y a un(e) "n" en plus à son nom.

     Toujours est-il qu'il a déjà joué avec beaucoup de (beau) monde : Wynton Marsalis, Jacques Vidal, Archie Shepp, Michel Legrand, Nguyên Lê... Aussi, malgré sa jeunesse relative (à moi), c'est loin d'être un perdreau de l'année !


Joueurs de sacque-boute précédents :
- Frank Rosolino
- Rico Rodriguez
- Kid Ory

mercredi 7 décembre 2016

Inimitié espagnole

C’est le chien enragé que tout passant a le devoir d’abattre, de peur qu’il ne morde les hommes et n’infecte les troupeaux.
Laurent Tailhade, 1902

Juan Bimba, un ancien dynamitero de la guerre d'Espagne, expulsé du Mexique où il avait été jugé peu conformiste par ses compatriotes staliniens. 

      Bimba n'en revenait pas.
      - J'ai été dynamitero pendant la guerre d'Espagne et au siège de Madrid, dit-il. On montait à l'abordage des tanks fascistes et on balançait une grenade par la meurtrière pour bousiller l'équipage ; on se baladait sous le feu des autres avec des paquets de dynamite accrochés tout autour de la ceinture, et une cigarette au bec pour allumer la mèche au moment de les lancer. Les bouteilles d'essence, je n'en parle pas, ce n'est pas tellement dangereux. Vers la fin, on remplissait des flacons de cognac avec cette soupe de mort que nous traînons aux fesses cette nuit et, quand on les envoyait à la volée, il y avait des petits morceaux de tank qui retombaient tout autour de nous. [...]
     Le curé s'approcha [...] :
     - Vous n'avez pas le droit de faire ça. Il y a sept cents habitants dans ce hameau. [...]
     - Merde, mais il va nous porter la cerise ce con-là, s'écria Bimba. On n'est pas encore sautés, non ? Et même il n'y a rien de sûr à ce que ça arrive. Allez, faites pas chier les personnes, mon Révérend, on passe.
     - Mais vous n'avez pas le droit... On vous a aménagé une dérivation... Je me plaindrai à la Compagnie !
     - Ca, vous savez ! Si on saute, il n'y aura plus personne ni pour se plaindre ni pour recevoir l'engueulade, et si tout se passe bien, votre plainte, vous pourrez vous la mettre où vous voudrez, ils n'en feront pas grand cas.
   Luigi était Italien. Ce conflit avec un prêtre le mettait mal à son aise. Il intervint :
     - Et dans quel état est-elle, la dérivation ?
     Parfaite, monsieur, parfaite, assura le curé. Ils sont passés hier avec le bulldozer ; elle est meilleure que la rue principale, bien meilleure.
     - Allons-y toujours voir. [...]
     Le curé insistait. Le maire avait disparu depuis qu'il avait été question de la dérivation. Sans doute faisait-il confiance à l'éloquence de l'autre. Un prêtre est un professionnel, après tout.
     Il avait une bonne figure, ce vieux en soutane. Des yeux, surtout, tendres et tristes. Et ce qu'il disait...
     - Je suis un vieil homme, moi. Je n'ai pas peur. Mais ces pauvres gens, leurs maisons, leurs enfants... Je suis resté debout toute la nuit à prier pour qu'il ne leur arrive rien. Epargnez-les. Vous, vous êtes des hommes, vous saviez ce que vous faisiez en vous lançant là-dedans. Eux, ils n'y sont pour rien... Passez par ici. Moi, je vais me remettre à prier ; pour vous, cette fois.

Je recommanderai au Seigneur de garder auprès de Lui en Son Paradis le premier qui me dit à qui appartient ce dos.

     - Passe la main, dit Bimba. Moi, des curés, j'en ai trop brûlé pendant la guerre. J'ai plus confiance.
     - Porca Madonna, te tairas-tu, farabutto ! gronda Luigi le Pieux. D'accord, Padre, nous passerons par ici.
     - Merci, mon fils, merci pour mes brebis, reprit le vieil homme. Dieu te le revaudra. Je vais vous bénir pendant que vous partirez ; et prier pour vous tout le temps. Vous verrez : même si vous n'y croyez pas, ça vous portera chance. [...]


     Luigi est en tête. [...] Le pied à fond sur l'embreillage, il se penche, la tête hors de la cabine :
     Adios, Padre. Et bénissez-nous bien, que nous en avons besoin.
     Le prêtre recule d'un ou deux pas ; soudain il paraît très grand. Il lève les deux bras sous le ciel. La lumière des guirlandes lui fait une sorte de chasuble pourpre.
     - Benedicat vos omnipotens Deus...
     Il abaisse la main droite en un signe de croix démesuré.
     - Pater et Filius...
     Ils ont beau faire, ils écoutent. Ils sont même émus ; sauf Bimba qui, à mi-voix, jure tout ce qu'il sait de plus outrageant sur le compte de Dieu.
     - et Spiritus Sanctus.
     - Amen, répond Luigi en embrayant. [...]


