vendredi 30 décembre 2022

La Dose de Wrobly : frimaire 2022 EC


     Je suis en vacances. Eh ! oui, je suis encore tributaire du salariat, je n'ai pas eu le courage ni les idées, les amis, les moyens à mettre en œuvre pour déserter le monde de l'économie... Je dépend donc encore aussi de ces minces temps compensatoires que sont les congés, et j'essaye d'en profiter, non pas pour consommer plus, mais au contraire pour me désaliéner un peu. Je manque donc de temps devant écran pour alimenter ce blog, je les fuis ! Toutefois comme j'aime de toute mon âme la petite famille de mes lecteurs, je parviens ce jour à vous partager une brève Dose de Wrobly, celle de novembre / décembre. A bientôt quand j'aurais repris le chagrin (même si les cadences de plus en plus infernales me laissent de moins en moins de temps pour créer sur Google...). 


- Tennessee Williams.- La Nuit de l'iguane.
     J'avais découvert Arthur Miller au printemps 2021, en cette fin d'automne je découvre Tennessee Williams. J'aime bien aussi. Ça se passe sur la côte ouest du Mexique avec un pasteur défroqué et torturé, la colonie de femmes touristes qu'il guide suite à reconversion professionnelle, une jeune peintre errante sensible et philosophe et son père quasi centenaire, et d'autres personnages hauts en couleur s'agitant de manière plaisante sous les yeux d'un pauvre iguane capturé en vue d'un repas ultérieur...
     Je n'ai pas le temps d'en écrire plus, si ce n'est que ça fait du bien de s’ouvrir un peu et de sortir de sa zone de confort livresque.


- Lois McMaster Bujold.- La Danse du miroir.
     La suite. Plus j'avance plus j'aime, je m'attache. Le héros est doublé de son frère clone désormais, un type assez torturé, lui aussi...

lundi 5 décembre 2022

Takeshi t'a quitté

   Voilà, j'ai fini mon cycle Kitano. Comme j'avais déjà vu Chien enragé de Kurosawa avant d'entamer son cycle, Contes de lune après la pluie de Mizoguchi le sien et Voyage à Tokyo d'Ozu celui qui lui appartient (même si ce dernier film n'a pas été revisionné par bibi lors de cette intégrale incomplète), j'avais déjà vu et uniquement vu Zatoichi, de Kitano, avant de décider d'épuiser les DVD de la médiathèque ou j'assouvis ma coupable et tardive inclination pour le cinéma japonais, art putréfié et séparé comme un autre finalement, qui nous console un peu de l'absence du monde passionnant et libre que la révolution vaincue jusqu'à ce jour était censé nous offrir.

   Voici donc les derniers films de Takeshi Kitano (Beat Kitano quand il joue son rôle de pitre à la télé) :

   - Violent Cop (その男、凶暴につき, Sono otoko kyobo ni tsuki), 1989.
Inspecteur Harry.

   - A Scene at the Sea (あの夏、いちばん静かな海, Ano natsu ichiban shizukana umi), 1991.
Surf et sourds muets.

   - Getting Any (みんな~ やってるか!, Minnā-yatteruka), 1994.
Obsession sexuelle, gags énormes et caca.

   - Hana-bi (花火), 1997.
Tendresse et complicité silencieuse entre deux maudits de la vie. Un de mes préférés si ce n'est le.

   - Zatoichi (座頭市), 2003.
Chanbara (film de sabre). Magnifique, du sang comme des jets de peinture. Et des claquettes.

   - Takeshis' (タケシズ, Takeshizu), 2005.
Autobiographie onirique et sosie.

   - Achille et la Tortue (アキレスと亀, Akiresu to kame), 2008.
La peinture à la vie à la mort.

jeudi 17 novembre 2022

La Dose de Wrobly : brumaire 2022 E.C.

   - Lois McMaster Bujold.- Ethan d'Athos / Le Labyrinthe / Les Frontières de l'infini / Frères d'armes.
   Je poursuis ma saga. En écoutant du Michel Petrucciani. C'est un hasard, mais Miles Vorkosigan, le héros de la plupart des romans, est lui aussi petit, bossu, fragile et génial. Dans Ethan d'Athos un scientifique de cette dernière planète, ne comportant que des mâles homosexuels se reproduisant dans des réplicateurs utérins via des cultures ovariennes, part à la recherche de nouvelles cultures, les anciennes étant mortes de vieillesse, et celles qu'ils avaient commandées ayant été sabotées (il y a même un ovaire de vache dans le colis, entre autres déchets !). Sur une base spatiale il va rencontrer (avec frayeur, méfiance extrême et dégoût, dame ! c'est une femme !) Elli Quinn, la mercenaire Dendarii ayant eu le visage brûlé au plasma, refait joliment à neuf par les chirurgiesn de la planète Beta, et tous deux vivront de rocambolesques aventures ou interviendront des barbouzes cetagandais et un mutant télépathe, entre autres !... Un de mes préférés jusqu'à présent. Le Labyrinthe reprend un peu le mythe du minotaure, en version techno-scientiste, sauf que ledit monstre est une adolescente de 2 m 50 et aux crocs de louve en manque d'amour... Les Frontière de l'infini décrit un camp de prisonniers de guerre sous dôme, assez infernal, comme tout lieu d'enfermement, mais évoquant ici certains cercles du Dante. Dans le dernier Miles fait une pause sur cette bonne vieille Terre, qu'il en profite pour découvrir, mais les vacances seront mouvementées. Tout cela délasse bien finalement. C'est parfois vraiment drôle.

- André Bertrand / André Schneider.- Le Scandale de Strasbourg mis à nu par ses célibataires, même.
   Le De la misère en milieu étudiant fait partie des classiques de la subversion qui m'ont à la fois enthousiasmé et influencé quand j'étais étudiant en que dalle, comme Stirner (dès le lycée) et l'Internationale Situationniste (I.S.), dont j'ai lu le recueil de l'intégrale de la revue à cette époque. Si bien que je n'ai rien fait de ma vie, ce que je ne regrette pas, le refus de parvenir m'étant presque greffé aux tripes. Mais aucune révolution n'étant venue bouleverser les conditions de survie existantes dans cette fin des années 80 et début des années 90, ces élans vers les jouissances libres et la vie trépidante se sont rapidement soldés, mon tempérament addictif et fragile aidant, par une tombée dans le cercle vicieux des bonheurs supplétifs, artificiels et illusoires. Certes il n'y a pas eu que du mauvais, j'ai eu de belles dérives urbaines dans Paris et en banlieue, de bistrots en troquets, et ai pu accéder à des éclairs de poésie de la vie quotidienne. Mais une éthique de la fête et du jeu qui reste parcellaire faute de grand embrasement généralisé ne m'a pas tellement aidé à faire face à la dépression, à la solitude et à l'obligation, finalement, faute d'alternative, d'aller m'aliéner au travail tous les jours. Cela dit ce petit pamphlet par la taille mais grand par l'influence, (précurseur et ferment de la révolution manquée de mai 68) est un chef-d'oeuvre. Il n'y manque que sa réalisation pratique collective et radicale, mais cela ne va pas tarder, il y a des signes avant-coureurs.

