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lundi 21 février 2022

La dose de Wrobly : pluviôse 2022 EC

Ce mois-ci deux réactionnaires, mais qui écrivent bien, et des révolutionnaires, qui n'écrivent pas mal non plus.

- Saint-Simon.- Relation du procès intenté pour la préséance par M. le maréchal-duc de Luxembourg, pair de France, contre seize ducs et pairs de France ses anciens, faite par l'un de ses anciens.
   Un premier jet du récit de ce procès (1693-1694) dont on avait déjà pris connaissance dans notre dose de frimaire 2021 EC (cliquer aussi sur Saint-Simon Louis de Rouvroy de dans l'index), quand nous lisions le tome 1 des Mémoires de l'auteur. Il y a quelque chose de comique dans ce grand branlebas chez ces seize ducs et pairs, après les princes du sang "les plus relevés de l'Etat en dignité, en naissance, en alliances, en charges, en biens, en estime et en crédit", menacés de reculer d'un cran dans leur assiduité au petit caca du roi (je caricature, ce n'est peut-être pas au petit caca que cette préséance aurait pu s'appliquer, mais dans d'autres cérémonies tout aussi importantes) par un parvenu par les champs de batailles, arriviste férocement déterminé à leur passer devant en pervertissant les règles d'affectation des titres de noblesse, grâce notamment à son réseau de copains au Parlement (le tribunal de l'époque), et au prestige que lui apporta trois victoires, qui furent aussi des massacres dans son propre camp comme se plait à le prétendre Saint-Simon, dans les Flandres. Pour justifier sa prétention de sauter du 18ème rang de pair de France au deuxième, ce M. de Luxembourg se prévalait d'avoir épousé la fille de deuxième noce (sachant que la première noce avait généré un fils mais comme par hasard déclaré fou et sorti du jeu pour cette raison), de la fille, du fils de François de Luxembourg, en faveur duquel fut érigé en duché en 1576, et en pairie en 1581, Piney, par Henri III, roi de France (et de Pologne). A la décharge de l'amiral, aucun détour par les soubrettes n'a contribué à cette limpide généalogie.
    Les déconvenues de ces seize ducs et pairs, leurs délibérations, leurs stratagèmes, leurs paniques, leurs espoirs et finalement, toujours, leur défaite, vécue différemment par des personnalités très constrastées, auraient pu donner une hilarante comédie de caractères il me semble, avec des acteurs comme Philippe Noiret, Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle, et et un genre de Louis de Funès jeune survolté dans le rôle de Saint-Simon (il a 20 ans au moment du procès), le plus excité, hargneux, voir haineux de tous. Il y aurait le mou, le traître, le dilettante, le pontifiant inutile, le vieux sage bafoué... Et il faudrait un Luxembourg, très calme, posé, regardant cette bande de perdants avec étonnement et presque commisération, je ne sais pas, un Lino Ventura, même si Luxembourg n'est évidemment pas sympathique. Quant aux gens de justice, sauf exception ils sont présentés comme un sacré ramassis de corrompus, de connivents, qui font finalement ce qu'ils veulent au mépris du droit qu'ils sont censés incarner. Il faudrait un belle galerie de méchants sournois de seconds rôles pour les incarner. Ce sont finalement eux qui prendront de plus en plus de pouvoir, pour finir par gouverner cent ans plus tard, au service de la bourgeoisie vainqueure.
C'est dingue, je lis du Saint-Simon pour me sortir de ce siècle, pour me changer les idées, et j'ai l'impression de me retrouver en République.

- Baudelaire.- Nouvelles lettres.
   Quand y en a plus, y en a encore. Voir nos doses de nivôse 2021-2022 EC, frimaire 2019 EC, et plus généralement Baudelaire dans l'index. Cavalerie des traites (stratagème auquel je n'ai toujours rien compris pour se refiler les dettes de copains en copains afin de ne les point payer, ou plus tard...), épreuves à corriger, directeurs de revues à houspiller, ministères à solliciter, éditeurs à qui se brader, ami à trahir, personnes désirant changer la vie à dénigrer, Belges et Lyonnais à détester, peinture et littérature à critiquer (pour le meilleur comme pour le pire), promesses à faire à sa mère et protestation d'affection, plaintes, souffrance, maladie, hargne, colère... la correspondance de Baudelaire.


- Comité invisible.- A nos amis.
   J'ai découvert par hasard ce petit pamphlet qui me semble ma foi fort bien écrit, et dont les vues sont frappées au coin du bon sens et de la clairvoyance. Pour moi qui ai toujours quelques dizaines de longueurs de retard dans ma prise de connaissance du monde comme il va, qui reste pas mal coincé dans les XVIIème, XVIIIème et XIXème siècle dans mes lectures, cela fait du bien d'être pour une fois à la pointe de l'actualité de la critique en même temps qu'au summum de la critique de l'actualité.
   Mais je déconne ! Evidemment que tout le monde connait l'illustre Comité invisible. Il s'agit ici du tome 2 de sa saga. J'avais lu avec délectation et émerveillement le tome 1, et je viens de commander le 3 à la Fabrique. J'adore. C'est beau comme du Tiqqun qu'on comprendrait presque (restons modeste) intégralement. Cet opus a évidemment pris 8 ans dans les dents, ça a déjà vieilli, vous vous souvenez, vous, des mouvements des places, et de la montée de sève et d'espoir qu'ils ont provoqué chez les sympathisants révolutionnaires ? Et les insurrections arabes ? Tout ça a été balayé. Depuis, tant de merde est advenue (assassinats collectifs par des fanatiques religieux, dictatures venant remplacer les dictatures, montée et accès au pouvoir du fascisme dans le monde entier, catastrophe écologique exponentielle en roue libre, pandémie, répression perdant toute limite dans les démocraties, son lot de mutilation, d'enfermements politiques à peine voilés par le discours du droit, droit obsolète dans la gestion technocratique du vivant qui devient la norme, et toujours les mêmes riches toujours plus riches...) mais aussi tant d'inattendues irruptions d'anciennes ou de nouvelles formes de luttes (contre la loi "Travaille !", contre la réforme des retraites, gilets jaunes, classe toujours en lutte dans le monde...). Mais tout cela sera peut-être mis en perspective dans Maintenant... Quoique celui-ci date déjà de 2017... Quand il vous dit qu'il a toujours dix longueurs de retard le Wroblewski !


 

mardi 28 décembre 2021

La dose de Wrobly : frimaire 2021 EC


- John le Carré.- L'Espion qui venait du froid.
    Chef-d’œuvre absolu, même si démodé vu qu'il n'y a plus de guerre froide ni d'antagonisme entre les deux grandes formes de capitalisme se partageant le monde dans les 60's, ce roman, son auteur, le film, que je n'ai pas vu, l'époque et le segment de l'Histoire qui la caractérise, Berlin, est et ouest, la bibliothèque de mon père, ce poivrot au regard si fou qui, en ce temps là, ayant sans permis conduit bourré et tenté de passer à l'est dans la capitale prussienne où il étudiait l'allemand, s'était fait mettre au trou par les Vopos puis proposer de bosser pour eux comme barbouze, ce qui à l'époque était un sport municipal de masse dans la ville, cette "Taupe", puisée dans cette dite bibliothèque, que j'avais lue, ado, sans y rien comprendre, tant les galanteries d'espions qui y sont exposées y sont emmêlées, ce qui m'avait bien frustré et décidé à une revanche ultérieure, bref, tout dans et autour de cette œuvre contribue pour moi à la nimber d'une attractive et merveilleuse... aura. Luminescente, blanchâtre et brouillée comme les lampes à arcs une nuit de pluie dans les quartiers de Berlin est, près du mur.