     Mais, qu'est-ce qui se passe donc ? On dirait que le camion de Luigi revient. [...] Avant même l'arrêt, Bimba saute à terre. Il est blême de fureur.
     - Où est ce curé ? Où est cette saloperie de curé, bordel de Dieu de merde ?
     - Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qu'il t'a fait ?
     - Regarde !
     Sous le nez de Gérard il brandit l'écriteau qu'il a arraché aux mains de l'Italien :
     - Attention ! Vitesse extrêmement réduite ! Sol en mauvais état. Danger. Attention ! Attention !
     - Voilà ce qu'il m'a fait cette salope. Il s'est douté que si nous lisions ça, nous passerions par sa paroisse de merde, et il a eu peur pour sa précieuse petite vie, pour sa maison et pour tous ces scrofuleux qui sont son gagne-pain ! Où est-il, ce fumier, que j'en tue encore un avant de crever...


     Des hommes du village se sont approchés. [...]
     - Vous avez quand même enlevé l'écriteau, hein !
     - Non ! Pas nous.[...] C'est le Padre qui a tout fait. [...]
     - Oui, le Padre l'a enlevé. Il a dit que si vous le lisiez vous traverseriez le village...
     - Nous, on voulait s'en aller dormir tous ailleurs, cette nuit, dit un autre. Mais le Padre nous l'a défendu : son église et sa maison sont juste au bord de la grand-rue. Il ne voulait pas risquer de tout perdre.
      - Et si un de nous vous disait quelque chose, il a menacé de prier pour qu'il perde son bétail et que ses enfants meurent.
     "- Laissez-moi faire. Je me charge de tout, je les convaincrai, je les avertirai aussi des dangers de la nouvelle piste." [...]
     - Et où est-il maintenant ? [...]
     Ils se taisent tous, l'air buté. [...]
     Mais ils ne l'entendent pas de cette oreille ; surtout l'Espagnol.
     - Venez, vous autres ! lance-t-il à ses copains. On le trouvera bien...
     - Je reste au camion, répond Luigi. On ne peut pas les laisser seuls comme ça...
     Les autres emboîtent le pas à Bimba.


     Ils n'ont pas eu à chercher bien loin. Tout naturellement le prêtre s'était réfugié dans son église. C'est là qu'ils l'ont débusqué, blotti dans l'ombre d'un pilier.
     - Sors de là, lui a dit Gérard.
     Mais l'Espagnol s'est interposé :
     - Non. Ici. Dans sa tanière. Dans son coupe-gorge. Dans la maison de son maître. T'en fais pas, salope ! Peut-être qu'il descendra de sa croix pour prendre ta défense, l'autre fumier.
     Le prêtre était plus mort que vif. Mais il ne fit pas un geste pour se protéger, ne dit mot. D'un coup de pied dans la poitrine, Bimba l'écroula à la renverse. Puis il se jeta sur lui, le retourna face contre terre et, le saisissant aux oreilles, se mit à lui frotter le visage contre le sol de ciment. De toutes ses forces. Longtemps.
     - Arrête, dit le Roumain. Tu seras bien avancé quand tu l'auras tué. Tu ne profiteras même pas de ta prime.
     Mais Bimba ne lâcha prise que bien plus tard. Le vieux qui, au début, avait crié, ne respirait plus qu'à peine.
     Avant de quitter l'église, l'Espagnol arracha le crucifix du maître-autel et s'en servit comme d'une masse pour défoncer la porte du tabernacle. Il dispersa les hosties à la volée entre les travées de prie-Dieu et cracha dans le ciboire.
     Je voudrais avoir envie de chier, grogna-t-il.
     Quand Luigi, qu'ils retrouvèrent aux camions, apprit tout cela, il soupira.
     - Ca ne nous portera pas chance, murmura-t-il. 

lundi 5 décembre 2016

Etat d'urgence

« L’agitation est dans nos rues. Dans nos universités les étudiants s’ameutent. Les communistes veulent détruire notre pays. La Russie nous menace. La République est en danger, de l’intérieur et de l’extérieur. Il nous faut la Loi et l’Ordre pour survivre. »
Adolf Hitler




Ma dernière actu ciné.

vendredi 2 décembre 2016

Houles lumineuses

- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas, - seul et couché sur des pièces de toile
Écrue, et pressentant violemment la voile !

Arthur Rimbaud

Le père Fred saute les générations, et fait encore rêver les poètes de sept ans,


comme il a fait rêver leurs aînés, échoués sur le troisième "A" de la Quarantaine.

Rêve bien mon chéri, demain il y a de l'école, et après la poésie,


les sciences du vivant !

Ciao Marcel !


La Plèbe écoute tout le temps :
Lundi soir 5 décembre : Dans l'herbe tendre (chanson française). Thème du mois : les flics.

mercredi 30 novembre 2016

Sacqueboute II : le tonton souffleur

Au tout début, le trombone dans le jazz, c'était ça :


avec tout plein de glissendi rigolos.


Kid Ory ressemble à Robert Dalban, je trouve.