   Le Scandale de Strasbourg mis à nu par ses célibataires, même, livre assez récent vu mon retard compulsif et habituel, 2018, raconte les circonstances et le déroulement des évènements qui ont mené à la publications de cet opuscule par des étudiants strasbourgeois ayant au préalable noyauté l'UNEF locale et détourné sa trésorerie pour faire la foire et foutre un joyeux bordel dans le milieu étriqué et arriviste, mais aussi aux aspirations latentes à une vie passionnément libérée de la soumission, de l'université. Et les conséquences de tout cela. Passionnant ! Vous pouvez imaginer comme je biche méchamment !

   Avant de connaître De la Misère et plus généralement l'I.S., qui datent de la jeunesse de mes parents (mais dont ils n'avaient pas la première idée de l'existence), j'ai biberonné pendant mes années de collège et de lycée à la chanson dont vous trouverez les paroles ci-dessous, que j'aime presque autant qu'Où c'est qu'j'ai mis mon flingue ?, quand Renaud était génial. J'en ai encore des frissons. C'était plus récent mais on sent bien l'influence. Le terrain était fertile, ça ne m'a pas lâché. D'ailleurs je bosse depuis bientôt dix ans dans une fac pourrie, la boucle est bouclée. Le monde est toujours aussi déprimant dans son ensemble, mais la maturité m'a apporté une aptitude à être relativement heureux malgré tout, je me force un peu à avoir des amis et à m'intéresser à mes semblables en général et à mes proches en particulier, j'écoute du jazz, apprend le trombone, pratique et enseigne l'aïkido, lit Le Scandale de Strasbourg mis à nu par ses célibataires, même, fait toutes les grèves et quelques manifs, n'ai toujours pas trouvé ma voie dans l'action révolutionnaire, mais ai admis que je suis limité, loin d'être un foudre de guerre, pas plus qu'un meneur d'hommes, comme disait mon chef. Je fais ce que je peux et tente de rester connecté aux passions joyeuses et combatives. Malgré tout.

Boutonneux et militants
Pour une société meilleure
Dont y s'raient les dirigeants
Où y pourraient faire leur beurre
Voici l'flot des étudiants.
Propres sur eux et non violents
Qui s'en vont grossir les rangs
Des bureaucrates et des marchands
Étudiant poil aux dents
J'suis pas d'ton clan pas d'ta race
Mais j'sais qu'le coup d'pied au cul
Que j'file au bourgeois qui passe
Y vient d'l'école de la rue
Et y salit ma godasse

Maman quand j's'rai grand.
J'voudrais pas être étudiant
Alors tu s'ras un moins que rien
Ah oui ça je veux bien

Étudiant en architecture
Dans ton carton à dessin
Y'a l'angoisse de notr' futur
Y'a la société d'demain
Fais-les nous voir tes projets
Et la couleur de ton béton
Tes HLM sophistiqués
On n'en veut pas nous nos maisons
On s'les construira nous-mêmes
Sur les ruines de tes illusions
Et puis on r'prendra en main
Quoi donc ? L'habitat urbain
Je sais ça t'fait pas marrer
J'pouvais pas m'en empêcher

Maman quand j's'rai grand
J'voudrais pas être étudiant
Ben alors qu'est-ce que tu veux faire?
Je sais pas moi gangster

Étudiant en médecine
Tu vas marner pendant sept ans
Pour être marchand d'pénicilline
Tes saloperies d'médicaments
Aux bourgeois tu r'fileras
Des cancers à tour de bras
Et aux prolos des ulcères
Parc'que c'est un peu moins cher
Et l'tiers-monde qu'a besoin d'toi
Là c'est sûr que t'iras pas
Malgré tous ceux qui vont crever
T'oublieras que j't'ai chanté
La médecine est une putain
Son maquereau c'est l'pharmacien

Maman quand j's'rai grand
J'voudrais pas être étudiant
Ben alors qu'est-ce que tu veux être?
Je sais pas moi poète

Étudiant en droit
Y'a plus d'fachos dans ton bastion
Que dans un régiment d'paras
Ça veux tout dire eh ducon!
Demain c'est toi qui viendras
Dans ta robe ensanglantée
Pour faire appliquer tes lois
Que jamais on a votées
Qu'tu finisses juge ou avocat
Ta justice on en veut pas
Pi si tu finis notaire
P't'être qu'on débarqu'ra chez toi
Pour tirer les choses au clerc
Et tant pi s'il est pas là

Maman quand j's'rai grand
J'voudrais pas être étudiant
Ben alors qu'est-ce que tu veux faire?
Je sais pas moi infirmière

Étudiant en que dalle
Tu glandes dans les facultés
T'as jamais lu L'Capital
Mais y'a longtemps qu'tas pigé
Qu'y faut jamais travailler
Et jamais marcher au pas
Qu'leur culture nous fait gerber
Qu'on veut pas finir loufiats
Au service de cet État
De cette société ruinée
Qu'des étudiants respectables
Espère un jour diriger
En traînant dans leurs cartables
La connerie de leurs aînés

Maman quand j's'rai grand
J'voudrais pas être étudiant
Alors tu s'ras un moins que rien
Ah oui ça j'veux bien

jeudi 20 octobre 2022

La dose de Wrobly : vendémiaire 2022 E.C.


   - Walter Benjamin.- Lumières pour enfants (Aufklärung für Kinder) : émissions pour la jeunesse.
   Déjà, Benjamin s'adresse ici à des enfants (sans les prendre pour des niais le moins du monde), et comme ses écrits pour adultes me sont en général assez ardus d'approche, même si j'y prends aussi un grand plaisir dans l'effort, ici c'est vraiment une détente, agréable et instructive. Et enthousiasmante, car contrairement au précédent livre de l'auteur lu et chroniqué ici (Rastelli raconte...), un recueil de contes, nous avons ici de petites chroniques documentaires décrivant, évoquant et dissertant sur... Berlin (mais pas que, les 12 premières chroniques sur 29, bien d'autres surprises vous attendent les enfants !). Berlin, qui, comme vous le savez, est une ville mythique pour moi, pour des raisons familiales, littéraires, historiques, personnelles... Un intérêt non des moindres de ces chroniques berlinoises est qu'elles datent de la fin des années 20 au début des années 30, à savoir quelques années avant la prise de pouvoir des nazis. On aura droit au dialecte berlinois et à la personnalité "grande gueule" et pleine d'humour des habitants de la ville-Etat (avec une référence au Berlin Alexanderplatz d'Alfred Döblin), aux marchands ambulants et marchés du vieux et du nouveau Berlin, au théâtre de marionnettes local, au Berlin démoniaque d'E.T.A Hoffmann, aux souvenirs d'enfance d'un gamin des rues, à des promenades au rayon jouets des grands magasins, à la visite d'une usine métallurgiques de fabrication de machines-outils plus que bicentenaire (incongru pour moi, mais finalement très intéressant...), aux cités-casernes (déjà !), au dessinateur Theodor Hosemann, à une fabrique de laiton (!), etc.
Parc de Treptow le jour de la fête de l'ouverture de la pêche de la presqu'île de Stralauer, de Theodor Hosemann.
Une demi-tonne de bière et un repas simple : c'est la récompense pour les pêcheurs. Auparavant, selon la coutume, ils donnaient les prises de leur pêche au prêtre. C'est le 24 Août, le jour de la Saint-Barthélemy, que la période de fermeture de la pêche prend fin. Ainsi débute en 1574 la tradition du Stralauer Fischzug, qui 300 ans plus tard est devenu une fête populaire avec 70 000 visiteurs. En 1873, la fête fût interdite pour cause de célébrations tapageuses. Depuis lors c'est devenu plus calme sur la presqu'île de Stralau et alentour.