- William Blake.- Chants d'innocence / Le Mariage du Ciel et de l'Enfer / Chants d'Expérience.
   "Le 7 novembre 1938 mourait Colette Peignot, aujourd'hui connue sous le nom de Laure, qui depuis quelque temps partageait la vie de Georges Bataille. Marcel Moré, ami de l'une et l'autre, assista à la mise en bière, et dans un texte publié en 1964 par les Cahiers des Saisons il rapporte ceci : "Je vois encore la chambre : au milieu, le cercueil ; dans un coin, les deux femmes voilées de crêpe ; dans le coin opposé, Bataille et ses amis, dans des vêtements clairs et avec des cravates roses et bleu ciel. Le silence n'était rompu que par le bruit fait par les employés des pompes funèbres. Au moment où ils allaient fermer la bière, Bataille fit quelques pas en avant et déposa sur le corps de la morte Le Mariage du Ciel et de l'Enfer, dont il avait arraché les pages au numéro de la NRF.""
[...]
"Lorsqu'éclate la révolution en France, elle réveille en lui l'enthousiasme qu'avait suscité la révolution américaine, et il tient à manifester publiquement sa haine des rois, des lois et de la servitude en se coiffant du bonnet rouge. Un personnage singulier se dessine, visionnaire, anti-religieux, profondément libertaire, aussi violent dans sa détestation des puissants que doux dans son amour des humbles, des innocents, des simples."

La découverte de William Blake est pour moi comme celle d'une nouvelle pièce dans la grande pyramide : incroyable, du mythe en barre !

jeudi 1 juillet 2021

La Dose de Wrobly : messidor 2021 EC

Rémunéré, le poète est plus à l'aise pour pleurer.
Blaise Lesire.- Opuscule navrant.
Je connais gens de toutes sortes
Ils n’égalent pas leurs destins
Indécis comme feuilles mortes
Leurs yeux sont des feux mal éteints
Leurs cœurs bougent comme leurs portes
Guillaume Apollinaire.- Marizibill.- Dans Alcools.

   - François Sureau. Ma vie avec Apollinaire.
   Bon, si Apollinaire me fait vibrer, chanter, ressentir et m'émouvoir, soyons honnête notamment par le truchement des musiques de Ferré, je n'ai pas grand chose à voir avec l'auteur de cet essai autobiographico-biographique. Je ne suis pas du même monde, de la même classe que cet énarque académicien, homme d'affaire, avocat au conseil d'Etat et à la cour de cassation, premier rédacteur des statuts d'En Marche, de Macron. On croit comprendre aussi à la lecture du livre qu'il est homme de foi catholique. A sa décharge depuis 2014 il s’engage en faveur des libertés publiques, contre l’état d’urgence et, plus généralement, contre des dispositions législatives qu'il considère comme répressives. Le 4 février 2019, il publie dans Le Monde une tribune contre la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations, dite « loi anti-casseurs ».
   Je me sens certes plus proche de Joseph Ponthus qui, dans son À la ligne, en 2019, cite abondamment le poète trépané mort de la grippe espagnole en 1918, même si je n'ai personnellement pas tâté de l'usine. Malheureusement c'est le premier bouquin qu'on m'a prêté.
   Mais ça ne fait rien, ça parle d'Apollinaire et c'est tout ce qui compte. Il n'est pas un révolutionnaire, il s'est engagé en 1914 (né sujet polonais de l'empire russe, il avait à cœur d'être reconnu comme français à part entière, ce qui peut expliquer ce patriotisme), et évoque la guerre dans ses poèmes comme source de beauté. Le jeune Breton lui reprochera son manque d'amertume face à la grande boucherie mondiale, et le non moins branlotin d'alors Aragon écrit : "Il y a de belles ordures dans Calligrammes". Mais ses poèmes font écho à ma sensibilité, en exprimant l'intimité d'une vie ratée, d'amours splendides non trouvées, d'illusions perdues, le tout sans ressentiment, ou en esquissant des tableaux historiques pittoresques, des scènes campagnardes tendres, ou des déambulations parisiennes nostalgiques... ; sans oublier des formules métaphysiques que je ne comprends pas forcément complètement intellectuellement, mais qui éveillent en moi comme l’intuition du caractère mélancolique, tragique, absurde, que peut revêtir notre vie d'êtres humains en ce monde (voir exergue). Un poète que j'aime beaucoup, qui me parait fraternel en tant que personne (contrairement à l'acariâtre, colérique et haineux Baudelaire, de 59 ans son aîné), que j'ai lu, entendu et que je désire relire et réentendre, ce qui ne saurait tarder, nonobstant les réminiscences de ses poèmes baignant mon quotidien. Le livre de François Sureau a le mérite de parler de lui, de mieux me faire connaître sa biographie, même si c'est en relation avec la sienne propre, dont je n'ai cure. C'est toujours ça de pris.

   C'est tout. Vous vous direz, Wroblewski ne lit plus. Mais je n'ai pas listé les livres commencés, déjà évoqués dans de précédentes Doses, dont je poursuis la lecture, passant de l'un à l'autre en véritable maniaque : le livre de correspondance Georges Bataille / Eric Weil à propos de la revue Critique, le tome 2 de la correspondance de Baudelaire, et la somme sur l'art japonais, un pavé de 480 pages auquel j'espère mettre un bon coup cet été... Conséquemment, pas de polars, pas de SF, pas de fiction... Vous me direz, pas très sexy pour agrémenter les summer vibes. Mais ne présumons pas des surprises que peut nos réserver la vie. Ainsi, hier soir, alors que je raccompagnais une collègue cornettiste après une répétition, nous en vinmes à parler de George Orwell en observant les rats fôlatrant dans les rues vespérales de Saint-Denis, puis notre conversation méandra jusqu'à Jack London et Romain Gary. Et bien vous savez quoi ? Ma co-voiturière à l'intention de me prêter Martin Eden et La Vie devant soi, deux livre qui font partie de mes projets, mais que je ne possède ni n'ai encore eu l'occasion d'appréhender, parmi mes fétiches les plus convoités ! La vie demeure aventure, malgré tout les algorythmes qui nous gouvernent !

jeudi 21 janvier 2021

La dose de Wrobly : nivôse 2020-2021 EC


- Jules Vallès.- L'Enfant.
   Il y a 35 ans que j'aurais dû lire ce roman, quand j'ai commencé à me passionner pour la geste révolutionnaire et l'épopée anarchiste, et naïvement fantasmé pouvoir y participer notablement. D'autant qu'il fait partie il me semble de ces pépites subversives enseignées parfois malgré tout au collège, désamorcés et falsifiés le plus souvent certes, comme 1984 d'Orwell, autre monument de la critique sociale radicale que j'ai lu tardivement alors que son auteur était pour moi un modèle, une figure tutélaire, un maître... par le bouche à oreille et ce que j'en avais lu dans la presse. Le communard Vallès me semble de même avoir toujours fait partie de mon panthéon personnel, alors que je ne l'avais pas lu. Certes, ces deux écrivains étaient aussi des activistes, ayant mouillé leur chemise, connu la prison pour Vallès et risqué leur peau en pratiquant la critique des armes. C'est surtout pour cela que je les vénérais et que le je les adule encore.
Vallès et Vingtras étaient d'origine paysanne. Écœurés par l'arrivisme petit bourgeois de leurs parents, ils gardaient un amour sensuel et affectif pour les mœurs et le milieu des campagnes. Ici la zad du Triangle de Gonesse (95), mobilisée le dimanche 17 janvier 2021 contre la gare en plein champs prévue par les autorités dans le but d'urbaniser les terres agricoles pour des entrepôts, Amazon, Auchan ou autres.

