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lundi 22 mars 2021

La Dose de Wrobly : ventôse 2021 EC


- Claude Willard.- La Nasse.

      Claude Willard militant socialiste, SFIO à l'époque, fréquentant le gratin politicien du Front populaire français de 36. Blum, Salengro, Dormoy, encore ça passe, mais quand on lit le nom de Jules Moch, le réprimeur de mineurs grévistes en 47 et 48 ("Jules Moch montre une grande fermeté pour assurer la reprise du travail." Que ceci est joliment tourné, j'adore l'art de la litote de Wikipedia, voici donc concrètement en quoi consiste cette "fermeté" : "Pour contrer la grève, Jules Moch mobilise 60 000 CRS et soldats, qui se heurtent aux 15 000 grévistes retranchés dans les puits, et leur imposent, fin novembre une cuisante reprise du travail. [...] la répression est sévère, avec plus de 3 000 licenciements, six morts et de nombreux blessés." Wikipédia toujours), ça fait quand même un peu mal aux seins. Certes, les grèves étaient pilotées par les staliniens, mais celle qui combat et trinque face aux milices du Capital et de ses socialistes (ou ailleurs de ses bolcheviques prétendument communistes), une fois de plus, c'est bien la classe ouvrière. Fermons la parenthèse, qui d'ailleurs n'avait pas été ouverte en l'occurrence. Revenons aux années 30, ces temps déraisonnables ou face au mal absolu, le nazisme, ce fascisme raciste et industriellement tortionnaire et assassin, l'héroïsme de la résistance a pu naître dans de surprenants camps habituellement antagonistes. Ce livre cependant n'est pas de résistance, mais de défaite et de détention : c'est un témoignage de la vie dans un Stalag d'une multitude de prisonniers de nationalités diverses. L'auteur décrit d'abord son burlesque et tragique service militaire en 34 dans une armée aussi bête qu'arriérée et traîne-savates. Puis vient la mobilisation et la drôle de guerre : on connaît la préparation française face à la détermination guerrière et conquérante nazie, elle prête à sourire aussi, ce qui rend un peu moins insupportable l'angoisse que procure la conscience de toutes les atrocités ultérieures. Puis la vie au Stalag. Cela se lit bien, pas mal d'anecdotes, de la vie quotidienne. Et, pour ce qui est des atrocités, comme le dit l'auteur à la fin de son service militaire :"Les hommes se font de l'enfer une conception très fluctuante. L'enfer ne devait s'ouvrir, pour moi, que six ans plus tard. Et sa rigueur fut sans commune mesure moins terrible que celle qui frappa les victimes des camps d'extermination".

En lisant ce livre j'ai pensé à mon grand-père (par alliance), titi parisien qui aimait à l'occasion nous raconter ses années de Stalag en Prusse orientale. Certes, la faim, le froid l'ont traumatisé. Mais que de rires, de sourires, de nostalgie dans ses récits. Ce soldat allemand, voyant un prisonnier pisser s'exclamant, époustouflé et émerveillé par ce qu'il voyait : "Wie ein Pferd !" ("Comme un cheval !"). Ou cette méthode pour éviter que les copains perdent leur nez quand il commençait à blanchir de gel : prendre de la neige et le lui frictionner avec... Bref, un petit hommage à papy Roger, qui dans sa prime jeunesse était caissier aux abattoirs de la Villette, là-dessus aussi il nous en a raconté de drôles ! Dommage qu'il fût de droite (pour lui, les "Popofs", comme il disait, qui les ont libérés, étaient pires que les soldats allemands...).

Quelques extraits : 
 
Une armée d'une rare efficacité

      "L'armée alpine était tractée par des mules ou des mulets. Le muletier était le technicien de 1934. Son rôle aurait donc été primordial s'il était survenu un conflit avec nos voisins fascistes, fort remuant à l'époque.

Pacifistes en 14, pacifistes en 33 ?

      "Comme il est décevant de rappeler les déclarations enflammées des socialistes à la veille des guerres de 1870 et de 1914 !
Le 12 juillet 1870, les sections parisiennes de l'Internationale avaient lancé un appel aux travailleurs de tous les pays contre la guerre : "
Une fois encore, sous prétexte d'équilibre européen, d'honneur national, des ambitions politiques menacent la paix du monde... Frères d'Allemagne... restez sourds à des provocaations insensées car la guerre car la guerre entre nous serait une guerre fratricide... Nos divisions n'amèneraient , des deux côtés du Rhin, que le triomphe complet du despotisme..."
      En 1913, les cent dix députés socialistes au Reichstage et les soixante douze députés socialistes français signaient un manifeste en vue "d'un effort commun pour une union pacifique et amicale des deux nations civilisées". Ce manifeste se terminait par ces mots : "C'est sous le même drapeau de l'Internationale - de l'Internationale qui repose sur la liberté et l'indépendance assurée à chaque nation - que les socialistes français et les socialistes allemands poursuivent avec un vigueur croissante les luttes contre le militarisme insatiable, contre la guerre dévastatrice, pour l'entente réciproque, pour la paix durable entre les peuples".
      Ces appels furent voués à l'échec : les armées allemandes déferlèrent sur notre sol en 1870 et en 1914. Puis les pacifistes reprirent leur lutte et, de pactes en pactes, virent s'organiser la sécurité collective. Mais avaient surgi Mussolini et Hitler et leurs guerres de conquêtes. A moins de fermer les yeux à la réalité ou d'accepter l'asservissement de la France, à qui nos pacifistes auraient-ils pu adresser leur appel en 1939 ? En Allemagne les opposants à la machine de guerre d'Hitler - ou avaient fui - ou avaient été massacrés - ou étaient écrasés par la terreur.

Souvarine se réveille et tombe des nues.

