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mercredi 10 mai 2023

Vérole

      Les copines et copains,

     Au fil du temps ce blog part complètement en cacahuètes, non dans son contenu en ce qui me concerne, même si les articles se sont raréfiés conséquemment à l'augmentation des infernales cadences du chagrin et peut-être à un moindre enthousiasme de ma part, mais d'un point de vue technique. Tout tombe en panne et j'ai beau chercher, je n'en trouve pas la raison :

      - plus de notification sur ma boîte mail des commentaires ;
      - plus de possibilité pour les contributeurs de commenter ;
      - colonne de droite des blogs amis et des mots clés reportée tout en bas, donc quasiment invisible ;
      - plus aucun lien possible (ouverture d'un article, blogs amis, mots clés...)...

      Je me retrouve donc aveugle, sourd et seul dans ce blog, sans plus aucun contact possible avec les potes. Certes, sa mise à jour rédactionnelle au moins une fois par mois me permettait de m'obliger à écrire un peu, au moins pour mes micro-fiches de lecture. Mais si je ne peux plus partager ni échanger, ce n'est plus très intéressant, et je peux aussi bien me faire un peu violence pour rédiger ces "fiches" sur papier libre ou page de traitement de texte.
 
      Je vais donc mettre un terme à l'alimentation de ce blog, comme pas mal de confrères l'ont fait avant moi, mais pour d'autres raisons. Cela me permettra peut-être aussi de revenir à mon activité rédactionnelle d'avant la création de La Plèbe le 30 janvier 2015 (comme le temps passe bordel !) à savoir... rédiger des commentaires chez les autres ! Je pourrai aussi m'amuser à me relire depuis le début. Lire plus, tout simplement. Ou agir plus pour la révolution... J'avais pensé créer un autre blog mais j'avoue que l'idée m'a fatigué dès sa naissance, et puis, Google... cette épine dans le pied de ma conscience radicalement anti-GAFAM, NATU, et capitaliste plus généralement. 

      Comme pour d'autres, ces adieux ne seront-ils finalement pas définitifs, et ne s'agira-t-il que d'un faux départ ? Il me faudra alors dans ce cas vraiment un dépanneur... 

      À bientôt sur vos blogs, sur une manif ou un blocage, un tatami, un concert de jazz, une librairie ou une forêt... À bientôt dans ce vaste monde, au hasard d'un croisement de nos aventures à venir !

      Votre Wroblewski.

jeudi 20 avril 2023

La Dose de Wrobly : germinal 2023 EC

- Franz Kafka. Le Procès.
      J'ai profité d'un deuxième séjour, trente ans après le premier, à Prague, magnifique ville pleine d'Histoire et de légendes, pour relire ce chef d’œuvre d'un de mes écrivains préférés. Flippant et drôle.
Quelle bonne surprise au musée Kafka ! Qui vois-je ? Notre grand ancien François Claudius Koënigstein, alias Ravachol ! Il se trouve que notre terroriste était célèbre à la fin du XIXème siècle en Bohême (comme dans toute l'Europe d'ailleurs a priori, traumatisée par les innombrables attentas anarchistes, de l'assassinat de Sissi à celui de Sadi Carnot en passant par de multiples autres actes individuels justiciers, dont on ne mesure plus vraiement l'ampleur aujourd'hui) suite à ses hauts faits contre des magistrats persécuteurs du prolétariat révolutionnaire. Quand le petit Franz se rebellait un peu trop contre le cuisinier de ses parents qui l'emmenait à l'école le matin, ce dernier le traitait de Ravachol, ravigotant stigmate !
Kafka sur les épaules d'un homme sans tête. Cette sculpture mesure 3,75 mètres de hauteur, a été sculptée par Jaroslav Rona en 2003 à l'occasion du 120ème anniversaire de la naissance de Kafka, et s'inspire d'un rêve de l'écrivain tchèque de langue allemande, qu'il avait décrit dans un texte.

- Arthur Miller.- Les Sorcières de Salem.
     Après Vu du pont et Je me souviens de deux lundis en germinal 2021, mon troisième Miller (non, pas Henry, plutôt Arthur, en l’occurrence). Glaçant, effrayant, tiré d'une histoire vraie de chasse aux sorcières en 1692 dans le Massachusetts à l'issue de laquelle 25 personnes furent exécutées. Quand le capitalisme naissant et le patriarcat, alliés à la religion et à la superstition, accomplissent une forme de génocide (féminicide) pour asseoir leur suprématie.
- Lois McMaster Bujold.- Immunités diplomatiques / L'Alliance.
   Plus qu'un roman après ces deux-là et je pourrai reprendre mon propre programme de lecture, de la littérature, de la poésie, de la philo, des documentaires de critique radicale, des polars sociaux ou politiques, de la BD, des langues étrangères ou autre, mais selon mon propre agenda et mes propres désirs ! Je rappelle que la saga Vorkosigan m'a été prêtée et que je suis ravi d'avoir découvert ces romans que je n'aurais jamais lus sans cela, que j'y ai pris parfois du plaisir, parfois moins. Mais j'ai hâte et suis content d'arriver au bout !

lundi 23 janvier 2023

La Dose de Wrobly : nivôse 2022 - 2023 EC


    - Edgar Allan Poe.- Contes - essais - poèmes.
   Je poursuis la lecture de ce pavé commencé ici. Je réalise que, à ce stade de sa vie et de son oeuvre en tout cas (tous les contes sont juxtaposés par ordre chronologique d'écriture, la compilation traditionnelle due au traducteur Baudelaire en Histoires extraordinaires, Nouvelles histoires extraordinaires, etc. étant ici ignorée), à ce stade donc, Poe est avant tout un satiriste et un parodieur. Ces contes les plus angoissants, morbides, ésotériques, merveilleux, gothiques... sont en fait des pastiches à charge des littérateurs de son temps. Même si parfois je rigole bien quand la satire devient caricaturale, je suis tout de même un peu déçu : quand j'étais minot j'avais tout lu au premier degré, et j'avais pris bien du plaisir à avoir les jetons ! Mais cela dit, certaines obsessions de l'auteur traversent quand même parfois la satire, et on aborde alors, au-delà de la critique, à une véritable littérature d'épouvante. 


   - Thierry Jonquet.- Jours tranquilles à Belleville.
   Jonquet est peut-être mon auteur de polar français préféré, un virtuose de l'angoisse et du suspense, doublé d'une exposition des saloperies de notre monde, à la fois réaliste et gore dans l'effet loupe de sa focale littéraire. J'ai tout lu maintenant, sauf le truc posthume reconstitué, ça sent trop le business. Mais là il est un peu déconcertant. Il enfonce des portes ouvertes (la misère ne tire pas vers le haut, fait de ses victimes des personnes moins policées que qui bénéficie d'un certain confort et d'une certaine liberté, la jeunesse dépossédée devient parfois turbulente, trompant son ennui par des jeux dangeureux, avec de possibles dérives maffieuses, violentes, ou bien des chutes dans les paradis artiriciels durs... en restant souvent éloignée de la culture révolutionnaire généreuse, comme les autres classes ou sous-classes d'ailleurs, puisque l'idéologie de prédation de la classe dominante est l'idéologie dominante, y compris, et avec la brutalité que leur condition peut créer, celle des classes dites dangereuses. Après avoir emménagé à Belleville dans un néo-quartier kafakaïen opposant spatialement petite bourgeoisie intellectuelle et damnés de la terre, séparés par une grande esplanade déserte et sans vie de quartier, Jonquet découvre les apaches de les loubards. Sauf que quasimment tous ceux-là, dans le Belleville de la fin de années 90, sont magrhébins, c'est lui qui l'écrit. Certes, ce constat reste d'un homme de gauche, qui ne manque pas de stigmatiser aussi urbanistes, sociologues de gouvernement, inégalité, chômage, prison comme perspective et qui déplore le vote Le Pen, même si il affirme que son meilleur promoteur est "la bande à nique ta mère" elle-même (alors qu'on sait que des campagnes reculées, sans cités ni immigrés, sont parfois dominées elles-aussi par le vote d'extrême droite). Il décrit un Belleville très noir, mais ici ce n'est pas un roman. Ça fait vraiment flipper, on se représente une armée de clochards, de dealeurs et de toxicomanes, de "racailles" à mobylettes ou à pitt-bull accomplissant au quotidien un massacre de femmes et d'enfants, catégories de population que Jonquet invoque souvent pour mettre en avant ce qu'il considère comme un scandale. Certes, vivre dans la peur des incivilités, de se faire dépouiller ou cogner, constater la connerie, même et peut-être surtout venant des pauvres, pour un ancien trotskyste qui se veut fidèle à ses vieux rêves, quand soi même on a toujours voulu prendre leur parti, et qu'on a de quoi se loger et vivre, certes, mais qu'on n'est ni Bernard Arnault, ni un commerçant plein aux as grugeant le fisc, ni un flic, ni un tonton flingueur, comme pour moi (bordélisé pendant 10 ans par des jeunes du 93, volé dans ces établissements scolaires comme sous les tours à la portière, baffé lycéen parce qu'apeuré, réceptacle de pierres en me rendant au turbin...) ça peut créer des tensions. Mais là, on ne voit que le côté méprisable et haïssable des classes populaires et du sous-prolétariat soumis à l'ordre des forts et recherchant les plus faibles à exploiter primitivement, aucun côté lumineux. Et on ressent chez Jonquet la haine et l'aigreur d'être confronté au quotidien à l'inconfort de cette gentrification à-demi. Certes, il a, en plus, peur pour son enfant. Même s'il ne donne pas de solution qui serait satisfaisantes pour des révolutionnaires qui devront ralier une majorité des classes les plus pauvres pour pouvoir éspérer voir efficacement et durablement faire bouger les choses vers le communisme (anarchiste en ce qui me concerne), ses quelques remarques de gauche humanistes font malgré tout qu'on ne l'assimile pas tout à fait à l'un de ceux auxquels s'adressait Nicolas Sarkozy dans sa célèbre adresse du 26 octobre 2005 à Argenteuil : "Vous en avez assez de cette bande de racaillles, on va vous en débarrasser". Je n'ai pas fini le livre, mais pour le moment Jonquet ne parle pas d'Islam, les jeux bruyants et dangereux, la bêtise, la drogue, les incivilités et la délinquance demeurant à ce stade les seuls stigmates exposés par la description de la "bande à nique ta mère". Jonquet nous a tellement jouissivement embarqué dans son suspense et son épouvante dans ses romans, qu'on lui accorde de ne critiquer ici que les idéologies dominantes dégradées (virilisme, business, loi du plus fort...) et les causes des réactions violentes et agressives provoquées par le capitalisme rapace, plus qu'une détestation diffuse des personnes aux cheveux crépus et habillées en survêtements premiers prix, qui chercherait tous les bons alibis de gauche pour se justifier, et on choisit de croire que, s'il avait vécu, il n'aurait pas tourné Charlie.


