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jeudi 4 mars 2021

La dose de Wrobly : pluviôse 2021 EC

- Georges Simenon.- La Danseuse du Gai-Moulin.


   Barbouzerie et convoitises adolescentes : l'inconnu à forte carrure (bof ! bof ! dans le film ci-dessus, la carrure) démêle l'écheveau avec son flegme et sa bonhomie habituelle. Intérêt touristique : visite de la ville de Liège (Belgique). 

- Walter Benjamin.- Sur l'art et la photographie.
   Cet ouvrage contient L'Oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, que je lis donc pour la troisième fois (voir Doses précédentes ou chercher à Benjamin), dans une troisième traduction. Il ne me manquera bientôt plus que de le lire dans le texte. Je commence à me familiariser avec l'écriture de Benjamin, dont il me semble en toute humilité que je comprends de mieux en mieux la pensée, même si l'impression de décousu me reste et des interrogations sur la conclusion de la thèse, ce qu'elle veut démontrer. Mais petit à petit des conjectures s'étoffent... par exemple une vision binaire, manichéenne comme la mienne est insuffisante pour saisir le cheminement intellectuel du philosophe, qui est un franc dialecticien marxiste, pour qui le mal (technique, industriel...) se changera en bien, et vice versa, selon ce qu'on et que l'Histoire en fera. J'ai cru déceler également que Benjamin n'est pas critique envers l'URSS, qu'il présente sérieusement comme le contraire antagoniste du capitalisme et du fascisme. Mais quel délice d'intelligence que tous ces petits aperçus sur l'Histoire en général et l'Histoire de l'art, de la photo, du cinéma, de l'architecture... en particulier. Quand à la conclusion de l'ouvrage qui fait irruption comme par précipitation au dernier paragraphe, elle fait du bien et me guérit des fatigants théocrates de l'Art pour l'Art (dont Baudelaire que, comme vous le savez, je fréquent beaucoup en ce moment) : contre l'esthétisation de la politique par le fascisme, politisons notre art !


- Giacomo Casanova.- Mémoires, tome VI.
"La frise qui couronnait les colonnes était composée de petites boucles d'un or pâle d'une extrême finesse, et mes doigts s'évertuaient en vain pour leur donner un autre pli que celui qui leur était naturel."

lundi 8 février 2021

Caprice et fatum

- Dernier Caprice (小早川家の秋, Kohayagawake no aki) de Yasujiro Ozu, 1961.


   Le vieux monsieur indigne. L'avant dernier film d'Ozu. Avec son actrice fétiche, peut-être plus dans l'intimité, et star très populaire au Japon, la "vierge éternelle" Setsuko Hara au sourire si tendre, qui, à la mort d'Ozu en 1963, disparut, c'est à dire qu'elle interrompit brutalement sa carrière et vécut retirée à Kamakura jusqu'à son décès le 5 septembre 2015. Septembre 2015 ! 52 ans de retraite ! A quatre ans près j'aurais pu la rencontrer lors de mon voyage, si j'avais été à Kamakura, non loin de Tokyo. Mais pour cette ancienne capitale du shogunat de 1185 à 1333, ce sera pour la prochaine fois...



- Miss Oyu (お遊さま, Oyū-sama) de Kenji Mizoguchi, 1951.

   Amour fou et ménage à trois. Avec la muse (peut-être davantage...) de Mizoguchi, Kinuyo Tanaka, qu'on a déjà maintes fois rencontrée ici (voir index ci-contre à Mizoguchi). On admirera ci-dessous un oreiller japonais du temps de l'ère Meiji, 1868-1912, sur lequel le personnage masculin principal tient absolument à mettre la tête de Kinuyo, qui en retombe au moins trois fois de suite, comme sur un billot, alors que celle-ci est inconsciente suite à un coup de chaleur. De mon point de vue d'européen cela me semble plus s'apparenter à un instrument de torture qu'à l'un de nos confortables nids à acariens, mais je n'ai jamais essayé...

lundi 9 mars 2020

Les 8 mars passent...

   Décidément, Mizoguchi est vraiment un cinéaste que la prostitution a inspiré, ou hanté, car nombre de ses films sont à charge de cette toujours violente exploitation du corps des femmes par un système patriarcal qui ne laisse aucune chance aux prolétaires du sexe, quand bien même elles seraient des lutteuses, s'étant laissées happées avec plus ou moins de formes, mais toujours par un chantage à la survie, par ce viol tarifé toléré. Plus largement ces témoignages de fiction agissant comme des procès mettent en évidence la domination masculine et la sujétion des femmes.

   Parmi les films de Mizoguchi évoquant la prostitution que j'ai pu voir dernièrement et au sujet desquels j'ai écrit quelques lignes ici : La Cigogne en papier, Oyuki la vierge, Cinq femmes autour d'Utamaro, La Vie d'O'Haru femme galante, Les Contes de la lune vague après la pluie, L'Intendant Sansho, La Rue de la honte.


Attention, de relatifs divulgâchages peuvent apparaître dans les notices ci-dessous.

- La Marche de Tokyo (東京行進曲, Tōkyō kōshinkyoku), 1929.
   Film muet et incomplet. Une jeune femme, Michiyo, hébergée chez son oncle ouvrier après la mort de sa mère Geisha, est contrainte, quand celui-ci se retrouve au chômage, de s'adonner au métier de celle-là, pour soulager financièrement le foyer. Avant de mourir, la maman, ayant été mise enceinte puis abandonnée par le courageux papa, avait sommé sa fille de ne jamais faire confiance aux hommes. Elle lui remit à cette occasion sa bague. Dans l'établissement où elle travaille Michiyo subit une cour assidue d'un vieux et richissime chef d'entreprise jouisseur. Avant cela, le fils de celui-ci, plutôt gentil, tombait éperdument amoureux d'elle, qu'il avait aperçue dans la rue en habits de pauvresse. Au moment où le client-patron n'y tient plus et s'apprête à violer gentiment notre geisha, il aperçoit sa bague et blêmit. Quand son fils lui annonce qu'il veut épouser Michiyo, il doit lui révéler, écroulé, que c'est impossible car celle-ci est sa propre sœur, c'est à dire sa fille, à lui, le vieux (vous me suivez toujours ?).

   Bref, après Maupassant, nous voici donc chez Molière.

- Les Sœurs de Gion (祇園の姉妹, Gion no shimai), 1936.
   Le quartier de Gion, à Kyoto, à l'est de la rivière Kamo, je l'ai un peu arpenté ici. Deux prostituées, la gentille, qui éprouve de la compassion et de l'affection pour les hommes, et la méchante, qui n'est que vengeance, mensonge, duplicité, vente au plus offrant et trahison. Les deux en arriveront à la même conclusion : elles sont dans le cercle de l'enfer aux souffrances incessantes et ce cercle n'a pas d'issue.

