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lundi 20 mars 2023

La Dose de Wrobly : ventôse 2023 EC


   - Hakim Bey.- Zone interdite.
   L'ordure capitaliste est ce rat, ce bâtard, qui vous parle de "joindre et de toucher quelqu'un" avec un téléphone, ou qui vous ordonne : "Soyez là !" Là ? Où ça ? Tout seul en face d'une saloperie de télévision ? Ces goules sorties d'un cauchemar de Lovecraft sont en train d'essayer de vous transformer, après vous avoir bien broyé, bien vidé de votre sang, en un pathétique petit rouage estropié de la machine-à-mort de l'âme humaine - et ne commençons pas à partir en de jésuitiques querelles théologiques à propos de ce que nous entendons par "âme" ! Combattez-les, combattez-les en rencontrant vos amis, pas pour consommer, ni pour produire, non, pour prendre plaisir à l'amitié - et vous aurez triomphé, au moins un temps, de la plus pernicieuse des conspirations à l'oeuvre aujourd'hui dans nos sociétés euro-américaines, cette conspiration qui œuvre à faire de vous un cadavre vivant qu'animent des prothèses et la terreur du manque, qui œuvre à faire de vous un fantôme qui hante son propre cerveau. Ce n'est pas une affaire subalterne : c'est une question d'échec ou de triomphe !

Un petit livre (78 pages) passionnant, bourré d'élans du cœur, d'idées et de références de l'anarchiste ontologique Peter Lamborn Wilson, alias Hakim Bey.
"La fin du moderne ne signifie pas un retour au paléolithique mais un retour du paléolithique."

- Lois Mc Master Bujold.- Ekaterin / Le Poison du mariage.
   La suite de la saga Vorkosigan est proprement hilarante, sans préjudice du suspense et d'une galerie de personnages tous mieux dessinés les uns que les autres.
"On dirait un croisement entre un cafard, un termite et... et... et une pustule." [...] Heureusement qu'ils n'avaient pas montré à Miles une colonie entière de punaises à beurre ou, pis encore, une reine. [...] "C'est comme du miel, expliqua courageusement Mark. Un peu différent."

mercredi 22 février 2023

La Dose de Wrobly : pluviôse 2023 EC

Odilon Redon.- La Cellule d'or.

- Walter Benjamin.- Rêves.
   "Une tradition populaire met en garde contre l’idée de raconter ses rêves le matin, à jeun. Dans cet état, en effet, l’homme éveillé est encore sous l’emprise du rêve. Car la toilette ne rappelle à la lumière que la surface du corps et ses fonctions motrices visibles, alors que, dans les couches inférieures, pendant que nous faisons notre toilette, la pénombre grise du rêve persiste et se renforce même dans l’isolement de la première heure de veille. Celui qui appréhende d’entrer en contact avec le jour, que ce soit par peur des hommes ou parce qu’il veut se recueillir, peu importe, ne désire pas manger et dédaigne le petit déjeuner. Il évite ainsi la rupture entre le monde de la nuit et celui du jour. Une précaution qui ne se justifie que si l’on consume le rêve dans une tâche exigeant concentration, à défaut de le consumer dans la prière, mais qui peut conduire, autrement, à une confusion des rythmes de vie. Dans cette représentation, transcrire ses rêves est funeste, car l’homme, encore à moitié complice du rêve, le trahit avec ses mots et doit s’attendre à ce qu’il se venge. Pour le dire dans le langage d’aujourd’hui : il se trahit lui-même. Il a quitté la protection de la naïveté onirique et s’abandonne à lui-même en touchant à ses visions de rêve sans les maîtriser. Car c’est seulement de l’autre rive, dans la clarté du jour, qu’on peut raconter le rêve, à l’aide d’un souvenir capable de le maîtriser. Cet au-delà du rêve ne peut être atteint que par une purification analogue à la toilette et pourtant totalement différente d’elle. Cette purification passe par l’estomac. L’homme à jeun parle encore du rêve comme s’il parlait dans son sommeil."
Albert Welti. Nuit de lune [Mondnacht].

- Lois McMaster Bujold.- Komarr.
   Grand plaisir de retrouver Miles Vorkosigan, viré des services secrets mais désormais Lord Auditeur de Barrayar, débarquer sur la planète Komarr pour y enquêter sur la destruction de son miroir solaire. Il y rencontre une famille à l'homme manipulateur et agressif, mais dont la femme n'est pas sans l'attirer puissamment... Je débute donc dans le suspense le tome 5 de la saga !

lundi 23 janvier 2023

La Dose de Wrobly : nivôse 2022 - 2023 EC


    - Edgar Allan Poe.- Contes - essais - poèmes.
   Je poursuis la lecture de ce pavé commencé ici. Je réalise que, à ce stade de sa vie et de son oeuvre en tout cas (tous les contes sont juxtaposés par ordre chronologique d'écriture, la compilation traditionnelle due au traducteur Baudelaire en Histoires extraordinaires, Nouvelles histoires extraordinaires, etc. étant ici ignorée), à ce stade donc, Poe est avant tout un satiriste et un parodieur. Ces contes les plus angoissants, morbides, ésotériques, merveilleux, gothiques... sont en fait des pastiches à charge des littérateurs de son temps. Même si parfois je rigole bien quand la satire devient caricaturale, je suis tout de même un peu déçu : quand j'étais minot j'avais tout lu au premier degré, et j'avais pris bien du plaisir à avoir les jetons ! Mais cela dit, certaines obsessions de l'auteur traversent quand même parfois la satire, et on aborde alors, au-delà de la critique, à une véritable littérature d'épouvante. 