   Ce petit livre est sorti en 1999. Je ne sais pas trop comment à tourné Belleville depuis, j'y passe rarement et je n'y vis pas. Ce qui est sûr c'est que celui-ci fait bigrement moins envie que celui, foutraque et haut en couleurs, de Daniel Pennac.

vendredi 30 décembre 2022

La Dose de Wrobly : frimaire 2022 EC


     Je suis en vacances. Eh ! oui, je suis encore tributaire du salariat, je n'ai pas eu le courage ni les idées, les amis, les moyens à mettre en œuvre pour déserter le monde de l'économie... Je dépend donc encore aussi de ces minces temps compensatoires que sont les congés, et j'essaye d'en profiter, non pas pour consommer plus, mais au contraire pour me désaliéner un peu. Je manque donc de temps devant écran pour alimenter ce blog, je les fuis ! Toutefois comme j'aime de toute mon âme la petite famille de mes lecteurs, je parviens ce jour à vous partager une brève Dose de Wrobly, celle de novembre / décembre. A bientôt quand j'aurais repris le chagrin (même si les cadences de plus en plus infernales me laissent de moins en moins de temps pour créer sur Google...). 


- Tennessee Williams.- La Nuit de l'iguane.
     J'avais découvert Arthur Miller au printemps 2021, en cette fin d'automne je découvre Tennessee Williams. J'aime bien aussi. Ça se passe sur la côte ouest du Mexique avec un pasteur défroqué et torturé, la colonie de femmes touristes qu'il guide suite à reconversion professionnelle, une jeune peintre errante sensible et philosophe et son père quasi centenaire, et d'autres personnages hauts en couleur s'agitant de manière plaisante sous les yeux d'un pauvre iguane capturé en vue d'un repas ultérieur...
     Je n'ai pas le temps d'en écrire plus, si ce n'est que ça fait du bien de s’ouvrir un peu et de sortir de sa zone de confort livresque.


- Lois McMaster Bujold.- La Danse du miroir.
     La suite. Plus j'avance plus j'aime, je m'attache. Le héros est doublé de son frère clone désormais, un type assez torturé, lui aussi...

mercredi 24 août 2022

La dose de Wrobly : thermidor 2022 E.C.

- Guy de Maupassant.- Boule de suif.
   Comme je vous l'écrivais naguère, je prends un réel plaisir à relire Maupassant. On avait déjà évoqué le petit chef-d'oeuvre qu'est la nouvelle Boule de suif ici, à propos du film Oyuki la vierge (マリヤのお雪, Maria no Oyuki) de Kenji Mizoguchi (1935), adaptation de cette cruelle et ironique histoire. Cruelle au sein de la diégèse, pour la pauvre héroïne, prostituée généreuse et courageuse, même si cocardière, qui se voit mépriser et ignorer par une bande de bourgeois à qui elle a sauvé la mise, sur leur insistance hypocrite et lâche, en couchant avec l'officier prussien qui les retenait en otage. Mais cruelle aussi, oh ! combien, même si réaliste, pour ces bourgeois eux-mêmes, dans les descriptions que le narrateur fait d'eux. Le mois précédent j'avais lu 500 pages de Bakounine période 70 à 72, la même époque, tentant d'organiser l'abolition de la bourgeoisie ainsi que de toute classe sociale au sein de l'Association Internationale des Travailleurs, et en proie aux manœuvres haineuses de Karl Marx, qui le méprisait en premier de la classe mais qui depuis toujours craignait qu'un révolutionnaire de cette envergure fasse de l'ombre à son ambition de pontife du socialisme au sein de la même Internationale ou ailleurs, et intriguait à ses dépends, usant avec virtuosité de l'intrigue, de la calomnie et de l'injure, avec l'aide de son valet de pied Engels et de leur groupe de fidèles. Bakounine décrit excellemment la bourgeoisie et son évolution en tant que classe, qui fut révolutionnaire au temps de l'ancien régime, mais devint ensuite la tique dans le cou des masses que l'on connaît. Cependant à aucun moment dans ces 500 pages ne lit on une description d'un caractère individuel, même si évidemment déterminé en partie importante par la classe sociale, de ces bourgeois, Bakounine répugnant d'ailleurs à toute attaque personnelle et restant dans la critique radicale des positions (idéologiques ou sociales). Ici on a cette critique individuelle, on constate quelle racaille le privilège et l'exploitation peut créer, et on jouit de la méchanceté avec laquelle elle est représentée, même si on enrage toujours de la voir gagner à la fin, jusqu'à aujourd'hui. Il paraît que Maupassant posait au réactionnaire, comme beaucoup des ses semblables gens de lettres (après tout des bourgeois, eux aussi), et des meilleurs, une manière de se rendre intéressant, de ne pas risquer le politiquement correct, les bons sentiments ou l'attribut de Bisounours, d'être plus anti-conformiste que les anti-conformistes en dénonçant confortablement le conformisme de l'anti-conformisme (voir aussi Casanova plus bas). Ils ne sont d'ailleurs jamais autant mauvais (enfin c'est mon point de vue), que dans leurs tirades à deux centimes pour défendre l'ordre face aux rêveurs. Mais là, dans cette incarnation de la lutte des classes et de la dégénérescence et la corruption humaine qu'elle implique chez les dominants, je dis chapeau et merci !
   Les autres nouvelles du recueil, moins cultes, sont malgré tout bien agréables, avec suspense et chute, drôles ou glaçantes, comme celle où on assiste à la torture jusqu'à la mort d'un être simple, débonnaire et sans défenses (comme Boule de suif ?) par un jeune bourreau "sournois, féroce, brutal et lâche".
- Giacomo Casanova de Seingalt.- Journal tome VII.
   Au début de ce volume Casanova rencontre Voltaire à Genève. Je savais que les deux personnages se détestaient cordialement. Ici c'est leur première rencontre, toute d'admiration, mais aussi d'orgueil chez le trentenaire vénitien, de curiosité étonnée chez le briscard de la polémique. On est en 1760, année de naissance de ce cher Babeuf. Eh bien même si on a beaucoup de réserves à l'égard de Voltaire, malgré son héroïque dézingage des absurdes dogmes religieux encore dangereusement au pouvoir à l'époque (il est déiste, pour un despotisme éclairé, raciste paraît-il, méchant à l'égard de Rousseau notamment - Rousseau qu'on rencontre dans le tome précédent quand Casanova lui rend visite à Montmorency, et qui semble complètement insignifiant, pâle, popote, lui qu'on désigne souvent comme l'un des ferments de l'éruption révolutionnaire ultérieure ! - systématiquement sarcastique donc surplombant et blessant, et pas seulement à l'encontre du pouvoir et des dominants... mais on n'a pas lu les œuvres complètes), ici les dialogues sont à son net avantage face à un Casanova qui pose au réactionnaire (voir fiche précédente), partisan de Hobbes, d'un peuple sous la botte, maintenu en laisse par la superstition. Décevant, même si le mythe libertin est déjà bien écorné, après les 6 premiers tomes lus à la lumière de Me too, de Balance ton porc, et plus généralement des luttes féministes. Il est clair et parfois avoué en toute "innocence", que cette collection n'a pu être constituée sans violence parfois, souvent... En tout cas sans relation léonine, de prostitution plus ou moins assumée, dans un monde ou la femme n'est qu'un bien meuble à la disposition du bon plaisir patriarcal. Après Genève l'écrivain aventurier va donc faire accoucher une nonne prenant (et perdant finalement) les eaux à Aix-les-bains pour camoufler sa grossesse, puis pénétrer lui même dans le temple afin d'y sacrifier sur l'autel de l'amour grâce à son ministre portatif et télescopique qu'il affuble parfois d'une capote anglaise pour nous faire rire. En matinée il va coucher avec la femme d'un joueur professionnel complaisant l'ayant missionnée à retenir le grand joueur Casanova à Aix. La maîtresse d'un marquis, partie intégrante de cette compagnie de joueurs qui avait jeté un dévolu sur sa cassette, tente également de le séduire pour le faire rester, mais Giacomo en a marre et une fois sa religieuse ramenée par deux déléguées de la converse à son couvent, il prend la tangente, vers d'autres aventures à Grenoble, ou il convoite une jeune et sage jeune femme de 17 ans, non sans prendre en attendant individuellement d'abord puis collectivement les deux filles et la nièce de son concierge, etc., etc. C'est souvent niais, notamment les dialogues et joutes amoureuses, mais ça se lit vite et bien, et parfois ça fait sourire... ou grincer des dents... Pour se délasser après 500 pages de Bakounine.

