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mercredi 16 novembre 2016

La dose de Wrobly, brumaire 2016 ère commune

 Il n'y a absolument aucun chinois adepte de kung-fu dans le roman de Chandler.

   - Raymond Chandler.- Fais pas ta rosière !
   Je poursuis ma série des Marlowe, et celui-ci est de la bombe ! La Dame du lac m’avait un peu déçu, les histoires de sosies, où de gens grimés qui se font passer pour d'autres, ça me paraît trop simple, téléphoné et tiré par les cheveux. Quand on a vu Vertigo, difficile d'être satisfait quand le procédé est plus convenu et grossier. Ca m’a fait le même coup avec une autre "Dame", celle en noir, et son parfum, ça m’a gâché un peu le plaisir, (attention si vous n'avez pas lu le roman de Gaston Leroux, ne finissez pas cette phrase, elle est divulgâcheuse) Larsan se faisant passer pour le jeune marié dans l'intimité du couple, c’est pas crédible. Quoique, le coup du sosie dans Monsieur Ripley d’Highsmith est très bien amené, et plausible.
   Mais de toute façon, ce que je préfère dans Marlowe, ce sont ses réparties, leur inventivité, leur humour, leur art de chambrer gentiment mais sûrement. Et puis ses métaphores, toujours inattendues, originales, drôles ou poétiques. L’incontournable scène glauque-onirique sous stupéfiant ou après choc d'objet contondant aussi. Enfin ses coups de théatre en rafale en toute fin de roman, même si on a du mal à suivre. J’aime vraiment bien Chandler.

 Cette scène n'est pas dans le livre non plus. Plutôt qu'un Marlowe, ce film semble un nanar low.

   - Liza Cody.- Sans la tête.
   - Celui-ci non plus, je ne sais pas ce qu’il faisait dans ma bibli (voir ma dose de vendémiaire). Inconnue au bataillon, la Cody. Du diable si je me souviens qui me l’a offert, ou bien si je l’ai trouvé quelque part. En tout cas c’est bof ! bof ! Ca se veut truculent, haut en couleur, grossier, avec une héroïne caricaturale catcheuse vindicative. Dommage, pour une fois que c’est une femme qui mène la danse, mais dans le genre enflure, j’en viens à regretter le Béru de mon enfance, au moins avec lui j'étais assailli de hoquets convulsifs d'hilarité à ne plus pouvoir en reprendre mon souffle. Ici, je m’ennuie. Quant à l’intrigue, elle est aussi étique que la catcheuse est corpulente.


   - André Lorulot.- Méditations et souvenirs d'un prisonnier, 1921.
Une curiosité de 1922 (livre d'époque), faisant une fois de plus le réquisitoire de cet instrument de torture et de dressage qu'est la prison. On y retrouve la trace de grands anciens. Mais dans l'ensemble cela m'a paru un peu fourre tout, inabouti, et un peu gentillet, avec tout le respect que je dois à un compagnon ayant payé de sa personne dans les geôles, ce qui n'est pas mon cas hormis quelques GAV et cellule de dégrisement négligeables.


   - Choderlos de Laclos.- Les Liaisons dangereuses.
   Un classique de chez classique, et qui sent le fagot, comme on les aime. Première lecture, mais on n’ignorait pas l’essentiel de l’intrigue. On a vu un film, celui de Frears. Pas le Valmont de Forman. On a envie.


   - Max Aub.- Campo Francés (Le Labyrinthe magique tome IV).
   Comme je vous l'avais déjà raconté quelque part, après avoir lu les trois pavés fort intéressants, tragiques mais parfois cocasses par les retournements facétieux des destins, même si les conséquences en sont terribles, foisonnants, bouillonnants, un vrai labyrinthe, avec parfois ses longueurs (de longs dialogues idéologiques, par exemple, me paraissant oiseux dans leur désuétude, mais les sociétés des débats, que les polémistes se tirent sur la nouille sur papier, plateau de talk show, réseau social ou en café du commerce m'ont toujours vite lassé) ; après avoir lu les trois pavés des trois premiers tomes, donc, je me suis fait piquer à la portière le tome IV, beaucoup plus svelte que les autres, écrit en dialogues comme un scénar' de ciné, à ma portière, après bris de glace, à un feu rouge à Garges, ou Sarcelles, à la frontière... Enfin, le jeune entrepreneur en voulait à mon sac, il ignorait qu'il venait d'emporter une telle pépite à l'intérieur. Le sujet ? Actuel : la crise des réfugiés, que le pays des droits de l'homme a toujours su régler avec la plus grande hospitalité et fraternité : tout le monde en camp de concentration, allez hop là, et que ça saute, circulez, y a rien à voir ! Sauf que là, les réfugiés étaient espagnols, anarchistes ou républicains, mais aussi, juifs d'Europe centrale et d'ailleurs, communistes, aristocrates, intellectuels... Vous me direz, les espagnols, ils étaient en camp au chaud dans le sud, c'est mieux qu'à Calais. Détrompez-vous, une dame de la bibliothèque à qui je m'étais adressé pour lui annoncer le vol du livre, d'origine espagnole, m'a raconté à cette occasion que son père, n'avait jamais autant souffert que dans son exil en France, notamment du froid, et que la boue et le sang de l'autre côté des Pyrénées c'était de la gnognotte à côté. Bref, après l'avoir commandé à la bibli, j'ai enfin pu lire la fin. En attendant que le tome V soit équipé...