- Femmes de la nuit (夜の女たち, Yoru no onnatachi), 1948.
   Réduites à la misère et/ou à la dépendance après les destructions de la guerre, les leurs disparus, ou victime de la violence prédatrice masculine car trop naïve et aventureuse, trois femmes tombent dans l'enfer de la prostitution de rue, à Osaka. La scène finale dans un cimetière, dantesque, témoigne épouvantablement de cette damnation. Mais on voit mal ce que la dite sainte dite vierge, sur un vitrail de laquelle la caméra s'attarde lourdement, vient faire là-dedans. Alors ce serait soit putain, soit bigote ?...


   Avec l'attachante Kinuyo Tanaka (à gauche) qu'on a pu voir ici aussi (voir actus cinéma japonais précédentes) dans Cinq femmes autour d'Utamaro, L'Amour de l'actrice Sumako, La Vie d'O'Haru femme galante, Les Contes de la lune vague après la pluie, L'Intendant Sansho, Flamme de mon amour (voir ci-dessous), et même dans Barberousse de Kurosawa ! Au début elle ne paye pas de mine, rien d'une vamp, et lorsqu'on finit par s'habituer à son visage et la reconnaître au bout d'un moment on se met à développer une grande sympathie pour les personnages qu'elle incarne, son jeu d'une profonde sensibilité et son petit visage rondelet capable de lancer des éclairs ou d'être d'une provocante désinvolture.

- Flamme de mon amour (我が恋は燃えぬ, Waga koi wa moenu).

   Encore un film féministe, sauf erreur. Pas de prostitution cette fois, mais une femme, en 1884, luttant contre la domination masculine, aussi bien au village coutumier que dans le grand Tokyo, notamment dans un parti politique de gauche de l'époque, c'est à dire démocrate bourgeois, dont le leader, qui devient l'amant de notre héroïne, se révélera être un macho comme les autres.

 Université bloquée par un collectif féministe non mixte ce matin 9 mars 2020.


 Le terminus de l'héroïque ligne 13, totalement fermée pendant un bon mois de grève en décembre-janvier.

mardi 18 février 2020

Boule de suif

- Oyuki la vierge (マリヤのお雪, Maria no Oyuki) de Kenji Mizoguchi, 1935.
    Vous connaissez tous la cruelle bien qu'excellente nouvelle de Maupassant sur la bourgeoisie nommée Boule de Suif. Eh bien j'ai eu la surprise de reconnaître quasi à l'identique cette histoire en poursuivant ma filmo de Mizogu par ce film des années 30. Sur le DVD, nulle mention de Guy, et je me suis longtemps demandé s'il était possible d'inventer deux fois la même histoire d'un bout du monde à l'autre sans se consulter, d'autant que la fiction du film se déroule en 1870, en pleins bouleversements, soubresauts et poches de résistance au retour central de l'empereur de l'ère Meiji, exactement comme celle de Maupassant dont les faits font référence à la guerre contre les prussiens qui amènera la chute de Badinguet. Tout fier de ma découverte j'allais vous en parler en érudit choqué d'un tel plagiat, quand, cliquant sur le net, je constatai qu'il était de notoriété publique que ce film était tiré de cette nouvelle. Bon, sans être un découvreur, j'aurais au moins la satisfaction de ne pas m'être planté. La fin cependant n'a rien à voir avec l'original, où les deux (au lieu d'une) prostituées se révèlent amoureuses de l'officier auquel elles se sont offertes.

Avec Isuzu Yamada, déjà vue ici ici.

 Les deux prostituées utilisées par les bourgeois pour sauver leurs peaux, puis chassées avec mépris.

- Les Coquelicots (虞美人草, Gubijinsō), de Kenji Mizoguchi, 1935.
   Celui-ci m'a moins plu, il est d'une morale un peu bien pensante. C'est un film d'amours malheureuses. Le fils prodigue faible de caractère, envoûté par une gourgandine intrigante, finira, grâce à son rival honnête et droit, par revenir vers la jeune fille vertueuse, adulée par son vieux père, style Goriot, à deux doigts de clamser et désespéré de l'échec (temporaire) de ses projets pour son unique rejetonne. 

Je suis sûr que vous auriez voulu la gourgandine, eh bien non, vous aurez la jeune fille vertueuse.


Ma dernière actu ciné.

vendredi 10 janvier 2020

Nouvelles

   Wroblewski vous a abandonnés depuis quelques semaines. Qu'en est-il ? Il est gréviste. Et sans taf, liberté de rompre avec les écrans ! Même si ça lui fait de la peine de ne plus avoir de vos nouvelles et de ne plus vous en donner, quel aération du cerveau, quelle sentiment de liberté de ne plus compresser, chaque jour, dans son petit cerveau, toutes ces images et informations, tous ces sons ! Les yeux, les oreilles et la tronche au repos, ça ne veut pas dire que Wrobly ne fait rien, il mène une grève active : 

   - Il va au cinéma :

Une bande de trois voyous de la départementale 93 (plus communément appelée "BAC"), se voit donner une bonne leçon par une ribambelle d'enfants joyeux, pleins de vie et de santé. Un film exemplaire pour toute la famille (il y a même des animaux pour les plus petits !). Ma dernière actu ciné.

   - Il fête Noël sur un piquet RATP à l'heure où Paris s'éveille selon Jacques Le Glou :

Dépôt Pleyel, Saint-Denis (93). Les camarades ont besoin de nous ! Liste ici.



   - Il va écouter des concerts d'Oud :


   - Ce qui ne l'empêche pas d'aller fêter la Sylvestre à Berlin :




   - Ville qu'il n'avait pas revue depuis 2010 et 2013, alors il fait son touriste :

L'ex-ouest.

L'ex-est.

 L'ex-frontière. Vue de l'ex-est.

Connu pour son incendie-canular (1933).

Église au bonne d'âne.

- Pour finir, pas plus tard qu'hier, par un festival de chorale !

Une magnifique manif, pas ennuyé une seconde, c'est rare. J'aurais pu photographier ou filmer plein de trucs chouettes, mais j'ai choisi d'en profiter pleinement, mains dans les poches et nez au vent (et aux gaz), bichant de l'ambiance et des rencontres. Spéciale jubilation avec le cortège LGBT.

   Aujourd'hui, W. a la crève, et puis les distances de manif en double voir en triple ou en quadruple pedibus because pas de transports ça l'a achevé, faudrait pas vieillir, alors pas de piquet, pas d'AG, pas de manif, il reste à sa maison pour vous écrire.