   Mais après avoir lu l'Enfant, je peux dire en toute sincérité que le Vallès littérateur n'a rien à envier en vertu au Vallès combattant. J'ai dévoré ce roman autobiographique, le narrateur et jeune personnage principal Jacques Vingtras possédant de nombreux traits de personnalité de l'auteur et ayant vécu à quelques licences romanesques près la même vie. Aucun temps mort, aucune longueur. Et, ce qui m'a le plus surpris, que j'ignorais : cette description de la vie d'un enfant martyr est pleine d'humour, un humour efficace qui m'a fait rire, souvent, c'est assez rare pour le signaler ! Et ces métaphores et comparaisons savoureuses, colorées, naturalistes ou oniriques, contribuant beaucoup à l'humour par leur côté insolite et concret. Quel talent ! Et puis, toutes proportions gardées, les chemins, personnalités et époques différant forcément, je me suis un peu identifié à cet enfant trouvant une résilience à tant de souffrances et de tristesse dans le désir de révolte et de fraternité, dans le sentiment d'appartenance aux cohortes de tous les opprimés.
   Combien de temps s’égrainera avant que je lise la suite de la trilogie ? Autant que pour ma rencontre avec l'Enfant ? Le Bachelier et l'Insurgé viendront-ils à moi avant le croque-mort ? Vous le saurez en lisant les prochains épisodes de la Dose de Wrobly...

   A lire aussi, plus actuel : Lyes Louffok.- Dans l'enfer des foyers.- J'ai lu.

- Dr Christophe Fauré.- S'aimer enfin.
   "Chaque jour, chaque semaine apporte son lot de souffrances et d'espoirs vains. De magnifiques personnes meurent, les unes après les autres. Aucun traitement efficace n'enraye la maladie. Pas du tout préparé à cela, j'accompagne des malades en fin de vie à peine plus âgés que moi. Le sida fait peur, mais j'éprouve une étrange fierté à être présent auprès de ceux et celles qu'on rejette comme des pestiférés. Chacun des soignants de ce service semble animé par cette ferveur, le souci farouche de protéger ceux qui sont vulnérables. Le mot "hospitalier" prend une dimension qui m'avait échappé jusque là."
   On m'a offert ce livre, je ne me souviens plus qui (d'où l'intérêt des dédicaces, en plus du petit exercice créatif), pourtant c'est récent, le dépôt légal est d'octobre 2019... Je ne pense pas que cette personne lise ce blog, mais je la remercie de nouveau ici pour cette gentille attention.
S'aimer, c'est aussi aimer notre milieu de vie commun, à nous autres, animaux et végétaux, et se battre pour le défendre. Ici un opposant à la gare de métro en plein champs du Triangle de Gonesse (95), se dirigeant vers l'entrée du chantier en portant un génie, le 17 janvier 2021.

    L'argument : un psychiatre, semble-t-il médiatique, pétri par la dépression, en arrive à se fait moine bouddhiste tibétain en Périgord. Au bout de deux ans, lors d'un pélerinage en Inde, il a une révélation fulgurante de sa mission en ce monde et décide de rendre sa robe et de se consacrer de nouveau à la médecine.

- Charles Baudelaire.- Correspondance II : 1860-1866.
   Le 9 avril prochain Baudelaire aurait eu 200 ans. J'entame donc le tome II de sa correspondance, ce qui clôturera pour moi la lecture de l'ingégralité de ses écrits. J'ai évidemment moins de sympathie pour le personnage que pour Orwell ou Vallès, ce fut plutôt un sale con dans le quotidien, même s'il a beaucoup souffert, de la pauvreté (ce qui ne fait pas naître en lui le moindre sentiment de solidarité à l'égard des damnés de la terre, au contraire, contrairement à Vallès, de douze ans son cadet), mais aussi de la dépendance aux drogues, et en cela je ne peux qu'avoir une certaine compassion pour lui. Mais même s'il fut parmi les insurgés en juin 48, il renonça ensuite à toute préoccupation politique et afficha des positions réactionnaires, par provocation peut-être, par le sentiment toujours plus aigû de sa supériorité aristocratique, puis par une misanthropie qui croitra jusqu'à la haine xénophobe envers nos amis Belges qu'il exprima dans ses pamphlets, parmi les plus violents qu'écrivain produisit contre un peuple. Ce deuxième tome illustre d'ailleurs cette descente progressive de l'orgueil à l'arrogance, de l'arrogance au mépris, du mépris à la haine. En 1866, Baudelaire aura un genre d'attaque cérébrale, à la suite duquel il ne prononcera plus, pendant un an et jusqu'à sa mort, que ces mots, résumant son état de vie : Crénom ! Le grand poète romantique auteur du majestueux et magnifique Albatros : Crénom ! Pour ceux qui n'auraient pas envie de se fader les oeuvre complètes et toute la correpondance pour cerner le personnage, vient de sortir, d'après ce que ma mère m'a dit qui l'a vu à la télé donc c'est que c'est vrai, un livre de Jean Teulé intitulé justement Crénom, Baudelaire !. Je ne sais pas ce ce que ça vaut, mais crois avoir compris que ça balaye tout le côté anecdotique de la vie du purotin qui rêvait de gloire et de puissance en se camant au laudanum et en tapant (financièrement) sa mère ainsi que toute personne susceptible de lui prêter 100 francs, 50 si ce n'est pas possible.
Végétal irrégulier.

   Cela aurait pu être le rêve d'un aménageur qui, comme notre poète, lutterait de manière obsessionnelle contre tout morceau de morale dans l'art : l'abolition du vivant dans un radieux monde vitrifié.

Rêve parisien

 À Constantin Guys.

I

De ce terrible paysage,
Tel que jamais mortel n'en vit,
Ce matin encore l'image,
Vague et lointaine, me ravit.

Le sommeil est plein de miracles !
Par un caprice singulier,
J'avais banni de ces spectacles
Le végétal irrégulier,

Et, peintre fier de mon génie,
Je savourais dans mon tableau
L'enivrante monotonie
Du métal, du marbre et de l'eau.

Babel d'escaliers et d'arcades,
C'était un palais infini,
Plein de bassins et de cascades
Tombant dans l'or mat ou bruni ;

Et des cataractes pesantes,
Comme des rideaux de cristal,
Se suspendaient, éblouissantes,
À des murailles de métal.

Non d'arbres, mais de colonnades
Les étangs dormants s'entouraient,
Où de gigantesques naïades,
Comme des femmes, se miraient.

Des nappes d'eau s'épanchaient, bleues,
Entre des quais roses et verts,
Pendant des millions de lieues,
Vers les confins de l'univers ;

C'étaient des pierres inouïes
Et des flots magiques ; c'étaient
D'immenses glaces éblouies
Par tout ce qu'elles reflétaient !

Insouciants et taciturnes,
Des Ganges, dans le firmament,
Versaient le trésor de leurs urnes
Dans des gouffres de diamant.