Extraits :

Casanova et Voltaire :

— Si Horace avait eu à combattre l’hydre de la superstition, il aurait, comme moi, écrit pour tout le monde.
— Vous pourriez, ce me semble, vous épargner de combattre ce que vous ne parviendrez pas à détruire.
— Ce que je ne pourrai pas achever, d’autres l’achèveront, et j’aurai toujours la gloire de l’avoir commencé.
— C’est fort bon ; mais, supposé que vous parvinssiez à détruire la superstition, avec quoi la remplaceriez-vous ?
— J’aime bien cela ! Quand je délivre le genre humain d’une bête féroce qui le dévore, peut-on me demander ce que je mettrai à la place ?
— Elle ne le dévore pas ; elle est, au contraire, nécessaire à son existence.
— Nécessaire à son existence ! horrible blasphème dont l’avenir fera justice. J’aime le genre humain, je voudrais le voir comme moi libre et heureux, et la superstition ne saurait se combiner avec la liberté. Où trouvez-vous que la servitude puisse faire le bonheur du peuple ?
— Vous voudriez donc la souveraineté du peuple ?
— Dieu m’en préserve ! il faut un souverain pour gouverner les masses.
— Dans ce cas, la superstition est donc nécessaire, car sans cela le peuple n’obéira jamais à un homme revêtu du nom de monarque.
— Point de monarque, car ce mot exprime le despotisme que je hais comme la servitude.
— Que voulez-vous donc ? Si vous voulez que celui qui gouverne soit seul, je ne puis le considérer que comme un monarque.
— Je veux que le souverain commande à un peuple libre, qu’il en soit le chef au moyen d’un pacte qui les lie réciproquement, et qui l’empêche de jamais tourner à l’arbitraire.
— Addison vous dit que ce souverain, ce chef, n’est pas dans les existences possibles. Je suis pour Hobbes. Entre deux maux, il faut choisir le moindre. Un peuple sans superstition serait philosophe et les philosophes ne veulent pas obéir. Le peuple ne peut être heureux qu’autant qu’il est écrasé, foulé et tenu à la chaîne.
— C’est horrible, et vous êtes peuple ! Si vous m’avez lu, vous avez dû voir comment je démontre que la superstition est l’ennemie des rois.
— Si je vous ai lu ? Lu et relu, et surtout quand je ne suis pas de votre avis. Votre passion dominante est l’amour de l’humanité. Et ubi peccas. Cet amour vous aveugle. Aimez l’humanité, mais aimez-la telle qu’elle est. Elle n’est pas susceptible des bienfaits que vous voulez lui prodiguer, et qui la rendraient plus malheureuse et plus perverse. Laissez-lui la bête qui la dévore : cette bête lui est chère. Je n’ai jamais tant ri qu’en voyant Don Quichotte très embarrassé à se défendre des galériens auxquels, par grandeur d’âme, il venait de rendre la liberté.
— Je suis fâché de vous voir une si mauvaise idée de vos semblables. Mais, à propos, dites-moi, vous trouvez-vous bien libres à Venise ?
— Autant qu’on peut l’être sous un gouvernement aristocratique. La liberté dont nous jouissons n’est pas aussi grande que celle dont on jouit en Angleterre, mais nous sommes contents.
— Et même sous les Plombs ?
— Ma détention fut un grand acte de despotisme ; mais, persuadé que j’avais abusé sciemment de la liberté, je trouvais parfois que le gouvernement avait eu raison de me faire enfermer sans les formalités ordinaires.
— Cependant vous vous êtes échappé.
— J’usai de mon droit comme ils avaient usé du leur.
— Admirable ! Mais de cette manière personne à Venise ne peut se dire libre.
— Cela se peut ; mais convenez que, pour être libre, il suffit de se croire tel.
— C’est ce dont je ne conviendrai pas facilement. Nous voyons, vous et moi, la liberté sous un point de vue fort différent. Les aristocrates, les membres mêmes du gouvernement ne sont pas libres chez vous ; car, par exemple, ils ne peuvent pas même voyager sans permission.
— C’est vrai, mais c’est une loi qu’ils se sont volontairement imposée pour conserver leur souveraineté. Direz-vous qu’un Bernois n’est pas libre parce qu’il est sujet aux lois somptuaires, quand c’est lui-même qui est son législateur ?
— Eh bien ! que partout les peuples fassent leurs lois.

La capote anglaise sous Louis XV :
 
   Quand nous fûmes l’un et l’autre dans l’état de simple nature, et tels qu’étaient Adam et Ève avant d’avoir mordu la fatale pomme, je la plaçai comme elle était représentée et, à mon aspect, devinant ce que j’allais faire, elle ouvrit ses bras pour me recevoir ; mais je lui dis d’attendre un moment, car j’avais aussi dans un petit paquet quelque chose qui lui ferait plaisir.
   Je tire alors de mon portefeuille un petit habit d’une pellicule transparente d’environ huit pouces, sans issue et orné à son entrée d’une faveur rose passée dans une coulisse. Je lui présente cette bourse préventive, elle la contemple, l’admire, rit de tout cœur, et me demande si je m’étais servi de pareils vêtements avec sa sœur de Venise.
   « Je veux te costumer moi-même, mon ami, et tu ne saurais croire combien cela me rend heureuse. Dis-moi pourquoi tu ne t’en es pas servi la nuit passée ? Il me parait impossible de n’avoir pas conçu. Eh ! que je serai malheureuse si cela est ! Que ferai-je dans quatre ou cinq mois, quand je ne pourrai plus douter de mon état ?
   - Ma chère amie, le seul parti à prendre est de ne pas y penser, car si le mal est fait, il est sans remède ; mais, ce que je puis te dire, c’est que l’expérience et un raisonnement conforme aux lois connues de la nature peuvent nous faire espérer que nos doux ébats d’hier n’auront aucune conséquence fâcheuse. On dit et on a écrit qu’après les couches la femme ne peut pas concevoir avant d’avoir revu certaine apparition que tu n’as pas encore vue, je crois.
   - Non, Dieu merci.
   - Eh bien ! éloignons toute pensée de trouble et d’avenir funeste qui ne pourrait que nuire à notre félicité actuelle.
   - Je me console entièrement : mais je ne comprends pas comment tu crains aujourd’hui ce que tu ne craignais pas hier ; car je ne suis pas différente aujourd’hui.
   - L’événement, ma chère, a quelquefois donné un cruel démenti aux plus grands physiciens. La nature, plus savante qu’eux, a ses règles et ses exceptions ; gardons-nous de la défier et pardonnons-nous si nous l’avons défiée hier.
   - J’aime à t’entendre parler en sage. Oui, soyons prudents, quoi qu’il m’en coûte. Allons ! te voilà coiffé comme une mère abbesse ; mais, malgré la finesse de l’enveloppe, le petit personnage me plaisait beaucoup plus tout nu. Il me semble que cette métamorphose te dégrade, toi ou moi.
   - Tu as raison, mon ange, cela nous dégrade tous deux. Mais dissimulons-nous pour le moment certaines idées spéculatives qui ne peuvent que nous faire perdre du plaisir.
   - Nous le rattraperons bientôt ; laisse-moi jouir à présent de ma raison, car je n’ai jamais jusqu’ici osé lui lâcher la bride sur cette matière. C’est l’amour qui a inventé ces petits fourreaux, mais il a dû écouter la voix de la précaution, et il me semble que cette alliance a dû l’ennuyer, car elle n’est fille que de la politique.
   - Tu me surprends par la justesse de tes aperçus ; mais, ma chère, nous philosopherons après.
   - Attends encore un moment, car je n’ai jamais vu un homme et je ne m’en suis jamais senti autant d’envie qu’à présent. Il y a dix mois que j’aurais appelé cela une invention du diable, mais actuellement je trouve que l’inventeur a dû être un homme bienveillant, car si mon vilain bossu se fût affublé d’une bourse comme celle-ci, il ne m’aurait pas exposée à perdre l’honneur et la vie. Mais dis-moi, je t’en prie, comment laisse-t-on exister en paix les tailleurs qui les font, car enfin ils doivent être connus et cent fois excommuniés ou soumis à de grosses amendes, peut- être même à des peines corporelles, s’ils sont juifs, comme je le crois. Tiens, celui qui t’a fait celui-ci t’a mal pris la mesure. Regarde, ici il est trop large, ici trop étroit ; c’est presqu’un cintre tout arqué. Quel sot ignorant de son métier ! Mais qu’est- ce que je vois !
   - Tu me fais rire. C’est ta faute. Tu es là à toucher, à caresser : voilà ce qui devait arriver. Je l’avais bien prévu.
   - Et tu n’as pas pu attendre encore un moment ? Mais tu continues. J’en suis fâchée, mon cher ami ; mais tu as raison. Oh mon Dieu ! quel dommage !
   - Le dommage n’est pas grand, console-toi.
   - Comment me consoler ? Malheureuse ! vois, il est mort. Tu ris ?
   - Oui, de ta charmante naïveté. Tu verras dans un moment que tes charmes lui rendront une nouvelle existence qu’il ne perdra plus aussi facilement.
   - C’est merveilleux ! c’est incroyable ! »
   J’ôte le fourreau et je lui en présente un autre qui lui plaît davantage, parce qu’elle le trouve plus fait à ma taille, et elle éclate de rire quand elle voit qu’elle peut l’adapter. Elle ne connaissait pas ces miracles de la nature. Son esprit, étroitement serré, était dans l’impossibilité de découvrir la vérité avant de m’avoir connu ; mais, à peine émancipé, il avait étendu ses bornes avec toute la rapidité que donnent la nature et une avide curiosité. « Mais si le bonnet vient à se déchirer par le frottement, la précaution ne devient-elle pas inutile ? » me dit-elle. Je lui expliquai la difficulté d’un pareil accident, ainsi que la matière dont les Anglais se servent pour les confectionner.