   A bientôt, s'il y a encore des ordis après l'abolition du nucléaire, de son État, de ses classes, de son mode de production, de ses rapports sociaux, de son monde (j'en oublie).

vendredi 29 novembre 2019

Pégriots sympas, maquereaux odieux

- Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville, 1970.
   "Génial !" C'est le mot qu'a prononcé ma copine après que nous ayons visionné ce film de concert. Elle est pourtant très peu enthousiasmable et plutôt avare de compliments. Mais c'est génial, en effet. Je pensais l'avoir vu plusieurs fois et m'en bien souvenir, or toute la première partie avait échappé à ma mémoire. Les flash qui me restaient : le delirium tremens de Montand-Jansen, le casse place Vendôme, du grand art, et la curée policière dans le château à la fin. D'immenses acteurs, même si tous ne nous plaisent pas en tant que personnes dans le civil. Et un magistral metteur en scène. Je sens que je vais me faire une petite intégrale bientôt...

La meilleure réplique du film, de Montand-Jansen à Bourvil-commissaire François Mattei : "Toujours aussi cons dans la police ?"

Il est des nôtres, il a bu son verre comme les autres.

Notre ami profitera-t-il longtemps de sa toute nouvelle abstinence ?...
 
- La Cigogne en papier (折鶴お千, Orizuru Osen), de Kenji Mizoguchi, 1935.
   J'avoue que je sature un peu, surtout que c'est un film muet (le dernier de Mizoguchi). Une prostituée se prend d'amitié pour un pauvre étudiant en médecine et, après avoir échappé à ses souteneurs, continue à se prostituer en secret pour permettre au carabin de poursuivre ses études... Cela ne finit pas très bien, évidemment, c'est sans surprise.
   Pourtant avec la magnifique Isuzu Yamada, 18 ans, que nous avons déjà vu dans L'Epée Bijomaru de Mizoguchi, et dans Les Bas-fonds et Le Château de l'araignée (où elle joue une terrifiante Lady Macbeth transposée dans le Japon médiéval) de Kurosawa. Et que nous reverrons...

La belle Isuzu Yamada-Osen échappera-t-elle à ses souteneurs ?

 Sortira-t-elle indemne de l'enfer de la prostitution ?


Ma dernière actu ciné.

lundi 18 novembre 2019

Changement d'ère

- Le Héros sacrilège de Kenji Mizoguchi (新・平家物語, Shin heike monogatari), 1955.
   Les films de Mizoguchi sont frustrants pour nous autres abreuvés de longs métrages et séries américains ultra-violents, ou ça défouraille à tout va, ou ça cogne à mort. Quand un personnage est très antipathique, le méchant, salaud et tête à claque, le moment ou le gentil très fort va l'éclater, l'atomiser, le pulvériser avec arme à feu ou aux poings provoque en nous un mini orgasme intérieur, une décharge d'endorphine venant titiller à souhait la zone du plaisir de notre cerveau. Nous sommes vraiment des dégénérés par le spectacle de la domination en général et de la domination du Capital en particulier. Chez Mizo, pas de brutalité à l'écran, en revanche, même quand le sujet comporte des moments historiques très violents. Ici, c'est la fin de l'ère Heian, et les prémices de l'ère de Kamakura, de la fin donc du pouvoir des empereurs et des régents, et du début du règne sans partage des shogun, les dictateurs militaires, qui imposèrent leur tong de fer pendant quasiment sept siècle sur le Japon. On constate donc l'évolution psychologique du jeune samouraï du clan Taïra, humilié par les courtisans et ministres, provoqué par les moines (qui possédaient de véritables armées à l'époque), et on comprend qu'il va se mettre en colère et qu'il va balayer tout ce joli monde en beauté et imposer son despotisme personnel. On attend donc ces belles scènes d'action qui tardent tant à venir, et qui vont provoquer chez nous ces décharges émotionnelles jouissives. Et puis ploc ! Le film se termine. Le petit Taïra se contente donc de grincer des dents en contemplant un courtisan se la couler douce avec sa mère dans une fête hédonique du gratin, et de prédire qu'ils allaient voir ce qu'ils allaient voir, tous ces parasites. Et puis fini.

L'avant-dernier film de Mizoguchi, très beau malgré tout, idéal pour travailler sur sa frustration.

Taïra Kiyomori s'apprêtant à tirer une flèche sur un palanquin sacré, à la grande horreur des moines tyranniques et de leurs sicaires fanatisés.

- Les Contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi (雨月物語, Ugetsu monogatari), 1953.
   Quand je me suis fait ma cure de Kurosawa, j'ai découvert, progressivement touché par des impressions de déjà vu lors du visionnage, puis avec certitude et amusement, que j'avais déjà vu Chien enragé. Il fut une époque où une ville peu éloignée de mon domicile avait encore un ciné-club dans son cinoche. C'est bien fini. Il faut dire que nous n'étions à chaque séance qu'une poignée, parfois trois (ne me suis-je pas retrouvé seul lors d'une projection ?...). Eh bien cela vient de me faire exactement la même chose avec les Contes de la lune vague après la pluie, je l'ai déjà vu et l'avait complètement oublié, malgré le titre célébrissime. Cela fait un drôle d'effet, comme de revoir une vieille connaissance perdue de vue depuis lurette et qu'on ne reconnaît pas de suite.

Ugetsu (Fantasy in D), du pianiste Cedar Walton.- Art Blakey's Jazz Messengers at Birdland, 1963.

   Ma dernière actu ciné.

mardi 12 novembre 2019

Tueurs : petits bras et champions du monde

- Les Temps modernes de Charles Chaplin.


   Saviez-vous que cette chanson, reprise par pas loin de cent interprètes, vient à l'origine (et sans paroles) essayer de redonner le sourire à une adolescente prolétaire à la rue et en cavale des services sociaux-carcéraux, dans le film Les Temps modernes de Chaplin. Saviez-vous de surcroit que ce tube intersidéral était une composition de Chaplin lui-même. Chaplin qui non content d'être acteur et réalisateur, composait une bonne partie de la musique de ses films. Avec l'aide d'un secrétaire musical cependant. Savez-vous pourquoi ? Ce violoniste virtuose et compositeur fructueux ne savait pas lire la musique. Il chantait, donc, ou jouait, et le secrétaire prenait note.

   Le film est une critique féroce mais désopilante du capitalisme. De la parcellisation déshumanisante du travail fordiste en usine, au chômage, à la misère, à la prison pour les pauvres, aux luttes, à la répression.


versus


Finalement, Paulette Goddard retrouvera le sourire.

