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lundi 24 octobre 2016

La dose de Wrobly, vendémiaire 2016 ère commune


     - Regain de Jean Giono.

    Un petit hameau isolé, à moitié en ruine, grillé par le soleil de plomb du midi de la France. Magnifique. Un hymne à la décroissance, paradoxalement par la recroissance d'un hameau désertifié (deux habitants, dont une vieille femme). Jean Giono fait partie de ces grands écrivains auxquels nous sommes attachés par certaines de ses aspirations éthiques (anti-militaristes, d'amour de la nature...) qui ont malheureusement eu des ennuis à la libération. Notre auteur avait un peu hâtivement cru voir dans la révolution nationale et l'Etat français de papy Pétain une forme de communalisme libertaire dirions nous aujourd'hui* (je connais mal le dossier). Sa deuxième période, moins de terroir, plus stendhalienne, est très belle aussi (le fameux Hussard dont on a dit qu'il l'avait pompé à la Chartreuse), une des pierres angulaires de l'univers mythologique littéraire de mon paternel.

*Cette version est calomnieuse, comme nous l'indique gracieusement un lecteur dans les commentaires. Je le cite : "ses ennuis à la Libération venaient, certes d'une imprudente publication dans Signal, mais aussi et surtout de règlements de compte entre le lui et le Parti Communiste". Moi, ça me va tout à fait. Merci donc au Promeneur et mille excuses aux mânes du cher Jean !

Attention ! des signes ostentatoires risquent de heurter la sensibilité des jeunes publics.

L'intégrale du film.


    - Laissez bronzer les cadavres de Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid.

    Un petit hameau isolé, à moitié en ruine, grillé par le soleil de plomb du midi de la France. Une bonne vingtaine d'années après Ô dingos, ô chateaux !, mon deuxième Manchette, auteur controversé et prometteur. Saignant.


     - La vie de ma mère de Thierry Jonquet.

    Mises à part deux ou trois nouvelles mineures, je peux dire que ça y est, j'ai tout lu Jonquet ! Incroyable écrivain, véritable illusionniste. Il y a l'atmosphère, il y a la souffrance et la violence, il y a l'horreur, mais aussi et surtout, il y a les chutes ! Et on tombe de haut sauf exception. Ah ! Je n'ai pas lu son roman posthume, mais là, comme ça, ça sent trop le coup éditorial lucratif... Et puis je sature un peu, j'ai pas trop envie. Dites-moi si je me trompe.


     - De Jean Amila : Motus !

    Il existe près des écluses... des barbouzes, des militaires, des règlements de compte, des haines familiales et de classe, des morts qui ressuscitent, des passions noires, de la pourriture et d'étranges insectes luisants et charognards... Incroyable, en achetant ce vieux poche à un bouquiniste au marché de Paramé, j'ai confondu Jean Amila, et André Héléna, jusqu'à hier ! Une bonne vingtaine d'années après avoir lu Le Demi-sel, je croyais voir là mon deuxième Héléna. Quel rapport entre eux ? Je ne sais, peut-être sont-ils tous les deux un peu prolétariens... Motus n'est pas mal, mais il manque quelque chose pour que l'ambiance soit vraiment angoissante... et l'intrigue addictive... Un côté désuet aussi, que je ne ressens pas chez Simenon, peut-être chez Malet, intégralement lu mais ça date...


    - Lettres à Doubenka de Bohumil Hrabal.