   - Thierry Jonquet.- Jours tranquilles à Belleville.
   Jonquet est peut-être mon auteur de polar français préféré, un virtuose de l'angoisse et du suspense, doublé d'une exposition des saloperies de notre monde, à la fois réaliste et gore dans l'effet loupe de sa focale littéraire. J'ai tout lu maintenant, sauf le truc posthume reconstitué, ça sent trop le business. Mais là il est un peu déconcertant. Il enfonce des portes ouvertes (la misère ne tire pas vers le haut, fait de ses victimes des personnes moins policées que qui bénéficie d'un certain confort et d'une certaine liberté, la jeunesse dépossédée devient parfois turbulente, trompant son ennui par des jeux dangeureux, avec de possibles dérives maffieuses, violentes, ou bien des chutes dans les paradis artiriciels durs... en restant souvent éloignée de la culture révolutionnaire généreuse, comme les autres classes ou sous-classes d'ailleurs, puisque l'idéologie de prédation de la classe dominante est l'idéologie dominante, y compris, et avec la brutalité que leur condition peut créer, celle des classes dites dangereuses. Après avoir emménagé à Belleville dans un néo-quartier kafakaïen opposant spatialement petite bourgeoisie intellectuelle et damnés de la terre, séparés par une grande esplanade déserte et sans vie de quartier, Jonquet découvre les apaches de les loubards. Sauf que quasimment tous ceux-là, dans le Belleville de la fin de années 90, sont magrhébins, c'est lui qui l'écrit. Certes, ce constat reste d'un homme de gauche, qui ne manque pas de stigmatiser aussi urbanistes, sociologues de gouvernement, inégalité, chômage, prison comme perspective et qui déplore le vote Le Pen, même si il affirme que son meilleur promoteur est "la bande à nique ta mère" elle-même (alors qu'on sait que des campagnes reculées, sans cités ni immigrés, sont parfois dominées elles-aussi par le vote d'extrême droite). Il décrit un Belleville très noir, mais ici ce n'est pas un roman. Ça fait vraiment flipper, on se représente une armée de clochards, de dealeurs et de toxicomanes, de "racailles" à mobylettes ou à pitt-bull accomplissant au quotidien un massacre de femmes et d'enfants, catégories de population que Jonquet invoque souvent pour mettre en avant ce qu'il considère comme un scandale. Certes, vivre dans la peur des incivilités, de se faire dépouiller ou cogner, constater la connerie, même et peut-être surtout venant des pauvres, pour un ancien trotskyste qui se veut fidèle à ses vieux rêves, quand soi même on a toujours voulu prendre leur parti, et qu'on a de quoi se loger et vivre, certes, mais qu'on n'est ni Bernard Arnault, ni un commerçant plein aux as grugeant le fisc, ni un flic, ni un tonton flingueur, comme pour moi (bordélisé pendant 10 ans par des jeunes du 93, volé dans ces établissements scolaires comme sous les tours à la portière, baffé lycéen parce qu'apeuré, réceptacle de pierres en me rendant au turbin...) ça peut créer des tensions. Mais là, on ne voit que le côté méprisable et haïssable des classes populaires et du sous-prolétariat soumis à l'ordre des forts et recherchant les plus faibles à exploiter primitivement, aucun côté lumineux. Et on ressent chez Jonquet la haine et l'aigreur d'être confronté au quotidien à l'inconfort de cette gentrification à-demi. Certes, il a, en plus, peur pour son enfant. Même s'il ne donne pas de solution qui serait satisfaisantes pour des révolutionnaires qui devront ralier une majorité des classes les plus pauvres pour pouvoir éspérer voir efficacement et durablement faire bouger les choses vers le communisme (anarchiste en ce qui me concerne), ses quelques remarques de gauche humanistes font malgré tout qu'on ne l'assimile pas tout à fait à l'un de ceux auxquels s'adressait Nicolas Sarkozy dans sa célèbre adresse du 26 octobre 2005 à Argenteuil : "Vous en avez assez de cette bande de racaillles, on va vous en débarrasser". Je n'ai pas fini le livre, mais pour le moment Jonquet ne parle pas d'Islam, les jeux bruyants et dangereux, la bêtise, la drogue, les incivilités et la délinquance demeurant à ce stade les seuls stigmates exposés par la description de la "bande à nique ta mère". Jonquet nous a tellement jouissivement embarqué dans son suspense et son épouvante dans ses romans, qu'on lui accorde de ne critiquer ici que les idéologies dominantes dégradées (virilisme, business, loi du plus fort...) et les causes des réactions violentes et agressives provoquées par le capitalisme rapace, plus qu'une détestation diffuse des personnes aux cheveux crépus et habillées en survêtements premiers prix, qui chercherait tous les bons alibis de gauche pour se justifier, et on choisit de croire que, s'il avait vécu, il n'aurait pas tourné Charlie.


   Ce petit livre est sorti en 1999. Je ne sais pas trop comment à tourné Belleville depuis, j'y passe rarement et je n'y vis pas. Ce qui est sûr c'est que celui-ci fait bigrement moins envie que celui, foutraque et haut en couleurs, de Daniel Pennac.

vendredi 30 décembre 2022

La Dose de Wrobly : frimaire 2022 EC


     Je suis en vacances. Eh ! oui, je suis encore tributaire du salariat, je n'ai pas eu le courage ni les idées, les amis, les moyens à mettre en œuvre pour déserter le monde de l'économie... Je dépend donc encore aussi de ces minces temps compensatoires que sont les congés, et j'essaye d'en profiter, non pas pour consommer plus, mais au contraire pour me désaliéner un peu. Je manque donc de temps devant écran pour alimenter ce blog, je les fuis ! Toutefois comme j'aime de toute mon âme la petite famille de mes lecteurs, je parviens ce jour à vous partager une brève Dose de Wrobly, celle de novembre / décembre. A bientôt quand j'aurais repris le chagrin (même si les cadences de plus en plus infernales me laissent de moins en moins de temps pour créer sur Google...). 


- Tennessee Williams.- La Nuit de l'iguane.
     J'avais découvert Arthur Miller au printemps 2021, en cette fin d'automne je découvre Tennessee Williams. J'aime bien aussi. Ça se passe sur la côte ouest du Mexique avec un pasteur défroqué et torturé, la colonie de femmes touristes qu'il guide suite à reconversion professionnelle, une jeune peintre errante sensible et philosophe et son père quasi centenaire, et d'autres personnages hauts en couleur s'agitant de manière plaisante sous les yeux d'un pauvre iguane capturé en vue d'un repas ultérieur...
     Je n'ai pas le temps d'en écrire plus, si ce n'est que ça fait du bien de s’ouvrir un peu et de sortir de sa zone de confort livresque.


- Lois McMaster Bujold.- La Danse du miroir.
     La suite. Plus j'avance plus j'aime, je m'attache. Le héros est doublé de son frère clone désormais, un type assez torturé, lui aussi...

jeudi 17 novembre 2022

La Dose de Wrobly : brumaire 2022 E.C.

   - Lois McMaster Bujold.- Ethan d'Athos / Le Labyrinthe / Les Frontières de l'infini / Frères d'armes.
   Je poursuis ma saga. En écoutant du Michel Petrucciani. C'est un hasard, mais Miles Vorkosigan, le héros de la plupart des romans, est lui aussi petit, bossu, fragile et génial. Dans Ethan d'Athos un scientifique de cette dernière planète, ne comportant que des mâles homosexuels se reproduisant dans des réplicateurs utérins via des cultures ovariennes, part à la recherche de nouvelles cultures, les anciennes étant mortes de vieillesse, et celles qu'ils avaient commandées ayant été sabotées (il y a même un ovaire de vache dans le colis, entre autres déchets !). Sur une base spatiale il va rencontrer (avec frayeur, méfiance extrême et dégoût, dame ! c'est une femme !) Elli Quinn, la mercenaire Dendarii ayant eu le visage brûlé au plasma, refait joliment à neuf par les chirurgiesn de la planète Beta, et tous deux vivront de rocambolesques aventures ou interviendront des barbouzes cetagandais et un mutant télépathe, entre autres !... Un de mes préférés jusqu'à présent. Le Labyrinthe reprend un peu le mythe du minotaure, en version techno-scientiste, sauf que ledit monstre est une adolescente de 2 m 50 et aux crocs de louve en manque d'amour... Les Frontière de l'infini décrit un camp de prisonniers de guerre sous dôme, assez infernal, comme tout lieu d'enfermement, mais évoquant ici certains cercles du Dante. Dans le dernier Miles fait une pause sur cette bonne vieille Terre, qu'il en profite pour découvrir, mais les vacances seront mouvementées. Tout cela délasse bien finalement. C'est parfois vraiment drôle.