   

mardi 17 mai 2022

La dose de Wrobly : floréal 2022 EC

- Marcel Aymé.- De l'amour et des femmes.
   Germaine Mindeur, dans La Vouivre, à la manière de Rabelais : "taillée comme un cuirassier, un cent-garde, un grenadier prussien, avec une encolure néronienne et des bras de bûcheron, mais les seins lourds et durs, eclatants, qui bombaient l'étoffe de ceinture, et la croupe pareillement rebondie et toujours inspirée, elle était la dévorante, la ravageuse, la tempête, l'useuse d'hommes et la mangeuse de pucelages. A trente ans, mariée pour la quatrième fois au percepteur de Sénecières, elle l'avait réduit à l'ombre de lui-même, allant jusqu'à lui démettre l'épaule dans un orage d'effusions et déculottant les contribuables, buvant la substance et la santé d'un commis de quinze ans qu'il avait fallu envoyer au sanatorium."

- Jaroslav Hasek.- Aventures dans l'Armée rouge.
   Un hilarant et trop court récit autobiographique de l'anarchiste Hasek engagé dans l'Armée rouge en 1918. Comique de caractères, de situations, Hasek transforme des évènements violents et inquiétants par l'exposition du militarisme et de l'installation d'une idéologie inquisitoriale et totalitaire face auxquels les vies ne tiennent qu'à un fil en farce burlesque.
- Joseph Conrad.- La Folie Almayer.
   Mon troisième Conrad. J'avais adoré Typhon, moins La Flèche d'or, en 2015, même si je reconnais que c'est d'un grand romancier. Je n'ai pas non plus été transporté par celui-ci, mais indéniablement, après une exposition et une mise en place du décor et des évènements un peu touffue, Conrad sais nous plonger dans une atmosphère, surtout quand elle est glauque. Un film en a été tiré, de Chantal Akerman, que je ne connaissais pas, très élagué, les personnages les plus pittoresques en moins, ce qui le rend encore plus glauque. L'histoire est celle d'un Père Goriot raciste, commerçant colonial ruiné à Bornéo, ambitieux mais tout en fantasmes, inapte à l'action, un loser. Le roman le voit sombrer, et on a du mal à le plaindre.


   - Italo Calvino.- Le Vicomte pourfendu.
   J'ai commencé la trilogie, en 2015 également, avec le Baron perché. J'avais beaucoup aimé, et c'était les vacances, l'été, la Bretagne. Celui-ci est plus noir, plus horrifique et surnaturel, un mix entre Sleepy Hollow, docteur Jekyll et mister Hyde, mais ne laisse pas d'être savoureusement humoristique, par exemple la description de la communauté protestante, qui a plus ou moins oublié en quoi elle croit, mais qui y croit mordicus.

-
Ligue des droits de l'homme.- La Liberté de l'information.
   C'était en 1990. Internet allait apparaître et tout coloniser. Depuis, en plus des Bouygues, Lagardère, Maxwell, Bertelsmann, Hersant, Pasqua (ça ne nous rajeunit pas)..., on a les GAFAM et les NATU, Drahi, Niel, Pigasse et le facho de service Bolloré... Toujours plus de pubs. Et le n'importe naouak des réseaux sociaux, parallèles aux moyens exsangues d'informer des médias indépendants, qui ne prétendent pas être neutres (donc raccords à l'idéologie dominante), mais qui annoncent la couleur, d'où ils parlent, tout en mettant en oeuvre une déontologie élémentaire du journalisme.

Stieg Larsson.- Millenium 2 : La fille qui rêvait d'un bidon d'esence et d'une allumette.
   Lu le premier volume en 2017, c'était aussi l'été, encore les vacances, toujours la Bretagne. Que de bons souvenirs ! ça me paraît loin et perdu. Plus précisément j'ai comme l'impression que je ne retrouverai plus d'instants aussi brillants... Peut-être une illusion temporelle, l'attrait de la nostalgie, et qu'à ce moment là je n'étais finalement pas si jouasse que ça... Moi qui lis parfois des choses compliquées, un peu prise de tête, mais dans le bon sens, qui font réfléchir, ça parait simple et rapide de s'envoyer ce polar de 800 pages qui me tient tout autant en haleine que son grand frère le faisait. Et des héros qui foutent des râclées aux dominants (phallocrates, capitalisses...), en plus d'être confortable pour la conscience, ça fait du bien, ça soulage un peu du sentiment d'impuissance éprouvé dans la vraie vie, où les âmes sensibles et aspirant à une vie belle, libre et fraternelle sont d'éternels perdants. Et puis surtout, moi qui suis quand même un peu marginal dans mes goûts, et qui pour cela me sent un peu isolé dans le métro, cerné par les Marc Lévy ou autres succès de supermarchés, enfin je rejoins la communauté humaine : fils prodigue, je me reconnais en mon frère lisant Millénium sur le strapontin d'en face ! Hein ? C'était au début des années 2010 ? Aujourd'hui plus personne ne lit dans le train ou le métro ? Les téléphones intelligents ont inondé le marché depuis ? Rhô ! Zut alors, toujours un train de retard le Wrobly !

mercredi 27 avril 2022

La dose de Wrobly : germinal 2022 EC

   Que du bon ce mois-ci.

   - Jean-Patrick Manchette.- Nada.
    Je continue mon intégrale, après Laissez bronzer les cadavres, L'Affaire N'gustro, Ô dingos, ô chateaux ! (lu il y a longtemps, avant de reprendre tous les romans par ordre chronologique). J'ai vu le film de Chabrol, ça date aussi, le personnage joué par Michel Duchaussoy pétant les plombs sur son vélo m'avait fort réjoui à l'époque. Roman court, haletant, tragique, efficace.

   - Daniel Pennac.- La Petite marchande de prose.
   J'avais lu les deux premiers de la série Malaussène à la sortie de l'adolescence, et j'avais bien aimé. Je m'étais arrêté là, peut-être parce que cet opus avait été beaucoup médiatisé à l'époque, on ne se refait pas, ça me bloque ces choses-là. En fait je l'ai dévoré à grande vitesse, pourtant il est bien plus épais que le précédent. J'avais craint que ça ait vieilli, comme moi, que ça fasse trop années 80, et ça le fait, puisqu'on a une satire sociale de la figure du yuppie dont on avait voulu nous farcir jusqu'à l'os toute la décennie. Mais ça ne m'a pas gêné. Au début le côté foutraque, ostentatoirement farfelu m'a agacé, mais finalement Pennac sait tellement bien créer un suspense et tenir le lecteur par des rebondissements, certes invraisemblables, mais qui fonctionnent, que j'ai lu ça comme je me tape une tablette de chocolat au lait quand je m'autorise cette orgie.
   William Blanc / Aurore Chéry / Christophe Naudin.- Les Historiens de garde : de Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national.
   Passionnant. Le livre date déjà de 2013, mais il est tellement d'actualité, j'ai envie d'écrire presque tellement plus ! Avec toutes ces sanies pseudo historiques qui se sont épandues, aussi bien dans les médias des grands patrons fascistes que sur le service public ou internet, à tel enseigne qu'on s'est retrouvé avec l'un de ces dangereux guignols révisionnistes par images d'Epinal candidat parmi les assoiffés de la bonne soupe présidentielle... Transposé à la science on pense aussi à toute la galaxie complotiste qui nous a tellement brouillé l'écoute ces dernières années.
   Tout les livres de William Blanc semblent avoir cette qualité de démystifier, tout en instruisant et intéressant, mais sans racolage, fantasmes, marketing... avec une méthode qui reste historique, sur des sujets traditionnels de l'Histoire (Charles Martel et la bataille de Poitiers, par exemple) mais aussi sur la culture moderne à succès : super-héros, heroic fantasy...
Du même auteur, à lire avec une jeune flibustière ou un pirate en herbe. Un résumé de tous les travaux historiques sur le sujet mis à la portée des enfants. Superbement illustré.