- Le Dictateur de Charles Chaplin.
   Qui ne connaît pas la scène du Dictateur ou Adenoïd Hynkel (caricature d'Adolf Hitler) improvise un ballet halluciné avec une mappemonde-ballon géante ? J'ai rencontré un tel malheureux ignorant. Il y a quinse jours j'en ai parlé à la sortie du vestiaire à un dentiste à la retraite qui m'avoua benoitement, n'avoir jamais vu Le Dictateur. Heureusement sa femme lui a réservé deux sorties théâtrales pour les semaines à venir : Lorant Deutsch et Michel Sardou. Finalement on se rapproche un peu d'Adenoïd Hynkel... Mais cessons de franchir rossement le point Godwin pour revenir à cette scène d'anthologie. Vous souvient-il de la musique choisie par Chaplin pour accompagner les rêves de conquête d'Hynkel / Hitler ?



   Eh oui ! ça vous est revenu, c'est Löhengrin de Richard Wagner. Magnifique, évidemment. Mais le choix est particulièrement ironique quand on se rappelle que, si Wagner fut révolutionnaire et fréquenta Bakounine dans sa jeunesse, il est aussi connu pour son antisémitisme ultérieur, et sa musique est souvent associée au IIIème reich. Comme disait Woody Allen : "Quand j'écoute trop Wagner, j'ai envie d'envahir la Pologne". Cependant l'émotion pure que provoque cette musique peut être captée et récupérée par les pires assassins, comme elle peut aussi évoquer les sentiments les plus hauts. Ainsi, paradoxalement, Chaplin reprend Löhengrin pour la scène finale du film, qui voit renaître l'espoir et la détermination de lutter pour un monde meilleur.


- Monsieur Verdoux de Charles Chaplin.
   Charles Chaplin jugeait que Monsieur Verdoux était "le film le plus intelligent et le plus brillant de toute sa carrière". Je pense que c'est aussi la meilleure évocation de l'histoire de Landru.

Retranscription de la scène du procès, à la fin du film :

   Le président : "Monsieur Verdoux, avez-vous quelque chose à ajouter avant le prononcé de la sentence ?"

   Verdoux : "Oui, Monsieur le président. Quoique Monsieur le procureur ne m’ait pas accablé de compliments, il m’a accordé du moins une intelligence brillante, merci Monsieur le procureur, c’est exact. J’en ai fait durant trente-cinq ans un emploi honnête. Après quoi, on m’a remercié. Je me suis vu forcé de m’établir alors à mon compte. Et si je me suis baigné dans le sang, la société m’y a encouragé, car n’est-ce pas elle qui fabrique des armes destructrices dans le seul but d’exterminer des hommes ? Ne tue-t-elle pas elle aussi des femmes sans défiances ? Et des enfants, qui en ont moins encore ? Et en usant de moyens très scientifiques ? Ah ! En fait de bain de sang, je ne suis guère qu’un modeste amateur. Et entre nous, je ne voudrais pas perdre mon calme au moment où je vais perdre la tête."

   Plus tard, en attendant son exécution pour ses crimes, Verdoux dit à un journaliste : « Un meurtre fait un malfaiteur… des millions un héros. Le nombre sanctifie mon bon ami. »

   Rappelons que le Barbe-Bleue de Gambais commit ses méfaits juste après la première guerre mondiale, 10 millions de morts, et Monsieur Verdoux naquit juste après la seconde, 55 millions. Autour et entre ces deux guerres, des millions de personnes surnuméraires furent jetées dans la misère par le capitalisme, ses crises de croissance ou ses dépressions.


Ma dernière actu ciné.

vendredi 18 octobre 2019

Justicières, courtisanes, actrices, esclaves, servantes impératrices, marchandes de fleurs.

    • 1945 : L'Épée Bijomaru (名刀美女丸, Meitō bijomaru)
   C'est en forgeant qu'on devient forgeron : artisanat, amour et vengeance. L'action se situe à la fin du shogunat Tokugawa, dans la deuxième moitié du XIXème siècle.

   • 1946 : Cinq femmes autour d'Utamaro (歌麿をめぐる五人の女, Utamaro o meguru gonin no onna)
   Biographie du peintre Utamaro Tikagawa (1753-1808). Je connaissais Hokusai, le "vieux fou de dessin" vous savez, le peintre du célèbre tsunami (pour le situer dans le temps, savoir qu'il est de la même année que l'un des mentors de ce blog, Gracchus Babeuf - 1760 -), mais c'est ce film qui m'a fait connaitre Utamaro, spécialisé dans les jolies femmes. Le film commence par une provocation en duel du peintre par un noble appartenant à une ancienne école d'art plastique, à charge de laquelle il avait pu lire un brocard émanant du premier sur une estampe. Utamaro refuse le combat au sabre, mais propose un affrontement au pinceau. Le dessin de la personne de qualité est jugé parfait par Utamaro, la personne dessinée ayant juste un défaut, elle est morte. Quand Utamaro esquisse son propre croquis, l'aristo est subjugué et décide de tout quitter, en renonçant à un riche mariage néanmoins d'amour, pour devenir disciple du génie qu'il vient de découvrir, et vivre son art avec lui dans les milieux interlopes qu'il fréquente entouré de nombreuses amitiés féminines, aux destins variés, heureux ou tragiques...

 Utamaro.- Trois beautés de notre temps.

 Hokusai.- La Grande vague de Kanagawa.

   • 1947 : L'Amour de l'actrice Sumako (女優須磨子の恋, Joyū Sumako no koi)
   Pas évident de monter la Maison de poupée d'Ibsen à la fin de l'ère Meiji (1868-1912). C'est ce que feront l'actrice Sumako et le metteur en scène Shimamura. Non contents d'introduire un théâtre autre que le kabuki dominant à l'époque, ils vivront scandaleusement dans l'adultère puis le concubinage, tout en professant des idées avancées, par exemple qu'une fille peut choisir son amoureux. Encore un film dont l'intention est de raconter la vie de personnes réelles et connues.


   • 1954 : L'Intendant Sansho (山椒大夫, Sanshō dayū)
   Risqué de prendre la défense de la plèbe face aux cruels décret gouvernementaux lorsqu'on n'est qu'un détenteur local de l'autorité. On finit déporté, sa femme et ses enfants vendus et réduits en esclavage. Certains s'en sortiront, certes, mais pas indemnes. 


   • 1955 : L'Impératrice Yang Kwei-Fei (楊貴妃, Yōkihi)
"La pure fleur de lotus s’épanouit sur un étang boueux, le bois de santal parfumé sort du sol, les gracieuses fleurs de cerisier proviennent des arbres, la belle Yang Guifei était la fille d’une femme de basse condition, et la lune s’élève de derrière les montagnes pour les éclairer."
Nichiren.
Ici, bien sûr, nous sommes en Chine, au VIIIème siècle, sous les Tang.