- André Bertrand / André Schneider.- Le Scandale de Strasbourg mis à nu par ses célibataires, même.
   Le De la misère en milieu étudiant fait partie des classiques de la subversion qui m'ont à la fois enthousiasmé et influencé quand j'étais étudiant en que dalle, comme Stirner (dès le lycée) et l'Internationale Situationniste (I.S.), dont j'ai lu le recueil de l'intégrale de la revue à cette époque. Si bien que je n'ai rien fait de ma vie, ce que je ne regrette pas, le refus de parvenir m'étant presque greffé aux tripes. Mais aucune révolution n'étant venue bouleverser les conditions de survie existantes dans cette fin des années 80 et début des années 90, ces élans vers les jouissances libres et la vie trépidante se sont rapidement soldés, mon tempérament addictif et fragile aidant, par une tombée dans le cercle vicieux des bonheurs supplétifs, artificiels et illusoires. Certes il n'y a pas eu que du mauvais, j'ai eu de belles dérives urbaines dans Paris et en banlieue, de bistrots en troquets, et ai pu accéder à des éclairs de poésie de la vie quotidienne. Mais une éthique de la fête et du jeu qui reste parcellaire faute de grand embrasement généralisé ne m'a pas tellement aidé à faire face à la dépression, à la solitude et à l'obligation, finalement, faute d'alternative, d'aller m'aliéner au travail tous les jours. Cela dit ce petit pamphlet par la taille mais grand par l'influence, (précurseur et ferment de la révolution manquée de mai 68) est un chef-d'oeuvre. Il n'y manque que sa réalisation pratique collective et radicale, mais cela ne va pas tarder, il y a des signes avant-coureurs.

   Le Scandale de Strasbourg mis à nu par ses célibataires, même, livre assez récent vu mon retard compulsif et habituel, 2018, raconte les circonstances et le déroulement des évènements qui ont mené à la publications de cet opuscule par des étudiants strasbourgeois ayant au préalable noyauté l'UNEF locale et détourné sa trésorerie pour faire la foire et foutre un joyeux bordel dans le milieu étriqué et arriviste, mais aussi aux aspirations latentes à une vie passionnément libérée de la soumission, de l'université. Et les conséquences de tout cela. Passionnant ! Vous pouvez imaginer comme je biche méchamment !

   Avant de connaître De la Misère et plus généralement l'I.S., qui datent de la jeunesse de mes parents (mais dont ils n'avaient pas la première idée de l'existence), j'ai biberonné pendant mes années de collège et de lycée à la chanson dont vous trouverez les paroles ci-dessous, que j'aime presque autant qu'Où c'est qu'j'ai mis mon flingue ?, quand Renaud était génial. J'en ai encore des frissons. C'était plus récent mais on sent bien l'influence. Le terrain était fertile, ça ne m'a pas lâché. D'ailleurs je bosse depuis bientôt dix ans dans une fac pourrie, la boucle est bouclée. Le monde est toujours aussi déprimant dans son ensemble, mais la maturité m'a apporté une aptitude à être relativement heureux malgré tout, je me force un peu à avoir des amis et à m'intéresser à mes semblables en général et à mes proches en particulier, j'écoute du jazz, apprend le trombone, pratique et enseigne l'aïkido, lit Le Scandale de Strasbourg mis à nu par ses célibataires, même, fait toutes les grèves et quelques manifs, n'ai toujours pas trouvé ma voie dans l'action révolutionnaire, mais ai admis que je suis limité, loin d'être un foudre de guerre, pas plus qu'un meneur d'hommes, comme disait mon chef. Je fais ce que je peux et tente de rester connecté aux passions joyeuses et combatives. Malgré tout.

Boutonneux et militants
Pour une société meilleure
Dont y s'raient les dirigeants
Où y pourraient faire leur beurre
Voici l'flot des étudiants.
Propres sur eux et non violents
Qui s'en vont grossir les rangs
Des bureaucrates et des marchands
Étudiant poil aux dents
J'suis pas d'ton clan pas d'ta race
Mais j'sais qu'le coup d'pied au cul
Que j'file au bourgeois qui passe
Y vient d'l'école de la rue
Et y salit ma godasse

Maman quand j's'rai grand.
J'voudrais pas être étudiant
Alors tu s'ras un moins que rien
Ah oui ça je veux bien

Étudiant en architecture
Dans ton carton à dessin
Y'a l'angoisse de notr' futur
Y'a la société d'demain
Fais-les nous voir tes projets
Et la couleur de ton béton
Tes HLM sophistiqués
On n'en veut pas nous nos maisons
On s'les construira nous-mêmes
Sur les ruines de tes illusions
Et puis on r'prendra en main
Quoi donc ? L'habitat urbain
Je sais ça t'fait pas marrer
J'pouvais pas m'en empêcher

Maman quand j's'rai grand
J'voudrais pas être étudiant
Ben alors qu'est-ce que tu veux faire?
Je sais pas moi gangster

Étudiant en médecine
Tu vas marner pendant sept ans
Pour être marchand d'pénicilline
Tes saloperies d'médicaments
Aux bourgeois tu r'fileras
Des cancers à tour de bras
Et aux prolos des ulcères
Parc'que c'est un peu moins cher
Et l'tiers-monde qu'a besoin d'toi
Là c'est sûr que t'iras pas
Malgré tous ceux qui vont crever
T'oublieras que j't'ai chanté
La médecine est une putain
Son maquereau c'est l'pharmacien

Maman quand j's'rai grand
J'voudrais pas être étudiant
Ben alors qu'est-ce que tu veux être?
Je sais pas moi poète

Étudiant en droit
Y'a plus d'fachos dans ton bastion
Que dans un régiment d'paras
Ça veux tout dire eh ducon!
Demain c'est toi qui viendras
Dans ta robe ensanglantée
Pour faire appliquer tes lois
Que jamais on a votées
Qu'tu finisses juge ou avocat
Ta justice on en veut pas
Pi si tu finis notaire
P't'être qu'on débarqu'ra chez toi
Pour tirer les choses au clerc
Et tant pi s'il est pas là

Maman quand j's'rai grand
J'voudrais pas être étudiant
Ben alors qu'est-ce que tu veux faire?
Je sais pas moi infirmière

Étudiant en que dalle
Tu glandes dans les facultés
T'as jamais lu L'Capital
Mais y'a longtemps qu'tas pigé
Qu'y faut jamais travailler
Et jamais marcher au pas
Qu'leur culture nous fait gerber
Qu'on veut pas finir loufiats
Au service de cet État
De cette société ruinée
Qu'des étudiants respectables
Espère un jour diriger
En traînant dans leurs cartables
La connerie de leurs aînés

Maman quand j's'rai grand
J'voudrais pas être étudiant
Alors tu s'ras un moins que rien
Ah oui ça j'veux bien

jeudi 20 octobre 2022

La dose de Wrobly : vendémiaire 2022 E.C.


   - Walter Benjamin.- Lumières pour enfants (Aufklärung für Kinder) : émissions pour la jeunesse.
   Déjà, Benjamin s'adresse ici à des enfants (sans les prendre pour des niais le moins du monde), et comme ses écrits pour adultes me sont en général assez ardus d'approche, même si j'y prends aussi un grand plaisir dans l'effort, ici c'est vraiment une détente, agréable et instructive. Et enthousiasmante, car contrairement au précédent livre de l'auteur lu et chroniqué ici (Rastelli raconte...), un recueil de contes, nous avons ici de petites chroniques documentaires décrivant, évoquant et dissertant sur... Berlin (mais pas que, les 12 premières chroniques sur 29, bien d'autres surprises vous attendent les enfants !). Berlin, qui, comme vous le savez, est une ville mythique pour moi, pour des raisons familiales, littéraires, historiques, personnelles... Un intérêt non des moindres de ces chroniques berlinoises est qu'elles datent de la fin des années 20 au début des années 30, à savoir quelques années avant la prise de pouvoir des nazis. On aura droit au dialecte berlinois et à la personnalité "grande gueule" et pleine d'humour des habitants de la ville-Etat (avec une référence au Berlin Alexanderplatz d'Alfred Döblin), aux marchands ambulants et marchés du vieux et du nouveau Berlin, au théâtre de marionnettes local, au Berlin démoniaque d'E.T.A Hoffmann, aux souvenirs d'enfance d'un gamin des rues, à des promenades au rayon jouets des grands magasins, à la visite d'une usine métallurgiques de fabrication de machines-outils plus que bicentenaire (incongru pour moi, mais finalement très intéressant...), aux cités-casernes (déjà !), au dessinateur Theodor Hosemann, à une fabrique de laiton (!), etc.
Parc de Treptow le jour de la fête de l'ouverture de la pêche de la presqu'île de Stralauer, de Theodor Hosemann.
Une demi-tonne de bière et un repas simple : c'est la récompense pour les pêcheurs. Auparavant, selon la coutume, ils donnaient les prises de leur pêche au prêtre. C'est le 24 Août, le jour de la Saint-Barthélemy, que la période de fermeture de la pêche prend fin. Ainsi débute en 1574 la tradition du Stralauer Fischzug, qui 300 ans plus tard est devenu une fête populaire avec 70 000 visiteurs. En 1873, la fête fût interdite pour cause de célébrations tapageuses. Depuis lors c'est devenu plus calme sur la presqu'île de Stralau et alentour.