     "Le pacte germano-soviétique venait d'être signé le 23 août. Souvarine, après avoir créé en 1920 le "Bulletin communiste - après avoir été l'année suivante un des délégués au troisième Congrès de l'Internationale communiste - était devenu le censeur le plus avisé et le plus acerbe de la politique du Kremlin.
      Dans la "
Critique sociale" qu'il dirigeait, Souvarine, après la déportation de Riazanov, écrivait : "Par cet exploit barbare, la dictature a peut-être porté un coup mortel à un grand serviteur désintéressé du prolétariat et du communisme... Mais du moins aura-t-il en même temps dissipé la dernière apparence susceptible de faire illusion à l'extérieur et avoué, révélant sa vraie nature, l'incompatibilité absolue entre le bolchévisme post-léninien (sic, NDLR) et le marxisme (re-sic, NDLR)". Pour lui, l'U.R.S.S. était devenue "une sorte d'Etat fasciste totalitaire". La rectitude de ce jugement n'était-elle pas établie par cette alliance militaire qui venait d'être conclue entre l'Allemagne nazie et la Russie soviétique - entre Hitler et Staline ?
     [...] Le pacte germano-soviétique n'était-il pas, hélas ! la conséquence inéluctable de l'accord de Munich et des réticences ultérieures de la France et de l'Angleterre à accepter les avances de Staline ?
     Modeste auditeur, je me suis borné à écouter les deux thèses. Les évènements historiques ne peuvent être appréciés à leur exacte valeur que longtemps après. La monstruosité de l'attaque conjointe de l'Allemagne et de la Russie contre la Pologne ne doit être aujourd'hui jugée qu'en fonction de l'attitude antérieure des Alliés - et des opérations militaires ultérieures dont le tournant fut l'héroïque victoire de Stalingrad.

39-40 : pas d'histoires !

     "[...] Notre capitaine nous faisait une entière confiance sachant qu'il pouvait compter sur nous. Il vient un jour sur place examiner nos travaux et aperçoit, au saillant d'un des boyaux, un soldat du régiment de forteresse faisant le guet derrière une mitrailleuse. Notre capitaine accourt et lui demande : "S'il passe un avion, que faites-vous ?" - "Je tire" - "Comment ! s'exclame l'officier interloqué, "Vous tirez ? Vous allez nous faire avoir des histoires !"
     Notre capitaine, directeur d'une école communale de la ville de Paris, avait été décoré de la Légion d'honneur pour son attitude courageuse durant la guerre de 14. N'avait-il pas été sensibilisé à l'extrême par les affres du précédent conflit ? [...] Il m'a été rapporté qu'en juin 40, quand un officier allemand avait bondi sur lui et lui avait arraché son révolver, mon bon capitaine s'était écrié : "
Attention, il est chargé".
 
Bien avant l'islamo-gauchisme

    Le livret militaire et le livret de régiment de Burcard Lévy précisent tous deux, au chapitre "marques particulières" : culte israélite. J'ai retrouvé aussi la Ketouba (certificat de mariage religieux) indiquant que mon grand-père a épousé Gabrielle Bernheim le 30 janvier 1879 au Temple de la rue Notre-Dame de Nazareth à Paris.
     Dans ma famille, avant la guerre, on n'avait jamais évoqué devant moi les questions religieuses. On n'attachait apparemment aucune importance au fait que mes quatre grands-parents aient été juifs. On parlait cependant, en riant, de l'oncle Isidore qui, à son arrivée d'Alsace avait trouvé excellent un rôti de porc préparé par ma grand-mère et avait dit : "
Je n'ai jamais mangé un morceau de veau aussi bon".
     J'ai été élevé dans le culte des églises romanes et de la musique de Bach. De dix à quinze ans, quand j'étais en vacances dans le Sidobre, j'ai suivi avec ponctualité les offices du culte protestant. J'avais pénétré une seule fois dans la synagogue toutes proche de mon domicile à Neully-sur-Seine, et en était ressorti presque aussitôt.
     C'est donc avec une surprise indignée que j'ai assisté à la flambée de l'antisémitisme après 1933 et à son déferlement sur l'Allemagne nazie. Je n'avais pas vécu l'affaire Dreyfus et je n'étais pas à même de comprendre la haine insensée qui animait certains. Pour moi, le problème se limitait à quelques questions très simples qui se posaient tant à un juif qu'à un auvergnat : Dieu existe-t-il - et, dans ce cas, doit-on respecter les préceptes de la religion ? Si une spécificité existe, doit-on encourager les vertus de la tradition ?
     Mais les droits et devoirs des citoyens français doivent être identiques au sein d'une république "
une et indivisible". 
 
Caricature

     Comme je m'étais montré habile dans mes fonctions de cantinier, je fus chargé de diriger le mess d'une autre Compagnie. Sa difficulté de gestion avait pour cause la présence d'un abbé atteint de boulimie. Je le plaçai à table près de moi pour mieux le surveiller car il prenait, à lui seul, quatre portions de viande. Un dimanche, à ma grande surprise, l'appétit semblait lui manquer. L'abbé m'expliqua : "J'en suis à mon troisième déjeuner ; j'ai déjà pris deux repas chez les paroissiens".

     Pour le Blitzkrieg et la captivité, je vous laisse compulser l’œuvre intégrale (si elle est trouvable...).

     Sur ce thème, voir aussi La dose de Wrobly de thermidor 2019 EC, avec la fiche du passionnant mais plus ardu livre La France et l'Allemagne (1932-1936), même si les périodes ne se recouvrent pas totalement. 