   • 1964 : My fair lady
   L'hilarante adaptation de la comédie musicale de Broadway, elle-même transposée de la désopilante pièce du sympathique George Bernard Shaw, Pygmalion. Finalement, à quelques différences près, de circonstances, de péripéties et de ton, c'est un peu la même histoire que dans le film précédent...


Extrait :
The flower girl : I want to be a lady in a flower shop stead of selling at the corner or Tottenham Court Road. But they won't take me unless I can talk more genteel. He said he could teach me. Well, here I am ready to pay him - not asking any favour - and he treats me as if I was dirt. [...]
Higgins [tempted, looking at her] : It's almost irresistible. She's so deliciously low - so horribly dirty* -
Liza [protesting extremely] : Ah - ah - ah - ah -ow - ow - oo - oo !!! I ain't dirty : I washed my face and hands afore I come, I did.
Pickering : You're certainly not going to turn her head with flattery, Higgins.

* "dirty", "sale" en anglais, signifie aussi et en l'occurrence "obscène".


   My last movie news, make no mistake !

vendredi 13 septembre 2019

Eventration, crucifixion et prostitution

• 1941 : La Vengeance des 47 rōnin (元禄忠臣蔵 前篇, Genroku chūshingura)


   Au générique, on peut lire : "Soutenons les familles des combattants de la grande Asie", puis, "Sélection du bureau de l'information du gouvernement". Autant dire que rien dans ce film ne vient contredire l'idéologie militaro-nationalo-fasciste de l'époque. Mais après tout, de grands films sont sortis aussi pendant l'occupation en France...
   Un film historique relatant la véridique chronique, maintes fois reprise dans toutes sortes d'évocations artistiques, de ces 47 samouraïs vengeant leur daimyo, contraint à se faire seppuku (se suicider rituellement en s'ouvrant le ventre, hara-kiri quoi...) pour avoir maladroitement (le gus s'en sort avec une simple cicatrice) agressé au sabre le maître des cérémonies de la maison du shogun qui l'avait critiqué, vertement il est vrai. Le film dure 3 heures 30. Bien qu'il ne soit question que de guerriers, de vengeance, de meurtre, de suicide et d'attaque de château, on ne voit aucun combat, tout est suggéré. Les rares sepukkus vus à l'écran (les autres, nombreux, sont hors champ) ne montrent pas la moindre goutte de sang (il est vrai que pour cette cérémonie, le kimono était très ajusté et serré par un obi afin que les viscères ne se répandent pas). Attention divulgâchage ! Les 47 sabreurs finiront heureux, vengés, et s'ouvriront le bidon dans la joie et la bonne humeur, comme le shogun le leur demande. Nous par contre on rigole moins.
   
L'attaque du château du responsable de la mort de leur seigneur par les 47 vassaux. Estampe de Hokusai.

   De belles images, des acteurs habités, mais je m'ennuie un peu, tant cette morale de loyauté hiérarchique à la vie à la mort et ce sourcilleux code de l'honneur m'est étranger et pour tout dire, odieux. Les samouraïs de Kurosawa étaient 40 de moins, mais ils m'ont incomparablement plus enthousiasmé. Attention divulgâchage ! La fin est particulièrement glaçante, quand on voit les condamnés défiler vers leur supplice dans leurs magnifiques kimonos blancs, puis la cérémonie lors de laquelle chacun des rōnin est appelé par ses noms, comme un élève de violon passant l'examen du conservatoire, et se met en place. On ne voit pas l'action finale, la caméra navigue, mais on entend s'égrener les annonces laconiques : "Machin Chose a perdu la vie", jusqu'au dernier, le chef, l'intendant du clan, Ōishi Kuranosuke, qui, heureux que tous aient officié bravement, appelé à son tour, s'avance vers son macabre devoir un sourire halluciné aux lèvres. Des fous. On est un peu soulagé que le film se termine.

• 1952 : La Vie d'O'Haru femme galante (西鶴一代女, Saikaku ichidai onna)

   Avec Kinuyo Tanaka, et au début, jeune et difficilement reconnaissable Toshiro Mifune ! l'acteur fétiche de Kurosawa qu'on a appris à immensément apprécier ici, comme Errol Flynn a pu l'être par nos grand-mères. Malheureusement on le voit peu. Ça commence par une histoire d'amour fou, et interdit parce qu'inter-caste, et de ce fait partant rapidement en sucette. O'Haru, déchue, sera vendue par sa propre famille comme prostituée. Elle connaît toutes les variantes du métier, jusqu'au concubinat d'un seigneur à qui elle donnera un fils avant de se faire chasser, mais aussi les bordels, la rue, et les passes vite fait derrière un auvent. Un réquisitoire sans pitié pour le patriarcat et les hommes, qui jouissent, profitent, exploitent, puis condamnent arrogamment.

Kinuyo Tanaka et Toshiro Mifune

• 1954 : Les Amants crucifiés (近松物語, Chikamatsu monogatari)
   Plus sympas que les maniaques de l'auto-éventration, et dont le calvaire dure moins longtemps que celui d'O'Haru, les deux amoureux, de classe sociale différentes et adultères, sont des rebelles, surtout le personnage campé par la magnifique Kyoko Kagawa, beaucoup vue dans Kurosawa également (voir plus haut Mifune). Une histoire d'amour fou à la Breton, ou sublime à la Péret. Attention divulgâchage ! Nos deux héros auront un peu le même sourire de béatitude que notre chef rōnin en se rendant au supplice, liés l'un à l'autre.

• 1956 : La Rue de la honte (赤線 地帯, Akasen chitai)
   La vie quotidienne dans un bordel, au moment ou les tenanciers attendent anxieusement le vote au parlement de la loi interdisant la prostitution. Les filles, elles, ont des sentiments plus mêlés (on ne le voit que par leur attitude, l'entend que par leurs silences), partagées entre la crainte de perdre leur maigre et unique revenu, et l'espoir d'être définitivement délivrées de ce péniblissime et stigmatisé travail. On pense à La Maison Tellier, ce métrage constitutif du chef d’œuvre Le Plaisir, de Max Ophüls. A votre avis, est-ce que le maquereau et la maquerelle respirent à nouveau à la fin, soulagés par le vote des députés ?

Ma dernière actu ciné.

vendredi 19 juillet 2019

Nihon Yôkoso X

Lost in translation
La neige multicolore
Pleut comme dehors.
Vendredi 26 avril 2019

   Ce soir je vais pratiquer dans un deuxième dojo de Yasuno sensei, déjà évoqué ici et .

   Demain je quitte Tokyo. Un peu triste et me sentant seul, je rentre dans un bar...