   Tegel, Unter den Linden, Schöneberg, Templehof, Tiergarten, la porte de Brandebourg... autant de termes qui m'évoquent des lieux vus directement ou entendus nommés et imaginés, et qui me donnent envie d'y retourner. Si ça se fait un jour, je réemprunterai ce livre pour l'emmener comme guide.

   - Lois McMaster Bujold.- Cetaganda.
   Détente agréable, ici aussi, grâce à la générosité persévérante de mon pote de l'aïkido qui m'avait prêté le volume I de la saga Vorkosigan cet été. Je commence donc le volume II. Je trouve cette rentrée et cet automne particulièrement déprimants (guerre, désastre écologique, fascistes, capitalistes toujours plus en roue libre et pépouzes, saloperies éructées par leurs larbins médiatiques, petits chefs toujours à fond dans leur rôle... je devrais être remonté pour combattre mais j'ai peu de force vitale, je suis démotivé, me sens vieux et ai à moitié la crève. Du coup ça me fait du bien ce pur divertissement, j'oublie un peu toute cette merde, un opium du peuple doux... Je retrouve avec plaisir mon héros nain bossu fragile comme le verre (Miles Vorkosigan), sa petite famille de grands aristos moyennâgeux par son père et de républicains techno-ravis de la crèche par sa mère, et ses amis. Le space opera laisse de plus en plus place à des intrigues policières, sur des planètes contrastées. Ici on a chouravé la clé de la banque génétique des Hauts, la haute aristocratie de la planète impériale Cetaganda, banque via laquelle ils se reproduisent en eugénistes accomplis, sans contact grands dégoûtants ! Et on veut faire accuser Miles, dont le père est premier ministre de la planète, impériale également mais plus brute de décoffrage, où on copule encore en vrai, Barrayar, ennemie héréditaire de Cetaganda, au risque (calculé ?) de créer un incident diplomatique qui mettrait le feu aux poudres... On se laisse porter comme dans une de ces bulles flottantes dans lesquelles s'enferment et se déplacent les plus que belles Hautes cetagandanes.

mercredi 20 juillet 2022

La dose de Wrobly : messidor 2022 E.C.


   - Lois McMaster Bujold.- La Saga Vorkosigan : L'Apprentissage du guerrier / Les Montagnes du deuil / Miles Vorkosigan.
   On commence à s'habituer à la petite famille et à tous les personnages de la saga, notamment Miles Vorkosigan, qui sera le héros né difforme, cassablen petit et chétif après que sa mère a été victime d'une attaque à l'arme chimique. Eh ! oui, un héros handicapé, c'est assez rare pour être apprécié. Dans le 4ème tome on passe d'un certain réalisme malré tout, techno-fictif dans le premier (malgré les humains à quatre bras) et médiéval-impérial futuriste dans les deux suivants, à une comédie d'aventure inter-galactique fantaisiste (on pense à de la BD). Miles est un vrai clown, en plus d'être très intelligent. Il paraît que la suite s'orientera de plus en plus vers des énigmes de type policier dans ce décor de planètes contrastées (Star wars nous vient parfois à l'esprit) et de space opéra. On y prend finalemnet goût, les centaines de pages (390 pour L'Apprentissage du guerrier) défilent vite.
   - Michel Bakounine.- La Première internationale en Italie et le conflit avec Marx : écrits et matériaux.
   Se lit un peu moins vite. Non que ce soit moins intéressant, loin de là, mais on est dans les débats d'idées, la polémique, la confrontation politique, éthique, pilosophique, et dans l'Histoire, même si aussi un peu dans le combat de coqs. Après avoir croisé le fer avec le bourgeois républicain déiste béni oui oui italien, Mazzini, Bakounine affronte ici le socialiste allemand qu'on ne présente plus, tout en tâchant de développer l'Internationale en Italie depuis la Suisse.
   27,3 cm de hauteur sur 19,2 cm de largeur ; 5 cm d'épaisseur ; 500 pages. Les summer vibes, ça se passe comme ça chez Wroblewski !

vendredi 24 juin 2022

La dose de Wrobly : prairial 2022 E.C.


     Pierre Bourdieu.- La Domination masculine.
     Un livre passionnant, qui donne l'impression d'être intelligent. A 18 / 19 ans ans j'avais lu Ce que parler veut dire, sur la reproduction de la société de domination via la langue, tiré d'une bibliographie suggérée par le programme des études de que dalle que j'avais commencées à la fac de Censier, ç'avait été une révélation ! Je parvenais à comprendre une pensée complexe exprimée dans des termes techniques de sociologues, de linguistes..., avec un crayon et en relisant plusieurs fois certains passages ou pages, mais j'y arrivais (du moins il me semblait), et ça m'ouvrait des dimensions plus vastes de ma critique autodidacte et spontanée de l'oppression dans et de ce monde. Certes Pierre Bourdieu a des défauts, il a bossé pour Mitterrand et c'est un mandarin qui à force de décortiquer les mécanismes de la domination finalement nous embourbe un peu dedans en dévoilant sans pitié leurs aspects tellement profonds qu'ils découragent un peu les tentatives déjà bien exangues d'en sortir, mais j'ai une grande tendresse pour ce monsieur, qui pour moi est un gentil, et un scientifique rigoureux et engagé, qui n'a pas dévié dans sa critique des puissants et de leur loi explicite et implicite. Ici, comme son nom l'indique, plus que la reproduction de la domination de classe, c'est évidemment de celle de genre qu'il est question, avec un parallèle entre la société traditionnelle kabyle ou la loi patriarcale et ses dispositifs symboliques de reproduction restent très purs, et tous ses restes et traces on ne peut plus prégnants dans nos sociétés occidentales actuelles.