   Tegel, Unter den Linden, Schöneberg, Templehof, Tiergarten, la porte de Brandebourg... autant de termes qui m'évoquent des lieux vus directement ou entendus nommés et imaginés, et qui me donnent envie d'y retourner. Si ça se fait un jour, je réemprunterai ce livre pour l'emmener comme guide.

   - Lois McMaster Bujold.- Cetaganda.
   Détente agréable, ici aussi, grâce à la générosité persévérante de mon pote de l'aïkido qui m'avait prêté le volume I de la saga Vorkosigan cet été. Je commence donc le volume II. Je trouve cette rentrée et cet automne particulièrement déprimants (guerre, désastre écologique, fascistes, capitalistes toujours plus en roue libre et pépouzes, saloperies éructées par leurs larbins médiatiques, petits chefs toujours à fond dans leur rôle... je devrais être remonté pour combattre mais j'ai peu de force vitale, je suis démotivé, me sens vieux et ai à moitié la crève. Du coup ça me fait du bien ce pur divertissement, j'oublie un peu toute cette merde, un opium du peuple doux... Je retrouve avec plaisir mon héros nain bossu fragile comme le verre (Miles Vorkosigan), sa petite famille de grands aristos moyennâgeux par son père et de républicains techno-ravis de la crèche par sa mère, et ses amis. Le space opera laisse de plus en plus place à des intrigues policières, sur des planètes contrastées. Ici on a chouravé la clé de la banque génétique des Hauts, la haute aristocratie de la planète impériale Cetaganda, banque via laquelle ils se reproduisent en eugénistes accomplis, sans contact grands dégoûtants ! Et on veut faire accuser Miles, dont le père est premier ministre de la planète, impériale également mais plus brute de décoffrage, où on copule encore en vrai, Barrayar, ennemie héréditaire de Cetaganda, au risque (calculé ?) de créer un incident diplomatique qui mettrait le feu aux poudres... On se laisse porter comme dans une de ces bulles flottantes dans lesquelles s'enferment et se déplacent les plus que belles Hautes cetagandanes.

lundi 26 septembre 2022

Sacqueboute LXXII : James Morrison.

[...] lorsque je m'aperçus, au comble de l'horreur et de l'étonnement, que je n'avais plus d'haleine.
Edgar Allan Poe.- Perte d'haleine.

   Temps de merde, monde asphyxiant, guerres sales, bêtes immondes. Heureusement qu'il y a des acrobates, notamment du trombone dans cette rubrique, pour nous redonner du souffle et nous changer les idées. Celui-là, James Lloyd Morrison, est un peu limité, il ne joue pas de batterie :

Cette petite fantaisie technologique, dont le genre est devenu très à la mode sous le COVID, date de 2011.

   En revanche, il joue du trombone, mais aussi de la trompette, de l’harmonica, du saxophone, de la contrebasse et du piano. Il est également compositeur.


   Il est né le 11 novembre 1962 à Sydney, État de Nouvelle-Galles du Sud, Australie.


   Virtuosité, performances de cirque, bon jazz qui groove, plein les yeux et les oreilles, et c'est bon. On respire.


SACQUEBOUTE
Priviouslillonne Sacqueboute :
Mnozil Brass
Kai Winding
Wolfgang Amadeus Mozart
Jimmy Knepper
Louis Nelson
Charlie Green
Vincent Gardner
Curtis Fuller
Jason Horn
les esprits / 2- le spectre
Samuel Blazer
l'Essaim de nuit
les esprits / 1- les furies
Kronstadt
Jörgen van Rijen
La Belle image
Kropol
les sacqueboutiers de Toulouse
Tintin
Wycliffe Gordon
Donald
Robinson Khoury
Willie Colon
Sébastien Llado
Mathias Mahler
Charles Greenlee
Dick Griffin
Guive
Voilà du boudin
Bruce Fowler
Glenn Miller
Nils Landgren
Grachan Moncur
Le Trombone illustré
Bettons Tenyue
Watt
Curtis Hasselbring
Steve Turre
Les trois trombonistes de Marc Ducret
Yves Robert
Daniel Casimir
Gary Valente
Chicago
Moon Hooch
Raymond Katarzynski
Albert Mangelsdorff
Christiane Bopp
Honoré Dutrey
Viscosity
Fred Wesley
Dave Lambert
Roswell Rudd
Curtis Fowlkes
Melba Liston
La Flûte aux trombones
La Femme tronc
Journal intime
Gunhild Carling
Nils Wogram et Root 70
Carl Fontana
Animaux
Trombone Shorty
Cinéma
Feu
Le Canadian Brass
Local Brass Quintet
Buddy Morrow
Bones Apart
J.J. Johnson
Lawrence Brown
Vinko Globokar
Les funérailles de Beethoven
Treme
Craig Harris
Mona Lisa Klaxon
Juan Tizol
Bob Brookmeyer
Daniel Zimmerman
Frank Rosolino
Rico Rodriguez
Kid Ory

mardi 20 septembre 2022

La dose de Wrobly : fructidor 2022 E.C.

     - Edgar Allan Poe.- Contes - essais - poèmes.
     J'ai lu les Histoires extraordinaires et les Nouvelles histoires extraordinaires plusieurs fois quand j'étais jeune ado. J'en ai de bons souvenirs. C'était des Folio qui traînaient à la maison. Mais du coup j'avais une vision de l'auteur, Poe, conforme à la légende qu'en avait créé, dans ses préfaces, le traducteur, pour pouvoir s'annexer un autre poète maudit, un semblable, un frère. Ce traducteur de la plupart des contes, et qui le reste aujourd'hui dans toutes les rééditions, est bien sûr Charles Baudelaire. En fait, si Poe était peut-être bien alcoolique, en tout cas quelques indices de sa biographie peuvent le laisser penser, il était bien moins destroy que Baudelaire et son premier éditeur américain (de Poe), R. W. Griswold, un vrai salopard qui le détestait et ne cessa de la calomnier, se sont plus à le décrire. "C'est ici la première mention de l'opium à propos de Poe ; c'est la contribution personnelle de Baudelaire au mythe. Car nul chercheur n'a jamais découvert la moindre trace de drogue dans la vie de Poe, si ce n'est cette unique dose de laudanum prise - pour se suicider ou calmer une rage de dents, nul ne le sait. Je dis bien laudanum, inoffensif ingrédient de tant de médicaments au XIXème siècle. L'opiomanie d'Edgar Poe, cautionnée par d'insouciantes thèses de médecine, est née d'un rêve de Baudelaire. La mode a fait le reste." Claude Richard dans l’introduction.
     Je relis donc tous les contes, mais dans leur ordre de parution, et sans la classification baudelairienne en Histoires extraordinaires, Nouvelles histoires extraordinaires, etc. Il y en a plein d'inédits pour moi, car je n'avais pas lu les Histoires grotesques et sérieuses, non plus que les Aventures d'Arthur Gordon Pym. Les traduction restent de Baudelaire. Il y a aussi des poèmes traduits par Mallarmé. D'autres traducteurs interviennent aussi pour les inédits.