- David Berry. Le Mouvement anarchiste en France 1917-1945.
     La période circonscrite par cette monographie, en revanche, recouvre dans son intégralité la période du témoignage précédent. Nous allons donc enfin savoir ce qu'on fait les anarchistes français (espagnols, on sait un petit peu) pendant cette période terrible, désemparante et désespérante, où tout changea de pôle et d'épaules. Le pavé de 452 pages, étude historique basée sur le travail universitaire de l'auteur, britannique, doit, contrairement à la Nasse, se trouver facilement, datant de 2019.
   Troublante sychronicité, on y croise à plusieurs reprises Boris Souvarine (voir fiche supra), ce socialiste révolutionnaire qui soutint (dès le départ avec une critique anti-autoritaire cependant) les bolcheviques en 17 et après, mais qui fut exclut de l'Internationale communiste et du PCF des 1924. Il n'avait pas d'antipathie pour les anarchistes ("je n'ai point de mépris des anarchistes ; mais j'ai le dégoût des politiciens, quels qu'ils soient, et surtout de ceux qui revêtent le masque socialiste" - Ce qu'il faut dire, 17 novembre, 1917 auquel il collabora). Rappelons que Souvarine a été très lié, pour le meilleur et pour le pire, à un des écrivains fétiches de la Plèbe (non, pas le journal anarchiste qui parut du 13 avril au 4 mai 1918), Georges Bataille, qui lui piqua sa maîtresse.
   Ce qu'il faut dire (avril 1916 - décembre1917) regroupa en 1918 des libertaires enthousiasmés par la Révolution russe, allant parfois jusqu'à penser naïvement que les bolcheviks allaient défendre (parfois justifiant même la dictature du prolétariat) les acquis de l'insurrection populaire spontanée du peuple, même s'ils étaient avant tout évidemment partisans des soviets libres. C'est ce courant qu'on nomma "ultra-gauche" à l'époque, ou "soviétiste" (conseilliste). Le saviez-vous ? Le premier Parti communiste français a été créé par des anarchistes en mai-juin 2019 (mort en mars 1921), issus de ce courant, PC qui scissionna avec la Fédération communiste des soviets (décembre 2019 - mai 1921). Le PC qu'on connaît, section française de l'Internationale communiste, celui des futurs staliniens, étant, pour sa part, né en décembre 1920, scission de la SFIO (socialistes marxistes parlementaristes, le PS d'alors).
     Une ènième histoire de l'anarchisme me faisait un peu peur, j'appréhendais le rabâchage de ce que je connais, mais non, cette période est très peu étudiée. Ce bouquin est passionnant. Et c'est la famille, aussi foutraque, bordélique et querelleuse qu'elle puisse être.
 


vendredi 24 mai 2019

La dose de Wrobly : floréal 2019 EC

ERRATUM
Dans ma controversée Dose de germinal, j'avais oublié l'ouvrage suivant, impardonnable je suis ! Mais j'ai l'excuse du décalage horaire et de la difficile reprise du collier.

Marcel Aymé.- Vogue la galère.
   Tout d'abord je souhaiterais partager ma franche déception depuis que j'aborde la partie dramatique de l’œuvre d'Aymé. Je trouve ses romans et nouvelles infiniment plus enthousiasmants. Je suis d'autant plus déçu que j'ai de vagues souvenirs d'adaptation cinématographique assez savoureuse (je pense à Clérambard, que je n'ai pas encore lu cependant, et j'en pressens d'autres à tort ou à raison, je mêle peut-être ces traces avec des adaptations de nouvelles...)
   Ici pourtant un thème qui promettait pourtant de remonter le moral : une mutinerie sur une galère. Mais la mutinerie tourne au cauchemar. Je me demande souvent face à de tels cas, si l'auteur veut transmettre un message réactionnaire ou si, au contraire, il souhaite mettre en évidence les écueils sur lesquels ne pas s'éperonner, afin que la mutinerie, la révolution, ou l'utopie ne reproduisent pas le même schéma que le monde qu'elles voulaient mettre à la casse. On sait que pour Orwell, authentique révolutionnaire, l'intention était la deuxième, notamment dans Animal farm. Mais j'avais un prof, certainement réac, qui nous donnait comme exemple pour que nous restions raisonnables le livre Sa majesté des mouches, que je n'ai pas lu, dans lequel des mômes sur une île déserte, reproduisent une société violente et hiérarchisée. Ici, dans Vogue la galère, les mutins ne pensent qu'à violer les deux femmes du bord. Il y a peut-être le problème du lieu clôt du théâtre de l'action, autorisant le retour de tous les instincts de domination. Et par ailleurs, pour survivre, il va bien falloir que quelqu'un rame. Mais après la révolution, il faudra bien quand même aussi éviter les famines et produire au moins de quoi bouffer pour tout le monde, même si les voies de réalisation et marges de maneuvre seront beaucoup plus nombreuses que sur une coque de noix perdue au milieu de l'océan... On pourrait objecter également que cette révolte navale a eu un premier chef, puis un deuxième, qu'elle n'a pas été précédée par un apprentissage sur le tas de la liberté et de l'égalité, par l'auto-organisation et l'action directe, et que finalement ce sont les réflexes du vieux monde qui sont réapparus dans leur version moins policée, lors de cette crise. Dans ce cas, il est vrai, l'émancipation des prolétaires (et particulièrement des prolétaires les plus universellement exploitées, les femmes) n'aura pas été l’œuvre des prolétaires eux-mêmes.


Michel Bakounine.- Les Ours de Berne et l'Ours de Saint-Pétersbourg : complainte patriotique d'un Suisse humilié et désespéré.
   Pourtant, papy nous avait tout appris, ou presque, ce ne sont pas les compagnons Espagnols qui nous dirons le contraire. Ici il est question, entre autre, de la Suisse, « cette Helvétie jadis si indépendante et si fière, […] gouvernée aujourd’hui par un Conseil général qui ne semble plus chercher son honneur que dans les services de gendarme et d’espion qu’il rend à tous les despotes », patrie de mon grand-père maternel, qui m'en a légué la nationalité d'ailleurs. Pour le trafic d’Appenzeller c'est très utile.