Architecte de mes féeries,
Je faisais, à ma volonté,
Sous un tunnel de pierreries
Passer un océan dompté ;

Et tout, même la couleur noire,
Semblait fourbi, clair, irisé ;
Le liquide enchâssait sa gloire
Dans le rayon cristallisé.

Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges
De soleil, même au bas du ciel,
Pour illuminer ces prodiges,
Qui brillaient d'un feu personnel !

Et sur ces mouvantes merveilles
Planait (terrible nouveauté !
Tout pour l'œil, rien pour les oreilles !)
Un silence d'éternité.

II

En rouvrant mes yeux pleins de flamme
J'ai vu l'horreur de mon taudis,
Et senti, rentrant dans mon âme,
La pointe des soucis maudits ;

La pendule aux accents funèbres
Sonnait brutalement midi,
Et le ciel versait des ténèbres
Sur le triste monde engourdi.

Charles Méryon (né la même année que Baudelaire,1821, et mort à 46 ans également).- Le derrière de Notre-Dame, le quai de la Tournelle. Baudelaire a écrit une appréciation de son talent. "Je lui ai promis de rédiger un texte pour ses gravures. Or, si tu peux comprendre tout ce qu'il y a d'insupportable dans la conversation et la discussion avec un fou, tu penseras comme moi que je paye mes albums fort cher." Lettre à sa mère du 4 mars 1860.

   J'entendais une fois de plus hier à la radio Recueillement et Je te donne ces vers... et je me suis fait la réflexion qui concluera cet article, à savoir que, si je trouve certains poèmes de Baudelaire magnifiques, qu'ils me font du bien, et si je peux trouver aussi dans le personnage de Charles un certain comique de caractère, dans ses excès, son côté entier, teigneux, finalemenet, ce que je préfère dans Baudelaire, c'est Léo Ferré.

vendredi 1 janvier 2021

400 ans et toutes ses dents !

Les Animaux malades de la peste

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom),
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait aux Animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n’en voyait point d’occupés
À chercher le soutien d’une mourante vie ;
Nul mets n’excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n’épiaient
La douce et l’innocente proie ;
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d’amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : « Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune.
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux ;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents
On fait de pareils dévouements.
Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
L’état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J’ai dévoré force moutons.
Que m’avaient-ils fait ? nulle offense ;
Même il m’est arrivé quelquefois de manger
Le berger.
Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense
Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi ;
Car on doit souhaiter, selon toute justice,
Que le plus coupable périsse.
– Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Et bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes, Seigneur,
En les croquant, beaucoup d’honneur ;
Et quant au berger, l’on peut dire
Qu’il était digne de tous maux,
Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire. »
Ainsi dit le Renard ; et flatteurs d’applaudir.
On n’osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l’Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples Mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L’Âne vint à son tour, et dit : « J’ai souvenance
Qu’en un pré de moines passant,
La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue ;
Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net. »
À ces mots, on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc, prouva par sa harangue
Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n’était capable
D’expier son forfait. On le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.


Bonne année à tous les misérables.
Unité (sans morceaux ni arômes de fafs ou de politicards) ! Auto-défense ! Offensive !

vendredi 5 juillet 2019

I kinda like this one, Bob. Leave it !

"Tous les mécréants de mélodrame, maudits, damnés, fatalement marqués d’un rictus qui court jusqu’aux oreilles, sont dans l’orthodoxie pure du rire. [...] Aussi comme il rit, comme il rit, se comparant sans cesse aux chenilles humaines, lui si fort, si intelligent, lui pour qui une partie des lois conditionnelles de l’humanité, physiques et intellectuelles, n’existent plus ! Et ce rire est l’explosion perpétuelle de sa colère et de sa souffrance. [...] C’est pourquoi ce rire glace et tord les entrailles. C’est un rire qui ne dort jamais, comme une maladie qui va toujours son chemin et exécute un ordre providentiel. Et ainsi le rire [...], qui est l’expression la plus haute de l’orgueil, accomplit perpétuellement sa fonction, en déchirant et en brûlant les lèvres du rieur irrémissible."
Charles Baudelaire


   C'est un copain, il vient de sortir le clip de son dernier rap : Ledger ! Je me fais une joie de le partager ici.


   D'autres raps de Rififi existent en ligne, notamment celui-ci, alliant qualités esthétiques et expression d'idées et sentiments intimes et partagés sur le monde, qui entretient, comme Ledger, un certain rapport avec la peinture de Fancis Bacon affichée en haut de page :


   On like, on kife, on aime Rififi ! Diffusez ! Et si vous êtes fortiches en mise en scène et vidéo, contactez La Plèbe, je crois savoir qu'il cherche des coopérations pour améliorer ses clips !

lundi 25 mars 2019

No border

"[...] il vole son pain aux travailleurs qui se trouvent sur place".
Jean-Luc Mélenchon.


  Autant vous le dire tout de suite, mais vous avez sans doute pu le constater si vous suivez un peu ce blog, le Vladimir Ilitch, cette girouette dictatoriale qui s'est servi des anars et des soviets pour mieux les faire liquider, et qui a contribué à transformer l'espoir révolutionnaire international en bruits de bottes et camps de travail, on peut pas trop le blairer ici. Mais comme son statut d'homme providentiel lui venait aussi de son aptitude à dire tout et son contraire, il a parfois pu exprimer des propos qui pourraient figurer en exergue de La Plèbe. Par exemple ceux-ci, découverts par hasard dans un journal de gauche (faut bien s'informer un petit peu de temps en temps).


  A propos des frontières et des progressistes qui les préconisent :
  "Nous pensons que l'on ne peut pas être internationaliste et en même temps favorable à de telles restrictions... De tels socialistes sont en réalité des chauvins."
1915.

  Et :
  "Il ne fait aucun doute que seule la pauvreté extrême peut contraindre les gens à abandonner leur terre natale, et que les capitalistes exploitent les travailleurs immigrés de la plus honteuse des manières. Mais seuls les réactionnaires peuvent refuser de voir la signification progressiste de cette migration moderne des nations. Le capitalisme attire les masses de travailleurs du monde entier. Il brise les barrières et les préjugés nationaux, et il unit les travailleurs de tous les pays."
1913.

  Mélenchon, qui a peut-être au demeurant le mérite de la franchise, n'a qu'à aller se faire cuire un œuf, à condition que la poule vive en plein air libre de ses mouvements, avec sa xénophobie et son nationalisme de gauche.

lundi 18 mars 2019

Retour aux fondamentaux

 J'ai peu évoqué Brassens sur ce blog, alors que cet immense poète, compositeur et chanteur fait partie de mon panthéon esthétique et éthique depuis mon enfance, voir avant. Mais précisément à cause de cette ancienneté, quand je me suis pris à ce nouveau passe temps numérique perruqé qu'est la rédaction d'un blog, je l'avais écouté déjà des milliards de fois, connaissant quasiment toutes ses chansons par cœur, y compris les reprises et inédits. Comme je parle ici plutôt de mon actualité, et que j'avais déjà tout pressé de ce fruit délicieux, je n'ai pas eu l'occasion de me resservir ici. Toutes proportions gardées, c'est comme pour Renaud Séchan ou le métal, à la nuance prêt que j'ai plus ou moins rompu avec ces deux amours d'adolescence, alors que Brassens est resté immortel pour moi comme il le restera pour la postérité.