     Un régal et des souvenirs en perspective !
René Magritte.- La Reproduction interdite. Sur la cheminée : Les Aventures d'Arthur Gordon Pym

     - Georges Simenon.- La Guinguette à deux sous.
     "Qu'est-ce qui provoqua le tour de clef ? Maigret eût été bien en peine de le dire. Peut-être la mollesse du soir, la petite maison blanche avec ses deux fenêtres lumineuses et le contraste avec cette invasion carnavalesque ?"
     Le déclic provoquant un éveil soudain à la réalité profonde et sensible d'une situation, une fusion avec une ambiance, un peu comme celui qui se produit via l'ingestion de la madeleine de Proust ressuscitant par une telle illumination la connaissance intime et totale, même si fugace, supérieure à celle du simple intellect et des sens, un monde révolu d'affects, ce déclic, donc, Simenon le désigne par la métaphore "tour de clé", ce qui peut résonner bien sinistrement quand ce phénomène se produit dans la vie d'un commissaire de police. Mais au-delà du prétexte flicard des Maigret, et tout en appréciant le petit jeu du Whodunit, c'est avant tout la création d'une atmosphère qui nous fait apprécier ces petits romans. Après, qui était le gus jeté dans le canal Saint-Martin, et qui était son tueur, ça reste quand même un peu anecdotique.

     - Collectif Angles morts .- Vengeance d'Etat - Villiers-le-Bel, des révoltes aux procès.
     Mon livre d'actualité du mois. Hein ? Ça a 25 ans ? Enfin un peu moins, le livre étant sorti quelques années après les révoltes de 2007. Oh ! là ! là ! Comme le temps passe ! Alors un souvenir : à l'époque, en 2007, j'habitais encore Paris intra muros, porte d'Asnières, dans un appartement de la ville de Paris, avec mes deux chats. Puis j'ai rencontré la Dulcinée avec qui je vis encore aujourd'hui et dont j'ai eu un fils. Celle-ci habitait Ecouen, dans le 95, où je vis aussi depuis 24 ans. Observons une carte : Ecouen est limitrophe de Villiers-le-Bel. Plus petit bourgeois, même s'il y a aussi quelques quartiers populaires, ainsi que des zones pavillonnaires à Villiers-le-Bel. Un soir de 2007, nous rentrions chez elle de Paris, on alternait pour se voir chez l'un ou chez l'autre. J'avais suivi de loin l'actualité comme d'habitude, et j'étais peut-être moins politisé à ce moment d'une nouvelle rencontre qui allait peut-être mettre fin à mes 20 ans de célibat depuis ma majorité. Et puis depuis 10 ans j'avais aussi un peu décroché des préoccupations révolutionnaires frustrées pour sauver ma peau en apprenant à mettre un pas devant l'autre dans la vie sans faire usage d'alcool. C'était la nuit, je me suis trompé de chemin je crois et voilà-t-y pas qu'on se retrouve face à des insurgés en plein milieu de la route ! "Merde !" m'exclamai-je en me remémorant les homicides policiers et la révolte consécutive, il ne manquerait plus qu'ils nous prennent pour des flics, ou qu'en colère ils ne fassent pas la différence, nous retournant la bagnole et y foutant le feu. Ce serait vraiment trop con, sur un malentendu, de se retrouver dans une fâcheuse situation. Bon, j'ai un peu flippé mais finalement il n'y a pas eu de problème, j'ai fait demi tour et on a retrouvé le chemin d'Ecouen. Mais j'avais rencontré l'Histoire, sans le faire exprès, comme Fabrice à Waterloo !
     Ce livre raconte les révoltes consécutives à la mort des deux jeunes percutés par un voiture de police, et aussi et surtout la féroce répression qui s'en est suivie, avec témoins sous X rémunérés pour pouvoir emmurer sans aucune preuve de jeunes insoumis des cités beauvillésoises.

     - Me Jacques Bonzon.- L'Internationale financière II : l'Asie.- 1922.
      "Ainsi notre seconde étape nous a menés jusqu'aux terres jadis fabuleuses, au Fleuve Jaune, où sont les cormorans. Mais la Finance qu'elle nous a montrée, offre-t-elle des traits nouveaux ?
     N'est-ce pas déjà celle que nous avions vue en Europe ? Partout la même avidité, la même imprudence, la même inconscience. En détroussant les peuples, elle les exaspère. Et l'entrechoc des ces peuples, c'est son œuvre. Peu lui importe si l'une des ses Banques est gérée par des fripons, que leur écharpe sénatoriale assure de l'impunité. La Finance exploite l'idéalisme, et ce nom de Patrie qu'elle prétend vénérer : à la France de payer les friponneries de ses Financiers et de ses Parlementaires.

     Cependant le nuage des haines exaspérées s'étend sur le Monde."


     De Me Jacques Bonzon j'avais lu Les Emprunts russes, deux fois, le 13 décembre 2009 et le 22 septembre 2011. Un auteur dont les essais sont précieux pour comprendre les grands enjeux de notre société et les tourmentes de notre monde contemporain.

     - Gaston-Martin.- Marat, l'ami et l'oeil du peuple.- Rieder, 1938.
Mort de Marat : version A.


Mort de Marat : version B.

     Indignation, union sacrée et résistance de la classe politique face à l'entrée des radicalisés de la NUPES au palais Bourbon, un précédent historique :
     L’élection de Jean-Paul Marat prit, tout de suite, les proportions d'un scandale. Ceux qui allaient être appelés à siéger dans la même Assemblée se sentirent déshonorés de ce voisinage. Ils étaient tous, même les plus avancés, des bourgeois d'allure et de formation et des parlementaires d'inclination chez qui le souvenir des séances royales, vieux tout juste de trois ans et demi, maintenait une tradition de correction et de discipline. Prêts à s'entre déchirer, ils entendaient ne s'envoyer à la mort qu'en des harangues académiques. Marat, lui, c'était la rue ! Personne ne semble plus se souvenir qu'il fut naguère un médecin notoire, un candidat à l'Académie des Sciences, aussi mondain que beaucoup d’autres. Il vit désormais comme un rustre, il en a pris les allures et le débraillé qu'un peu de démagogie lui fait peut-être exagérer à dessein ; sa violence continue déferle en invectives sur les gens et les institutions. On ne fraie pas avec un homme pareil. Sa présence même attente à la majesté de la loi qui se se substitue d'office - et quasi dans les mêmes formes - à celle du souverain détrôné.
     Même la députation parisienne, dont certains soutinrent sa candidature pour les besoins de leur propre campagne électorale, tient en suspicion ce réprouvé. Son manque de tenue répugne à Robespierre. Danton en redoute la clairvoyance et la probité aux violences populacières ! Avant qu'il n'ai siégé, la presse de droite et du centre en demande l'invalidation au nom de l'ordre public. Il lui répond avec sa coutumière fureur ; dénonce les traîtres qu'un mode inepte de scrutin a envoyé à la Convention nationale ; s'indigne que le Manège ait été choisi comme salle, avec ses tribunes étroites, à peine capables de contenir 300 auditeurs, quand il en aurait fallu des milliers, prêts à "lapider" les mandataires infidèles !