   - Cartouche, Mandrin et cie.
   Toi qui espère une histoire, qu'elle soit sous forme d'image d'Epinal à vocation panégyriste ou scientifiquement documentée, des bandits sociaux, au grand cœur, bien aimés, tragiques... détourne-toi de la lecture de cette brochure ! Cartouche, Mandrin, etc., pour l'auteur, sont ici des métaphores des capitalistes. L'essayiste nous explique, de manière critique et dans une optique révolutionnaire, ce qu'est le capitalisme (l'ouvrage est d'ailleurs sur-titré Étude sur les causes de la misère). Un Das Kapital en 11 pages, quoi... Le théoricien en profite pour dézinguer les copains (enfin, réfuter leurs options), notamment un de nos grands anciens, Emile Pouget, ouaip ! celui du Père Peinard et de la CGT syndicaliste révolutionnaire d'avant 14, pour qui la postérité semble avoir été plus clémente que pour ce Fromentin que je ne connaissais en tout cas pas. Comme l'ouvrage a un peu vieilli (1909), je ne relaterai pas les désaccords théoriques, qui me semblent un peu abscons.
   

lundi 21 mars 2022

La dose de Wrobly : ventôse 2022 EC


   Je ne sais pas ce qu'il leur a pris à ces potes-là, ils ont été deux à vouloir me prêter un livre ce mois-ci. Deux copains de l'aïkido. Et comme la politique de la Plèbe est de ne jamais refuser un livre prêté, et de le lire, que par ailleurs prendre connaissance des productions de l'ennemi peut aider à le combattre, ou à reconnaître le biais par lequel il tente d'endormir le populo par sa propagande lénifiante, ou au contraire de le galvaniser par son idéologie incitatrice à la haine du bouc émissaire, ou plus simplement et plaisamment peut permettre de rigoler un bon coup (ce n'est pas toujours le cas, parfois les grincements de dents sont majoritaires, d'où le côté héroïque de l'exercice), eh bien voilà, ce mois-ci deux livres qui n'auraient en temps normal rien eu à faire ici figurent dans notre : un roman d'un écrivain d'extrême droite (du moins l'ai-je entendu dire), et une plaidoirie de l'avocat (mais aussi l'"ami" et le "frère" dans le deuxième cas) d'une chambre de compensation, d'un patron de presse despotique, agressif et nul, de DSK..., ne dédaignant pas (l'avocat en question) de s'auto-proclamer chantre de la liberté d'expression, tout en tentant de faire taire par divers moyens (mise à la rue sans revenu, procès, calomnies infamantes...) ceux qui émettent des critiques à son encontre ou à celles de ses affidés, ou qui émettent des avis différant du sien.

- René Barjavel.- La Nuit des temps.
   Je n'avais jamais rien lu de cet auteur. Et dans ma tête il était d'extrême droite, je ne sais plus où j'ai entendu ça. Je n'en sais pas plus sur le sujet. Ça ne se voit pas en lisant le roman, qui critique les nationalismes et impérialismes, le militarisme, le capitalisme, quoique, mais est-ce que c'est le sentiment de l'auteur ou simplement un symptôme du monde décrit dans la fiction, les Blancs, les Noirs, les Gris, les Jaunes sont tous bien différenciés et dessinent les différents camps internationaux, très guerre des civilisations.
   Si le roman commence plutôt bien, avec un bon suspense et de l'étrange (un signal émis sous 900 mètres de glace en Antarctique détecté par une équipe scientifique...), je suis finalement resté avec un goût de roman de gare. C'est une histoire d'amour guimauve et convenue entre deux êtres parfaits, qui ne nous épargne même pas l'exercice de style des scènes érotiques plutôt lourdingues tant elles se veulent esthétisantes et littéraires, dans une dystopie très décrite mais super froide. Bof, bof... 


- Richard Malka.- Le Droit d'emmerder Dieu.
   On est d'accord, à la Plèbe on est contre les fanatiques assassins, et contre les pouvoirs religieux oppresseurs. Mais on n'a rien contre les musulmans, et de quel droit on aurait quelque chose contre ? Mes voisins, mes collègues, la nounou de mon fils, mon ex-femme, mes copains d'aïkido, d'immenses artistes sont musulmans, ce sont des hommes et des femmes, ils ont le droit d'être là, aussi bien que les catholiques, les bouddhistes, les athées, les radicaux, ou les avocats d'affaires. D'ailleurs Malka le dit lui-même, et on est content de le lire malgré tout : "Les croyances ne peuvent jamais exiger le respect. Seuls les hommes y ont droit." Et on est des blasphémateurs quand ça nous prend, mais sans ambiguïté. Je feuilletais dernièrement le Siné mensuel de septembre 2021, les caricatures d'islamistes, de talibans, y sont légion, mais à aucun moment je n'ai l'impression qu'on crache à la gueule de la femme portant mantille qui fait le ménage dans les bureaux de mon tapin républicain tôt le matin.
   Donc les ennemis de nos ennemis (les fanatiques et autoritaires religieux - ou pas -) ne sont pas forcément nos amis, loin de là. N'oublions pas que cet auto-proclamé héraut de la liberté d'expression a voulu la peau (au sens figuré) de Denis Robert, quand celui-ci enquêtait à charge sur la chambre de compensation (banque des banques, lieu de tous les blanchiments, y compris d'armes de guerre ?) qu'il servait et sert peut-être toujours, Clearstream. Rappelons-nous également qu'il a essayé de faire taire Siné, quand celui-ci a été viré sans indemnité par le sinistre Philippe Val, celui qui s'est servi de l'ascenseur du comique troupier gauchiste pour parvenir à la notabilité médiatico-medefo-sarkozyste, non sans s'être entre temps approprié le titre Charlie Hebdo, dénaturant totalement les excellents journaux francs-déconneurs des années 60 et 70, Hara-kiri et l'homonyme, pour produire dès 1992 une tribune centriste de préchi-précha pour ses sermons et anathèmes et qui ne cessa de se conformer à l'ordre républicain bourgeois, le tout arrosé des dessins les plus vendeurs possibles, donc censés le plus choquer, sans beauté, ni intelligence, ni cœur, ni sincérité. Le pire est que Malka essaye de nous faire avaler la continuité de projet et de ton, de génie entre le C.H. des 70's et celui des 90's et suite. Quelle blague ! Certes ils ont réembauché au rabais quelques anciens, pour la caution, abusant de la confiance de personnes âgées. Cavanna est mort dans la pauvreté, rien ne lui a été laissé de la part du gâteau devenu bien gras. Je me souviens d'une garde à vue aux stups dans les 90's quai des Orfèvres, je m'étais fait une fois de plus gauler achetant une barrette dans la rue, pas doué le jeune homme. Les condés m'avaient laissé garder le journal que j'avais ce jour-là, c'était Charlie, que j'essayais encore de lire à l'époque en hommage aux grands anciens. Quelle nullité ! Aucun de ces dessins ne me faisait rire, en rien cela n'a adoucit ces quelques heures nocturnes passés derrière le plexiglas. Il avait circulé parmi les autres toxicos mes confrères, franchement, la double peine.
   Enfin d'après Malka, les responsables de la tuerie dégueulasse en question, ce sont ceux qui luttent contre l'islamophobie. Des munichois (même la LDH !). Pour lui, le racisme anti-musulman n'existe pas. Une égalité totale règne dans la loi, pour tous. Il fait semblant de ne pas savoir que la loi est une chose, la réalité en est une autre, et que les lois contre le séparatisme et autres joyeusetés ne sont pas neutres, même si elles prennent hypocritement la forme de la neutralité. Pas d'islamophobie en France, alors que Zemmour, Le Pen, Pécresse et bien d'autres ne font quasiment leurs campagnes que sur et contre les musulmans.

   Une des seule chose intéressante de ce petit livre, est le résumé des étapes de l'affaire des caricatures depuis le début en Hollande puis au Danemark, avec cette manipulation faite par des imams des Frères musulmans pour créer un scandale autour de quelques caricatures anodines qui n'avaient suscité aucune réaction, avant que ces religieux n'y rajoutent des caricatures issues d'un site hystérique de suprématistes blancs américains, avec sodomie par chien, pédophile, etc. Intéressant aussi quand il évoque le danger des religions, selon ce que les hommes en font, comme la drogue peut-être dangereuse selon que le consommateur ait un terrain dépendant ou pas. Il évoque ainsi la Saint Barthélémy, 3 000 morts à Paris, 30 000 en France, et des guerres religieuses de diverses obédiences.
   Quelques évocations de Richard Malka ici et ici.

- Agatha Christie.- Les Enquêtes d'Hercule Poirot.
   Détente pure, plaisir de gosse, je continue l'intégrale. Ce sont des nouvelles, pas ce que je préfère, loin de là, l'ambiance si particulière de l'aristocratie british n'a pas le temps de s'installer, non plus que la tension liée au besoin de savoir et à ce sadique jeu avec nos nerfs auquel s'adonnent l'écrivaine anglaise et le petit détective belge. Mais il faut quand même un sacré talent pour construire, comme ça, une intrigue, un suspense, une mini enquête et une explication lumineuse en quelques pages.