   Ici, l’ours de Saint Pétersbourg, c’est le tsar de toutes les Russies et les ours de Berne ce sont les membres du Conseil fédéral Suisse, le gouvernement d’outre Léman, quoi. Bakounine s’insurge et dénonce l’abdication de tout droit d’asile et de toute dignité d’une république prête à se mettre en huit pour livrer aux despotes absolus d’Europe les opposants politiques qu’ils lui réclament. Quelle actualité et quelle bégaiement plombant de l’Histoire à l’époque des rapts de Cesare Battisti par l’idole de gauche Evo Morales qui l’offrit au fasciste l’extradant aussitôt vers l’Italie, qui le saisira et l’enterra dans ses oubliettes (« il ne s’agit pas, - déclare-t-on – de la poursuite et de l’extradition de […] coupables de crimes politiques, oh que non ! Il ne s’agit que de simples assassins et faussaires. – Mais qui sont ces assassins, ces faussaires ? Naturellement tous ceux qui, plus que les autres, ont eu le malheur de déplaire au gouvernement […], et qui ont eu, en même temps, le bonheur d’échapper à ses recherches paternelles »); et de Julian Assange dans des conditions semblables (« Le prétexte officiel, et il en faut toujours un, - l’hypocrisie, comme dit une maxime passée en proverbe, étant un hommage que le vice rend à la vertu, - le prétexte officiel dont se sert le ministre […] pour appuyer sa demande, c’est la condamnation prononcée par le tribunal […] pour violation du secret des Lettres. […] N’est-ce pas sublime ? l’empire, ce violateur par excellence de toutes les choses réputées inviolables […] poursuivant […] qui aurait violé le secret des lettres ! Comme si jamais, lui-même, il avait fait autre chose ! ») !


Giacomo Casanova.- Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même.
   Heureusement nous avons, dans les deux livres suivants, de quoi nous remonter le moral.
   Encore un grand évadé, même si pas du tout du même style que le précédent. On se souvient qu'on l'avait laissé débouchant sur le toit du Palais des Ducs de Venise, s'évadant de sa cellule de la redoutable prison des Plombs. C'était ici. Saura-t-il ne pas glisser sur les plaques de plombs du toit et ne point se fracasser le crâne sur la dalle du palais ou finir noyé dans le canal. Parviendra-t-il à conquérir la plus belle des belle, avec son boulet de complice de père Balbi, moine paillard faisant un peu figure de Sancho Pancha dans cette rocambolesque évasion, je trouve.

   "Je sortis le premier, le père Balbi me suivit. Soradaci, qui nous avait suivis jusqu'à l'ouverture du toit, eut ordre de remettre la plaque de plomb comme elle devait être et d'aller ensuite prier son saint François. Me tenant à genoux et à quatre pattes, j'empoignai mon esponton d'une main solide, et en allongeant le bras, je le poussai obliquement entre la jointure des plaques de l'une à l'autre, de sorte que, saisissant avec mes quatre doigts le bord de la plaque que j'avais soulevée, je parvins à m'élever jusqu'au sommet du toit. Le moine, pour me suivre, avait mis les quatre doigts de sa main droite dans la ceinture de ma culotte. Je me trouvais soumis au sort pénible de l'animal qui porte et traîne tout à la fois, et cela sur un toit d'une pente rapide rendue glissante par un épais brouillard."

Un esponton.

Jack London.- Grève générale.
   Encore du baume au coeur : une grève générale victorieuse. La bourgeoisie est affamée et se transforme en bande de pillards bestiaux. Un bémol, dos à eux, les autres affamés sont les miséreux des faubourgs, ghettos et taudis. On retrouve là malheureusement l'inspiration marxiste du grand romancier : le lumpenproletariat ne prend pas part à la lutte et à tout à perdre d'un bouleversement des rapports de classes. Mais ne boudons pas notre plaisir à apprécier le spectacle narré de ce quarteron de richards se battant comme des hyènes pour dépecer un vieux cheval et s'en disputer la viande, viande qu'ils se feront racketter peu après par de plus costauds. Les ouvriers honnêtes et en grève, eux, ont pensé à faire des réserves, et se tapent joyeusement la cloche dans leurs quartiers. Point de révolution après la victoire cependant, alors que le capital mord la poussière, mais juste la satisfaction des revendications ouvrières.
   La deuxième nouvelle de ce petit livre, Au sud de la Fente, est encore plus savoureux. C'est une parodie de l'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de Stevenson, Jekyll étant ici un universitaire bourgeois et conservateur qui, pour les besoins de ses travaux sociologiques, se grime en ouvrier et passe certains laps de temps à vivre comme l'un d'entre eux, en leur sein. Petit à petit, il en prend l'aspect, le comportement, les goûts, manières de penser et de parler, réflexes, amours et haines : ce sera notre Mr Hyde. Devinez qui gagne à la fin ? Je vous aide, ce sera comme chez Stevenson !

   "Catherine Van Vorst observa encore l’homme qu'elle avait connu sous le nom de Freddie Drummond. Sa tête dominait la foule, et son bras enlaçait toujours la taille de la femme. Assise dans son automobile, attentive, elle vit le couple traverser Market Street, franchir la Fente, et disparaître le long de la 3e Rue dans le ghetto du travail.