    J'aime piocher parmi mes six ou sept étagères de livres à lire, et tomber sur un improbable, dont je ne connais pas l'auteur (un des plus grands écrivains tchèques du XXème siècle, mais je suis autodidacte...), dont je ne sais ni quand, ni par qui il est arrivé là, peut-être offert par mon père, pourtant en général il les dédicaçait... Mais comme nous étions allés ensemble à Prague dans les 90's, j'avais la vingtaine, juste après les évènements de 89 narrés ici, je m'étais dit... Un voyage mémorable, j'étais tellement bourré dans le train que j'ai pissé dans le compartiment, une fois n'est pas coutume, mais mon père, pourtant spécialiste de l'imbibation (il en est mort d'ailleurs) n'avait jamais vu ça. Je me permets d'en parler car Hrabal semble un genre de Bukowski tchèque, et la biture et la bière semblent être des favoris parmi ses thèmes récurrents. Je me souviens aussi de jeunes espagnols dans le couloir longeant le compartiment, j'allais les voir bouteille d'alcool blanc dans une main et le bouquin d'Abel Paz sur Durrutti dans l'autre, heureux de fraterniser. Ils ont semblé n'avoir jamais entendu parler d'aucun des deux hommes. A Prague même, déssoûlé, en bon gogo de touriste, je me suis fait piquer mon portefeuille dans mon sac à dos. On est allé chez les flics, et ben c'était quelques années après la chute du rideau, mais dans les commissariats, ça sentait encore fort l'ancien régime, pas rassurés, qu'on était. Finalement mon père m'a prêté un peu pour continuer à picoler en visitant. J'ai un très beau souvenir de la ville, la place Venceslas, avec toutes ses tavernes, ses orchestres de jazz New-Orleans, le pont dont j'ai oublié le nom, tout cela et le reste évoquant vraiment le nom "bohême", même si, adjectivé aujourd'hui, il est ad nauseam accolé à celui de "bourgeois". Le bouquin de Hrabal est passionnant, ivrogne d'une grande culture, il nous fait partager ses tribulation aux States, invité par une "bohêmiste" (Doubenka) pour des conférences, alors que simultanément à l'est et plus précisément chez lui, c'est le grand dégel des pays du pacte. Il en profite pour raconter moultes anecdotes sur ses auteurs chéris (Kafka, Hasek en Tchéquoslovaquie, les hooligans déjà évoqués ici en Russie, et bien d'autres, notamment américains, comme Kerouac). J'ai parfois quelques réserves morales face à ce qu'écrit Hrabal. Par exemple, je trouve qu'il emploie un peu trop souvent le mot "nègre", avec toujours des appréciations ambigües sur les personnes qu'il désigne ainsi. Et il met sur le même plan la répression "communiste" à Prague, le 21 août ou le 17 novembre, et les émeutes en feu de joie de Detroit (qui, je le concèdent ont été particulièrement meurtrières) : répression = insurrection = gross malheur ! De même quand il qualifie Valérie Solanas de "traînée" en évoquant le carton qu'elle a fait sur son idole (à Hrabal) Andy Wharol. Il y a peut-être une histoire de traduction, peut-être dans son esprit "trainée" est il moins péjoratif qu'en français... Pour finir, Hrabal le dit lui même et on ne lui fera pas la morale sur ce point, en tout cas pas tant qu'on n'aura pas au moins fait cinq ans de cabane comme Vaclav Havel, notre écrivain a beaucoup résisté à l'envie de résister. En 45, il arrive en retard à la fac, juste à temps pour voir tous ses copains étudiants ramassés par les nazis dans des camions pour aller se faire fusiller ou déporter. En 68, il est au bistro. En 89, devant sa télé, sauf quand la révolution de velours semble gagner la partie, là il daigne retourner au bistro en ville. Et avant cela, il a plutôt été adepte du statu quo, préférant aller de temps en temps au ministère de l'intérieur en réunion plutôt que de voir son oeuvre littéraire réduite au silence. Ni exilé, ni prisonnier, il a passé toutes ces années sous les bottes, nazies et staliniennes, à picoler et à écrire sans faire de vagues. A sa décharge, au moins n'a-t-il pas fini président à genou dans une cathédrale... Quant à moi, ça me fait tout drôle parce que, cette tranche d'Histoire qu'il raconte, celle de 89, la fin du bloc, eh bien, contrairement à 45 ou à 68, c'était de mon vivant, j'avais 20 ans, j'étais comme Bohumil déjà bien imbibé aussi, même si pour moi ça n'aurait pas pu durer aussi longtemps que pour lui, c'est si proche, et en même temps si loin déjà...



    - L'Honneur perdu de Katharina Blum d'Heinrich Böll.

    Je l'avais lu dans le texte une première fois, pour dire que je n'en avais pas compris la moitié.