 En général, je crois même que ça ne souffre pas d'exception si je suis honnêtes, je n'aime pas les interprétations de Brassens par d'autres. Ca ne colle pas, toute la magie de l'original disparait, l'aura n'est plus là pour parler comme Walter Benjamin, à propos d'un "original" que je n'ai finalement connu que par copies interposées : les disques et leur reproduction technique illimitée mais c'est un autres sujet qui sera peut-être effleuré ici plus tard. En ce qui concerne les reprises, celles de Ferré par exemple, immense interprète lui aussi, peuvent fonctionner du tonnerre de Dieu (à l'esprit me vient dans l'immédiat une version de Des armes par Noir Désir, le meilleur groupe bordelais après Camera Silens selon un ami qui se reconnaitra peut-être. Mais Brassens, même si les chanteurs sont plutôt sympas et bien intentionnés (Sam Alpha par exemple), pour moi en tout cas, ça fait flop. Je crois que la formule si simple en apparence mais si profonde contrebasse/guitare/voix y est pour beaucoup également. Ainsi, Brassens chantant avec une instrumentalisation différente, plus touffue, je n'aime pas trop non plus. 



 On sent malgré tout bien la patte de l'auteur compositeur anar dans ces deux chansons que l'ami Georges n'a jamais chantées lui-même, interprétés ici par Thomas Fersen et Bertrand Belin ! Mais... Il y aurait quand même une remarque à faire sur ces opus du sétois, et pas la moindre...

  Laquelle à votre avis ?

vendredi 9 novembre 2018

En marche !


À M. Charles Baudelaire
Hauteville-House, 6 octobre 1859.

   Votre article sur Théophile Gautier, Monsieur, est une de ces pages qui provoquent puissamment la pensée. Rare mérite, faire penser ; don des seuls élus. Vous ne vous trompez pas en prévoyant quelque dissidence entre vous et moi. Je comprends toute votre philosophie (car, comme tout poète, vous contenez un philosophe) ; je fais plus que la comprendre, je l’admets ; mais je garde la mienne.
   Je n’ai jamais dit l’Art pour l’Art ; j’ai toujours dit l’Art pour le Progrès. Au fond, c’est la même chose, et votre esprit est trop pénétrant pour ne pas le sentir. En avant ! c’est le mot du Progrès ; c’est aussi le cri de l’Art. Tout le verbe de la Poésie est là. Ite.
   Que faites-vous quand vous écrivez ces vers saisissants Les Sept Vieillards et Les Petites Vieilles, que vous me dédiez, et dont je vous remercie ? Que faites-vous ? Vous marchez. Vous allez en avant. Vous dotez le ciel de l’art d’on ne sait quel rayon macabre. Vous créez un frisson nouveau.
   L’Art n’est pas perfectible, je l’ai dit, je crois, un des premiers, donc je le sais ; personne ne dépassera Eschyle, personne ne dépassera Phidias ; mais on peut les égaler ; et pour les égaler, il faut déplacer l’horizon de l’Art, monter plus haut, aller plus loin, marcher. Le poète ne peut aller seul, il faut que l’homme aussi se déplace. Les pas de l’Humanité sont donc les pas même de l’Art. — Donc, gloire au Progrès.
   C’est pour le Progrès que je souffre en ce moment et que je suis prêt à mourir.
   Théophile Gautier est un grand poète, et vous le louez comme son jeune frère, et vous l’êtes. Vous êtes, Monsieur, un noble esprit et un généreux cœur. Vous écrivez des choses profondes et souvent sereines. Vous aimez le Beau. Donnez-moi la main.
   Victor Hugo.
   Et quant aux persécutions, ce sont des grandeurs. — Courage !


Les Sept Vieillards
A Victor Hugo

Fourmillante cité, cité pleine de rêves,
Où le spectre en plein jour raccroche le passant !
Les mystères partout coulent comme des sèves
Dans les canaux étroits du colosse puissant.
Un matin, cependant que dans la triste rue
Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur,
Simulaient les deux quais d'une rivière accrue,
Et que, décor semblable à l'âme de l'acteur,
Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace,
Je suivais, roidissant mes nerfs comme un héros
Et discutant avec mon âme déjà lasse,
Le faubourg secoué par les lourds tombereaux.
Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunes,
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,
Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,
Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,
M'apparut. On eût dit sa prunelle trempée
Dans le fiel ; son regard aiguisait les frimas,
Et sa barbe à longs poils, roide comme une épée,
Se projetait, pareille à celle de Judas.
Il n'était pas voûté, mais cassé, son échine
Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,
Si bien que son bâton, parachevant sa mine,
Lui donnait la tournure et le pas maladroit
D'un quadrupède infirme ou d'un juif à trois pattes.
Dans la neige et la boue il allait s'empêtrant,
Comme s'il écrasait des morts sous ses savates,
Hostile à l'univers plutôt qu'indifférent.
Son pareil le suivait : barbe, œil, dos, bâton, loques,
Nul trait ne distinguait, du même enfer venu,
Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques
Marchaient du même pas vers un but inconnu.
A quel complot infâme étais-je donc en butte,
Ou quel méchant hasard ainsi m'humiliait ?
Car je comptai sept fois, de minute en minute,
Ce sinistre vieillard qui se multipliait !
Que celui-là qui rit de mon inquiétude,
Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel,
Songe bien que malgré tant de décrépitude
Ces sept monstres hideux avaient l'air éternel !
Aurais-je, sans mourir, contemplé le huitième.
Sosie inexorable, ironique et fatal,
Dégoûtant Phénix, fils et père de lui-même ?
- Mais je tournai le dos au cortège infernal.
Exaspéré comme un ivrogne qui voit double,
Je rentrai, je fermai ma porte, épouvanté,
Malade et morfondu, l'esprit fiévreux et trouble,
Blessé par le mystère et par l'absurdité !
Vainement ma raison voulait prendre la barre ;
La tempête en jouant déroutait ses efforts,
Et mon âme dansait, dansait, vieille gabarre
Sans mâts, sur une mer monstrueuse et sans bords !

Un vieillard dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumônes, sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux.

 On eût dit sa prunelle trempée dans le fiel.

Les Petites Vieilles
A Victor Hugo

I
Dans les plis sinueux des vieilles capitales,
Où tout, même l'horreur, tourne aux enchantements,
Je guette, obéissant à mes humeurs fatales
Des êtres singuliers, décrépits et charmants.
Ces monstres disloqués furent jadis des femmes,
Éponine ou Laïs ! Monstres brisés, bossus
Ou tordus, aimons-les ! ce sont encor des âmes.
Sous des jupons troués et sous de froids tissus
Ils rampent, flagellés par les bises iniques,
Frémissant au fracas roulant des omnibus,
Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques,
Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus ;
Ils trottent, tout pareils à des marionnettes ;
Se traînent, comme font les animaux blessés,
Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes
Où se pend un Démon sans pitié ! Tout cassés
Qu'ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille,
Luisants comme ces trous où l'eau dort dans la nuit ;
Ils ont les yeux divins de la petite fille
Qui s'étonne et qui rit à tout ce qui reluit.
- Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles
Sont presque aussi petits que celui d'un enfant ?
La Mort savante met dans ces bières pareilles
Un symbole d'un goût bizarre et captivant,
Et lorsque j'entrevois un fantôme débile
Traversant de Paris le fourmillant tableau,
Il me semble toujours que cet être fragile
S'en va tout doucement vers un nouveau berceau ;
A moins que, méditant sur la géométrie,
Je ne cherche, à l'aspect de ces membres discords,
Combien de fois il faut que l'ouvrier varie
La forme de la boîte où l'on met tous ces corps.
- Ces yeux sont des puits faits d'un million de larmes,
Des creusets qu'un métal refroidi pailleta...
Ces yeux mystérieux ont d'invincibles charmes
Pour celui que l'austère Infortune allaita !