     Lois McMaster Bujold.- La Saga Vorkosigan : Chute libre / L'Honneur de Cordelia / Barrayar.
     Merci à Sébastien qui, après le roman de Barjavel précédemment cité La Nuit des temps, me prête cette saga à rallonge. Je ne connaissais pas du tout, mais je suis peu féru de science fiction, sauf exception, je suis plutôt polar. Ces romans se lisent bien, facilement, il y a le suspense qu'il faut pour qu'on ne s'ennuie pas, les principes défendus dans la morale et la critique sociale de la métaphore futuriste de notre monde sont plutôt généreux. J'en suis au troisième, je verrai si la suite vaut le coup. Si vous connaissez n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez !

mardi 19 octobre 2021

La dose de Wrobly : vendémiaire 2021 EC


- Dashiell Hammett.- Sang maudit.
   Après Moisson rouge, je lis donc Sang maudit.
   La légende plus le suspense et les coups de théâtre à s'en mordre les dents. Dès le tiers du roman on a déjà quatre meurtres et des solutions à ce qui ne devait être qu'une vulgaire enquête sur un vol de diamants bidon, qui s'enchaînent, la nouvelle invalidant la précédente. On se demande ce qui va bien pouvoir se passer dans les deux tiers restant, mais les surprises ne cessent de se bousculer dans nos mains fébriles. Je pensais Hammet du même acabit que Chandler (et de fait il y a des similitudes), un créateur d'ambiance peu concerné par les intrigues en elles-mêmes, mais ici on a les deux, l'atmosphère glauque et le who done it ? de grand art.
   Hammet, le créateur du roman noir américain, qui en plus fut harcelé par le maccarthysme et condamné à la prison, ce qui ne peut que nous plaire.
   Il m'a semblé avoir déjà lu ce livre, alors que je n'en avais aucun souvenir... Peut-être dans mon ancienne vie, un emprunt à mon père, au centre de documentation dans lequel j'ai bossé... 

- Le Roman de Renart.
XIe siècle La Chanson de Roland
1099 Prise de Jérusalem par les Croisés (Première Croisade)
XIIe siècle Naisssance du style gothique
1163-1182 (et XIIIe - XIVe s.) Notre-Dame de Paris
XIIe siècle (et XIIIe s.) Le Roman de Renart
XIIe siècle Les Fabliaux
1180-1223 Règne de Philippe Auguste
1226-1270 Règne de Louis IX (saint Louis)***

"- Pourquoi me raconter ces blagues ? répondit la mésange. Arrangez-vous avec une autre. N'insistez pas pour me baiser, cela n'est pas pour aujourd'hui !
   Quand Renart voit que sa commère ne veut pas croire son compère :
- Madame, veuillez m'écouter. Puisque vous vous méfiez de moi, yeux fermés je vous baiserai.
- Ma foi, dit-elle, je veux bien : fermez-les donc."

- Parcs et réserves naturelles.
   Par exemple la Camargue :
   "Le Salin-de-Giraud abrite dans ses cités le personnel des Compagnies Péchiney et Solvay.
   La Compagnie Péchiney [...] est un des grands trusts industriels de France. Elle possède une grande partie de la Camargue**. Elle exploite, au Salin-de-Giraud et près d'Aigues-Mortes, les marais-salants les plus mécanisés du monde et les plus importants d'Europe, "qui fournissent les 5/6 du sel méditerranéen et ont une capacité de production de 800 000 tonnes pour moins de 1000 ouvriers". [...]
   Le sel, dont on tire la soude et le chlore, approvisionne l'industrie chimique [...].
[...]
   La Camargue reste surtout une région agricole.
   [...] Aujourd'hui, la Camargue, avec ses hauts rendements (50 quintaux à l'hectare en moyenne) couvre les besoins français en riz.
   C'est une culture de grand rapport, lancée avec l'aide de l'Etat, mécanisée de façon très moderne, employant une main-d'oeuvre saisonnière à bon marché, italienne et espagnole surtout, et qui est en majeure partie entre les mains de grands propriétaires**.
"

   Amusant : ce chapitre sur la Camargue est venu se télescoper avec une chanson de Francesca Solleville que j'avais réécoutée au moins trois fois avant de lire le livre, que je trouvais très belle sans y comprendre que couic, sur les Saintes-Maries-de-la-Mer, les gitans, et des trucs religieux hétérodoxes et pittoresques.


   Et puis Aigues-Mortes, là où les 16 et 17 août 1893 des travailleurs italiens de la Compagnie des Salins du Midi, victimes de lynchages, coups de bâton, noyade et coups de fusils, furent massacrés par des villageois et des ouvriers français, acquittés par la suite et laissant sur le carreau cent morts et de nombreux blessés. On aperçoit cet épisode dans la superbe BD de Baru Bella Ciao.
   "Aigues-Mortes, aujourd'hui endormie dans ses remparts médiévaux, mais d'où st Louis partit pour la Croisade [...].***"

   Ou bien la Pierreuse, en Suisse.

   "Il n'est pas facile de créer une réserve.
   Les propriétaires désirent avant tout exploiter leur terrain. Ils veulent assurer le rendement de leurs forêts et de leurs pâturages**. Les communes cherchent à aménager leur territoire en station touristique.**
   Pour qu'une réserve puisse se créer, il faut que les propriétaires privés et les communes renoncent à certains avantages financiers.**
"

- Hakim Bey.- T.A.Z. : zone autonome temporaire.
   "La deuxième force motrice de la TAZ provient d'un développement historique que j'appelle la "fermeture de la carte". La dernière parcelle de Terre n'appartenant à aucun État-nation fut absorbée en 1899**. Notre siècle est le premier sans terra incognita, sans une frontière. La nationalité est le principe suprême qui gouverne le monde. - pas un récif des mers du Sud qui puisse être laissé ouvert, pas une vallée lointaine, pas même la Lune et les planètes. C'est l'apothéose du "gangstérisme teritorial". Pas un seul centimètre carré sur Terre qui ne soit taxé et policé... en théorie."

mercredi 25 août 2021

La Dose de Wrobly : thermidor 2021 EC


- Lawrence Block.- Le Blues des alcoolos.
   Un opus plutôt drôle de la série des Matt Scudder, qui recherche plutôt le ton sinistre habituellement. Ici on a un comique de caractère preque westlakien, bien moins réussi évidemment, mais on se demande parfois si la bande de plus ou moins alcoolos mise en scène n'est pas une à la manière de la troupe de bras cassés se réunissant dans l'arrière salle de l'O.J. Bar & Grill d'Amsterdam Avenue... Ce roman étant bâti sur un flashback, Scudder reboit. Et s'attaque à trois intrigues à la fois.



- Jean Racine.- Athalie.
   Je ne connaissais pas celle-ci. Autant j'ai quasi lu tout Corneille, autant de Racine seules Phèdre et Bérénice m'avaient inondé de leurs charmes. Ici nous ne sommes plus ni dans la mythologie grecque (bien que nous y restions dans la tragédie), ni dans la love story politique de l'antiquité romaine, mais dans les contes et légendes de Palestine (la pièce est commanditée, treize ans après que Racine ait renoncé au théâtre pour se réconcilier avec la religion, par la dévote madame de Maintenon, on comprend vite pourquoi). L'histoire est issue du livre des Rois de l'Ancien Testament, où elle est à peine esquissée en une demie page (en papier Bible). Mais Racine la détaille de manière presque Sévère Sulpicienne, en utilisant des procédés qui ne sont pas sans évoquer un à la manière de Flavius Josèphe. En gros, ce sont des fanatiques du pouvoir qui se tirent la bourre avec des fanatiques religieux, et qui s'entretuent méchamment. Bouh !


Salomone Rossi (1570-1630).- Al Naharot Bavel, psaume 136 de David en hébreu.

Extrait :
   "C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit.
Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n’avaient point abattu sa fierté ;
Même elle avait encor cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d’orner son visage,
Pour réparer des ans l’irréparable outrage.
« Tremble, m’a-t-elle dit, fille digne de moi.
Le cruel Dieu des Juifs l’emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille. » En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a paru se baisser ;
Et moi, je lui tendais les mains pour l’embrasser.
Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange
D’os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux."