     Ça fait rêver ! On est content d'en connaître un peu plus sur Marat, qui nous est plutôt sympathique (Babeuf le considérait comme un authentique révolutionnaire, ami de la liberté et de l'égalité, et surtout Michel Onfray lui a craché dessus un livre de son venin falsificateur et haineux, que je n'ai pas lu), même si le gus est un peu violent (on ne cautionne pas les lynchages, ni les exécutions sommaires de prisonniers, ni même la peine de mort en général - sauf peut-être pour certains généraux - que ses écrits irascibles auraient provoqués...), mais l'on n'a pas lu non l'Ami du peuple pour savoir si Jean-Paul a réellement appelé aux massacres de septembre 1992, où aristocrates, simples suspects de traîtrise comme prisonniers de droits communs (souteneurs, prostituées, faux monnayeurs...) ont été exterminés par la foule...
     A noter que ce livre est édité aux éditions Rieder, où officiait Marcel Martinet, et qui ont publié notamment Madeleine Vivan, Tristan Rémy, Lucien Bourgeois et Panaït Istrati !

vendredi 16 septembre 2022

Les yakuzas à la plage


      Après mes cycles Kurosawa, Mizoguchi et Ozu, je redescends un peu le temps pour découvrir l’œuvre d'un réalisateur plus jeune, Takeshi Kitano.

     J'ai souvent rencontré des émanations du Japon dans ma vie. Une petite amie japonaise, guide touristique originaire d'Osaka, pendant cinq ans, de 22 à 27 ans à la louche. Dans la folie de la jeunesse je ne me suis intéressé ni à sa langue (j'entends l'idiome, en ce qui concerne l'organe musculeux permettez-moi de garder un voile pudique sur la question), ni à sa culture, ni à son pays, ni à son histoire, ni à ses parents, ni à son enfance, sa vie là-bas, son parcours... quel con j'étais !). Puis à 27 ans, très mal dans mes baskets j'ai commencé l'aïkido, entraîné par un copain anar et enthousiaste. L'aspect japonais de cet art martial m'en touchait une sans déranger l'autre. Deux ans plus tard, ayant arrêté la picole et recherchant une pratique spirituelle pour retrouver un peu de force vitale face aux ruines qu'étaient ma vie et mon état de vie, je me suis mis à réciter un mantra bouddhique japonais. Cela ne m'a pas plus incité à me renseigner sur ces îles lointaines. Ça aurait pu durer encore longtemps et j'aurais pu continuer à pratiquer l'aïkido comme s'il s'agissait d'une déclinaison de notre savate, avec des mots techniques étranges mais sans racines, si ma mère et ma compagne n'eurent l'idée de quêter pour m'offrir le vrai voyage en 2019 pour mes 50 ans. Depuis, je suis devenu un aficionado (pas trouvé le terme japonais). J'apprends la langue, je surveille toute irruption de la culture (peinture, architecture, arts divers, histoire...) dans ma vie, et je ne regarde quasiment plus que des films japonais, histoire de rattraper mon retard. Je précise qu'ayant peu de temps en raison d'une boulimie d'activités qui caractérise bien le côté excessif de ma personnalité, je communie avec tout cela par pincées (c'est pas demain la veille que je parlerai nippon, je ne parle même pas allemand, ma première langue, que j'étudie toujours aujourd'hui).

     Parallèlement je constate une mode de dingue pour le Japon. Allergique aux vagues de caprices consuméristes et à toute injonction publicitaire et médiatique je m'en inquiète : serais-je devenu conformiste ? Heureusement je réalise que je n'ai que peu de goût pour les choses qui plaisent : mangas, anime (sauf exception), jeux vidéos, cosplay, idols... Par ailleurs l'essorage sur tatami restant encore une niche assez confidentielle, presque un goût pervers, et ne connaissant personne autour de moi adepte d'Ozu, je suis plutôt rassuré.
     Cependant, Takeshi Kitano, cinématographiquement parlant, c'est un peu l'anti-Ozu radical. Ozu : des films réalistes, tendres et familiaux, ou il se passe peu de chose, sinon les drames sentimentaux de toute existence, la perte des parents, la séparation d'avec ceux-ci, le passage de l'enfance à l'âge adulte, de la minorité en famille à la vie de couple, la vieillesse... Kitano c'est : film de genre et d'action, spécialement de gangsters, mais avec sa patte artistique vraiment originale. A la base c'est un humoriste de télé. Une espèce de pitre médiatique. S'étant mis au cinoche il s'est spécialisé dans les films de yakuzas ultra-violents... mais pas seulement, et les adeptes des films d'action et de thrillers (à la John Woo) pourront être frustrés : ses films sont aussi poétiques et le rythme de l'action est souvent cassé, par des scènes de jeux de plage notamment. Touche à tout, il fait aussi de la peinture et autres activités artistiques. Il a notamment influencé Quentin Tarantino, et ça se reconnait souvent (par exemple le côté puéril des tueurs de la mafia entre deux carnages). Cerise sur le gâteau : les BO des films de Kitano sont de Joe Hisaishi, eh oui ! le compositeur des anime de Miyazaki (Le Voyage de Chihiro, Princesse Mononoké...), que personnellement j'affectionne particulièrement, films et musique.

- Sonatine, mélodie mortelle, 1993.


Raisiné et jeux de plage.

- Aniki mon frère, 2000.


Carnage balnéaire.

- Dolls, 2002.

     Ce film est un peu à part. C'est un peu une parabole à sketchs sur l'amour fou, l'amour glauque, morbide, à mort. J'ai pensé aux Amants crucifiés de Mizoguchi (même si eux ne sont pas fous, juste très amoureux et en butte à la persécution de l'ordre social et moral qu'ils tentent de fuir), mais aussi à Dodeskaden (cette transfiguration des réprouvés, des marginaux) de Kurosawa, et à Rêves, du même et pour la la même raison d'une esthétisation aux couleurs et à la lumière à l'effet surnaturel ou onirique de l'enfer.

- Outrage, 2010.

     Une scène fait obligatoirement penser à Marathon man, en ce qui me concerne du moins, mais en moins douloureux pour le spectateur, car plus excessif donc moins réaliste. C'est dégueulasse, mais on y croit moins. Un indice ? Œil pour œil, dent pour dent.