"Si ces messieurs veulent bien me les confier !"

Joueurs de sacque-boute précédents :
- Frank Rosolino
- Rico Rodriguez


La Plèbe écoute tout le temps :

Jeudi 1er décembre : Jazzlib' (jazz). Thème de la bi-mensualité : escapade par l'actualité du disque, avec une sélection de nouveautés françaises et étrangères, rééditions etc.
When, where, how ?
Jazzlib' sur radio libertaire 89,4 FM en RP. Tous les 1er et 3e jeudis de 20:30 à 22:00.
Podcast ou téléchargement MP3, pendant un mois, sur la grille des programmes.
Cliquer sur le lien correspondant à la bonne date (Jazzlib'/Entre chiens et loups). Attention de bien vérifier que vous êtes sur le 1er ou/et 3e jeudi, vous avez, en haut à gauche, les semaines disponibles.

lundi 28 novembre 2016

Über cool !

La vie d'un entrepreneur est plus dure que celle d'un salarié.
Emmanuel Macron.

Travis Kalanick. Chargez votre imprimante de papier toilette blanc, lancez l'impression et obtenez un ineffable torche-cul, bien plus post-moderne que Modes et travaux.

      A la porte du camp de la Crude était affichée une offre d’emploi :
      « On embauche excellents chauffeurs de camion. Travail dangereux. Haut salaires. S’adresser au bureau. »
      Le matin, il y avait eu une conférence, dans le bungalow du boss, entre lui, le spécialiste envoyé par Dallas (Texas) – qui venait d’arriver dans un avion de la compagnie – le chef des transports et celui du matériel.
      – […] pour la question du personnel, débrouillez-vous, je m’en fous. […] Il est absurde de faire venir des States une équipe de chauffeurs spécialistes. […] S’ils refusent, […] si nous renvoyons alors les garçons pour en venir à ma solution de main-d’œuvre locale, vous entendrez gueuler le Syndicat. 


      Entendre gueuler le Syndicat a toujours été le permanent cauchemar de tous les dirigeants d’exploitation yankees.
      – Voyons, essayez de comprendre. Qui va se présenter à l’embauche ? Une foule de ces enfants de putain de Noirs, d’abord. Ceux-là, il ne nous en faut pas.
      – Pourquoi ? Demanda naïvement le chef du matériel qui, jusque-là, s’était curé les dents en silence. Pourquoi ? Il me semble…
      – Il vous semble qu’ils ne nous ont pas chauffé suffisamment les oreilles avec les quatorze morts d’avant-hier ? Et quand deux ou trois citoyens guatémaltèques auront avalé leur bulletin de naissance sous nos auspices, vous pensez que nous n’aurons aucun ennui supplémentaire avec leur gouvernement de nègres, leur presse de singes et leur clique d’hommes des bois ? Allons !
[…]
      - Je n’y avais pas pensé. 


      - A part les indigènes, qui est-ce qui va se présenter à l’embauche ? enchaîna le boss. Mais les tramps¹, naturellement. Dans cette ville de mort où seuls nous retiennent notre travail et les indemnités de zone, il y a des hommes qui feraient n’importe quoi pour en sortir. C’est ceux-là qu’il nous faut. Eux accepteront de conduire vos espèces de camions […]. Ma parole, pour toucher le paquet, ils feraient le parcours à cloche-pied avec la charge sur le dos. Et ceux qui sauteront laisseront-ils des ayants droit ? Et quel syndicat viendra nous chercher des poux dans la tête en leur nom ?
      – Et on ne serait pas obligé de les payer tellement cher […].

1 Tramps : vagabonds.


Allez, un aller-retour Villiers-le-Bel (95) - Saint-Denis (93) offert à celle(lui) qui trouve l'auteur et le titre de l'ouvrage dont est tiré ce texte. Pour participer, allez sur l'appli #jouonsunpeuavec.



Ils ont décroché le job. Bravo à Jules et à CHROUM-B. ! C'est marrant, dans mon souvenir c'était Ventura à la place de Montand... Peut-être un rejet de notre stalino-libéral national, que j'apprécie pourtant tant en tant qu'acteur que de chanteur...

vendredi 25 novembre 2016

Maigrir pour des idées




      Difficile de commenter après la baffe que j'ai prise en voyant ce film. On avait déjà évoqué la guerre féroce de Thatcher et son monde contre le prolétariat anglais. Ici, ce sont les résistants indigènes républicains anti-colonialistes (assez intransigeants aussi, c'est le moins qu'on puisse dire), qui vont payer le tribut impitoyable du vaincu.

      Pour eux, la résistance, dont l'objet était l'obtention du statut de prisonnier politique, passe par le refus de la tenue de prisonnier, donc par la nudité, et la grève de l'hygiène : les corps ne seront pas lavés ; toutes les excrétions seront utilisées pour tapisser les murs des cellules, parfois en surprenantes oeuvres d'art ; les restes alimentaires seront stockés jusqu'à putréfaction ; l'urine réservée dans les pots, afin d'être déversée en commun au même moment dans les couloirs, transformant ceux-ci en marécages de pisse. Les nombreux stratagèmes par lesquels les détenus parviennent à communiquer entre eux et avec l'extérieur réussissent à nous faire sourire, un peu jaune quand même. Les cassages de gueules par les matons, eux, sont en revanche franchement pénibles, mais certainement moins pour nous que pour eux.