La Plèbe écoute tout le temps :
"MESSAGE AUX AUDITEURS… MESSAGE AUX AUDITEURS…
2016 année de merde, suite…

L'équipe de jazzlib' et radio libertaire tient à s'excuser pour les problèmes techniques irréversibles d'hier soir qui nous ont obligé à annuler l'émission in situ. Nous avons en effet, constaté qu'un appareil nécessaire à la bonne marche de notre émission, était hors service définitivement. Compte-tenu de nos moyens, il était trop tard pour trouver une solution rapide ne pénalisant pas la diffusion.
Il se trouve que je travaille majoritairement avec ma propre discothèque, qui est très fournie, mais dont certains vinyles ne se retrouvent pas en réédition CD. C'était le cas hier soir pour la partie Jimmy Blanton/Duke Ellington, dont une édition italienne introuvable ou quasi.
Nous vous renouvelons nos excuses les plus aplaties, 1mm d'épaisseur au moins, et vous promettons de la reprogrammer le plus rapidement possible dès que nous aurons l'assurance de la remise en état dudit matériel.
J'en profite pour vous dire qu'il existe une souscription de soutien à notre radio disponible sur le site ou à retirer à la librairie Publico rue Amelot dans le 11e. Cette souscription nous sert justement à pourvoir maintenir le minimum nécessaire au rachat ou à la réparation de matériel déficient. Je vous tiens informé dès que j'ai des nouvelles.
Fraterniswing."
Yves JazzLib, le 18/11/2016.
Jeudi 17 novembre : Jazzlib' (jazz). Thème de la bi-mensualité : nous continuerons à explorer l'œuvre gigantesque du Duke. Nous nous intéresserons à la très courte période pendant laquelle le Duke va embaucher un extraordinaire contrebassiste, sans-doute celui qui va sortir la contrebasse de son rôle d'arrière plan. En effet Jimmy Blanton a fait passer l'instrument définitivement vers la modernité. Pour cette émission, le contrebassiste Jacques Vidal a de nouveau eu la gentillesse d'accepter l'invitation afin de nous éclairer de sa connaissance de l'instrument et de l'histoire du jazz.
When, where, how ?
Jazzlib' sur radio libertaire 89,4 FM en RP. Tous les 1er et 3e jeudis de 20:30 à 22:00.
Podcast ou téléchargement MP3, pendant un mois, sur la grille des programmes.
Cliquer sur le lien correspondant à la bonne date (Jazzlib'/Entre chiens et loups). Attention de bien vérifier que vous êtes sur le 1er ou/et 3e jeudi, vous avez, en haut à gauche, les semaines disponibles.

mercredi 9 novembre 2016

Traces de nos grands anciens

La scène se déroule à la prison de la Santé.

   "Si je pouvais lire seulement ! N’importe quoi… Ce serait un dérivatif. En suivant les péripéties d’un roman ou d’un récit quelconques, j’oublierais pour un instant mon propre sort. Je ne demande même pas à lire des bouquins intéressants et sensés (en prison, ce serait de l’outrecuidance !). Qu’on me donne les œuvres les plus banales, les plus naïves et je les dévorerai.

   Chaque semaine, le dimanche, l’Administration nous remet un livre. C’est ridiculement insuffisant. Sans me hâter, en trois ou quatre heures, j’en ai achevé la lecture. Et il me faut attendre… l’autre dimanche, pour en avoir un nouveau…

   Ces livres sont intitulés : « Le Trésor de Madeleine » ou « Le Secret du Bonheur ». Ils sont bien peu capables d’éclairer ou d’élever la conscience individuelle. De plus, ils sont généralement en piteux état. Il manque les trente premières pages à celui qu’on vient de m’apporter, sans compter toutes celles qui ont été enlevées à l’intérieur du volume. Avec de l’imagination on peut combler les lacunes, mais la lecture perd quand même beaucoup de son charme.