   C'est beau comme du Baudelaire !

dimanche 25 avril 2021

La dose de Wrobly : germinal 2021 EC

   Le mois dernier Wroblewski est parti pour New York. Littérairement s'entend. Manhattan, bien sûr, mais aussi Brooklyn. Deux genre différents, deux époques, mais des passions qui s'enveniment au sein de la grande pomme pourrie, avec les femmes pour proie, le patriarcat pour prédateur, y compris au sein des classes les plus opprimées de la jungle capitaliste, notamment la classe ouvrière. Les passions dominantes étant toujours les passions de la classe dominante.



Manhattan, vu de Brooklyn.

 


- Lawrence Block.- Huit millions de façons de mourir.

   Cette fois ça y est, Scudder a arrêté de boire et fréquente les Alcooliques Anonymes. Il décrit de manière magistrale ces premiers jours d'abstinence, cette tempête obsessionnelle orchestrée sous un crâne d'alcoolique par la puissante, déroutante, et surtout sournoise maladie dont il est atteint, mais seuls les appelés à de telles alarmes pourront s'y reconnaître et en vérifier la véracité. Les descriptions des groupes et des réunions sont aussi criantes de vérité, et font sourire l'adepte, surtout vues par les yeux d'un jeune abstinent bourru, encore dans la révolte, le déni et le jugement de celui pour qui "moi, c'est pas pareil".


   Mais que les chanceux qui peuvent picoler normalement ne soient pas déçus, ce polar vaut quand même son pesant de divertissement, au-delà des références à l'alcoolisme. Ainsi, vous pourrez vous amuser comme tout un chacun à essayer de deviner qui a bien pu transformer la souris en steak tartare à l'aide d'une machette. Son souteneur ? Il est pourtant si distingué, et cultivé, et plutôt sympathique... Alors ? Scudder, entre une réunion et 48 heures de trou noir actif suite à une rechute parviendra-t-il à en connaître le fin mot ?...


Greenpoint, Brooklyn. Chance, le souteneur de Kim, y emmène Scudder dans sa garçonnière secrète, une ancienne caserne de pompiers.


- Arthur Miller.- Vu du pont.
   Là je découvre un écrvain. Je le connaissais évidemment de nom, mais pour moi c'était un écrivain de la jet set. Le mari de Marylin Monroe. Et puis l'Arthur à rejeter avec mépris au profit de l'Henry du Serge et de sa beauté cachée.

   Et j'apprends qu'il était d'origine juive polonaise (avant d'être islamo-gauchiste j'étais, et je suis toujours, philosémite), ah !... Mais ça ne signifie finalement pas grand chose. Puis je réalise qu'il a été inquiété sous le maccarthysme, qu'il a comparu devant la Commission des activités non-américaines, comme Dashiell Hammet, pour le coup un écrivain que j'ai dans le collimateur depuis longtemps, mais refuse de révéler les noms de supposés communistes. Il est condamné, puis acquitté en appel. Il parait qu'il symbolise par ailleurs l'auteur engagé...


   Et puis j'ai vieilli. Quand j'étais ado, et ça a duré, les cyniques me faisaient vibrer, je m'identifiais, et j'étais obsédé sexuel et pas toujours bien conscient de ce que certains aspects de ce qui me paraissait une preuve de liberté avait de profondément phallocrate, machiste (j'utilise les vieux mots, je n'ai pas encore complètement assimilé le vocabulaire des études de genre et du féminisme ésotérique, mais je progresse...). Alors, oui, les paroles de Gainsbourg étaient pour moi d'évangile. Et d'autre part l'engagement, c'était ringard, il fallait être "dégagé", le militantisme était le stade suprême de l'aliénation. Avec ces belles idées je n'ai quasiment rien fait de ma vie qui puisse être mis au crédit d'un apport quelconque à l'avancée de la révolution. J'ai bien été obligé de constater que finalement, être dégagé, même si à vingt ans on se dit que l'idéologie éclatera au contact de la subjectivité radicale, être dégagé c'est beaucoup être engagé par défaut et passivement dans le meilleur des cas pour l'ordre dominant. Après il y a engagement et engagement, je n'évoque évidemment pas la soldatesque stalinienne ou plus largement léniniste, ou les représentants de commerce électoralistes sauce dém' ou autres. Je ne connais pas exactement les idées d'Arthur Miller, mais les intentions générales semblent s'accorder avec les tendances de ma vie d'aujourd'hui, au moins humanistes, même si certainement pas anarcho-communistes (je parle des idées d'Arthur Miller, mes aspirations sont restées anarcho-communistes, même si de manière purement idéales, restons humbles). Ah ! La dernière chose qui a éveillé mon attention favorable chez Miller : il incarne beaucoup des ses personnage au sein de la classe ouvrière.

   Mais au-delà de ces considérations d'ordre biographique, et anecdotique, au-delà des préoccupations de l'opinion de l'auteur, de sa couleur politique, qui sont un peu une hérésie en terme d'appréciation littéraire pure, je dois dire que la lecture de cette première pièce (oui, Arthur Miller était dramaturge) m'a passionnée, une tension est savamment installée puis amplifiée tout au long de l'intrigue, avec un chié de suspense à la clé, et un putain de fatum des familles, un genre de tragédie grecque avec des Siciliens au pays des indiens exterminés par l'impérialisme WASP, qui fait que si on lit peut-être Henry Miller de la main gauche (je ne l'ai pas encore essayé), je constate aujourd'hui qu'il est difficile de ne pas lire Arthur Miller sans se ronger ongles et sangs !

Vue du pont.

lundi 21 décembre 2020

La dose de Wrobly : frimaire 2020 EC


- Bruno Alexandre.- Chroniques d'un incroyant, tome 2.
      J'ai encore appris plein de choses sur la religion en lisant ce tome 2 (pour le tome 1 voir la Dose de fructidor 2020 E. C.). Notamment que l'"Immaculée Conception" n'avait rien à voir avec la virginité de Marie quand elle accouche de Jésus, mais avec le fait qu'elle-même n'a pas été touchée par le péché originel quand sa daronne à elle l'a conçue. Méfions-nous donc quand un journal trouve swag d'ironiser sur la religion par quelques informations parcellaires, de ne point aller ensuite croiser le fer polémique avec des papistes en l'occurrence sans connaître tous les tenants et aboutissants de la question. Aussi je me disais bien que Marie vierge enceinte datait d'avant Jean-Roger Caussimon et surtout d'avant la prononciation solennelle du dogme de l'Immaculée Conception par Pie IX en 1854, à mon esprit revenant comme un caillou critique dans ma chaussure conceptuelle ces vers de François Villon :

Envers le fils de la vierge Marie
Que sa grâce ne soit pour nous tarie.



     On apprend encore plein de choses dans ce tome 2 dont nous lûmes le 1er volume en fructidor dernier.


- Jean Barrué.- L'Anarchisme aujourd'hui / Michel Bakounine.- La réaction en Allemagne.
     Après l'hérésie contre le vivant ci-dessus décrite et critiquée par Alexandre Bruno, ces torrents de blasphèmes contre la liberté, l'égalité et la fraternité humaine, la lecture d'une version parmi d'autres de notre catéchisme révolutionnaire fait un bien fou ! Même si on le dévore dans nos pantoufles confinées.