   Dans les années suivantes, à l’université de Californie, aucune conférence ne fut prononcée par Frédérick A. Drummond, et aucun livre sur le monde du travail ne parut sous cette signature. En revanche émergea William Totts, un grand leader syndicaliste. Ce fut lui qui épousa Mary Condon, présidente des gantières, et organisa la grande grève victorieuse des cuisiniers et serveurs. Il participa aussi à la constitution de nombreux nouveaux syndicats, dont celui des croque-morts et celui des plumeurs de volaille.
"


vendredi 26 octobre 2018

L'irrésistible attrait des Pringles

Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ; les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot – s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.
Marcel Proust.- À la recherche du temps perdu.


   L'aveuglement néocolonial est un thème récurrent de la guerre contre le terrorisme. Dans la prison de Guantánamo Bay, qu'administrent les Américains, on trouve une pièce connue sous le nom de "cabane de l'amour". Une fois qu'on a établi qu'ils ne sont pas des combattants ennemis, les détenus y sont conduits en attendant leur libération. Là, ils ont la possibilité de regarder des films hollywoodiens et de se gaver de "fast-food" américain. Asif Iqbal, l'un des trois détenus britanniques connus sous le nom du Tipton Three (le trio de Timpton), eut l'occasion de s'y rendre à quelques reprises avant que ses deux amis et lui ne fussent enfin libérés. "Nous regardions des DVD, mangions des hamburgers de McDonald, des pizzas de Pizza Hut et, en gros, décompressions. Dans ce secteur, nous n'étions pas enchaînés. Nous ne comprenions pas pourquoi on nous traitait de cette manière. [...] Le reste de la semaine, nous étions dans nos cellules, comme d'habitude. [...] Une fois, le dimanche précédant notre retour en Angleterre, Lesley [un agent du FBI] a apporté des chips Pringles, des glaces et des chocolats." Selon Rhuhel Ahmed, ami d'Iqbal, le traitement de faveur avait une explication très simple : "Ils savaient qu'ils nous avaient maltraités et torturés pendant deux ans et demi, et ils espéraient que nous allions tout oublier."


    Ahmed et Iqbal avaient été faits prisonniers par l'Alliance du Nord pendant qu'ils visitaient l'Afghanistan, où ils s'étaient rendus pour assister à un mariage. Ils avaient été sauvagement battus, privés de sommeil, rasés de force et privés de tout droit pendant 29 mois. On leur avait aussi injecté des drogues non identifiées et on les avait obligés à rester dans des positions inconfortables pendant des heures. Pourtant, l'irrésistible attrait des Pringles était censé leur faire tout oublier. Telle était effectivement l'intention.
   Difficile à croire, même si, au fond, le projet mis au point par Washington pour l'Irak reposait sur le même principe : secouer et terroriser le pays tout entier, détruire délibérément son infrastructure, rester les bras croisés pendant que sa culture et son histoire étaient vandalisés - puis tout arranger au moyen d'un afflux d'appareils électroménagers bon marché et de junk food importé. En Iraq, le cycle de l'oblitération et du remplacement de la culture n'eut rien de théorique : en fait, quelques semaines seulement suffirent pour boucler la boucle.
Naomi Klein.- La Stratégie du choc.

mercredi 4 octobre 2017

Enfermement et évasion encore

   Ce film est composé des rushes d'un long-métrage inachevé tourné en Guyane par le décorateur du Vampyr de Dreyer, achetés et confiés par l'ex-proprio du Studio 28 (où est sorti le mythique Age d'or de Bunuel) à un membre du groupe surréaliste, Jacques B. Brunius, qui leur adjoint d'authentiques plans du départ des bagnards pour Cayenne filmés clandestinement à Saint-Martin-de-Ré, et plusieurs séquences qu'il réalise lui-même avec... Eugène Dieudonné (évidemment rien à voir avec l'humouriste antisémite), aminche de la bande à Bonnot qui n'a pas participé à son équipée sauvage, mais a quand même écopé d'une condamnation à vie au bagne de Cayenne, dont il n'a fait que 14 ans, notamment grâce au combat d'Albert Londres. Le film sort en 1934 précédé d'une causerie de Dieudonné.

Autour d'une évasion, 1934.

   Vous en voulez encore ? Dieudonné, avait déjà failli faire un film avec un client (retour du bagne, il avait repris le métier d'ébéniste), Jean Vigo, dont le père, Miguel Almeyreda, journaliste anarchiste, en défendit bien d'autres, dont Liabeuf, l'homme hérissé qui aimait serrer les roussins dans ses bras et à sa manière. Le scénar' était de Vigo, de Londres, et du pote à Raymond la Science qui devait y jouer son propre rôle (Dieudo, pas Callemin, qui avait pour sa part éternué dans la sciure depuis beau temps). Mais la censure et le producteur flippèrent après que Vigo ait sorti son Zéro de conduite et le film ne se fit pas.

   Infos piquées à Jean-Pierre Bouyxou dans Siné mensuel.

vendredi 22 septembre 2017

La dose de Wrobly : fructidor 2017 EC


   - Bakounine Michel.- De la guerre à la commune.
   Promis, je me mets très bientôt à Foucault, Deleuze, Guattari. Mais laissez-moi encore un peu profiter des enseignements et de la verve de mon papy, et de l'histoire de son temps.

   - Casanova Jacques.- Histoire de ma vie.
   Suite. Un autre grand enfermé, bien que pour des raisons bien différentes : Casanova n'avait cure de la liberté d'autrui, c'est la sienne, avec les bonnes fortunes qui allaient avec, qui l'intéressaient. Et même si l'un comme l'autre étaient francs-maçons. L'évasion du vénitien fut des plus rocambolesque, certainement comme celle du russe, qui passa de la Sibérie au Japon pour rentrer en Europe, mais je connais peu les péripéties de celle-ci. La belle du libertin est de la trempe de celle du comte de Monte Cristo, mais elle est avérée.