- Jugatsu, 1990.


Défouraillage et crustacés.


Et merci à George Weaver, qui m'a informé d'une série d'émissions sur France Culture sur le cinéma japonais, c'est ici !

mercredi 24 août 2022

La dose de Wrobly : thermidor 2022 E.C.

- Guy de Maupassant.- Boule de suif.
   Comme je vous l'écrivais naguère, je prends un réel plaisir à relire Maupassant. On avait déjà évoqué le petit chef-d'oeuvre qu'est la nouvelle Boule de suif ici, à propos du film Oyuki la vierge (マリヤのお雪, Maria no Oyuki) de Kenji Mizoguchi (1935), adaptation de cette cruelle et ironique histoire. Cruelle au sein de la diégèse, pour la pauvre héroïne, prostituée généreuse et courageuse, même si cocardière, qui se voit mépriser et ignorer par une bande de bourgeois à qui elle a sauvé la mise, sur leur insistance hypocrite et lâche, en couchant avec l'officier prussien qui les retenait en otage. Mais cruelle aussi, oh ! combien, même si réaliste, pour ces bourgeois eux-mêmes, dans les descriptions que le narrateur fait d'eux. Le mois précédent j'avais lu 500 pages de Bakounine période 70 à 72, la même époque, tentant d'organiser l'abolition de la bourgeoisie ainsi que de toute classe sociale au sein de l'Association Internationale des Travailleurs, et en proie aux manœuvres haineuses de Karl Marx, qui le méprisait en premier de la classe mais qui depuis toujours craignait qu'un révolutionnaire de cette envergure fasse de l'ombre à son ambition de pontife du socialisme au sein de la même Internationale ou ailleurs, et intriguait à ses dépends, usant avec virtuosité de l'intrigue, de la calomnie et de l'injure, avec l'aide de son valet de pied Engels et de leur groupe de fidèles. Bakounine décrit excellemment la bourgeoisie et son évolution en tant que classe, qui fut révolutionnaire au temps de l'ancien régime, mais devint ensuite la tique dans le cou des masses que l'on connaît. Cependant à aucun moment dans ces 500 pages ne lit on une description d'un caractère individuel, même si évidemment déterminé en partie importante par la classe sociale, de ces bourgeois, Bakounine répugnant d'ailleurs à toute attaque personnelle et restant dans la critique radicale des positions (idéologiques ou sociales). Ici on a cette critique individuelle, on constate quelle racaille le privilège et l'exploitation peut créer, et on jouit de la méchanceté avec laquelle elle est représentée, même si on enrage toujours de la voir gagner à la fin, jusqu'à aujourd'hui. Il paraît que Maupassant posait au réactionnaire, comme beaucoup des ses semblables gens de lettres (après tout des bourgeois, eux aussi), et des meilleurs, une manière de se rendre intéressant, de ne pas risquer le politiquement correct, les bons sentiments ou l'attribut de Bisounours, d'être plus anti-conformiste que les anti-conformistes en dénonçant confortablement le conformisme de l'anti-conformisme (voir aussi Casanova plus bas). Ils ne sont d'ailleurs jamais autant mauvais (enfin c'est mon point de vue), que dans leurs tirades à deux centimes pour défendre l'ordre face aux rêveurs. Mais là, dans cette incarnation de la lutte des classes et de la dégénérescence et la corruption humaine qu'elle implique chez les dominants, je dis chapeau et merci !
   Les autres nouvelles du recueil, moins cultes, sont malgré tout bien agréables, avec suspense et chute, drôles ou glaçantes, comme celle où on assiste à la torture jusqu'à la mort d'un être simple, débonnaire et sans défenses (comme Boule de suif ?) par un jeune bourreau "sournois, féroce, brutal et lâche".
- Giacomo Casanova de Seingalt.- Journal tome VII.
   Au début de ce volume Casanova rencontre Voltaire à Genève. Je savais que les deux personnages se détestaient cordialement. Ici c'est leur première rencontre, toute d'admiration, mais aussi d'orgueil chez le trentenaire vénitien, de curiosité étonnée chez le briscard de la polémique. On est en 1760, année de naissance de ce cher Babeuf. Eh bien même si on a beaucoup de réserves à l'égard de Voltaire, malgré son héroïque dézingage des absurdes dogmes religieux encore dangereusement au pouvoir à l'époque (il est déiste, pour un despotisme éclairé, raciste paraît-il, méchant à l'égard de Rousseau notamment - Rousseau qu'on rencontre dans le tome précédent quand Casanova lui rend visite à Montmorency, et qui semble complètement insignifiant, pâle, popote, lui qu'on désigne souvent comme l'un des ferments de l'éruption révolutionnaire ultérieure ! - systématiquement sarcastique donc surplombant et blessant, et pas seulement à l'encontre du pouvoir et des dominants... mais on n'a pas lu les œuvres complètes), ici les dialogues sont à son net avantage face à un Casanova qui pose au réactionnaire (voir fiche précédente), partisan de Hobbes, d'un peuple sous la botte, maintenu en laisse par la superstition. Décevant, même si le mythe libertin est déjà bien écorné, après les 6 premiers tomes lus à la lumière de Me too, de Balance ton porc, et plus généralement des luttes féministes. Il est clair et parfois avoué en toute "innocence", que cette collection n'a pu être constituée sans violence parfois, souvent... En tout cas sans relation léonine, de prostitution plus ou moins assumée, dans un monde ou la femme n'est qu'un bien meuble à la disposition du bon plaisir patriarcal. Après Genève l'écrivain aventurier va donc faire accoucher une nonne prenant (et perdant finalement) les eaux à Aix-les-bains pour camoufler sa grossesse, puis pénétrer lui même dans le temple afin d'y sacrifier sur l'autel de l'amour grâce à son ministre portatif et télescopique qu'il affuble parfois d'une capote anglaise pour nous faire rire. En matinée il va coucher avec la femme d'un joueur professionnel complaisant l'ayant missionnée à retenir le grand joueur Casanova à Aix. La maîtresse d'un marquis, partie intégrante de cette compagnie de joueurs qui avait jeté un dévolu sur sa cassette, tente également de le séduire pour le faire rester, mais Giacomo en a marre et une fois sa religieuse ramenée par deux déléguées de la converse à son couvent, il prend la tangente, vers d'autres aventures à Grenoble, ou il convoite une jeune et sage jeune femme de 17 ans, non sans prendre en attendant individuellement d'abord puis collectivement les deux filles et la nièce de son concierge, etc., etc. C'est souvent niais, notamment les dialogues et joutes amoureuses, mais ça se lit vite et bien, et parfois ça fait sourire... ou grincer des dents... Pour se délasser après 500 pages de Bakounine.