      "D'entrée de jeu, donc, l'essentiel est connu. En apparence, tout suspense est écarté. On sait que Katharina a tué Tötges. Mais même si on imagine quelles bassesses celui-ci a pu écrire, sa mort demeure peu compréhensible. Tous les jours la presse à sensation déverse sa boue. Ses victimes s'en indignent mais ne vont pas jusqu'à assassiner - ni même corriger - les auteurs des articles. Alors pourquoi Katharina Blum a-t-elle réagi aussi violemment ? Telle est la question que pose le livre.
     Question relativement facile [...] et qui en recouvre une autre, capitale, celle-là : comment le mensonge, la haine, la violence verbale peuvent-ils engendrer la violence physique ? Comment la violence naît-elle de la violence ? [...] Baignant dans la fange, propagandiste de la violence, la presse à sensation - et ce n'est pas seulement vrai dans l'Allemagne de l'Ouest des années 70 - se pare hypocritement du masque de la morale, se pose en gardienne de la vertu et de l'ordre.(Présentation de Claude Bonnefoy).
   Dès qu'il eut connaissance de ces deux meurtres, LE JOURNAL se comporta d'assez étrange façon : agitation démentielle, manchettes, placards, éditions spéciales, avis de décès d'un format démesuré. Comme si en ce bas monde où tuer n'a rien d'exceptionnel, le meurtre d'un journaliste avait quelque chose de particulier, de plus important par exemple que celui d'un directeur, employé ou pilleur de banque.
   L'importance excessive accordée par la presse à ces faits divers doit être d'autant plus soulignée que LE JOURNAL ne fut pas seul à leur donner une telle publicité. D'autres journaux qualifièrent aussi le meurtre des journalistes de particulièrement vil, épouvantable, dramatique, au point d'en faire presque, pourrait-on dire, un meurtre rituel. Ils allèrent même jusqu'à parler de "victimes du devoir professionnel".


    - La Valeur d'usage de Sade de Georges Bataille.

    Saignant, aussi. "Sade, c'est formidâââble, n'est pas ? Dans les salons révolutionnaire littéraires, c'est d'un cachet ma chère ! Foi d'André Breton, j'adôôôre ce type !" Et puis c'est tout ? Bataille, quant à lui, trouve ça pitoyable, de se la jouer sadien tant qu'on a pas commencé à le mettre réellement en pratique, et pas que sur le papier !

"[...] Le processus d'appropriation simple est donné d'une façon normale à l'intérieur du processus d'excrétion composé, en tant qu'il est nécessaire à la production d'un rythme alternatif, par exemple dans le passage suivant de Sade :
   Verneuil fait chier, il mange l'étron et veut qu'on mange le sien. Celle à qui il fait manger sa merde vomit, il avale ce qu'elle rend."

Un petit livre, du grand Bataille.


    - Bienvenue : 34 auteurs pour les réfugiés.



    Il y a des noms qui nous ont fait plaisir dans ce recueil de soutien à l'UNHCR pour les réfugiés : Sorj Chalandon, Lola Lafon, Lydie Salvaire. Des qu'on apprécie moins, comme le dessinateur du Journal Officiel, ou une star de la BD (dont on a pu cependant apprécier certains albums). Des connus, des inconnus. Et de belles découvertes (Gauz, dont l'esprit acéré et l'humour nous ont déjà fait jubiler ici). Mais on aimerait pouvoir faire plus que de lire un Seuil et de filer trois balles à une ONG pour aider nos frères réfugiés, et plus généralement pour abolir les lignes tracées par terre... Pour tout dire, cet en-cas littéraire ne nous a pas Calais. On essaye de rester prêt à toute occasion de participer avec nos modestes moyens à la solidarité.


lundi 5 octobre 2015

Deux "cause toujours", deux causes, toujours.

« Ce peuple old school se voit marginalisé alors que les marges deviennent le souci français prioritaire, avec grandes messes cathodiques de fraternité avec les populations étrangères accueillies devant les caméras du 20 heures. »
Michel Onfray, compilateur à succès et amuseur médiatique bas normand et du front.