II
De Frascati défunt Vestale enamourée ;
Prêtresse de Thalie, hélas ! dont le souffleur
Enterré sait le nom ; célèbre évaporée
Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur,
Toutes m'enivrent ; mais parmi ces êtres frêles
Il en est qui, faisant de la douleur un miel
Ont dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes :
Hippogriffe puissant, mène-moi jusqu'au ciel !
L'une, par sa patrie au malheur exercée,
L'autre, que son époux surchargea de douleurs,
L'autre, par son enfant Madone transpercée,
Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs !

III
Ah ! que j'en ai suivi de ces petites vieilles !
Une, entre autres, à l'heure où le soleil tombant
Ensanglante le ciel de blessures vermeilles,
Pensive, s'asseyait à l'écart sur un banc,
Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre,
Dont les soldats parfois inondent nos jardins,
Et qui, dans ces soirs d'or où l'on se sent revivre,
Versent quelque héroïsme au coeur des citadins.
Celle-là, droite encor, fière et sentant la règle,
Humait avidement ce chant vif et guerrier ;
Son oeil parfois s'ouvrait comme l'oeil d'un vieil aigle ;
Son front de marbre avait l'air fait pour le laurier !

IV
Telles vous cheminez, stoïques et sans plaintes,
A travers le chaos des vivantes cités,
Mères au coeur saignant, courtisanes ou saintes,
Dont autrefois les noms par tous étaient cités.
Vous qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloire,
Nul ne vous reconnaît ! un ivrogne incivil
Vous insulte en passant d'un amour dérisoire ;
Sur vos talons gambade un enfant lâche et vil.
Honteuses d'exister, ombres ratatinées,
Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs ;
Et nul ne vous salue, étranges destinées !
Débris d'humanité pour l'éternité mûrs !
Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille,
L'oeil inquiet, fixé sur vos pas incertains,
Tout comme si j'étais votre père, ô merveille !
Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins :
Je vois s'épanouir vos passions novices ;
Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ;
Mon coeur multiplié jouit de tous vos vices !
Mon âme resplendit de toutes vos vertus !
Ruines ! ma famille ! ô cerveaux congénères !
Je vous fais chaque soir un solennel adieu !
Où serez-vous demain, Èves octogénaires,
Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ?

Où serez-vous demain, Èves octogénaires ?

mercredi 20 juin 2018

La dose de Wrobly : prairial 2018 EC


- Anna Bednik.- Extractivisme - Exploitation industrielle de la nature : logiques, conséquences, résistances.

« - Quelle différence tu fais entre les projets miniers nationaux et ceux des transnationales ?
- Je te le dis entre femmes : si on veut me violer, peu m'importe si c'est un Étatsunien, un Chinois ou un gars de chez moi. Je serre les jambes.
»
(Dialogue avec une militante argentine)

Ce livre est une mine !


- Paul Verlaine.- Poèmes saturniens et Sagesse.

J'avais le choix sur l'étagère : Gogol, Villiers de l'Isle-Adam et Tchekhov. Je ne sais pas pourquoi, aucun des ces auteurs n'a éveillé de désir en moi, et j'ai pris ce vieux Lélian que je connais par coeur. Pourtant je n'ai rien contre ces écrivains que je ne connais pas, il est vrai. Je sais cependant que Gogol était loin d'entre être un, que Villiers n'était pas hostile à la Commune comme beaucoup de ses contemporains collègues détestables, et que Tchekhov est très frais. Mais non, j'ai boudé ces volumes. Si certains lecteurs avaient des arguments apéritifs et/ou aphrodisiaques aptes à aider à éveiller en moi l'inclination suffisante qui me poussera à me saisir de l'un d'eux la prochaine fois, et bien je leur en serais bien reconnaissant : la découverte d'un nouvel ami, même via une œuvre littéraire, est toujours un évènement précieux. A bon lecteur ciao !... 


- Erik Orsenna de l'Académie française.- La Fabrique des mots.

« Il y a une tradition d’insulter longtemps l’académie puis, l’âge venu, d’y quémander une place. Les académiciens sont donc les seuls français qui crachent dans un fauteuil avant de s’y asseoir. Ils ne s’y assoient que pour faire sous eux, il est vrai : le crachat sert d’amorce. »
Tony Duvert.

Bon, c'est un cadeau, moi je lis tout, les yeux fermés.

vendredi 8 juin 2018

Le bac français sans rater l'émeute III

   Mes chers lycéens en classe de première, vous n'avez plus le temps de vous préparer au baccalauréat de français, puisque vous êtes en grèves, en manifestations, en occupations, et c'est tout à votre honneur. Mais rassurez-vous, La Plèbe, Hâte, déjà va ! vous propose ici un cours de rattrapage du commentaire composé, afin de vous donner quand même quelques éléments pour passer l'épreuve traditionnelle en toute quiétude (enfin, ce sera pour l'année prochaine maintenant...). Nous avons choisi l'admirable poème de Baudelaire, l'un des plus beau, La Beauté. Voici, pour commencer, le sonnet en lui-même.


La beauté.

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles ;
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !


Les poètes, devant mes grandes attitudes... Qu'est-ce que c'est que des grandes attitudes ? Vous paraissez gênés pour le pauvre Baudelaire et je vous comprends, mais ce n'est pas votre faute si ces grandes attitudes, venant après ce que nous avons vu, font irrésistiblement penser au photographe et à quelque reine de mi-carême. Mais je n'ai pas à lui en vouloir d'être pompier.


Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments... Pas d'objection à ce vers-là non plus. Il est faible, il est plat, mais ce n'est pas la question. Tout de même, il est juste de noter qu'il ne signifie rien de précis. Consumeront leurs jours en d'austères études... Joli, mais bien exagéré. Ces façons de parler ne s'ajustent pas du tout à la réalité. Elles visent à donner du poète une image dramatique, éminemment fausse, et font de lui une espèce de prêtre-sorcier qu'il est en effet devenu dans nombre d'imaginations. Observez aussi que "les grandes attitudes" sont la cause de cette consomption et dites-moi pourquoi si vous pouvez. Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants, - De purs miroirs qui font toutes choses plus belles... Notez le "car" qui exprime un rapport de causalité. Vous trouvez naturel que la fascination exercée par les yeux de cette Beauté sur de dociles amants contraigne ceux-ci à d'austères études ? Vous voyez là un enchaînement aussi nécessaire que tendrait à nous le faire croire le "car" ? Pour moi, c'est simplement du charabia. Et les purs miroirs qui font toutes choses plus belles, est-ce que ça a un sens ? De ce que la beauté existe, il ne s'ensuit pas que les choses laides se trouvent embellies. On attendrait même plutôt le contraire. Vu à côté d'une jolie femme, un laideron paraît encore plus laid, tout le monde sait ça. En écrivant ce vers que je me plais à reconnaître prestigieux, le poète en a certainement pesé le sens et il n'a pas pu lui échapper qu'il péchait contre la logique, l'évidence. A moins qu'il n'ait écrit sans réfléchir. Les deux hypothèses sont troublantes. Allons, finissons-en. Voici les derniers vers : Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles ! D'abord, j'aimerais savoir ce que c'est que de larges yeux. Supposez qu'on vous dise d'une femme : "elle a l’œil large." Qu'est-ce que vous comprendrez ? Cela ne peut vouloir dire qu'elle a de longs yeux puisque, dans l'ordre des dimensions, la longueur est le contraire de la largeur. De grands yeux ? Non plus, car l'adjectif large ne peut pas, comme l'adjectif grand, exprimer le plus ou moins d'étendue d'une surface. reste que large mesure un écart remarquable entre la paupière supérieure et l'inférieure. C'est ce que l'on exprime couramment en disant de quelqu'un qu'il a de gros yeux ronds ou en boules de loto. Aucun doute, ce n'est pas là ce qu'a voulu dire l'auteur. Alors ? Eh bien, rien. L'auteur a posé là un mot vide de sens. Pour ce qui est des "clartés éternelles", je ne suis guère moins embarrassé. Lorsque Corneille fait dire à Polyeucte : "Éternelles clartés !" nous savons de quel ordre sont ces clartés, même si, n'étant pas touchés par la grâce, nous sommes incapables de nous les représenter. Dans le sonnet qui nous occupe, impossible de préciser s'il s'agit d'une lumière spirituelle ou d'un certain éclat du regard qui ajouterait à la beauté de la Beauté. "Éternelles", mot spécifiquement vague, mais qui appartient à l'arsenal de la spiritualité, ferait pencher pour la première supposition, mais le rayonnement spirituel implique une sorte de générosité qui ne s'accorde pas avec la majesté glacée de la Beauté. Qui sait même si ces clartés ne seraient pas de très baudelairiennes clartés de l'Enfer ? Bref, nous finissons en plein vague. Après avoir, tout au long de son sonnet, prodigué les non-sens, les absurdités, les obscurités, les impropriétés, les imprécisions, le poète termine sur une apothéose de flou. Et voilà comment on torche une œuvre impérissable, en coulant des sottises dans un moule assez beau, mais non pas irréprochables.