      Le comédien jouant Bobby Sands a, pour le film et sous contrôle médical maigri jusqu'à l'apparence squelettique d'un non alimenté de 60 jours, une performance glaçante. Car après la grève de l'hygiène et suite au mépris de Thatcher, les prisonniers entament une grève de la faim illimitée, et meurent : neuf y sont restés.

      On est sur les nerfs d'un bout à l'autre, c'est dire si on ne s'ennuie pas une seconde. Le seul moment de détente est celui où le surveillant de prison va voir sa maman à la maison de retraite.

mercredi 23 novembre 2016

Sacqueboute : Groucho tragique


      Encore un destin tragique, mais ne croyez pas que je me fais une spécialité du croustillant, du gore ou du morbide, et que je m'en délecte. C'est juste la loi des séries du hasard de mes idées foutraques pour alimenter ce blog. Frank Rosolino est avant tout un magnifique tromboniste (ah ! je ne vous ai pas dit que je me suis mis au buccin, ça vous vaudra sûrement plusieurs posts sur des joueurs de trompette basse, à coulisse le plus souvent).

      Alors qu'il a été toute sa vie un musicien du genre plutôt déconneur et jovial (comme d'habitude je cite de mémoire, pas de copier-coller de Wiki), d'où le titre du post, ce musicien west-coast a fini, à la sidération de tous, par se suicider au revolver (ou pistolet) après avoir tué ses deux enfants. Le pire étant que l'un des deux a survécu. Corrigez-moi si je déforme les choses pour cause de mémoire qui flanche ou de fantasmes intempestifs.

Mais il nous reste sa musique, enjoy donc.

lundi 21 novembre 2016

Fuocoammare


      Entre la vie à la Tom Sawyer d’un jeune garçon sur sa petite île (Lampedusa, 20.2 km², 205 km de la Sicile, 167.2 km de la Tunisie) et l’enfer dantesque des damnés de la terre : leurs deux lignes de vie, de survie ou de mort ne se croiseront jamais. Ici, on se dit que l’armée, si ses missions n’étaient toujours que celles-ci (sauver les naufragés), pourrait paraître sympathique, et ne serait par conséquent plus l'armée. Mais c’est sans compter sur la lâcheté, l’avidité et l’indifférence à la souffrance humaine des Etats et de leurs politiciens, qui, ne participant pas financièrement à cette opération initiée par l’Italie (Mare Nostrum) en précipitèrent la fin. L’opération Triton qui lui a succédé, consistant à faire du cabotage près des côtes (alors que Mare Nostrum allait repêcher en haute mer à des dizaines de miles), n’ayant pas son ampleur, et étant d’ailleurs sous la coupe de Frontex, dont le but est la protection des frontières de l’Europe forteresse, pas le sauvetage de vies humaines.

      Nous on est bien sûr pour qu'on efface toutes les lignes par terre. Mais quand on pense que la plupart de ces migrants entrent dans le cadre de la définition du réfugié de la convention de Genève de 1951, convention signée par de nombreux Etats européens dont la France, et que par conséquents ils devraient être transportés dans de bonnes conditions par avion ou bateau vers les pays d'accueil au lieu de subir cet enfer, on se dit que le mot "légalité" doit énormément faire rire dans les couloirs des ministères. Les 100 000 migrants sauvés en moins d'un an par Mare Nostrum équivaudront donc à autant de morts supplémentaires les années suivantes. Et c'est maintenant la Turquie qui fera le tri entre bons réfugiés et mauvais, avec retour direct chez Erdogan en cas de passage clandestin.

     Quant à moi, n'étant pas consommateur des nouvelles à la TSF, j'ai été choqué par les cadavres du film : ce ne sont pas des comédiens ; ce n'est pas un coup des Quat'z'arts non plus.

"Dal tuo stellato soglio", du Mosé in Egitto (Moïse en Egypte) de Rossini

Ma dernière actu ciné.

Ah ! et pour finir, un blog excellent sur le sujet.

vendredi 18 novembre 2016

C'est trop injuste


      - C’est comme ça, mon vieux. Nous sommes des flics et personne ne peut nous blairer. Comme on n’a pas assez d’embêtements, il faut encore qu’on vous ait, vous. Comme si on était pas déjà assez ballotés entre le coroner et ses services, le Conseil municipal et sa maffia ; le Commissaire de jour et le Commissaire de nuit, la Chambre de commerce et monsieur le Maire dans son bureau à lambris dorés, quatre fois plus grand à lui tout seul que les trois pièces dégueulasses dont dispose tout le personnel de la brigade criminelle.