... dans le but de consommer pour oublier.


   Mais comme cet articule de transition en demi teinte risque de vous laisser sur votre faim, voici la bande annonce du film de Wes Anderson L'Ile aux chiens, que j'ai visionné hier. Un bien joli film américain très japonais qui, sous sa forme d'anime humoristique, illustre de graves et de nouveau très actuelles tendances politiques mondiales, et dont la fiction se déroule sur l'archipel dite du soleil levant. C'est bourré de références aux nippons et à leur culture : il me semble même qu'on y entend à un moment un bref extrait de la bande originale des 7 samouraïs !



vendredi 12 juillet 2019

Sayonara Kuro ?

   Et bien voilà, avec ces trois films j'épuise la filmographie du grand Akira Kurosawa, découverte majeure pour moi de cette année, même si j'avais déjà vu Chien enragé il y a quelques années. Enfin quand je dis la filmographie, je parle du stock de DVD de la bibliothèque. Je ne crois pas qu'ils ont tout. Il me restera donc peut-être d'autres magnifiques rencontres à faire, tant mieux !

- Dodes'kaden (どですかでん, Dodesukaden) d'Akira Kurosawa, 1970.
   L'ami CHROUM-BADABAN m'en avait parlé dans un commentaire de mon actualité cinématographique comprenant les Bas-Fonds du même Kurosawa d'après Gorki. Il est vrai que les thématiques sont semblables : la survie dans la misère, et ses acmés de poésie. Ici cependant nous ne sommes pas dans un trou, mais dans un bidonville en pleine lumière, aéré et dégagé. Et en couleur : c'est le premier opus du réalisateur qui en bénéficie. Un pur chef d’œuvre, encore ! On est tenu en haleine et émerveillé par la beauté des images, hilare ou épouvanté, en suivant les péripéties sordides de cette humanité damnée. Sillonnée par ce pauvre petit gosse qui se prend pour un tramway et qui scande le beat du moteur en traversant les terrains vagues : "Dodes'kaden - dodeskaden - dodekaden".
   Ce film fut un échec. Il paraît que Kurosawa en fit une dépression, tenta de se suicider et faillit arrêter là son œuvre. Heureusement, il n'en fit rien.


- Je ne regrette rien de ma jeunesse (わが青春に悔なし, Waga seishun ni kuinashi) d'Akira Kurosawa, 1946.
   Un peu l'anti Le Plus dignement. On se souvient que ce dernier film était une fiction de propagande "stakhanoviste" de guerre. Ici on a, sur fond d'amour fou à la Breton, ou sublime à la Péret, un film de résistance au militarisme, au fascisme, au nationalisme, à l'expansionnisme du Japon, des années 30 à la fin de la guerre. La mise en scène de la répression impitoyable et et de l'ostracisme pratiqué à l'égard des réfractaires peut aider à comprendre pourquoi Kurosawa a commis son film collaborationniste de 1944, au plus fort de la guerre. En tout cas il s'est bien rattrapé avec celui-ci, qui, esthétiquement et narrativement, incomparablement, est une œuvre bouleversante quand l'autre n'est qu'une navrante réclame patriotique. Et éthiquement il nous convient aussi, c'est tout bénef'.


- Qui marche sur la queue du tigre (虎の尾を踏む男達, Tora no o o fumu otokotachi) d'Akira Kurosawa, 1945.
   Un court métrage qui préfigure les grands films de samouraï ultérieurs. Je suis d'ailleurs resté sur ma faim quand le film s'est terminé. Nous sommes ici sur le ton de la comédie picaresque. Nulle violence ne sera finalement employée, mais la ruse. Le porteur Sancho Pancesque jouant bouffonnement au faire valoir des 7 samouraïs déguisés en ascètes bouddhistes montagnards (yamabushis).


- Les 7 samouraï (七人の侍, Shichinin no samurai) d'Akira Kurosawa, 1954.
   A propos de samouraïs au fait, ce n'était pas tout à fait vrai que j'avais épuisé la resserre de la bibliothèque. Il me restait, attendant patiemment que je trouve à disposer de trois heures et demie, le cultissime Sept samouraïs, que je n'avais jamais vu, je m'étais arrêté à Yul Brynner ! C'est maintenant chose faite. Un grand moment, dont la fin entre en résonance avec le sentiment de deuil qui me traverse au bout de cette série Kurosawa. Attention divulgâchage : Où êtes vous Kikuchiyo, Gorobei Katayama, Kyuzo, Heihachi Hayashida ? Où est le Wroblewski vierge de l’œuvre de Kurosawa, prêt à en prendre plein les mirettes et le ventre ? Il est en allé. Ils sont passés.

   Mais peut-être sont-ils revenus, de novembre à juin, sur les ronds-points de France et de Navarre... Peut-être reviendront-ils lors de nouveaux combats épiques remuer dans leur routine mes travaux quotidiens et s'attaquer de concert à mon inertie et aux pilleurs de vie (ampoulé et maladroit, ok, mais l'instant valait que je tente quelque chose, que j'élargisse et dégage des points d'horizon).


   Ma dernière actu ciné. Snif.

vendredi 14 juin 2019

Guerre et paix

- Le Plus dignement (ou Le Plus beau) (一番美しく, Ichiban utsukushiku), 1944.
   Un film de propagande de guerre côté production, à l'arrière, qui m'a surpris, surtout que ce film date de juste après La Légende du grand judo (1943), plutôt pacifiste et humaniste, même si les valeurs d'engagement total et de loyauté se retrouvent dans les deux fictions. Rappelons qu'en cette période de guerre, dans ce régime militariste et nationaliste, il ne faisait pas bon contester l'ordre établi et la religion d'Etat shintoïste. Ici, la religion, c'est celle de l'entreprise et de la production. Les ouvriers d'une usine d'optique sont invités à augmenter leur quota de production de 100 % en vue de l'effort de guerre (les dividendes ne sont pas évoqués, ce qui n'empêchera pas Kurosawa de traiter de l'avidité meurtrière du capitalisme dans Les Salauds dorment en paix, par exemple, en 1960). Les femmes, quant à elles, n'auront qu'une augmentation de 50 % de leur production à effectuer. Et là, attention : grogne, fronde, remous parmi les ouvrières. Pourquoi 50 % d'augmentation de travail sans gagner plus ? Alors que les hommes ont 100 %, c'est injuste ! Finalement le magnanime patron leur accorde 80 % d'augmentation de travail. Joie dans les travées, les fifres et tambours et équipes sportives féminines de la boîte ! La mission sera remplie, coûte que coûte, question d'honneur. Si on demande humblement un congé, c'est pour aller chercher une ouvrière tombée malade et que ses parents peinent à laisser partir. Et si on a de la fièvre, on supplie la chef de le celer, pour pouvoir continuer à trimer ! Idem quand la mama meurt au pays, on veut rester ! Les sourires attendris face à ces sacrifices sont glaçants : illustrant la mièvrerie et le pathos du mal, ils révèlent par transparence des rictus de tête de mort. On se demande parfois si le film n'est pas un long pamphlet ironique, tellement c'est gros. Mais je ne pense pas : même si Kurosawa n'y mettait peut-être pas toute sa sincérité et n'en pensait certainement pas moins (enfin je l'espère et la suite de sa filmographie le laisse plutôt entendre), il s'agit bien là d'un film de commande, approuvé par le ministère de l'information et de la guerre, et destiné à être pris au premier degré, reprenez-moi si je me trompe. Ce qui confère au film un intérêt documentaire, historique, sur la deuxième guerre mondiale, et idéologique, par cette propagande de ferveur au travail et sa version japonaise, à comparer avec les versions stakhanovistes lénino-staliniennes, maoïstes, fordistes, nationales-socialistes, ou de chez Bruno Pizza... 