   Extraits de la partie enfermement :

   Le lendemain à la pointe du jour Messer Grande (chef de la police - note du blogueur) entra dans ma chambre.. Me réveiller, le voir, et l'entendre me demander si j'étais Jacques Casanova fut l'affaire du moment (d'un instant - note du blogueur). D'abord que je lui ai répondu que j'étais le même qu'il avait nommé, il m'ordonna de lui donner tout ce que j'avais écrit, soit de moi, soit d'autres, de m'habiller, et d'aller avec lui. Lui ayant demandé de par qui il me donnait cet ordre, il me répondit que c'était de la part du Tribunal. [...]
   Le mot Tribunal me pétrifia l'âme ne me laissant que la faculté nécessaire à l'obéissance. Mon secrétaire était ouvert ; tous mes papiers étaient sur la table où j'écrivais, je lui ai dit qu'il pouvait les prendre ; il remplit un sac qu'un des ses gens lui porta, et il me dit que je devais aussi lui consigner (remettre - NDB) des manuscrit reliés en livres que je devais avoir [...] ; c'étaient la Clavicule de Salomon ; le Zecor-ben ; un Picatrix ; une ample instruction sur les heures planétaires aptes à faire les parfums, et les conjurations nécessaires pour avoir le colloque (des entretiens - NDB) avec les démons de toutes les classes. Ceux qui savaient que je possédais ces livres me croyaient magicien, et je n'en étais pas fâché. Messer Grande me prit aussi les livres que j'avais sur ma table de nuit : Arioste, Horace, Pétrarque, Le Philosophe militaire, manuscrit que Mathilde m'avait donné, le Portier des chartreux (roman obscène - NDB), et le petit livre des postures lubriques de l'Arétin [...].


   Tandis que le Messer Grande moissonnait ainsi mes manuscrits, mes livres, et mes lettres je m'habillais machinalement ni vite, ni lentement ; j'ai fait ma toilette, je me suis rasé, C. D. me peigna, j'ai mis une chemise à dentelle, et mon joli habit, tout sans y penser, sans prononcer le moindre mot, et sans que Messer qui ne m'a jamais perdu de vue osât trouver mauvais que je m'habillasse comme si j'eusse dû aller à une noce.
   En sortant de ma chambre je fus surpris de voir trente ou quarante archers dans la salle. On m'a fait l'honneur de les croire nécessaires pour s'assurer de ma personne [...].
   Au son de la cloche de Terza, le chef des archers entra, et me dit qu'il avait l'ordre de me mettre sous les Plombs.

 Les Plombs c'est sous le toit en plomb du grand bâtiment blanc.

 Là-haut.

Je l'ai suivi. Nous montâmes dans un autre gondole, et après un grand détour par des petits canaux nous entrâmes dans le grand, et descendîmes au quai des prisons. Après avoir monté plusieurs escaliers, nous passâmes au pont éminent, et enfermé, qui fait la communication des prisons au Palais ducal par dessus le canal qu'on appelle rio di Palazzo.

A droite, on distingue l'"éminent" pont dit aussi des soupirs.

[...] Cet homme, qui était le geôlier, empoigna une grosse clef, il ouvrit une grosse porte doublée de fer, haute de trois pieds, et demi, qui dans son milieu avait un trou rond de huit pouces de diamètre, et m'ordonna d'entrer [...] Ma taille étant de cinq pieds, et neuf pouces, je me suis bien courbé pour entrer ; et il m'enferma. [...] Ayant fait le tour de cette affreuse prison, tenant la tête inclinée, car elle n'avait que cinq pieds et demi de hauteur, j'ai trouvé presque à tâtons qu'elle formait les trois quarts d'un carré de deux toises. [...] La chaleur était extrême. Dans mon étonnement la nature m'a porté à la grille seul lieu, où je pouvais me reposer sur mes coudes : [...] je voyais la lumière qui éclairait le galetas, et des rats gros comme des lapins qui se promenaient. Ces hideux animaux, dont j'abhorrais la vue, venaient jusque sous ma grille sans montrer aucune forme de frayeur. [...]
   Au son de vingt-une heure (deux heures et demie avant le coucher du soleil - NDB) j'ai commencé à m'inquiéter de ce que je ne voyais paraître personne, [...] mais lorsque j'ai entendu sonner les vingt-quatre heures je suis devenu comme un forcené hurlant, frappant des pieds, pestant, et accompagnant de hauts cris tout le vain tapage que mon étrange situation m'excitait à faire. Après plus d'une heure de ce furieux exercice ne voyant personne, n'ayant pas le moindre indice qui m'aurait fait imaginer que quelqu'un pût avoir entendu mes fureurs, enveloppé de ténèbres j'ai fermé la grille, craignant que les rats ne sautassent dans le cachot. [...] Un pareil impitoyable abandon ne me paraissait pas vraisemblable, quand même on aurait décidé de me faire mourir. L'examen de ce que je pouvais avoir fait pour mériter un traitement si cruel ne pouvait durer qu'un moment car je ne trouvais pas matière pour m'y arrêter. En qualité de grand libertin, de hardi parleur, d'homme qui ne pensait qu'à jouir de la vie, je ne pouvais pas me trouver coupable, mais en me voyant malgré cela traité comme tel, j'épargne au lecteur tout ce que la rage, l'indignation, le désespoir m'a fait dire, et penser contre l'horrible despotisme qui m'opprimait. La noire colère, cependant, et le chagrin qui me dévorait, et le dur plancher sur lequel j'étais ne m'empêchèrent pas de m'endormir [...] ; je brûlais des désirs de vengeance que je ne me dissimulais pas. Il me paraissait d'être à la tête du peuple pour exterminer le gouvernement, et pour massacrer les aristocrates ; tout devait être pulvérisé : je ne me contentais pas d'ordonner à des bourreaux le carnage de mes oppresseurs, mais c'était moi-même qui devait en exécuter le massacre. Tel est l'homme ! et il ne se doute pas que ce qui tien ce langage dans lui n'est pas sa raison ; mais sa plus grande ennemie : la colère.
   Vers midi le geôlier parut [...] - Ordonnez, me dit-il ce que vous voulez manger demain [...]. L'illustrissime secrétaire m'a ordonné de vous dire qu'il vous enverra des livres convenables, puisque ceux que vous désirez d'avoir sont défendus. - Remerciez-le de la grâce qu'il m'a faite de me mettre seul. - Je ferai votre commission, mais vous faites mal à vous moquer ainsi. [...] On vous a mis tout seul pour vous punir davantage, et vous voulez que je remercie de votre part ? - Je ne savais pas cela.
    Cet ignorant avait raison, et je ne m'en suis que trop aperçu quelques jours après. J'ai reconnu qu'un homme enfermé tout seul, et mis dans l'impossibilité de s'occuper, seul dans un endroit presque obscur, où il ne voit, ni ne peut voir qu'une fois par jour celui qui lui porte à manger et où il ne peut pas marcher se tenant droit est le plus malheureux des mortels. Il désire l'enfer, s'il le croit (s'il y croit - NDB), pour se voir en compagnie. Je suis parvenu là-dedans à désirer celle d'un assassin, d'un fou, d'un malade puant, d'un ours. La solitude sous les Plombs désespère ; mais pour le savoir il faut en avoir fait l'expérience.