Des marges

A ceux qui consentent à vivre gras dans la France asservie, je dirai : « Il ne vous appartient pas de blasphémer la proscription ! Non, toute la science n’est pas dans vos bibliothèques et vos académies aux vieilles senteurs ; non, tout le bien-être n’est pas dans vos spéculations fiévreuses ; non, tout art, toute inspiration, toute poésie, toute action, toute beauté, toute littérature, tout progrès, tout bonheur, vous ne les avez pas confisqués. Non, toute la découverte et toute la révolution ne sont pas en France. L’humanité, la mère féconde, n’a pas fait de nation immortelle au détriment des autres ; son cœur bat pour tous les enfants de son amour. L’exil centuple la vie de l’homme en lui donnant l’humanité pour patrie. Les vrais exilés, sur cette terre, ce sont ceux qui ne peuvent sortir de chez eux qu’avec la permission de leur maître et sur un passeport signé de sa main. »
Ernest Coeurderoy

Tous les mardis du mois d’octobre, les 6, 13, 20 et 27, vous êtes attendus au métro Ménilmontant (Paris 20e), entre 18h30 et 20 h, pour une collecte en solidarité avec les migrant.e.s. Ils sont environ 600 à squatter le lycée Jean Quarré, rue Guillaume Budé dans le 19e, et les besoins sont énormes : matelas, couvertures, draps, duvets, tapis de sol, produits d’hygiène, nourriture, matériel de ménage, fournitures scolaires et livres d’alphabétisation, sac à dos, tickets de métro, torches, piles cintres portants, matériel de cuisine.


« Si une tribu en Amazonie souhaite garder son identité on l’applaudit, si ce sont les Français on les stigmatise… »
Arno Klarsfeld, baveux mal-comprenant et illettré.

Nous sommes une partie de la terre, et elle fait partie de nous. Les fleurs parfumées sont nos sœurs ; le cerf, le cheval, le grand aigle, ce sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du poney, et de l’homme – tous appartiennent à la même famille.
Seattle.

[…] trop dépendants de la page imprimée […] Vous feriez mieux de vous tourner vers le grand livre de la nature… Car enfin, soyons sérieux : vous pensez bien que si vous prenez vos livres et les étendez tous sous le soleil en laissant pendant quelque temps, la pluie, la neige et les insectes accomplir leur œuvre, il n’en restera plus rien. Tandis que notre mère, la Terre, nous a fourni, à vous comme à moi, la possibilité d’étudier à l’université de la nature les forêts, les rivières, les montagnes, et les animaux dont nous faisons partie.
Tatanga Mani, Indien Stoney


La répartition moyenne de leur temps de « travail », toutes activités comprises, dépasse à peine trois heures par jour… Premières sociétés de loisir, premières sociétés d’abondance, telles sont les sociétés à l’âge de pierre.
Marshall Sahlins

Le mépris des Yanomami pour le travail et leur désintérêt pour un progrès technologique est tel, qu’on peut légitimement parler à leur propos d’une société de refus du travail.
Pierre Clastres

[…] ils ont été unanimes à décrire la belle apparence des indiens, la bonne santé de leurs nombreux enfants, l’abondance et la variété de leurs ressources alimentaires… alors que nul, loin de là, ne travaillait à temps complet.
Pierre Clastres

[…] des gaillards pleins de santé, qui préféraient s’attifer comme des femmes de peintures et de plumes, plutôt que de transpirer dans leurs jardins (où rien ne manquait). Des gens donc qui délibérément ignoraient qu’il fallait gagner son pain à la sueur de son front.
Marianne Mahn-Lot

lundi 28 septembre 2015

Désert et jungle


   Les frontières n’existent pas. Elles existent moins encore que tant de ces choses dont nous dissertons à longueur de conversation et que nul n’a jamais vues : la société, la France, le temps, ou le concept de fleur. Il y a des mers, pour certaines presque infranchissables. Il y a des cols, des montagnes escarpées, des lacs dont les rives se perdent à l’horizon, il y a des déserts aussi, toujours habités, étrangement habités, les déserts ;

Les oiseaux de proie sont leurs principaux prédateurs.

                                                                il y a des langues et des histoires, des traditions et des liens de parenté, d’amitié. Mais il n’y a pas de frontières. C’est pourquoi il faut un tel appareillage pour attester leur existence contre toute évidence. Des miradors, des barbelés, des guérites et des passeports, des hommes en uniformes et désormais aussi des scanners, des drones, des capteurs, des miracles de technologie infrarouge, des caméras inventées juste pour les surveiller, les frontières – ces fictions impératives.

Bye-bye Saint-Eloi.

Les poulets sont leurs principaux prédateurs.