- Un merveilleux dimanche (素晴らしき日曜日, Subarashiki nichiyobi), 1947.
   Deux amoureux dans la dèche à Tokyo après la guerre. Le gars, amer, se dit que la possession physique sera au moins ça de pris. Mais la gosse n'est pas d'accord. Drame, raccommodage. Déprime et espoir. Jeu, rêve, dérive, déambulation. Un joli film réaliste social sentimental.


- La Rivière rouge (Red River) de Howard Hawks, 1948.
   Un grand propriétaire de bétail fasciste (le propriétaire - John Wayne -, pas le bétail), malgré tout dans la dèche faute de débouchés, décide de remonter vers le nord avec ses milliers de bêtes pour les vendre. Au moment où il s'apprête à faire pendre deux de "ses" hommes ayant préféré tenter de fuir la tyrannie du tonton flingueur, il se fait gentiment remettre à sa place par celui qu'il considère comme son fils (la coqueluche de l'époque, Montgomery Clift), qui prend en main la caravane de bidoche pour la mener à bon port avec humanité. Le vieux, laissé en plan, rageur, décide de se venger et de tuer le jeune Œdipe.


- La Piste des géants (The Big Trail) de Raoul Walsh, 1930.
   Premier rôle principal de John Wayne, qui n'était pas encore fasciste. Une caravane de colons traverse les vastes territoires indiens d'Amérique du nord, traversant 1000 morts et dangers. Wayne joue un jeune éclaireur ami des indiens et désireux de venger un de ses potes assassiné par des rascals. Un peu de paternalisme incontournable à cette époque pour les autochtones en voie d'extermination mais nul racisme dans ce film. Appréciable.

L'intégral.

Ceci est évidemment ma dernière actu ciné.

mercredi 29 mai 2019

Cauchemars


   - Rêves (夢, Yume), d'Akira Kurosawa, 1990. Magnifique film rassemblant plusieurs courts métrages restituant des rêves. On passe de l'imaginaire enfantin et des légendes, à des visions plus désespérées mettant en scène la destruction humaine de la nature, les catastrophes atomiques (Kurosawa a été visionnaire, on a là déjà une centrale qui pète au Japon), la guerre et ses massacres ; mais aussi plus lumineuses avec la vie simple et proche de la nature d'une communauté villageoise, décroissante pourrait-on dire aujourd'hui, ou la beauté et la compulsion créatrice, puisqu'on y rencontre, non pas Kirk Douglas ni Jacques Dutronc, mais Vincent Van Gogh quand même, à l'oeuvre. Les images d'une beauté ébaubissante et les messages courts comme des haïkus nous laissent tout suspendus. Quelle chance j'ai de pouvoir découvrir ces trésors à l'âge mûrissant qui est le mien !

   - Les Bas-Fonds (どん底, Donzoko) d'Akira Kurosawa, 1957. D'après Maxime Gorki. Magnifique également. Dans le genre beauté du laid, sublimation de l'enfer, détournement par les protagonistes de la misère par l'ivresse, le jeu et la danse dionysiaque. L'interprétation dramatique de chaque actrice et de chaque acteur est ciselée comme du diamant, du grand art. Pas du tout envie de voir la version de Jean Renoir après ça.
   Mais ça m'a rappelé de mauvais souvenirs finalement. Quand j'ai squatté deux ou trois ans au début des 90's. Moi mes héros, c'étaient les Avengers autonomes. Mais mes tendances m'ont vite amené à finir avec les défoncés, branleurs et vrais sans logis. Point de valeureux et généreux vols individuels ou organisés et d'activités intellectuelles et manuelles intenses pour équiper un lieu de résistance et d'activités révolutionnaires et fournir des moyens de subsistance largement suffisants à ses habitants, mais de minables combines, des rapines peu reluisantes, le salaire de petits boulots ou les recettes des aides sociales, du caritatif ou de la manche. Le tout afin de, pas H24 mais pas loin,  boire 8.6, bières de chez ED ou plus costaud quand nous étions en fonds, fumer du shit quand c'était la richesse et la fête, et, après que j'aie fréquenté un psychiatre pour me faire réformer du régiment, s'enfiler les Xanax que je ramenais, par pincées. C'était moins esthétique que dans le film, mais parfois on pouvait retrouver ces orgasmes collectifs et ces acmés de franche rigolade. L'ensemble sur fond noir : crasse, incendie pour cause de feu à même le taudis pour se réchauffer, promiscuité écœurante, rixes, mort de maladie sans soin...


   Bon, allez, pour nous remonter le moral de cette misère (je ne parle pas de la maladie de la dépendance, qu'on retrouve évidemment chez les bourgeois, mais de conditions de survie contraignant a minima à dormir en compagnie de rats et de cafards, et à connaître de manière non anecdotique les sensations de froid, de faim, de peur que ça dure, etc., on pourrait aujourd'hui penser aux roms, ou aux campeurs des périphériques, entre autres), cette misère qui illustre une réalité qu'on ne voit pas à la télé si ce n'est par transparence dans les rictus crispés de tous les macrons du monde, pour nous remonter le moral donc, je découvre en même temps que vous ce groupe qui reprend un répertoire de chansons populaires vieux de plusieurs siècles, le Min'ho, en salsa, reggae et jazz éthiopien : Minyo crusaders.


   Les deux films ci-dessus évoqués sont ma dernière actu ciné.

lundi 15 avril 2019

Sayonara !

  Bon, eh bien je vous laisse quelques temps. Je vais aller offrir une bouteille de Champagne duty free au Doshu (gardien de la voie), Ueshiba Moriteru dirigeant de l'Aïkikai et petit fils du fondateur.