- Lawrence Block.- Le Coup du hasard.
     Qui a tué la souris ? Le rôdeur au pic à glace, comme tout le monde l'a cru ? Ou bien le mari ? la maîtresse ? le voisin ? la sœurette ?... comme essaye de l'éclaircir Matt Scudder huit ans après les faits, en arpentant les cinq "bourgs" du New York du début des 80's. Pas évident quand on n'échappe à la gueule de bois que par une nouvelle biture ! Mais ce sera le dernier opus du Scudder alcoolique pratiquant, dès le prochain il aura rejoint les Alcooliques Anonymes et se contentera de la foi sans les œuvres... Enfin peut-être pas pour moi car je viens de me rendre compte que je me suis trompé dans l'ordre de mes lectures, j'en ai encore un à découvrir qui se passe avant celui-ci, donc en pleine imbibation de notre privé sans licence (ex-keuf, il faut bien le dire...).

jeudi 24 septembre 2020

La dose de Wrobly : fructidor 2020 EC

   Pendant l'été Wrobly a fait un sort au tome 1 des Mémoires de Saint-Simon dans la Pléiade et au tome 1 de la correspondance de Baudelaire dans la même collection. Il est d'autre part toujours en cours de lecture de L'Art japonais. Mais comme ces trois pavés sont déjà apparus précédemment dans cette rubrique, il ne les mentionne qu'en passant, pour vous dire qu'il n'a pas chômé, et qu'il ne chôme toujours pas, malgré confinement, travail à domicile et congés estivaux.

   Ce dernier mois il est revenu à des choses un peu plus easy reading.

- Bruno, Alexandre.- Chroniques d'un incroyant


- Block, Lawrence.- Au cœur de la mort (In the Midst of Death), 1977. 


- Gotthold Meyer, Alfred .- Construire en fer : histoire et esthétique (Eisenbauten : ihre Geschichte und AEsthetik), 1907.


   Bonnes lectures !

vendredi 30 août 2019

La dose de Wrobly : thermidor 2019 EC

- Donald Westlake.- Au pire qu'est-ce qu'on risque ?


   Je me suis encore bien bidonné avec mon Dortmunder annuel et estival. C'était le 9ème de la série, dans l'ordre. Il m'en reste encore 7 ! J'ai un peu honte tellement je ploie sous la bonne fortune : 7 ! Encore !
   Ici, Dortmunder s'en prend, à notre grande jubilation, à une petite frappe de milliardaire qui lui a piqué sa bague. On serait consolé si pour une fois c'était les gentils (i.e. le prolétariat, la bande de pieds nickelés de John, quoi !) qui gagnaient, mais je ne souhaite rien vous divulgâcher, alors...

- La France et l'Allemagne (1932-1936).


   En contrepoint de l'excellentissime divertissement ci-dessus référencé, de l'Histoire pure, compacte et massive. Editions du CNRS et universitaires (avec, je dois l'avouer, quelques militaires). Pas l'Histoire que j'ai l'habitude de lire, du point de vue des vaincus révolutionnaires qui tentons (même si je suis un branleur, je me comprends parmi vous les amis !) pathétiquement d'orienter ladite geste humaine dans le sens de nos désirs, mais du principe de réalité, du factuel, du documenté, du chiffré. Ça fait pas de mal de temps en temps. Une chiée de piqûre de rappel avec approfondissement poussé de mes cours de classe terminale. Ça chamboule chouia toutes mes belles théories pacifistes, anti-militaristes, de lutte des classes, d'internationalisme... quand on voit durant toutes ces années, de Weimar au troisième Reich, l'Allemagne se réarmer tranquillou, violant dans un fauteuil tous les traités, à côté d'une France laissant faire et permettant finalement à Hitler de reconstituer l'armée qui écrasera la patrie du maréchal Pétain en 40, on a la tentation de se dire que les fachos des Croix de Feu avaient finalement raison de militer pour écraser l'infâme dans l’œuf, et suffisamment tôt faire coucher le chien policier allemand nationalo-militariste puis national-socialiste afin qu'il ne se relève plus. Ici c'est pas pour la France qu'on tremble de rage, c'est pour la liberté, et contre l'assassinat de masse et le racisme décomplexés. Cependant il faudrait vite-vite que je me procure un bouquin de Daniel Guérin pour me remettre dans la ligne. Je me suis d'ailleurs laissé dire qu'il a manqué un Bakounine pour analyser cette période de Wiederwehrhaftmachung (remise en état de défense) allemand puis de guerre, comme il l'avait fait en 1870, avec son point de vue de guerre révolutionnaire, de peuple en arme, sans aucune complaisance envers le despotisme prussien, mais cohérent avec sa conception de la lutte des classes et du "socialisme" (désolé, c'est comme ça que ça s'appelait à l'époque...) libertaire, même si peu réaliste quand on prend connaissance de la situation réelle. Il se serait démarqué du pacifisme global, de la droite à la gauche, qui régnait en France dans les années 30, conséquemment au traumatisme que les hécatombes de 14/18 avaient profondément causé. Finalement je me dis que je n'ai pas de solution, et que je ne suis pas censé en avoir, petit animalcule balloté au sein de toute cette fureur. En tout cas, c'est passionnant, même si, pour l'été, c'est bien costaud !

   On peut lire cet ouvrage ici.

- Lawrence Block.- Tuons et créons, c'est l'heure.
   Deuxième de la série Scudder. Pas du niveau de Westlake, loin de là. Mais j'ai commencé cette série, peut-être l'ai-je déjà évoqué après la lecture du premier opus, parce que le privé est un alcoolique, certes (il n'est pas le seul), mais qui va devenir abstinent en fréquentant une association d'anciens buveurs, avec tous les commentaires plus ou moins ironiques qu'il fera sur ces groupes. C'est d'ailleurs un ami fréquentant ces twelve steps meeting qui m'avait fait connaître cet écrivain, il y a un bail. Bref, comme mon meilleur ami fréquente aussi ces lieux, ça m'a donné envie. Dès le départ toutefois j'ai été déçu : la pochtronnerie de Scudder est somme toute assez légère, ne serait-ce que comparativement à un Nestor Burma bien de chez nous. Il consomme presque comme Marlowe, ni plus ni moins, en homme fort (d'ailleurs, si on essayait de s'enfiler tout ce qu'ils s'enfilent dans une journée de la diégèse bon pied bon oeil, on alignerait un certain nombre de comas éthyliques, je crois que c'est Malet qui avait fait remarqué cela). Lui c'est le café et Bourbon. Il ne se pisse pas dessus, ne se vomit pas dessus, n'a pas d'insondables pertes de conscience et/ou de mémoire, ne rentre pas chez lui gueule en sang sans savoir pourquoi, ne se met pas à chialer d'épuisement n'importe où, n'entretient pas les forges de Vulcain dans son ventre, sa poitrine, ses veines et sous son crâne les lendemains de la veille, ne fait pas fuir de voyageuses de leurs places de métro par sa puanteur, ne semble pas plus que ça hanter les neuf cercles, semble juste un peu déprimé... Il fait des pauses au troquet, voilà tout... Et couche avec la barmaid... Je ne vois pas l'intérêt de poser le verre dans ces conditions, mais le meilleur des romans sera malgré tout certainement quand il l'aura fait, je pense. Pas mal de clichés, mais facile à lire, un divertissement reposant mais loin d'être transcendant. On est toujours à New York.