   - Buzzati Dino.- La Fameuse invasion de la Sicile par les ours.
   J'ai longtemps eu trois poches de Buzzati, hérités de la scolarité de mon frère, mais que je n'avais jamais lus, pas très envie, ça venait de l'école, donc ça devait être chiant, édifiant et gnan-gnan. Quand j'ai finalement lu le K longtemps après, il y a quelques années, je suis tombé sur le cul : immense. Et rebelote pour le Désert des Tartares. Je venais de découvrir un genre de Kafka, en un peu moins glaçant, dame ! celui-ci n'est pas tchèque, mais rital ! On y retrouve les mêmes spirales de l'absurdité du destin social, que les protagonistes sont littéralement impuissants à dévier tant soit peu, au contraire, ils contribuent tenacement à en dessiner les lignes. Et bien d'autres choses encore ! Je suis un peu déçu par l'invasion des ours, mais il faut bien convenir que je n'ai plus dix ans non plus...

   - Mirbeau Octave.- L'Abbé Jules.
   Pas un roman anticlérical (même si Mirbeau l'est évidemment, comme le prouve Sébastien Roch, déjà évoqué ici, racontant l'histoire d'un adolescent violé par un jésuite), décrivant une canaille de prêtre hypocrite, pervers ou fanatique, mais plutôt le portrait d'un inadapté au monde, tellement irascible qu'il en bascule dans l'hystérie voir la folie. Bien sûr, Jules a des côtés sympathiques pour nous, mais Mirbeau, malgré son anarchisme revendiqué, est aussi un romancier de la complexité, et certains aspects de l'abbé sont quand même assez débecquetants pour qu'on ne parvienne pas à s'identifier. La charge contre la bourgeoisie est en revanche, une fois de plus, lapidaire et sans appel.

vendredi 25 novembre 2016

Maigrir pour des idées




      Difficile de commenter après la baffe que j'ai prise en voyant ce film. On avait déjà évoqué la guerre féroce de Thatcher et son monde contre le prolétariat anglais. Ici, ce sont les résistants indigènes républicains anti-colonialistes (assez intransigeants aussi, c'est le moins qu'on puisse dire), qui vont payer le tribut impitoyable du vaincu.

      Pour eux, la résistance, dont l'objet était l'obtention du statut de prisonnier politique, passe par le refus de la tenue de prisonnier, donc par la nudité, et la grève de l'hygiène : les corps ne seront pas lavés ; toutes les excrétions seront utilisées pour tapisser les murs des cellules, parfois en surprenantes oeuvres d'art ; les restes alimentaires seront stockés jusqu'à putréfaction ; l'urine réservée dans les pots, afin d'être déversée en commun au même moment dans les couloirs, transformant ceux-ci en marécages de pisse. Les nombreux stratagèmes par lesquels les détenus parviennent à communiquer entre eux et avec l'extérieur réussissent à nous faire sourire, un peu jaune quand même. Les cassages de gueules par les matons, eux, sont en revanche franchement pénibles, mais certainement moins pour nous que pour eux.

      Le comédien jouant Bobby Sands a, pour le film et sous contrôle médical maigri jusqu'à l'apparence squelettique d'un non alimenté de 60 jours, une performance glaçante. Car après la grève de l'hygiène et suite au mépris de Thatcher, les prisonniers entament une grève de la faim illimitée, et meurent : neuf y sont restés.

      On est sur les nerfs d'un bout à l'autre, c'est dire si on ne s'ennuie pas une seconde. Le seul moment de détente est celui où le surveillant de prison va voir sa maman à la maison de retraite.

mercredi 9 novembre 2016

Traces de nos grands anciens

La scène se déroule à la prison de la Santé.

   "Si je pouvais lire seulement ! N’importe quoi… Ce serait un dérivatif. En suivant les péripéties d’un roman ou d’un récit quelconques, j’oublierais pour un instant mon propre sort. Je ne demande même pas à lire des bouquins intéressants et sensés (en prison, ce serait de l’outrecuidance !). Qu’on me donne les œuvres les plus banales, les plus naïves et je les dévorerai.