Comme si on n’avait pas eu cent quatorze assassinats à débrouiller l’année dernière, dans trois pièces qui n’ont pas seulement assez de chaises pour que la brigade de service puisse s’y asseoir. On passe sa vie à retourner des dessous crasseux, à renifler des vieux chicots. On grimpe des escaliers sombres pour aller cueillir des sacs à vins qui brandissent des revolvers et on n’arrive pas jusqu’en haut. Pendant ce temps-là, notre femme nous attend pour se mettre à table ; elle nous attend ce soir-là, et tous les soirs suivants… C’est fini, nous ne rentrerons plus jamais à la maison.

"[…] l’autorité suprême, c’est le citoyen lui-même. 

Mais les soirs où on rentre, on est tellement claqués qu’on ne peut ni manger, ni dormir, ni même lire les conneries que les journaux racontent sur nous. Alors on reste étendus dans le noir, au fond d’une maison sordide, dans un quartier sordide, à écouter les pochards qui se marrent au bistrot du coin. Et juste au moment où on va enfin sombrer dans le sommeil, c’est le téléphone qui sonne et il faut se lever pour remettre ça.

Dans notre pays on n’est pas encore arrivé à comprendre cela. On considère l’autorité comme une ennemie.

Jamais rien de ce qu’on fait n’est bien, jamais. Pas une seule petite fois. Si on obtient des aveux, c’est qu’on les a extorqués de force et, en plein tribunal, un margoulin d’avocat vient nous traiter de Gestapo et se foutre de notre gueule parce qu’on est quelquefois brouillés avec la grammaire. A la première erreur, on nous recolle à la circulation. Alors on passe les bons petits soirs d’été à ramasser les poivrots dans le ruisseau, à se faire engueuler par les putains et à délester de leurs couteaux les métèques en chemises à carreaux. Mais tout ça ne suffit pas à notre bonheur. Il faut encore que vous soyez là.

Nous sommes une nation qui hait les flics." (Procureur Endicott)

      Il s’arrêta pour reprendre haleine. Son visage luisait un peu. Il pencha le buste en avant.
      – Il faut qu’on vous ait sur le dos, reprit-il. Il faut qu’on ait des salopards à licence privée qui ne disent pas ce qu’ils savent, qui s’en vont fouiner partout et remuer la poussière pour qu’à nous il ne reste plus qu’à l’avaler, qui escamotent les pièces à conviction et fabriquent des mises en scène insuffisantes pour tromper un môme de deux ans. Et si je vous disais que vous êtes le plus beau salaud des gars qui s’occupent de ce qui ne les regarde pas, hein, mon vieux ?
      - Vous cherchez à me froisser ? lui demandai-je.

Sofiane, 16 ans,"n’est pas encore arrivé à comprendre cela." Le con !

Propos glanés dans Fais pas ta rosière ! de Raymond Chandler.

mercredi 16 novembre 2016

La dose de Wrobly, brumaire 2016 ère commune

 Il n'y a absolument aucun chinois adepte de kung-fu dans le roman de Chandler.

   - Raymond Chandler.- Fais pas ta rosière !
   Je poursuis ma série des Marlowe, et celui-ci est de la bombe ! La Dame du lac m’avait un peu déçu, les histoires de sosies, où de gens grimés qui se font passer pour d'autres, ça me paraît trop simple, téléphoné et tiré par les cheveux. Quand on a vu Vertigo, difficile d'être satisfait quand le procédé est plus convenu et grossier. Ca m’a fait le même coup avec une autre "Dame", celle en noir, et son parfum, ça m’a gâché un peu le plaisir, (attention si vous n'avez pas lu le roman de Gaston Leroux, ne finissez pas cette phrase, elle est divulgâcheuse) Larsan se faisant passer pour le jeune marié dans l'intimité du couple, c’est pas crédible. Quoique, le coup du sosie dans Monsieur Ripley d’Highsmith est très bien amené, et plausible.
   Mais de toute façon, ce que je préfère dans Marlowe, ce sont ses réparties, leur inventivité, leur humour, leur art de chambrer gentiment mais sûrement. Et puis ses métaphores, toujours inattendues, originales, drôles ou poétiques. L’incontournable scène glauque-onirique sous stupéfiant ou après choc d'objet contondant aussi. Enfin ses coups de théatre en rafale en toute fin de roman, même si on a du mal à suivre. J’aime vraiment bien Chandler.

 Cette scène n'est pas dans le livre non plus. Plutôt qu'un Marlowe, ce film semble un nanar low.

   - Liza Cody.- Sans la tête.
   - Celui-ci non plus, je ne sais pas ce qu’il faisait dans ma bibli (voir ma dose de vendémiaire). Inconnue au bataillon, la Cody. Du diable si je me souviens qui me l’a offert, ou bien si je l’ai trouvé quelque part. En tout cas c’est bof ! bof ! Ca se veut truculent, haut en couleur, grossier, avec une héroïne caricaturale catcheuse vindicative. Dommage, pour une fois que c’est une femme qui mène la danse, mais dans le genre enflure, j’en viens à regretter le Béru de mon enfance, au moins avec lui j'étais assailli de hoquets convulsifs d'hilarité à ne plus pouvoir en reprendre mon souffle. Ici, je m’ennuie. Quant à l’intrigue, elle est aussi étique que la catcheuse est corpulente.