   Les pages sont sales, répugnantes. Elles sont remplies d’inscriptions et d’annotations plus ou moins spirituelles. Le « Petit Marcel de Belleville » tient à faire savoir qu’il a été fait comme poisse, ayant été donné par sa gonzesse. Un autre – « Totoche de la Bastille » - énumère mélancoliquement : 3 piges (trois ans de prison, pour les non initiés), 5 triques (5 ans d’interdiction de séjour). Et il ajoute, en guise de conclusion : M. A. V. ; M. A. T. ; B. J. A. A. (Mort aux v… ; Mort aux t… ; Bonjour aux amis).

   Enfin, « Bébert de Barbès » déclare qu’il aime Adèle P. L. V. (pour la vie !). Voilà un serment qui devient banal, tant les murs des cellules et les pages des bouquins le répètent. Il cadre mal d’ailleurs avec le caractère souvent peu sentimental des « amoureux » qui le font.


   On trouve aussi des appréciations sur la valeur des ouvrages. Elles ne sont pas toujours mal portées. En voilà une, par exemple, que j’ai copiée à la fin des « Chasseurs de Chevelures » - roman tant aimé de la jeunesse. « Livre idiot. Rien ne tient debout. Tout y est contradiction et stupide enfantillage. » Je suis à peu près certain d’avoir reconnu l’écriture de ce pauvre Raymond la Science. Quant au style, je n’éprouve pas la moindre hésitation à le lui attribuer.*

La Santé, 18 avril 1913, 23 ans (presque un enfant dira Georges Boucheron, son avocat à la cour), trois jours avant de se faire raccourcir.

   Les bouquins ne sont pas distribués avec beaucoup de méthode. Ainsi, il m’est arrivé de recevoir deux fois « l’Ami Inconnu », roman imprégné d’un sentimentalisme puéril. On m’a donné aussi le deuxième volume de « Vingt mille lieues sous les mers » de Jules Verne. Il est heureux pour moi que j’ai lu le premier tome vers l’âge heureux de ma douzième année…

Ils sont presque tous là, dans l'ordre d'apparition : Soudy, Carouy, Marie la Belge, Callemin (dit "la Science"), Garnier, et le Jules (Bonnot, pas le nôtre).

   Il serait pourtant facile de faire un choix un peu plus judicieux. Mais, est-ce que ça compte, les besoins, les goûts, les préférences d’un prisonnier ? Je l’ai déjà dit : ici l’individualité est abolie, excepté quand il s’agit de souffrir.

[…]

   J’ai obtenu le droit de faire venir des livres « de science et d’étude », pour parler le langage administratif. J’ai espéré alors voir ma détention devenir un peu moins morose. On n’a pas tardé à me détromper. C’est en effet un fonctionnaire, le contrôleur de la prison, qui est chargé d’examiner les livres qu’on apporte. Il assume ces fonctions avec une compétence qui n’a d’égale que sa largeur de vues. […]

   On me refuse aussi les livres reliés, car la reliure pourrait contenir des poisons !

   Avec un pareil censeur, on peut croire que mes lectures sont très sélectionnées. Don Quichotte lui-même, le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre, n’a pas trouvé grâce à ses yeux. C’est incroyable, mais cela est.

   Le contrôleur ne consent à me remettre que les ouvrages purement scientifiques, sans doute parce qu’il n’y comprend rien. Mais comprend-il mieux ceux qu’il me refuse ?

   Un jour, je ne sais pour quel motif, ce digne fonctionnaire était absent. Quel bonheur ! On m’a remis alors, sans trop de difficultés, les Confessions de Jean-Jacques et le Cinquième Evangile d’Han Ryner. Ce fut le plus beau jour de ma vie de prisonnier ! Les chers livres, comme je les ai lus et relus ! J’ai senti qu’ils me donnaient du courage, qu’ils ranimaient mon cœur fatigué et que, grâce à eux, l’espérance me devenait possible…

   Pourquoi mon censeur-contrôleur, l’ennemi de […] Cervantès, est-il revenu, avec ses sourcils broussailleux et son caractère épineux ? Les jours me paraitraient trois fois moins longs si je pouvais lire de beaux livres, de bons livres. Cette captivité pourrait être utile, à un certain point de vue, si je la mettais à profit pour me cultiver, pour m’épurer, pour me rendre meilleur. Malheureusement pour les chefs de la prison « régénératrice », il n’y a pas d’autres rénovation morale que de s’abrutir entre quatre murs et de devenir fou, lentement mais sûrement."

André Lorulot.- Méditations et souvenirs d'un prisonnier, 1921.

* C'est La Plèbe qui souligne.