- Walter Benjamin.- Rastelli raconte... et autres récits.
   Une très bonne surprise en cette période de rage de dents et mère qui commence à partir en sucette. Benjamin, plutôt quand même un peu philosophe ésotérique, je le lis, certaines phrases ou paragraphes plusieurs fois de suite, avec les sourcils froncés et cette anxiété qui ne me quitte pas quand j'ai la sensation de ne pas tout comprendre. Ici on a un réjouissant recueil de nouvelles, comme je les aime, qui surprennent (surtout quand on s'attend à des thèses, comme la préface nous y prépare), sont courtes et concises, et apportent un léger suspense, parfois non totalement résolu à la fin, mais sans frustration, tant le plaisir d'avoir été happé par de si courtes et magnifiquement écrites histoires compense ce que peut avoir d'inconfortable les quelques interrogations métaphysiques qu'elles suscitent. Par exemple, celle où un voyageur allemand à Marseille prend du haschisch dans sa chambre d'hôtel, et se tape un tel trip, raide de chez raide, qu'il rate une opération boursière qui l'aurait rendu millionnaire. La description des effets du shit est tellement vraie, elle m'a tellement renvoyé à mes jeunes années quand j'en étais adepte, un peu comme celle des Paradis artificiels de Baudelaire, mais en moins pontifiant, que les amateurs passés ou toujours pratiquants ne manqueront pas d'en rire comme je l'ai fait. Les autres nouvelles sont savoureuses aussi, entre Maupassant, en moins fou, Stefan Zweig, en moins triste, Dino Buzzati... On y parle d'Ibiza avant Blanquer. Saviez-vous que les habitants des Baléares étaient considérés comme des frondeurs par les chefs des légions romaines, et que balea en latin signifie fronde ?

lundi 21 février 2022

La dose de Wrobly : pluviôse 2022 EC

Ce mois-ci deux réactionnaires, mais qui écrivent bien, et des révolutionnaires, qui n'écrivent pas mal non plus.

- Saint-Simon.- Relation du procès intenté pour la préséance par M. le maréchal-duc de Luxembourg, pair de France, contre seize ducs et pairs de France ses anciens, faite par l'un de ses anciens.
   Un premier jet du récit de ce procès (1693-1694) dont on avait déjà pris connaissance dans notre dose de frimaire 2021 EC (cliquer aussi sur Saint-Simon Louis de Rouvroy de dans l'index), quand nous lisions le tome 1 des Mémoires de l'auteur. Il y a quelque chose de comique dans ce grand branlebas chez ces seize ducs et pairs, après les princes du sang "les plus relevés de l'Etat en dignité, en naissance, en alliances, en charges, en biens, en estime et en crédit", menacés de reculer d'un cran dans leur assiduité au petit caca du roi (je caricature, ce n'est peut-être pas au petit caca que cette préséance aurait pu s'appliquer, mais dans d'autres cérémonies tout aussi importantes) par un parvenu par les champs de batailles, arriviste férocement déterminé à leur passer devant en pervertissant les règles d'affectation des titres de noblesse, grâce notamment à son réseau de copains au Parlement (le tribunal de l'époque), et au prestige que lui apporta trois victoires, qui furent aussi des massacres dans son propre camp comme se plait à le prétendre Saint-Simon, dans les Flandres. Pour justifier sa prétention de sauter du 18ème rang de pair de France au deuxième, ce M. de Luxembourg se prévalait d'avoir épousé la fille de deuxième noce (sachant que la première noce avait généré un fils mais comme par hasard déclaré fou et sorti du jeu pour cette raison), de la fille, du fils de François de Luxembourg, en faveur duquel fut érigé en duché en 1576, et en pairie en 1581, Piney, par Henri III, roi de France (et de Pologne). A la décharge de l'amiral, aucun détour par les soubrettes n'a contribué à cette limpide généalogie.
    Les déconvenues de ces seize ducs et pairs, leurs délibérations, leurs stratagèmes, leurs paniques, leurs espoirs et finalement, toujours, leur défaite, vécue différemment par des personnalités très constrastées, auraient pu donner une hilarante comédie de caractères il me semble, avec des acteurs comme Philippe Noiret, Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle, et et un genre de Louis de Funès jeune survolté dans le rôle de Saint-Simon (il a 20 ans au moment du procès), le plus excité, hargneux, voir haineux de tous. Il y aurait le mou, le traître, le dilettante, le pontifiant inutile, le vieux sage bafoué... Et il faudrait un Luxembourg, très calme, posé, regardant cette bande de perdants avec étonnement et presque commisération, je ne sais pas, un Lino Ventura, même si Luxembourg n'est évidemment pas sympathique. Quant aux gens de justice, sauf exception ils sont présentés comme un sacré ramassis de corrompus, de connivents, qui font finalement ce qu'ils veulent au mépris du droit qu'ils sont censés incarner. Il faudrait un belle galerie de méchants sournois de seconds rôles pour les incarner. Ce sont finalement eux qui prendront de plus en plus de pouvoir, pour finir par gouverner cent ans plus tard, au service de la bourgeoisie vainqueure.
C'est dingue, je lis du Saint-Simon pour me sortir de ce siècle, pour me changer les idées, et j'ai l'impression de me retrouver en République.

- Baudelaire.- Nouvelles lettres.
   Quand y en a plus, y en a encore. Voir nos doses de nivôse 2021-2022 EC, frimaire 2019 EC, et plus généralement Baudelaire dans l'index. Cavalerie des traites (stratagème auquel je n'ai toujours rien compris pour se refiler les dettes de copains en copains afin de ne les point payer, ou plus tard...), épreuves à corriger, directeurs de revues à houspiller, ministères à solliciter, éditeurs à qui se brader, ami à trahir, personnes désirant changer la vie à dénigrer, Belges et Lyonnais à détester, peinture et littérature à critiquer (pour le meilleur comme pour le pire), promesses à faire à sa mère et protestation d'affection, plaintes, souffrance, maladie, hargne, colère... la correspondance de Baudelaire.


- Comité invisible.- A nos amis.
   J'ai découvert par hasard ce petit pamphlet qui me semble ma foi fort bien écrit, et dont les vues sont frappées au coin du bon sens et de la clairvoyance. Pour moi qui ai toujours quelques dizaines de longueurs de retard dans ma prise de connaissance du monde comme il va, qui reste pas mal coincé dans les XVIIème, XVIIIème et XIXème siècle dans mes lectures, cela fait du bien d'être pour une fois à la pointe de l'actualité de la critique en même temps qu'au summum de la critique de l'actualité.
   Mais je déconne ! Evidemment que tout le monde connait l'illustre Comité invisible. Il s'agit ici du tome 2 de sa saga. J'avais lu avec délectation et émerveillement le tome 1, et je viens de commander le 3 à la Fabrique. J'adore. C'est beau comme du Tiqqun qu'on comprendrait presque (restons modeste) intégralement. Cet opus a évidemment pris 8 ans dans les dents, ça a déjà vieilli, vous vous souvenez, vous, des mouvements des places, et de la montée de sève et d'espoir qu'ils ont provoqué chez les sympathisants révolutionnaires ? Et les insurrections arabes ? Tout ça a été balayé. Depuis, tant de merde est advenue (assassinats collectifs par des fanatiques religieux, dictatures venant remplacer les dictatures, montée et accès au pouvoir du fascisme dans le monde entier, catastrophe écologique exponentielle en roue libre, pandémie, répression perdant toute limite dans les démocraties, son lot de mutilation, d'enfermements politiques à peine voilés par le discours du droit, droit obsolète dans la gestion technocratique du vivant qui devient la norme, et toujours les mêmes riches toujours plus riches...) mais aussi tant d'inattendues irruptions d'anciennes ou de nouvelles formes de luttes (contre la loi "Travaille !", contre la réforme des retraites, gilets jaunes, classe toujours en lutte dans le monde...). Mais tout cela sera peut-être mis en perspective dans Maintenant... Quoique celui-ci date déjà de 2017... Quand il vous dit qu'il a toujours dix longueurs de retard le Wroblewski !


 

jeudi 20 janvier 2022

La dose de Wrobly : nivôse 2021-2022 EC

- Danièle Pistone.- Histoire de la musique en France de 1789 à 1900.

Musicienne jouant du qanon et danseuse, image de Musique et instruments de musique du Maghreb.

"De la fondation à 1900 se succédèrent à la tête de l'établissement (le Conservatoire - note du blogueur) : [...]
      - D.F.E. Auber, de 1842 à 1871
      - Salvador Daniel, sous la Commune (6)
      - Ambroise Thomas, de 1871 à 1896 [...]
(6) A la mort d'Auber, il se plaça lui-même à la tête de l'établissement ; mais il fut tué quelque quinze jours plus tard."