   Vous voyez donc mes enfants qu'il n'y a aucune raison de s'en faire, nos grands hommes, nos monstres sacrés, nos génies dont les appendices alaires hypertrophiés sont une réelle entrave à la randonnée pédestre, sont finalement des gens comme nous : ils n'ont qu'une seule tête, ils n'ont qu'un seul cul ! Il n'y a donc a fortiori aucune raison de ne pas se rendre à la Brèche le 13 juin, pour soutenir nos beaux et valeureux mais néanmoins joyeux combattants du jour ! Cré nom !

jeudi 24 mai 2018

La dose de Wrobly : floréal 2018 EC


- Bossu.- Petite histoire de la Libre Pensée en France.

   Nos quarante-huitards libre-penseurs n'étaient peut-être pas tous athées, mais leurs conceptions déistes ou leurs visions d'un Jésus sans-culotte avaient parfois une saveur plus piquante que le catéchisme des béni-oui-oui de l'athéisme. Et étaient souvent tout autant sacrilège : subvertir, détourner le dogme, ou attribuer à la doctrine un sens originel que les pouvoir religieux auraient eux-mêmes détourné pour écraser la plèbe sous leur botte me semble aussi choquant, pour un adepte des sectes liberticides, et plus imaginatif et poétique, que la simple injonction à la négation. Cela dit je suis athée. Mais je n'ai aucun mérite, c'est l'éducation que m'ont donnée mes parents. Et je dois avouer également que l’Être suprême de Maximilien jamais n'éveilla en moi ne serait-ce que les prémices d'un début d'érection.
   Malheureusement il manque pas mal de pages à cette intéressante brochure.


- Gracchus Babeuf.- Le Manifeste des égaux.

   Un de mes préférés, qui a payé cher sa haine de l'oppression et de la misère, son amitié pour l'humanité souffrante, sa passion pour l'égalité sociale réelle et son besoin de faire quelque chose, mordicus, vaille que vaille, malgré réactions et résignations, pour l'émancipation.

Gracchus était pourtant tout l'inverse d'un premier de cordée, il était pour que tous trouvent leur place au banquet de la vie.

- Juan Pablo Escobar.- Pablo Escobar, mon père.

   Un chic type finalement. Plutôt le cœur à gauche. Bon, c'est sûr, fallait pas venir le faire chier. Mais il aimait bien fumer du politicien ou du juge à l'occasion, ça nous manque un peu de nos jours...


- Charles Baudelaire.- Œuvres complètes, suite.

   On continue, avec des œuvres de jeunesse, La Fanfarlo, nouvelle ironique, par exemple, qu'il n'a plus jamais ré-évoquée après la parution des Fleurs ; et puis ces Maximes consolantes sur l'amour, pastiche du De l'amour de Stendhal, qu'il dédie à sa belle sœur, femme de celui qui contribua activement à le mettre sous tutelle financière toute sa vie ; maximes qui prêchent à cette femme, bien sous tous rapports, qu'il est délicieux d'aimer des femmes laides, physiquement et moralement vicieuses, infidèles, vérolées, malades, maigres, bêtes, incultes, consanguines, voir même dévotes !..., de manière très animale si possible. Charles finit par faire entendre à la femme de son demi-frère qu'il l'aime beaucoup.


   Pour boucler la boucle un peu de théâtre du même auteur, extrait qu'un libre penseur facétieux n'eût pas renié :

LE MARQUIS
[...]
Parbleu ! voilà, je pense, un bon Vénitien.
Serait-ce du Giorgione ?

IDÉOLUS
Non, c'est un Titien.

LE MARQUIS
Certes je les préfère à l'école romaine.
Leur coloris l'emporte.

IDÉOLUS
Ô pauvre gloire humaine !

LE MARQUIS
Michel-Ange est fort beau : son Jugement Dernier
Pour chasser un démon vaut mieux qu'un bénitier.

SOCRATÈS
Ce tableau, Monseigneur, comme au temps des agapes,
A fait jeûner un moine et converti trois papes.

LE MARQUIS
Toujours rude bouffon !

FORNIQUETTE
Vous ne croyez donc pas ?

SOCRATÈS
A vos beaux yeux, Madame, ainsi qu'à ce compas.

IDÉOLUS, à part.
Amour, impiété, tête de fou, de sage,
Vides toutes les deux.

FORNIQUETTE, à Idéolus.
Vous boudez

IDÉOLUS
Non.

FORNIQUETTE
Je gage
Que de ce qu'ils ont dit vous êtes attristé.
Tenter ainsi le diable et de franche gaîté !

IDÉOLUS
Vous achetez beaucoup de fleurs à la Madone ?

FORNIQUETTE
Vous aussi vous raillez ! La Vierge vous pardonne !
On songe à son salut... A propos, cette nuit, [...].

Titien.- La Vénus d'Urbin, 1538, Musée des Offices, Florence.

mercredi 2 mai 2018

Le bac français sans rater l'émeute II

   Mes chers lycéens en classe de première, vous n'avez plus le temps de vous préparer au baccalauréat de français, puisque vous êtes en grèves, en manifestations, en occupations, et c'est tout à votre honneur. Mais rassurez-vous, La Plèbe, Hâte, déjà va ! vous propose ici un cours de rattrapage du commentaire composé, afin de vous donner quand même quelques éléments pour passer l'épreuve traditionnelle en toute quiétude. Nous avons choisi l'admirable poème de Baudelaire, l'un des plus beau, La Beauté. Voici, pour commencer, le sonnet en lui-même.

La beauté.

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles ;
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !


    Voyons le second quatrain : Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris. Que la Beauté trône, j'y consens, mais dans l'azur ? Et ce sphinx incompris est-il assez platement redondant ? Sans compter que là non plus, la comparaison ne s'impose pas irrésistiblement. Passons. J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes. Je sais ce que sont un cœur de boue, un cœur de pierre, un cœur d'artichaut, mais je vous défie de me dire ce que c'est qu'un coeur de neige. Est-ce pureté, froideur, indifférence, inviolabilité ? Nous n'en saurons rien. Quant à la blancheur des cygnes, il s'agit très probablement de la couleur de la peau. Imaginez un corps blanc comme le plumage des cygnes. Ce serait assez dégoûtant. D'autre part, ce que nous savons de Baudelaire nous permet d'avancer qu'il avait peu d'inclination pour ce genre de peau. Mais il a suffi que cet assemblage de mots lui semble d'un effet heureux et il a renié ses préférences. Et voici maintenant ce fameux vers tant admiré, tant célébré : Je hais le mouvement qui déplace les lignes. C'est absurde. Quelque idée qu'un poète se fasse de la beauté, il ne peut refuser de la voir dans le mouvement, dans la vie, dans le déplacement des lignes. Et Baudelaire moins que tout autre, lui qui a aimé la danse. Aucun doute, il a été victime de l'expression "beauté sculpturale" que lui a suggéré le premier vers. A mon avis, c'est très grave, car si les poètes, non contents de chercher à nous envoûter par des artifices de langage, se laissent eux-mêmes surprendre par des expressions toutes faites, le risque de confusion devient extrême. Que faut-il penser maintenant du vers suivant ? Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris. Celui-ci aussi doit tout à "beauté sculpturale". A qui en douterait, je conseillerais de lire attentivement Les Fleurs du Mal où il apparaît que le dogme de l'impassibilité de la beauté n'est baudelairien que par accident. Vous objecterez qu'un sonnet constitue un tout, qu'il n'est pas loyal de se reporter ainsi à d'autres oeuvres de l'auteur et que celui-ci peut très bien dire noir dans un poème et blanc dans un autre sans mériter le reproche d'incohérence. Je l'admets - quoiqu'à contrecoeur, parce qu'enfin, l'idée que se fait un poète de la beauté passe pour être des plus importante et doit lui tenir en tête un peu plus que le temps d'écrire un sonnet. Mais j'y pense, que représente cette Beauté qu'on nous décrit ici ? une croyance ou une vision ou une préférence du poète ? ou bien une figure à la mode, simplement ? Pensez-y avant de vous endormir.

Chuis beeelle ! Oh ! Mortel !

A SUIVRE...

vendredi 30 mars 2018

Le bac français sans rater l'émeute

   Mes chers lycéens en classe de première, vous n'avez plus le temps de vous préparer au baccalauréat de français, puisque vous êtes en grèves, en manifestations, en occupations, et c'est tout à votre honneur. Mais rassurez-vous, La Plèbe, Hâte, déjà va ! vous propose ici un cours de rattrapage du commentaire composé, afin de vous donner quand même quelques éléments pour passer l'épreuve traditionnelle en toute quiétude. Nous avons choisi l'admirable poème de Baudelaire, l'un des plus beau, La Beauté. Voici, pour commencer, le sonnet en lui-même.

La beauté.

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles ;
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !


    Nous allons maintenant l'éplucher un peu. Voyons le premier vers : Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre. Ca ne veut rien dire. Un rêve de pierre peut être beau ou laid. Donc, pour nous faire connaître la Beauté, l'auteur la compare à une chose vague, indéterminée, dont la notion nous est encore plus incertaine que celle de l'objet à connaître. Ce premier vers est un assemblage de mots qui ne nous apprend absolument rien. Passons au deuxième : Et mon sein où chacun s'est meurtri tour à tour... Je veux bien que "meurtri" soit figuratif, mais il rappelle fâcheusement la comparaison du premier vers et impose abusivement l'image d'un sein en pierre. Je relève dans ce second vers une faute magistrale qu'il faut bien appeler solécisme. "Tour à tour" signifie en effet l'un après l'autre ou alternativement. On n'est pas plus fondé à écrire "chacun s'est meurtri tour à tour" que "chacun s'est meurtri à tour de rôle". Il aurait fallu dire : "Où chacun s'est meurtri à son tour." Qu'une faute de cette dimension ait trouvé place dans un sonnet aussi corseté, voilà qui est regrettable, mais le plus fâcheusement significatif est qu'aucun de ses innombrables admirateurs n'ait, à ma connaissance, relevé cette énormité. Passons aux deux vers suivants : Est fait pour inspirer au poète un amour - Éternel et muet ainsi que la matière. N'oublions pas que c'est le sein de la Beauté qui inspire cet amour. Ç’aurait pu être le visage, le dos, les cuisses ou l'ensemble, mais c'est le sein. Il doit y avoir à cela des raisons que nous ne connaîtrons pas et il faut nous contenter de l'affirmation gratuite. L'amour inspiré par ce sein est "éternel et muet ainsi que la matière". Rien à dire contre éternel, sinon que le mot, qualifiant un amour, est peu signifiant. En revanche il n'y a pas de raison valable pour que l'amour du poète soit muet. Tout le monde sait bien que les poètes sont très diserts sur ce point et Baudelaire le sait mieux que personne puisque pour sa part, il dédie un sonnet à la beauté et, ailleurs, un hymne. "Muet ainsi que la matière", est-il dit. Matière est un mot d'une portée bien générale pour une telle comparaison. En fait, dans le bon langage ordinaire, on dit muet comme une carpe, comme la tombe ou comme une pierre. Ce rapprochement d'amour et de matière, lourdement chevillé, est une recherche inutile et, à vrai dire, il eût mieux valu s'abstenir de toute comparaison. Mais matière vous a un fumet philosophique des plus tentants.

A SUIVRE...

vendredi 26 janvier 2018

Etat de droit

La première bataille : loger tout le monde dignement. Je veux partout des hébergements d'urgence. Je ne veux plus de femmes et d'hommes dans les rues, dans les bois.
Emmanuel Macron



LE RACCOMMODEUR DE FONTAINES

                                          A l'heure où le cœur se délabre,
                                          Où l'estomac est mal rempli,
                                          Le gaz meurt dans le candélabre ;
                                          Paris d'ombre est enseveli ;

                                          Sur le pavé sec et poli
                                          Passe un long cheval qui se cabre,
                                          Portant sur son dos assoupi
                                          Un spectre grimaçant et glabre.

                                          Dans un vieux clairon tout cassé,
                                          Sous son suaire de futaine,
                                          Il pousse une note incertaine.

                                          C'est le squelette encore glacé
                                          Du raccommodeur de fontaine
                                          Qui mourut de froid l'an passé.


LE PAUVRE DIABLE

Père
Las !
Mère
Pas.

Erre
Sur
Terre...
Dur !...

Maigre
Flanc,
Nègre
Blanc,

Blême !
Pas
Même
Gras.

Songe
Vain...
Ronge
Frein.

Couche
Froid,
Mouche
Doigt ;

Chaque
Vent
Claque
Dent.

Rude
Jeu...
Plus de
Feu !

Rêve
Pain
Crève
Faim...

Cherche
Rôt,
Perche
Haut,

Trotte
Loin,
Botte
Point.

Traîne
Sa
Gêne,
Va,

Pâle
Fou,
Pas le
Sou !

Couve
Port
Trouve
Mort !

Bière...
Trou...
Pierre


Sale
Chien
Pâle
Vient,

Sur le
Bord,
Hurle
Fort

Clame
Geint
Brame...
Fin !