Extraits :

Casanova et Voltaire :

— Si Horace avait eu à combattre l’hydre de la superstition, il aurait, comme moi, écrit pour tout le monde.
— Vous pourriez, ce me semble, vous épargner de combattre ce que vous ne parviendrez pas à détruire.
— Ce que je ne pourrai pas achever, d’autres l’achèveront, et j’aurai toujours la gloire de l’avoir commencé.
— C’est fort bon ; mais, supposé que vous parvinssiez à détruire la superstition, avec quoi la remplaceriez-vous ?
— J’aime bien cela ! Quand je délivre le genre humain d’une bête féroce qui le dévore, peut-on me demander ce que je mettrai à la place ?
— Elle ne le dévore pas ; elle est, au contraire, nécessaire à son existence.
— Nécessaire à son existence ! horrible blasphème dont l’avenir fera justice. J’aime le genre humain, je voudrais le voir comme moi libre et heureux, et la superstition ne saurait se combiner avec la liberté. Où trouvez-vous que la servitude puisse faire le bonheur du peuple ?
— Vous voudriez donc la souveraineté du peuple ?
— Dieu m’en préserve ! il faut un souverain pour gouverner les masses.
— Dans ce cas, la superstition est donc nécessaire, car sans cela le peuple n’obéira jamais à un homme revêtu du nom de monarque.
— Point de monarque, car ce mot exprime le despotisme que je hais comme la servitude.
— Que voulez-vous donc ? Si vous voulez que celui qui gouverne soit seul, je ne puis le considérer que comme un monarque.
— Je veux que le souverain commande à un peuple libre, qu’il en soit le chef au moyen d’un pacte qui les lie réciproquement, et qui l’empêche de jamais tourner à l’arbitraire.
— Addison vous dit que ce souverain, ce chef, n’est pas dans les existences possibles. Je suis pour Hobbes. Entre deux maux, il faut choisir le moindre. Un peuple sans superstition serait philosophe et les philosophes ne veulent pas obéir. Le peuple ne peut être heureux qu’autant qu’il est écrasé, foulé et tenu à la chaîne.
— C’est horrible, et vous êtes peuple ! Si vous m’avez lu, vous avez dû voir comment je démontre que la superstition est l’ennemie des rois.
— Si je vous ai lu ? Lu et relu, et surtout quand je ne suis pas de votre avis. Votre passion dominante est l’amour de l’humanité. Et ubi peccas. Cet amour vous aveugle. Aimez l’humanité, mais aimez-la telle qu’elle est. Elle n’est pas susceptible des bienfaits que vous voulez lui prodiguer, et qui la rendraient plus malheureuse et plus perverse. Laissez-lui la bête qui la dévore : cette bête lui est chère. Je n’ai jamais tant ri qu’en voyant Don Quichotte très embarrassé à se défendre des galériens auxquels, par grandeur d’âme, il venait de rendre la liberté.
— Je suis fâché de vous voir une si mauvaise idée de vos semblables. Mais, à propos, dites-moi, vous trouvez-vous bien libres à Venise ?
— Autant qu’on peut l’être sous un gouvernement aristocratique. La liberté dont nous jouissons n’est pas aussi grande que celle dont on jouit en Angleterre, mais nous sommes contents.
— Et même sous les Plombs ?
— Ma détention fut un grand acte de despotisme ; mais, persuadé que j’avais abusé sciemment de la liberté, je trouvais parfois que le gouvernement avait eu raison de me faire enfermer sans les formalités ordinaires.
— Cependant vous vous êtes échappé.
— J’usai de mon droit comme ils avaient usé du leur.
— Admirable ! Mais de cette manière personne à Venise ne peut se dire libre.
— Cela se peut ; mais convenez que, pour être libre, il suffit de se croire tel.
— C’est ce dont je ne conviendrai pas facilement. Nous voyons, vous et moi, la liberté sous un point de vue fort différent. Les aristocrates, les membres mêmes du gouvernement ne sont pas libres chez vous ; car, par exemple, ils ne peuvent pas même voyager sans permission.
— C’est vrai, mais c’est une loi qu’ils se sont volontairement imposée pour conserver leur souveraineté. Direz-vous qu’un Bernois n’est pas libre parce qu’il est sujet aux lois somptuaires, quand c’est lui-même qui est son législateur ?
— Eh bien ! que partout les peuples fassent leurs lois.

La capote anglaise sous Louis XV :
 
   Quand nous fûmes l’un et l’autre dans l’état de simple nature, et tels qu’étaient Adam et Ève avant d’avoir mordu la fatale pomme, je la plaçai comme elle était représentée et, à mon aspect, devinant ce que j’allais faire, elle ouvrit ses bras pour me recevoir ; mais je lui dis d’attendre un moment, car j’avais aussi dans un petit paquet quelque chose qui lui ferait plaisir.
   Je tire alors de mon portefeuille un petit habit d’une pellicule transparente d’environ huit pouces, sans issue et orné à son entrée d’une faveur rose passée dans une coulisse. Je lui présente cette bourse préventive, elle la contemple, l’admire, rit de tout cœur, et me demande si je m’étais servi de pareils vêtements avec sa sœur de Venise.
   « Je veux te costumer moi-même, mon ami, et tu ne saurais croire combien cela me rend heureuse. Dis-moi pourquoi tu ne t’en es pas servi la nuit passée ? Il me parait impossible de n’avoir pas conçu. Eh ! que je serai malheureuse si cela est ! Que ferai-je dans quatre ou cinq mois, quand je ne pourrai plus douter de mon état ?
   - Ma chère amie, le seul parti à prendre est de ne pas y penser, car si le mal est fait, il est sans remède ; mais, ce que je puis te dire, c’est que l’expérience et un raisonnement conforme aux lois connues de la nature peuvent nous faire espérer que nos doux ébats d’hier n’auront aucune conséquence fâcheuse. On dit et on a écrit qu’après les couches la femme ne peut pas concevoir avant d’avoir revu certaine apparition que tu n’as pas encore vue, je crois.
   - Non, Dieu merci.
   - Eh bien ! éloignons toute pensée de trouble et d’avenir funeste qui ne pourrait que nuire à notre félicité actuelle.
   - Je me console entièrement : mais je ne comprends pas comment tu crains aujourd’hui ce que tu ne craignais pas hier ; car je ne suis pas différente aujourd’hui.
   - L’événement, ma chère, a quelquefois donné un cruel démenti aux plus grands physiciens. La nature, plus savante qu’eux, a ses règles et ses exceptions ; gardons-nous de la défier et pardonnons-nous si nous l’avons défiée hier.
   - J’aime à t’entendre parler en sage. Oui, soyons prudents, quoi qu’il m’en coûte. Allons ! te voilà coiffé comme une mère abbesse ; mais, malgré la finesse de l’enveloppe, le petit personnage me plaisait beaucoup plus tout nu. Il me semble que cette métamorphose te dégrade, toi ou moi.
   - Tu as raison, mon ange, cela nous dégrade tous deux. Mais dissimulons-nous pour le moment certaines idées spéculatives qui ne peuvent que nous faire perdre du plaisir.
   - Nous le rattraperons bientôt ; laisse-moi jouir à présent de ma raison, car je n’ai jamais jusqu’ici osé lui lâcher la bride sur cette matière. C’est l’amour qui a inventé ces petits fourreaux, mais il a dû écouter la voix de la précaution, et il me semble que cette alliance a dû l’ennuyer, car elle n’est fille que de la politique.
   - Tu me surprends par la justesse de tes aperçus ; mais, ma chère, nous philosopherons après.
   - Attends encore un moment, car je n’ai jamais vu un homme et je ne m’en suis jamais senti autant d’envie qu’à présent. Il y a dix mois que j’aurais appelé cela une invention du diable, mais actuellement je trouve que l’inventeur a dû être un homme bienveillant, car si mon vilain bossu se fût affublé d’une bourse comme celle-ci, il ne m’aurait pas exposée à perdre l’honneur et la vie. Mais dis-moi, je t’en prie, comment laisse-t-on exister en paix les tailleurs qui les font, car enfin ils doivent être connus et cent fois excommuniés ou soumis à de grosses amendes, peut- être même à des peines corporelles, s’ils sont juifs, comme je le crois. Tiens, celui qui t’a fait celui-ci t’a mal pris la mesure. Regarde, ici il est trop large, ici trop étroit ; c’est presqu’un cintre tout arqué. Quel sot ignorant de son métier ! Mais qu’est- ce que je vois !
   - Tu me fais rire. C’est ta faute. Tu es là à toucher, à caresser : voilà ce qui devait arriver. Je l’avais bien prévu.
   - Et tu n’as pas pu attendre encore un moment ? Mais tu continues. J’en suis fâchée, mon cher ami ; mais tu as raison. Oh mon Dieu ! quel dommage !
   - Le dommage n’est pas grand, console-toi.
   - Comment me consoler ? Malheureuse ! vois, il est mort. Tu ris ?
   - Oui, de ta charmante naïveté. Tu verras dans un moment que tes charmes lui rendront une nouvelle existence qu’il ne perdra plus aussi facilement.
   - C’est merveilleux ! c’est incroyable ! »
   J’ôte le fourreau et je lui en présente un autre qui lui plaît davantage, parce qu’elle le trouve plus fait à ma taille, et elle éclate de rire quand elle voit qu’elle peut l’adapter. Elle ne connaissait pas ces miracles de la nature. Son esprit, étroitement serré, était dans l’impossibilité de découvrir la vérité avant de m’avoir connu ; mais, à peine émancipé, il avait étendu ses bornes avec toute la rapidité que donnent la nature et une avide curiosité. « Mais si le bonnet vient à se déchirer par le frottement, la précaution ne devient-elle pas inutile ? » me dit-elle. Je lui expliquai la difficulté d’un pareil accident, ainsi que la matière dont les Anglais se servent pour les confectionner.