   Chaque semaine, le dimanche, l’Administration nous remet un livre. C’est ridiculement insuffisant. Sans me hâter, en trois ou quatre heures, j’en ai achevé la lecture. Et il me faut attendre… l’autre dimanche, pour en avoir un nouveau…

   Ces livres sont intitulés : « Le Trésor de Madeleine » ou « Le Secret du Bonheur ». Ils sont bien peu capables d’éclairer ou d’élever la conscience individuelle. De plus, ils sont généralement en piteux état. Il manque les trente premières pages à celui qu’on vient de m’apporter, sans compter toutes celles qui ont été enlevées à l’intérieur du volume. Avec de l’imagination on peut combler les lacunes, mais la lecture perd quand même beaucoup de son charme.

   Les pages sont sales, répugnantes. Elles sont remplies d’inscriptions et d’annotations plus ou moins spirituelles. Le « Petit Marcel de Belleville » tient à faire savoir qu’il a été fait comme poisse, ayant été donné par sa gonzesse. Un autre – « Totoche de la Bastille » - énumère mélancoliquement : 3 piges (trois ans de prison, pour les non initiés), 5 triques (5 ans d’interdiction de séjour). Et il ajoute, en guise de conclusion : M. A. V. ; M. A. T. ; B. J. A. A. (Mort aux v… ; Mort aux t… ; Bonjour aux amis).

   Enfin, « Bébert de Barbès » déclare qu’il aime Adèle P. L. V. (pour la vie !). Voilà un serment qui devient banal, tant les murs des cellules et les pages des bouquins le répètent. Il cadre mal d’ailleurs avec le caractère souvent peu sentimental des « amoureux » qui le font.


   On trouve aussi des appréciations sur la valeur des ouvrages. Elles ne sont pas toujours mal portées. En voilà une, par exemple, que j’ai copiée à la fin des « Chasseurs de Chevelures » - roman tant aimé de la jeunesse. « Livre idiot. Rien ne tient debout. Tout y est contradiction et stupide enfantillage. » Je suis à peu près certain d’avoir reconnu l’écriture de ce pauvre Raymond la Science. Quant au style, je n’éprouve pas la moindre hésitation à le lui attribuer.*

La Santé, 18 avril 1913, 23 ans (presque un enfant dira Georges Boucheron, son avocat à la cour), trois jours avant de se faire raccourcir.

   Les bouquins ne sont pas distribués avec beaucoup de méthode. Ainsi, il m’est arrivé de recevoir deux fois « l’Ami Inconnu », roman imprégné d’un sentimentalisme puéril. On m’a donné aussi le deuxième volume de « Vingt mille lieues sous les mers » de Jules Verne. Il est heureux pour moi que j’ai lu le premier tome vers l’âge heureux de ma douzième année…

Ils sont presque tous là, dans l'ordre d'apparition : Soudy, Carouy, Marie la Belge, Callemin (dit "la Science"), Garnier, et le Jules (Bonnot, pas le nôtre).

   Il serait pourtant facile de faire un choix un peu plus judicieux. Mais, est-ce que ça compte, les besoins, les goûts, les préférences d’un prisonnier ? Je l’ai déjà dit : ici l’individualité est abolie, excepté quand il s’agit de souffrir.

[…]

   J’ai obtenu le droit de faire venir des livres « de science et d’étude », pour parler le langage administratif. J’ai espéré alors voir ma détention devenir un peu moins morose. On n’a pas tardé à me détromper. C’est en effet un fonctionnaire, le contrôleur de la prison, qui est chargé d’examiner les livres qu’on apporte. Il assume ces fonctions avec une compétence qui n’a d’égale que sa largeur de vues. […]

   On me refuse aussi les livres reliés, car la reliure pourrait contenir des poisons !

   Avec un pareil censeur, on peut croire que mes lectures sont très sélectionnées. Don Quichotte lui-même, le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre, n’a pas trouvé grâce à ses yeux. C’est incroyable, mais cela est.

   Le contrôleur ne consent à me remettre que les ouvrages purement scientifiques, sans doute parce qu’il n’y comprend rien. Mais comprend-il mieux ceux qu’il me refuse ?

   Un jour, je ne sais pour quel motif, ce digne fonctionnaire était absent. Quel bonheur ! On m’a remis alors, sans trop de difficultés, les Confessions de Jean-Jacques et le Cinquième Evangile d’Han Ryner. Ce fut le plus beau jour de ma vie de prisonnier ! Les chers livres, comme je les ai lus et relus ! J’ai senti qu’ils me donnaient du courage, qu’ils ranimaient mon cœur fatigué et que, grâce à eux, l’espérance me devenait possible…

   Pourquoi mon censeur-contrôleur, l’ennemi de […] Cervantès, est-il revenu, avec ses sourcils broussailleux et son caractère épineux ? Les jours me paraitraient trois fois moins longs si je pouvais lire de beaux livres, de bons livres. Cette captivité pourrait être utile, à un certain point de vue, si je la mettais à profit pour me cultiver, pour m’épurer, pour me rendre meilleur. Malheureusement pour les chefs de la prison « régénératrice », il n’y a pas d’autres rénovation morale que de s’abrutir entre quatre murs et de devenir fou, lentement mais sûrement."

André Lorulot.- Méditations et souvenirs d'un prisonnier, 1921.

* C'est La Plèbe qui souligne.

vendredi 5 juin 2015

Ile déserte II et village

Bon, le week-end sera chaud. Alors on se remet une dose de Dolphy / Little et les autres. Du très bon, rien d'autre à dire. Ne cherchez pas de lien de causalité entre la première et la deuxième phrase de ce post, il n'y en a pas.


Le morceau s'appelle Number eight, ça m'évoque ça :


qui m'évoque ça :


Bon, on peut aller loin comme ça. Ca devient freudien. Alors...

Bonjour chez vous !