- Julien Jenger.- La Libre Pensée, l'alcool et le sport : Rapport présenté au congrès national de la Libre Pensée Marseille, 15 et 16 août 1924 .
   C'est complètement un hasard, mais il est encore question d'alcool dans cette petite brochure. Moi, perso, vu que mon meilleur ami est abstinent depuis lurette pour des raisons de santé, voir de vie ou de mort, les problèmes liés à l'alcool et autres produits modifiant le comportement me passent complètement au dessus de la tête. Je m'en considère comme délivré y compris au niveau de la société des débats. Mais j'ai quand même une petit opinion qui, malgré la conscience et l'expérience directe de mon meilleur ami et par le biais de nombreux amis dont un certain nombre n'en sont jamais revenus que je puis avoir des conséquences épouvantables de la maladie de la dépendance active, en tant que libertaire, certes, mais surtout en tant que meilleur ami d'alcoolique, je ne crois pas aux vertus de la prohibition, et même pas trop non plus à celles de la prévention. Ceux qui ne sont pas dépendants consomment et ça ne constitue aucun problème, ni pour eux, ni pour leur entourage. Pour les malades en revanche, aucune prévention n'y fera rien : ils devront aller jusqu'au bout de la nuit, toucher le fond de l'enfer avant d'avoir l'improbable et rare mais pourtant existante étincelle qui leur fera peut-être refaire surface, avec de l'aide.
   Le camarade Jenger, lui, il est beaucoup plus radical que moi. Pour lui, pas de révolution tant que l'homme pressera le raisin : il est pour l'abolition de l'alcool et des drogues et il appelle les camarades à rejoindre son juste combat. Par contre il n'est pas pour l'abolition du sport mais pour son aménagement anti-capitaliste en "culture physique".
   Alors moi je veux bien, mais je pose quand même la question : si on abolit la religion et le pinard, comment qu'elle fera pour soupirer, hein, la créature opprimée ?

mercredi 4 février 2015

Un beau roman inattendu



J'ai trois sources de lectures :

- le Tas : des bouquins à lire, accumulés depuis bien 30 ans, et qui augmente parfois plus vite qu'il ne diminue,  dans un ordre aléatoire ;
- les cadeaux : parfois des daubes (Houellebeck...), destinées à être lues quand même car il est bon de connaître l'ennemi ; parfois de bonnes surprises (un roman primé de Leroy sur Zelda Sayre, la compagne de Scott Fitzgerald, par exemple) ou de très bons coups, pas forcément des surprises (aussi variés, mais j'y reviendrai, que Les Origines du totalitarisme d'Hannah Arendt, les oeuvres complètes de François Villon, ou un recueil de romans de Gaston Leroux...
- ce que je ne peux pas m'empêcher d'emprunter à la bibliothèque ;

A travers ces trois syntagmes, je dégagerais trois paradigmes, qui pourraient s'apparenter à des types de contenu des livres :

- de la littérature, dite plutôt classique, ou grande, du Lagarde et Michard augmenté disons ;
- des essais ou des documentaires (philo, spiritualité, sociologie, langues, arts, histoire, géographie, ...) ;
- de la littérature dite plutôt populaire : polars, BDs, science fiction (même si j'ai beaucoup de lacunes dans ce dernier genre)...

Anyway, je digresse. Le beau roman en question ne correspond à aucun des trois syntagmes précédents, puisqu'il m'a été conseillé par la prof d'anglais qui m'a formé dernièrement. Il se situe entre littérature plutôt classique et documentaire de langue, puisque je l'ai lu dans le texte, pour me perfectionner dans celle de Shakespeare. Ou plutôt de Dos Passos, puisque John Williams est étasunien, ainsi que son roman, ses personnages, ses lieux, ses évènements. Un anglais qui se lit très bien si on a quelques rudiments.

Stoner est un enfant de paysans pauvres. Comme ses parents et beaucoup de leurs collègues, il n'attend pas grand chose de nouveau de la vie, sinon les même travaux pénibles se reproduisant inexorablement au rythme cyclique des saisons. Travail pénible quand on n'est pas assez nombreux et qu'on doit pour survivre, en échanger les fruits contre de l'argent, ce truc dont il n'y a jamais assez pour tout le monde, au lieu de les mettre en commun et d'en jouir ensemble.

Stoner est un de ces personnages dépassé par les évènements. Un jour son père lui propose d'aller à Columbia, à l'université, étudier l'agronomie, pour revenir aider aux champs ensuite avec des compétences techniques utiles. Il bénéficiera pour cela bien sûr d'une bourse, et devra aider dans la ferme ou il sera hébergé.

Attention, ce n'est pas un roman social, sur le fameux ascenseur, même si Stoner l'emprunte. C'est la découverte fortuite d'une voie, d'une passion qu'une petite ouverture dans la fatalité permet  de suivre, de nourrir : à l'université Stoner se découvre, étonné et effrayé, une attirance péremptoire pour... la littérature de langue anglaise. Ses parents l'apprendront bientôt, il ne reviendra pas à la ferme, il n'y peut rien, ça s'est trouvé comme ça...

Les Etats-Unis entrent dans la grande guerre. Y aller : he would prefer not to. C'est plutôt mal vu, c'est l'Union sacrée là-bas aussi, bellicisme, patriotisme, haine du boche, un vieux prof d'allemand manque en faire les frais en frôlant le lynchage. Non, Stoner n'ira pas finalement, il se fait embaucher comme enseignant par son mentor, sans l'avoir vraiment décidé, mais en se laissant mener sur cette pente qu'il sent être la sienne.

Puis il tombe amoureux, pas un coup de foudre, plutôt un courant de rivière, et il le suit, comme d'habitude, cette fois même résolument. Las, cette jeune femme de St-Louis, Edith, fille de bourgeois d'affaire, se révèle très névrosée, nouée, incapable de rien partager avec lui, ni physiquement, ni affectivement, ni intellectuellement. Elle passe de la maladie à la compulsion de corvées ou travaux réservés aux filles de cette époque, comme encore pas mal de la nôtre d'ailleurs. Quand un jour l'idée fixe et soudaine lui vient d'enfanter, ses sens se déchaînent férocement, mais juste le temps de concevoir. Après, plus rien. Après la mort de son père, suicidé de 29, sa névrose devient psychose (enfin je suis pas psychiatre...), elle change de personnalité et se met à persécuter activement son mari cette fois, tentant même de le séparer de sa fille, avec qui il avait noué de tendres liens, pour dresser celle-ci par une éducation rigoriste. J'ai pensé à un symptôme de traumatisme suite à un inceste paternel pour Edith, certains évènements peuvent le laisser penser, mais rien n'est dit clairement.

Puis à son grand étonnement encore une fois, Stoner devient bon. Bon prof. Apte à transmettre sa passion à ses étudiants (la passion de la grammaire médiévale et de la renaissance, faut le faire !). Bon écrivain.  Et il aime ça ! La fac devient pour lui un refuge, un "home", ou il passe le plus clair de son temps pour échapper à l'ambiance morbide de sa "house". Il  rencontre des personnes sympathiques, excentriques, élèves et profs. Et puis, toujours sans le vouloir, il va rencontrer l'amour avec une de ses élèves, il y aura donc adultère....

J'en suis là. C'est très émouvant, ce personnage est sympathique qui découvre sa mission, sa passion, peut-être le bonheur, malgré lui, mais avec une ouverture d'esprit qui lui permet de ne pas rater le coche. Contrairement au personnage de Melville, son leitmotiv ne serait pas "I would prefer not to", mais "why not ?"

C'est comme ça que j'aurais peut-être dû faire. Mais j'étais plutôt névrosé, comme Edith, et il a fallu que je quitte tôt les études pour avoir un salaire pour faire la fête pour oublier tout ça... Bref, trop réactif le gars (ou pas assez...), pourtant loin d'être un hyper-actif...

Bof, au final, j'en ai trouvée une pas si mal, de voie, puisque j'en suis à faire ce blog.