   - André Lorulot.- Méditations et souvenirs d'un prisonnier, 1921.
Une curiosité de 1922 (livre d'époque), faisant une fois de plus le réquisitoire de cet instrument de torture et de dressage qu'est la prison. On y retrouve la trace de grands anciens. Mais dans l'ensemble cela m'a paru un peu fourre tout, inabouti, et un peu gentillet, avec tout le respect que je dois à un compagnon ayant payé de sa personne dans les geôles, ce qui n'est pas mon cas hormis quelques GAV et cellule de dégrisement négligeables.


   - Choderlos de Laclos.- Les Liaisons dangereuses.
   Un classique de chez classique, et qui sent le fagot, comme on les aime. Première lecture, mais on n’ignorait pas l’essentiel de l’intrigue. On a vu un film, celui de Frears. Pas le Valmont de Forman. On a envie.


   - Max Aub.- Campo Francés (Le Labyrinthe magique tome IV).
   Comme je vous l'avais déjà raconté quelque part, après avoir lu les trois pavés fort intéressants, tragiques mais parfois cocasses par les retournements facétieux des destins, même si les conséquences en sont terribles, foisonnants, bouillonnants, un vrai labyrinthe, avec parfois ses longueurs (de longs dialogues idéologiques, par exemple, me paraissant oiseux dans leur désuétude, mais les sociétés des débats, que les polémistes se tirent sur la nouille sur papier, plateau de talk show, réseau social ou en café du commerce m'ont toujours vite lassé) ; après avoir lu les trois pavés des trois premiers tomes, donc, je me suis fait piquer à la portière le tome IV, beaucoup plus svelte que les autres, écrit en dialogues comme un scénar' de ciné, à ma portière, après bris de glace, à un feu rouge à Garges, ou Sarcelles, à la frontière... Enfin, le jeune entrepreneur en voulait à mon sac, il ignorait qu'il venait d'emporter une telle pépite à l'intérieur. Le sujet ? Actuel : la crise des réfugiés, que le pays des droits de l'homme a toujours su régler avec la plus grande hospitalité et fraternité : tout le monde en camp de concentration, allez hop là, et que ça saute, circulez, y a rien à voir ! Sauf que là, les réfugiés étaient espagnols, anarchistes ou républicains, mais aussi, juifs d'Europe centrale et d'ailleurs, communistes, aristocrates, intellectuels... Vous me direz, les espagnols, ils étaient en camp au chaud dans le sud, c'est mieux qu'à Calais. Détrompez-vous, une dame de la bibliothèque à qui je m'étais adressé pour lui annoncer le vol du livre, d'origine espagnole, m'a raconté à cette occasion que son père, n'avait jamais autant souffert que dans son exil en France, notamment du froid, et que la boue et le sang de l'autre côté des Pyrénées c'était de la gnognotte à côté. Bref, après l'avoir commandé à la bibli, j'ai enfin pu lire la fin. En attendant que le tome V soit équipé...



La Plèbe écoute tout le temps :
"MESSAGE AUX AUDITEURS… MESSAGE AUX AUDITEURS…
2016 année de merde, suite…

L'équipe de jazzlib' et radio libertaire tient à s'excuser pour les problèmes techniques irréversibles d'hier soir qui nous ont obligé à annuler l'émission in situ. Nous avons en effet, constaté qu'un appareil nécessaire à la bonne marche de notre émission, était hors service définitivement. Compte-tenu de nos moyens, il était trop tard pour trouver une solution rapide ne pénalisant pas la diffusion.
Il se trouve que je travaille majoritairement avec ma propre discothèque, qui est très fournie, mais dont certains vinyles ne se retrouvent pas en réédition CD. C'était le cas hier soir pour la partie Jimmy Blanton/Duke Ellington, dont une édition italienne introuvable ou quasi.
Nous vous renouvelons nos excuses les plus aplaties, 1mm d'épaisseur au moins, et vous promettons de la reprogrammer le plus rapidement possible dès que nous aurons l'assurance de la remise en état dudit matériel.
J'en profite pour vous dire qu'il existe une souscription de soutien à notre radio disponible sur le site ou à retirer à la librairie Publico rue Amelot dans le 11e. Cette souscription nous sert justement à pourvoir maintenir le minimum nécessaire au rachat ou à la réparation de matériel déficient. Je vous tiens informé dès que j'ai des nouvelles.
Fraterniswing."
Yves JazzLib, le 18/11/2016.
Jeudi 17 novembre : Jazzlib' (jazz). Thème de la bi-mensualité : nous continuerons à explorer l'œuvre gigantesque du Duke. Nous nous intéresserons à la très courte période pendant laquelle le Duke va embaucher un extraordinaire contrebassiste, sans-doute celui qui va sortir la contrebasse de son rôle d'arrière plan. En effet Jimmy Blanton a fait passer l'instrument définitivement vers la modernité. Pour cette émission, le contrebassiste Jacques Vidal a de nouveau eu la gentillesse d'accepter l'invitation afin de nous éclairer de sa connaissance de l'instrument et de l'histoire du jazz.
When, where, how ?
Jazzlib' sur radio libertaire 89,4 FM en RP. Tous les 1er et 3e jeudis de 20:30 à 22:00.
Podcast ou téléchargement MP3, pendant un mois, sur la grille des programmes.
Cliquer sur le lien correspondant à la bonne date (Jazzlib'/Entre chiens et loups). Attention de bien vérifier que vous êtes sur le 1er ou/et 3e jeudi, vous avez, en haut à gauche, les semaines disponibles.