   

mercredi 20 juillet 2022

La dose de Wrobly : messidor 2022 E.C.


   - Lois McMaster Bujold.- La Saga Vorkosigan : L'Apprentissage du guerrier / Les Montagnes du deuil / Miles Vorkosigan.
   On commence à s'habituer à la petite famille et à tous les personnages de la saga, notamment Miles Vorkosigan, qui sera le héros né difforme, cassablen petit et chétif après que sa mère a été victime d'une attaque à l'arme chimique. Eh ! oui, un héros handicapé, c'est assez rare pour être apprécié. Dans le 4ème tome on passe d'un certain réalisme malré tout, techno-fictif dans le premier (malgré les humains à quatre bras) et médiéval-impérial futuriste dans les deux suivants, à une comédie d'aventure inter-galactique fantaisiste (on pense à de la BD). Miles est un vrai clown, en plus d'être très intelligent. Il paraît que la suite s'orientera de plus en plus vers des énigmes de type policier dans ce décor de planètes contrastées (Star wars nous vient parfois à l'esprit) et de space opéra. On y prend finalemnet goût, les centaines de pages (390 pour L'Apprentissage du guerrier) défilent vite.
   - Michel Bakounine.- La Première internationale en Italie et le conflit avec Marx : écrits et matériaux.
   Se lit un peu moins vite. Non que ce soit moins intéressant, loin de là, mais on est dans les débats d'idées, la polémique, la confrontation politique, éthique, pilosophique, et dans l'Histoire, même si aussi un peu dans le combat de coqs. Après avoir croisé le fer avec le bourgeois républicain déiste béni oui oui italien, Mazzini, Bakounine affronte ici le socialiste allemand qu'on ne présente plus, tout en tâchant de développer l'Internationale en Italie depuis la Suisse.
   27,3 cm de hauteur sur 19,2 cm de largeur ; 5 cm d'épaisseur ; 500 pages. Les summer vibes, ça se passe comme ça chez Wroblewski !

mercredi 13 juillet 2022

Sacqueboute LXXI : Mnozil Brass

   Encore du trombone (entre autres cuivres) bouffon et acrobatique, autrichien cette fois-ci.


   On pense un peu à notre sacquebouteuse suédoise numéro 23 Gunhild Carling, en tout aussi, bien que résolument plus masculin.


   Excellent et très drôle, une détente bien venue alors que la trêve estivale se dessine à l'horizon.


   Quant à Wroblewski, entre grève, chagrin, et maman qui vieillit, quand il a un moment, il tente de relever beaucoup, plus modestement et avec l'endurance nécessaire à son petit niveau, le chorus de Miles Davis sur le So what de Kind of blue, afin de le reproduire au trombone, pas avec les pieds évidemment, comme un pied serait plus juste. On verra bien si ça (s)a(cque)boutit à quelque chose...

SACQUEBOUTE
Priviouslillonne Sacqueboute :
Kai Winding
Wolfgang Amadeus Mozart
Jimmy Knepper
Louis Nelson
Charlie Green
Vincent Gardner
Curtis Fuller
Jason Horn
les esprits / 2- le spectre
Samuel Blazer
l'Essaim de nuit
les esprits / 1- les furies
Kronstadt
Jörgen van Rijen
La Belle image
Kropol
les sacqueboutiers de Toulouse
Tintin
Wycliffe Gordon
Donald
Robinson Khoury
Willie Colon
Sébastien Llado
Mathias Mahler
Charles Greenlee
Dick Griffin
Guive
Voilà du boudin
Bruce Fowler
Glenn Miller
Nils Landgren
Grachan Moncur
Le Trombone illustré
Bettons Tenyue
Watt
Curtis Hasselbring
Steve Turre
Les trois trombonistes de Marc Ducret
Yves Robert
Daniel Casimir
Gary Valente
Chicago
Moon Hooch
Raymond Katarzynski
Albert Mangelsdorff
Christiane Bopp
Honoré Dutrey
Viscosity
Fred Wesley
Dave Lambert
Roswell Rudd
Curtis Fowlkes
Melba Liston
La Flûte aux trombones
La Femme tronc
Journal intime
Gunhild Carling
Nils Wogram et Root 70
Carl Fontana
Animaux
Trombone Shorty
Cinéma
Feu
Le Canadian Brass
Local Brass Quintet
Buddy Morrow
Bones Apart
J.J. Johnson
Lawrence Brown
Vinko Globokar
Les funérailles de Beethoven
Treme
Craig Harris
Mona Lisa Klaxon
Juan Tizol
Bob Brookmeyer
Daniel Zimmerman
Frank Rosolino
Rico Rodriguez
Kid Ory