   On n'en saura pas plus sur la mort de cet honorable monsieur... On apprendra par contre ceci sur ses centres d'intérêts et ce qu'il apporta à la musique en France :
"Dans les gazettes, les articles la concernant (la musique arabe - note du blogueur) sont toutefois plus rares que ceux relatifs à la musique extrême-orientale [...] ; mais les Expositions Universelles contribuèrent à faire connaître les mélodies arabes et S. Daniel (24) par exemple, venant d'Alger, avait fait découvrir à plusieurs reprises aux Parisiens (25) de semblables concerts. D'authentiques instruments furent présentés à nos compatriotes (26).

(24) Celui-là même qui devait se placer à la direction du Conservatoire pendant la Commune [...].
(25) Voir, entre autres, son article dans Le Ménestrel du 27 janvier 1867, pp. 65-67 et son concert de musique arabe au Palais Pompéien en 1866 (ibid. du 8 juillet 1866).
(26) Voir Le Ménestrel XXX, 1863, pp.353-354, pour la description de ce spectacle."

   C'est peu, mais ce livre a au moins le mérite d'évoquer Francisco Salvador Daniel. L'histoire officielle du Conservatoire de Paris, elle, n'en a pas fait autant : elle fait succéder Ambroise Thomas à Auber. C'est ce qu'on apprend en tout cas dans ce passionnant article du splendide blog La Commune de Paris (voir aussi ci-contre), qui nous raconte toute l'histoire de cet attachant musicien communard.

Zohra de Francisco Salvador Daniel.


- Michel Bakounine.- Michel Bakounine et l'Italie : 1871-1872.
   Troisième emprunt de ce livre d'archives du Russe internationaliste, j'espère le finir cette fois-ci. L'occasion de rappeler quelque banalités malheureusement pas superflues dans notre actualité libéralo-fasciste :
"[...] la noble passion de la liberté. Et la liberté, quoi qu'en dise Mazzini et avec lui tous les idéalistes - qui, naturellement, ne comprennent rien à ce mot et qui, lorsque la chose se présente à eux, la détestent - la liberté, par sa nature même, ne peut être seulement individuelle - une telle liberté s'appelle privilège - la liberté vraie, humaine, complète d'un seul homme implique l'émancipation de tout le monde, parce que, grâce à cette loi de solidarité qui est la base naturelle de la société, je ne puis être réellement libre, me sentir et me savoir libre, si je ne suis pas entouré d'hommes également libres, et l'esclavage du dernier d'entre eux est mon esclavage."


- Molière.- Les Fourberies de Scapin.
   Il y a une semaine Jean-Baptiste aurait eu 400 ans. Et cela personne n'en parle. Le boycott médiatique de l'auteur du Malade imaginaire n'est-il pas la preuve la plus symptomatique du grand complot des élites et de son non moins gigantesque reset pharmaceutique ? Je laisse votre esprit critique méditer cette question. Ou bien, comme le mien, se taper une bonne farce avec de francs fourbes dedans pour fêter ça.

- Jean-Patrick Manchette.- L'Affaire N'gustro.
   Qu'il est bon quand, comme moi, on a boycotté depuis l'adolescence tous les appareils idéologiques d'Etat (sauf quelques rares émissions de réel service public à la radio) et capitalistes, tous ces nauséeux médias bourgeois, pour rester pur, se préserver de toute leur pub, propagande et lénifiante entreprise d'abêtissement, et qu'on se retrouve dans telle activité à attendre son fils et que deux personnes vous entreprennent avec passion du dernier Houellebecq, dernier produit d'appel de l'industrie littéraire à la mode dont je n'ai que foutre et dont je ne souhaitais pas dans ma vie simple ententre parler, quel bonheur, donc, de n'avoir jusqu'à présent pas été complètement branché non plus, d'avoir plutôt fôlatré dans ses découvertes artistiques, poétiques, littéraires, philosophiques... plutôt que de s'être précipité le plus vite possible sur ce qu'il fallait avoir lu dans les milieux avancés auxquels je me flatte malgré tout d'appartenir, quoi qu'il m'en coûte, quel plaisir, donc de se retrouver la cinquantaine bien sonnée avec tout plein de Manchette à découvrir ! J'en suis donc à mon troisième : L'Affaire N'Gustro, après Ô dingos, ô châteaux ! et Laissez bronzer les cadavres ! Je ne vous en dis naturellement pas plus, pas mon genre de divulgâcher, et je retourne bicher avec mon petit chef-d’œuvre de vrai glauque, rien à voir avec les 700 pages du m'as-tu-vu bouffon courtisan catholique ci-dessus et bien à contre cœur-évoqué...

mardi 28 décembre 2021

La dose de Wrobly : frimaire 2021 EC


- John le Carré.- L'Espion qui venait du froid.
    Chef-d’œuvre absolu, même si démodé vu qu'il n'y a plus de guerre froide ni d'antagonisme entre les deux grandes formes de capitalisme se partageant le monde dans les 60's, ce roman, son auteur, le film, que je n'ai pas vu, l'époque et le segment de l'Histoire qui la caractérise, Berlin, est et ouest, la bibliothèque de mon père, ce poivrot au regard si fou qui, en ce temps là, ayant sans permis conduit bourré et tenté de passer à l'est dans la capitale prussienne où il étudiait l'allemand, s'était fait mettre au trou par les Vopos puis proposer de bosser pour eux comme barbouze, ce qui à l'époque était un sport municipal de masse dans la ville, cette "Taupe", puisée dans cette dite bibliothèque, que j'avais lue, ado, sans y rien comprendre, tant les galanteries d'espions qui y sont exposées y sont emmêlées, ce qui m'avait bien frustré et décidé à une revanche ultérieure, bref, tout dans et autour de cette œuvre contribue pour moi à la nimber d'une attractive et merveilleuse... aura. Luminescente, blanchâtre et brouillée comme les lampes à arcs une nuit de pluie dans les quartiers de Berlin est, près du mur.



- William Blake.- Chants d'innocence / Le Mariage du Ciel et de l'Enfer / Chants d'Expérience.
   "Le 7 novembre 1938 mourait Colette Peignot, aujourd'hui connue sous le nom de Laure, qui depuis quelque temps partageait la vie de Georges Bataille. Marcel Moré, ami de l'une et l'autre, assista à la mise en bière, et dans un texte publié en 1964 par les Cahiers des Saisons il rapporte ceci : "Je vois encore la chambre : au milieu, le cercueil ; dans un coin, les deux femmes voilées de crêpe ; dans le coin opposé, Bataille et ses amis, dans des vêtements clairs et avec des cravates roses et bleu ciel. Le silence n'était rompu que par le bruit fait par les employés des pompes funèbres. Au moment où ils allaient fermer la bière, Bataille fit quelques pas en avant et déposa sur le corps de la morte Le Mariage du Ciel et de l'Enfer, dont il avait arraché les pages au numéro de la NRF.""
[...]
"Lorsqu'éclate la révolution en France, elle réveille en lui l'enthousiasme qu'avait suscité la révolution américaine, et il tient à manifester publiquement sa haine des rois, des lois et de la servitude en se coiffant du bonnet rouge. Un personnage singulier se dessine, visionnaire, anti-religieux, profondément libertaire, aussi violent dans sa détestation des puissants que doux dans son amour des humbles, des innocents, des simples."

La découverte de William Blake est pour moi comme celle d'une nouvelle pièce dans la grande pyramide : incroyable, du mythe en barre !

vendredi 19 novembre 2021

La dose de Wrobly : brumaire 2021 EC


   Bon, Wroblewski a pu lire un peu plus ce mois-ci. La cause en est qu'il s'est fait voler son sac à dos à Ménilmuche pendant qu'il soufflait dans son trombone lors d'un petit concert à un mini salon de la presse alternative devant une librairie. Dedans il y avait la masse sur l'art japonais qu'il déchiffre péniblement depuis des mois. Il l'avait presque terminé, il en était aux annexes, plus précisément à la liste des musées des quatre grandes îles et peut-être des plus petites. Mais le renard, qui devait en avoir besoin, être à des sortes d'abois, ayant profité de l'attroupement joyeux autour des souffleurs et des frappeurs, a fait disparaître ce volume qui a pris pas mal de temps et d'efforts de concentration à Wrobly, certes, mais qui lui a aussi procuré curiosité et instruction. Le voleur a un peu accéléré les chose. Heureusement c'était l'automne et ses températures plus basses, toutes les laisses portatives du monde moderne, papiers, cartes et passes, fric, clés, étaient dans les poches du blouson du musico du dimanche, et pas dans son sac, comme en été qu'il se balade en tee shirt. Mais il y perdit un K-Way, le bouquin en question, un agenda, et, un peu plus chiant, ses lunettes. Depuis il fait avec des anciennes, et a pris rendes-vous chez l'ophtalmo pour début déccembre. Ca ne l'a pas empêché de bouffer du papier imprimé relié.