lundi 14 novembre 2016

Fields of gold

      A propos de complètement autre chose (une homonymie), dans un commentaire de ce post, j'évoquais Eva Cassidy. Cela m'a remis en tête certaines des ses interprétations, et donné envie de les partager avec vous.

      Cette chanteuse tout à fait honnête, de jazz, voir de pop (ou l'inverse, ça dépend des goûts), fait partie des étoiles filantes mortes vraiment trop jeunes, à trente-trois ans en l'occurrence, d'un mélanome. La particularité de son cas est qu'elle est restée peu connue de son vivant, mais eut un énorme succès après sa mort, aux States et en Angleterre (millions d'albums vendus, numéro un des classements...). Elle est passée inaperçue au pays de Xavier Niel et Vincent Bolloré. A ma connaissance, c'était surtout une interprète, qui savait choisir ses chansons.

Du Sting.

Du jazz, un méga-classique, composé par le tromboniste de Duke Ellington, Juan Tizol.

Un tube de Cindy Lauper, que Miles Davis avait repris dans un de ses albums qui font mal aux puristes, mais plaisir au gens simples comme moi.

Allez, un petit jazz encore (Irving Berlin), précédemment chanté par la grande Ella.

      Pour finir une petite anecdote qui m'est arrivée aujourd'hui. Je suis emmené au travail par deux collègues, mère et fille, dans leur voiture, et je les en remercie. Ce matin, par hasard (un hasard absolu), la radio s'est arrêtée sur Fréquence Paris Pluriel, une radio associative plutôt sympa (en bon propagandiste, je leur déclare, tout surpris, que j'aime bien cette radio sans pub). Tous les ans, la maman chante une chansons de variété (l'an dernier du Calogero) à la petite galette des rois du boulot. Cette année, elle ne sait pas quoi chanter. A la radio : La Femme d'Hector chanté par Barbara. Je biche, d'autant qu'avant on avait eu du Nina Simone, mais crains le zapping excédé. La fille, en rigolant : "T'as qu'à chanter ça..." La mère : "Je répondrai même pas tellement c'est de la merde" (je cite de mémoire). C'est dingue comme on peut se sentir étranger parfois. Je ne connais pas les chanteurs dont elles parlent entre elles, qui ont, parait-il, un immense succès. Je ne sais pas non plus de quoi qu'elles causent quand elles citent à tout bout de champ TPMP (?). Mais on s'entend bien quand même.

Un patrimoine de l'humanité chanté par une merveille du monde. "De la merde" pour nos pauvres soeurs et frères de classe rééduqués par le télécran.




vendredi 11 novembre 2016

Inquiétude

      En ce moment j'ai mal au fondement. J'ai du mal à rester assis. Alors je m'inquiète, forcément, on entend tellement de choses. (Je me rends compte à l'instant que je viens de pasticher Jackie Berroyer). Et pour couronner le tout j'ai visionné ce film il y a quelques jours, assis pendant deux heures trois quarts.


      En plus lui aussi, vers la fin, il commence à avoir mal au cul. Mais son cancérologue le rassure, rien à voir avec son crabe de la prostate. Il mourra donc, mais pas par la voie naturelle. Plutôt rassurant. Je vous tiens au courant de toute façon.

     Plutôt sinistre comme dernière actu ciné...

mercredi 9 novembre 2016

Traces de nos grands anciens

La scène se déroule à la prison de la Santé.

   "Si je pouvais lire seulement ! N’importe quoi… Ce serait un dérivatif. En suivant les péripéties d’un roman ou d’un récit quelconques, j’oublierais pour un instant mon propre sort. Je ne demande même pas à lire des bouquins intéressants et sensés (en prison, ce serait de l’outrecuidance !). Qu’on me donne les œuvres les plus banales, les plus naïves et je les dévorerai.