Dans la famille Ueshiba, le petit fils, actuel Doshu.

Le grand-père, Morihei, fondateur, mort en 1969, année de ma naissance.

Le père, Kishomaru. Il systématisa et codifia l'aïkido moderne.

  L'Aikikai Foundation (財団法人合気会, zaidanhôjin aikikai) est une organisation créée en 1940 par Kisshomaru Ueshiba (troisième fils de Morihei Ueshiba) avec l'appui de son père pour promouvoir le développement de l'aïkido. Le dojo central de l'Aikikai est l'Aikikai Hombu Dojo (合気会本部道場), un bâtiment en béton de quatre étages construit en 1967 pour remplacer la structure originale en bois du Kobukan (皇武館) qui datait de 1931. Le dojo est situé au cœur de l'arrondissement de Shinjuku (l'arrondissement  chaud selon certains guides) à Tokyo, dans le quartier de Wakamatsu-cho. Une équipe d'une trentaine d'instructeurs s'y relaie pour assurer les différents cours chaque jour.


  J'offrirai aussi une boutanche à Yasuno sensei, mon préféré à ce jour.


  Je vous promets d'essayer de ne pas trop me faire casser la gueule et de vous ramener des belles photos, et je vous dis : "mata raigetsu !".

  Et pour terminer je voudrais vous partager ma dernière actu ciné : Vivre dans la peur de Kurosawa Akira (生きものの記録, Ikimono no kiroku), 1955. Avec un Mifune Toshiro méconnaissable et Shimura Takashi, c'est l'histoire d'un patron d'usine vieillissant, atteint d'une phobie des attaques nucléaires, dans les années 50. Il en vient donc à vouloir échanger son usine contre une ferme au Brésil où il emmènerait sa famille officielle femme et enfants adultes, ainsi que ses trois maitresses et ses enfants dits illégitimes. La famille légale se rebiffe.

  La peur de l'atome donc. Et moi qui vais passer deux jours dans la magnifique ville de Nikko qui n'est qu'à 208 km de la centrale nucléaire de Fukushima Daichii... Remarquez nous ici on en a 50 réparties sur le territoire, sans compter la poubelle qui se prépare dans la répression. Irresponsabilité et crime du pouvoir et des profiteurs d'atome, héroïsme matraqué des activistes, inertie engluante du quotidien, "maintien de la confiance" et chantage au mode de vie paralysants. De quoi flipper, oui, je suis bien d'accord !


lundi 8 avril 2019

Sabre nu, festin nu et piment doux

- Paprika (パプリカ, Papurika) de Kon Satoshi, 2006.
  J'ai pensé à l'Age d'or et au Chien andalou de Bunuel, à moins que ce ne soit à Alice au pays des merveilles... Les dialogues sont contaminés par l'écriture automatique ou les cadavres exquis. Il nous souvient aussi bien sûr de Miyazaki, du Voyage particulièrement. Twin Peaks refait surface un peu également... On ne comprend pas tout, mais ce n'est pas grave, on rêve et on cauchemarde, par procuration.


  Le rapprochement avec le surréalisme, je ne suis pas le seul à l'avoir fait. Il faut dire que c'est patent :


  La bande son participe à l'effet de parade carnavalesque grouillante, survoltée, dysharmonique, onirique, hypnotique, obsessionnelle.


- Sanjuro (椿三十郎, Tsubaki Sanjūrō) de Kurosawa Akira, 1962.
  Mifune Toshiro, Shimura Takashi et geyser de sang. Les neuf samouraïs et le ronin crado. Simple, drôle et trépidant, on kiffe.

Attention ! gaucher contrariant.

- Le Garde du corps (用心棒, Yōjinbō) de Kurosawa Akira, 1961.
  Mifune Toshiro, Shimura Takashi et méchant passage à tabac du héros. Premier épisode avec le ronin crado trentenaire, il n'y en a eu que deux à ma connaissance. J'ai vu le I après le II. Celui-là, qui sent fort sa série B, est moins léché que celui-ci. Mais je n'ai pu m'empêcher de penser aux westerns spaghettis de Sergio Leone avec le Républicain, là, j'ai un trou, celui qui creuse, ce qui est quand même une analogie positive.


- Le Festin nu (Naked Lunch) de David Cronenberg, 1991.
  Bon, ça reste du Cronenberg, avec des êtres et des choses qui se métamorphosent en choses et êtres visqueux, gluants, rouges, roses ou blancs cadavre, tumescents et turgescents (je ne connais pas la différence mais j'aime bien les deux mots, le deuxième rajoutant encore à l'impression de bébête malhounnête), sécrétant, suintant, exsudant voir franchement éjaculant par les orifices et muqueuses les plus divers. Ici, on a droit à des cafards géants qui parlent à l'aide d'un gros cerveau-anus sur le dos, des centipèdes (insectes semi-aquatiques du Brésil) et leur viande, et des espèces d'allien humanoïdes blancs et glabres, nus (ce sont peut-être eux, le festin...), dotés de multiples appendices sur la tête d'où gicle parfois du sperme que les protagonistes du film consomment comme drogue avec délectation, désespoir et épouvante. On ne s'ennuie pas parce que c'est assez rigolo, toutes ces hallucinations, d'autant qu'elles viennent de la beat generation qui avait une défonce plutôt créative (ce qui n'empêche pas le héros de vivre un cauchemar d'angoisse).

  Deux remarques :

  - Le personnage principal, qui représente, malgré la fiction, un peu beaucoup l'auteur du roman, William Burroughs, disons-le, soyons littéraires ; ce personnage, donc, William « Bill » Lee, est joué par... Peter Weller, incroyable ! Un acteur dont j'ignorais jusqu'au nom et qui m'instruis en me distrayant deux fois en deux semaines, puisque c'est aussi ce Peter Weller qui incarne Robocop, que j'évoquais ici même. Les deux rôles n'ont rien à voir, si ce n'est le thème de la métamorphose. Cronenberg y a-t-il pensé en choisissant cet acteur ?...

  - La musique est du... légendaire et libre jazzman Ornette Coleman ! Rien que pour ça j'étais heureux de téter du spectacle en contemplant ce film ! Il fait partie de mon panthéon ! Son sax free accompagne, des States à l'Afrique du Nord, tous les délires de ces personnages qui, après s'être shootés à la poudre anti-cafards, se tapent des fix de viande noire de centipède en poudre, avant de finir par tailler des pipes aux appendices crâniens des mugwumps dont le sperme défonce bien comme il faut !


Écoutons Ornette ! On a même la BO intégrale ici.


  Ma dernière actu ciné.