- Nanni Balestrini.- Black out.
"le pouvoir d'un côté et les jeunes de l'autre

ce trouble-fête de 1968 n'en finira jamais

tout le monde a essayé de récupérer les jeunes
[...]
tout ce qui en 1968 était encore latent ou indéterminé s'est maintenant radicalisé

sa cohérence révolutionnaire dont on voudrait se débarasser pour rêver en paix
[...]
Fiat craint leur haine pour l'usine
[...]
ce sont surtout les contremaîtres qui sentent sur leur peau leur mépris
[...]
ces jeunes arrivent d'une autre planète a-t-il commenté

pour travailler ils travaillent mais dès que la sirène sonne ils détalent comme des lièvres s'ils peuvent ils se mettent en maladie
ils garaient des camions de location devant le magasin et chargeaient calmement des divans-lits des armoires des frigos des téléviseurs
[...]
qui veut des téléviseurs a crié quelqu'un en découvrant un stock à la lumière faiblarde des bougies ici en haut il y a des guitares et des saxos annonce un autre
[...]
une femme m'a téléphoné pour me dire ils passent dans Bushwick avenue on dirait des buffles

une jeune femme qui s'était présentée sous le nom d'Afreeka Omfrees a dit vraiment c'est quelque chose de merveilleux tout le monde est rassemblé dans les rues il y a une atmosphère de party

une femme de cinquante ans son panier à provision au bras entre dans le magasin en disant aujourd'hui on fait son marché gratis
[...]
un jeune homme deux saxos sous le bras m'a arrêté et m'a dit il y a cinq ans à Brooklyn j'ai été obligé de mettre en gage mon sax et maintenant je vais me remettre à jouer encore"

- Choderlos de Laclos.- Critique littéraire.
   Ah ! les Lumières ! Dommage que ça se soit fini en eau de boudin, c'était quand même un très bon esprit !
   "Les amis de la liberté et de l'égalité apprendront ici avec plaisir que La Pérouse avait, dès 1786, les idées libérales qui n'ont été proclamées ouvertement en France qu'en 1789. Le passage suivant en fournit une preuve frappante : "Quoique les Français, dit-il, fussent les premiers qui, dans ces derniers temps, eussent abordé sur l'île de Mowée, je ne crus pas devoir en prendre possession au nom du roi. Les usages des Européens sont à cet égard complètement ridicules. Les philosophes doivent gémir sans doute, de voir que des hommes, par cela seul qu'ils ont des canons et des baïonnettes, comptent pour rien 60 000 de leurs semblables ; que, sans respect pour leurs droits les plus sacrés, ils regardent comme un objet de conquête une terre que ses habitants ont arrosée de leur sueur et qui, depuis des siècles, sert de tombeau à leurs ancêtres. Ces peuples ont heureusement été connus à une époque où la religion ne servait plus de prétexte à la violence et à la cupidité.""

   Si ils savaient !...

- Sébastien Navarro.- Péage sud.
   Une des plus insolites révolutions sémantiques du XXIème siècle débutant : le jaune, de mouchard patronal, de traître à sa classe, est passé émeutier déter', insurgé rentre-dedans, plèbe à bout bouillant spontanément !

   "- Je travaille de 6 heures du matin à minuit pour un salaire de 1000 balles. J'ai le dos cassé. J'en peux plus. Le matin, je dois être au poste à 5h55. Dès que ça sonne, je dois m'activer. Pas de temps mort. Des heures à transporter des palettes. S'il manque un ou deux mecs, le patron s'en bat les couilles. C'est à moi de boucher les trous. Pour le même salaire évidemment. Je cours partout. Pour le patron c'est tout bénéf. D'ailleurs il a rejoint les foulards rouges*. Mais moi c'est décidé, je le plaque. J'arrête. Je me fous au chômage.

   Au rond point, il n'y a que trois clampins. Dont JP, le gendarme retraité. Je lui parle du texto reçu. Paraît que ça se corse. JP nous affranchit : il y a une AG sur le parking du Lidl. On peut dire que les gilets ont le chic pour trouver les endroits les plus sexy où se réunir : après les ronds-points gazolés, les parkings de supermarché low-cost."

* Ephémère mouvement pro-Macaron.
- Marcel Aymé.- Confidences et propos littéraires.
   "Au fond de notre coeur, nous nous refusons instinctivement à admettre que l'un de nous puisse être jugé par ses semblables revêtus de toges et de peaux de lapin.
   Nous ne croyons ni à leur infaillibilité, ni au pouvoir dont ils sont investis par la société de faire jaillir une vérité même incertaine et tremblotante, et nous avons besoin de faire appel à notre raison pour reconnaître la nécessité des tribunaux dont les sentences, rendues avec majesté, ne sont à tout prendre que des opérations de police du deuxième degré. Du reste, l'expérience confirme souvent, trop souvent, le bien fondé des avertissements que nous prodigue notre instinct.
   [...] on n'a vu aucun procureur, aucun président de cour d'assises confesser publiquement qu'ils avaient sur des données entièrement fausses expédié des innocents au bagne et à la guillotine. A combien s'est-il élevé le nombre de leurs victimes ? Encore ces serviteurs de la justice étaient-ils de bonne foi.
   Mais que dire des juges de la Libération qui condamnèrent par timidité, par veulerie, pour ne pas entrer en conflit avec le nouveau pouvoir ? Il est rare que l'histoire ratifie les condamnations prononcées contre des prévenus politiques. Qui donc, de nos jours, peut songer sans écœurement à la férocité des conseils de guerre de 1871 ?
   Cela dit et considéré, il faut convenir que la peine de mort est une périlleuse aventure pour la justice dont elle compromet sérieusement la majesté sinon l'exercice. Faut-il ajouter qu'elle est encore plus périlleuse pour ceux qui en sont les victimes ?
   L'innocent expédié au bagne peut encore espérer une réparation, mais celui qui meurt sous le couperet ou sous les balles du peloton d'exécution n'a plus à compter que sur le tribunal du jugement dernier. On comprend d'ailleurs mal pourquoi, en France, le mépris public demeure attaché à la profession de bourreau alors que la carrière d'un magistrat ayant obtenu la mort de ses semblables se poursuit dans les honneurs.
   S'il est vrai que le second serve la société, le premier en peut dire autant. Pour ma part je trouve indécent et révoltant qu'un monsieur puisse, le cul sur un fauteuil et sans courir le moindre risque, réclamer avec des effets de manche la mort d'un homme, coupable ou non."
Arts, 25 mars 1959.

- Serge Truffaut.- Les Résistants du jazz.
   Un très beau livre, superbement illustré, et instructif, puisqu'il nous permet de mieux connaître, ou de découvrir, des "mi-moyens" du jazz américain, qui sont aussi de somptueux musicos, dont la biographie est retracée avec une verve parfois polémique, en lien avec le contexte social, géographique, culturel, historique... de leur apparition, du chemin qu'ils ont tracé, de l'héritage qu'ils on laissé : Red Garland, Charlie Rouse, Lee Morgan, Julius Hemphill, Horace Silver, Gerry Mulligan, Mal Waldron, Jackie McLean, Lester Bowie, Johnny Hodges, Hampton Hawes, Dinah Washington, Paul Desmond, Duke Jordan, Sun Ra, Johnny Griffin, Art Blakey, Eddie "Lockjaw" Davis, Gil Evans, Ray Bryant, Don Cherry, Booker Ervin, Donald Byrd, Mary Lou Williams, Rahsaan Roland Kirk, Stanley Turrentine, Shelly Manne, Ben Webster, Zoot Sims, Randy Weston, Buck Clayton, Horace Parlan, Hank Mobley, Roswell Rudd, Max Roach, Art Pepper, Dr John, Cannonball Adderley, Elvin Jones. Quatre pépinières de jazz sont également décrites dans leurs différents apports à la grande fructification de cette musique libertaire, free jazz ou pas : Detroit, Kansas City,...

Comme y a 37 mecs pour 2 nanas, on discrimine positivement.

   "De leur vivant, Billie Holiday, Ella Fitzgerald et Sarah Vaughan furent célèbres et le demeurent. Dinah Washington, elle, fut populaire et le reste. Dans les ghettos, dans les lieux où les intonations du blues doivent être claires, nettes, que ce soit dans le jazz, le rhythm and blues et autres genres ou sous-genres.
[...]
   Tout au long des années 50, elle va aligner des hits : I Won't Cry Anymore, Come Rain Or Come Shine, Am I Blue ?, My Heart Cries For You, Cry Me A River, All Of Me, Make The Man Love Me et une floppée d'autres titres. Certains ont été arrangés et orchestrés par Quincy Jones. D'autres ont été réalisés en compagnie des poids lourds du bebop comme Max Roach, Clifford Brown Richie Powell et consorts quand elle n'était pas invitée par Count Basie et Duke Ellington.
   Mais voilà, sa gourmandise vocale devait lui jouer un sale tour de la fin des années 1950 à son décès le 14 décembre 1963. Elle fit de la pop, du sirop, du très sirupeux. Elle a enregistré une quantité de pièces noyées par des dizaines de cordes. Non seulement ça, elle fera même du Hank Williams. Tout ça sans jamais, il faut le souligner, gommer les accents du blues.
   Reste que cette déviation vers des genres jugés trop populaires, donc trop vulgaires, par les critiques "branchés" de l'époque devait lui valoir un chapelet de réactions toues formulées à l'enseigne du mépris. on précisera même : le mépris de classe."

- Lawrence Block.- Drôles de coups de canifs.
   Entre deux réunions des AA, Scudder se fait pote avec un boucher (c'est une métaphore, et un surnom), et démasque le tueur gentrifieur, dans un New York ou la spéculation immobilière interdit désormais et de plus en plus aux pauvres la possibilité de se loger. On se croirait à Paris.