   Chaque semaine, le dimanche, l’Administration nous remet un livre. C’est ridiculement insuffisant. Sans me hâter, en trois ou quatre heures, j’en ai achevé la lecture. Et il me faut attendre… l’autre dimanche, pour en avoir un nouveau…

   Ces livres sont intitulés : « Le Trésor de Madeleine » ou « Le Secret du Bonheur ». Ils sont bien peu capables d’éclairer ou d’élever la conscience individuelle. De plus, ils sont généralement en piteux état. Il manque les trente premières pages à celui qu’on vient de m’apporter, sans compter toutes celles qui ont été enlevées à l’intérieur du volume. Avec de l’imagination on peut combler les lacunes, mais la lecture perd quand même beaucoup de son charme.

   Les pages sont sales, répugnantes. Elles sont remplies d’inscriptions et d’annotations plus ou moins spirituelles. Le « Petit Marcel de Belleville » tient à faire savoir qu’il a été fait comme poisse, ayant été donné par sa gonzesse. Un autre – « Totoche de la Bastille » - énumère mélancoliquement : 3 piges (trois ans de prison, pour les non initiés), 5 triques (5 ans d’interdiction de séjour). Et il ajoute, en guise de conclusion : M. A. V. ; M. A. T. ; B. J. A. A. (Mort aux v… ; Mort aux t… ; Bonjour aux amis).

   Enfin, « Bébert de Barbès » déclare qu’il aime Adèle P. L. V. (pour la vie !). Voilà un serment qui devient banal, tant les murs des cellules et les pages des bouquins le répètent. Il cadre mal d’ailleurs avec le caractère souvent peu sentimental des « amoureux » qui le font.


   On trouve aussi des appréciations sur la valeur des ouvrages. Elles ne sont pas toujours mal portées. En voilà une, par exemple, que j’ai copiée à la fin des « Chasseurs de Chevelures » - roman tant aimé de la jeunesse. « Livre idiot. Rien ne tient debout. Tout y est contradiction et stupide enfantillage. » Je suis à peu près certain d’avoir reconnu l’écriture de ce pauvre Raymond la Science. Quant au style, je n’éprouve pas la moindre hésitation à le lui attribuer.*

La Santé, 18 avril 1913, 23 ans (presque un enfant dira Georges Boucheron, son avocat à la cour), trois jours avant de se faire raccourcir.

   Les bouquins ne sont pas distribués avec beaucoup de méthode. Ainsi, il m’est arrivé de recevoir deux fois « l’Ami Inconnu », roman imprégné d’un sentimentalisme puéril. On m’a donné aussi le deuxième volume de « Vingt mille lieues sous les mers » de Jules Verne. Il est heureux pour moi que j’ai lu le premier tome vers l’âge heureux de ma douzième année…

Ils sont presque tous là, dans l'ordre d'apparition : Soudy, Carouy, Marie la Belge, Callemin (dit "la Science"), Garnier, et le Jules (Bonnot, pas le nôtre).

   Il serait pourtant facile de faire un choix un peu plus judicieux. Mais, est-ce que ça compte, les besoins, les goûts, les préférences d’un prisonnier ? Je l’ai déjà dit : ici l’individualité est abolie, excepté quand il s’agit de souffrir.

[…]

   J’ai obtenu le droit de faire venir des livres « de science et d’étude », pour parler le langage administratif. J’ai espéré alors voir ma détention devenir un peu moins morose. On n’a pas tardé à me détromper. C’est en effet un fonctionnaire, le contrôleur de la prison, qui est chargé d’examiner les livres qu’on apporte. Il assume ces fonctions avec une compétence qui n’a d’égale que sa largeur de vues. […]

   On me refuse aussi les livres reliés, car la reliure pourrait contenir des poisons !

   Avec un pareil censeur, on peut croire que mes lectures sont très sélectionnées. Don Quichotte lui-même, le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre, n’a pas trouvé grâce à ses yeux. C’est incroyable, mais cela est.

   Le contrôleur ne consent à me remettre que les ouvrages purement scientifiques, sans doute parce qu’il n’y comprend rien. Mais comprend-il mieux ceux qu’il me refuse ?

   Un jour, je ne sais pour quel motif, ce digne fonctionnaire était absent. Quel bonheur ! On m’a remis alors, sans trop de difficultés, les Confessions de Jean-Jacques et le Cinquième Evangile d’Han Ryner. Ce fut le plus beau jour de ma vie de prisonnier ! Les chers livres, comme je les ai lus et relus ! J’ai senti qu’ils me donnaient du courage, qu’ils ranimaient mon cœur fatigué et que, grâce à eux, l’espérance me devenait possible…

   Pourquoi mon censeur-contrôleur, l’ennemi de […] Cervantès, est-il revenu, avec ses sourcils broussailleux et son caractère épineux ? Les jours me paraitraient trois fois moins longs si je pouvais lire de beaux livres, de bons livres. Cette captivité pourrait être utile, à un certain point de vue, si je la mettais à profit pour me cultiver, pour m’épurer, pour me rendre meilleur. Malheureusement pour les chefs de la prison « régénératrice », il n’y a pas d’autres rénovation morale que de s’abrutir entre quatre murs et de devenir fou, lentement mais sûrement."

André Lorulot.- Méditations et souvenirs d'un prisonnier, 1921.

* C'est La Plèbe qui souligne.