mercredi 26 février 2020

La dose de Wrobly : pluviôse 2020 EC


- Marcel Aymé.- Du côté de chez Marianne.
   Une collègue disait dernièrement lors d'une assemblée, des étoiles dans les yeux, qu'elle n'avait jamais autant lu depuis le début de la grève le 5 décembre dernier. Bon, elle parlait surtout de trucs sur les retraites, pas trop passionnant, mais nécessaire, il faut bien s'informer un minimum pour argumenter face à ceux dont la grève n'est pas une évidence éthique. Mais en ce qui concerne la lecture en général, ses propos m'ont un peu surpris car moi, c'est tout le contraire. Depuis le début de la grève je lis beaucoup moins*. Déjà quand les camarades des transports n'avaient pas encore été mis à genoux, ne prenant plus les transports je perdais au moins une heure et demie de lecture par jour, et puis dans beaucoup d'autres circonstances, ma vie sociale s'étant d'un coup intensifiée et diversifiée, que ce soit sur les piquets, dans les manifs, les assemblées, réunions, mais aussi moments de discussions sympas avec mes nouve-lles-aux ami(e)s, plus moyen de me retirer dans une caverne pour m'adonner à ma coupable passion. Le grizzly transformé en lémurien par la magie de la lutte sociale. Ne vous étonnez donc pas de ne trouver qu'un seul livre dans ma dose de ce mois. Rassurez-vous, parallèlement je poursuis les Mémoires de Saint-Simon, jamais vu un tel pavé, garni de notes minuscules, sur papier bible et donc chaque page nécessite une concentration de chirurgien se coupant les ongles pour ne pas perdre le fil des généalogies à rallonge qui n'en finissent pas. On est maniaque ou on ne l'est pas.


   Ces articles de Marcel Aymé dans Marianne (la tentative de Gallimard de créer un hebdo plutôt marqué à gauche, pour faire pendant aux droitiers et très prisés Gringoire et Candide de l'époque) sont très courts, faciles (quelle détente après Saint-Simon !), amusants et agréables à lire. L'auteur ne s'était pas encore, par un pacifisme qui rapprocha son nom de ceux de fachos sur une pétition, fâché avec la gauche pour cette histoire d'invasion de l'Ethiopie par Mussolini, et ces chroniques, publiées de 1933 à 1937, bien que toujours entre deux degrés d'ironie, se révèlent souvent franchement révolutionnaires - par ses critiques du réformisme, quand il souhaite l'abolition des mines, par exemple (et non leur aménagement), ou des Constitutions (et non leur remplacement) auxquelles il préfère des périodes d'anarchie expérimentale intercalées de plages plus calmes de repos sur les acquis ; par ses témoignages du caractère de classe de la police et de la justice, ses persiflages à l'encontre de l'absurdité du "progrès" technique capitaliste-marchand-, sa satire de la sans scrupule voracité bourgeoise, son insurrection contre la peine de mort (notamment celle de la jeune femme de 19 ans Violette Nozière) - et résolument anti-hitlériennes. C'est vrai que sur le papier c'est simple (mais à moi qui ne suis qu'un individu aux idées avancées de clavier et de souris, il serait mal venu de lui reprocher de ne pas avoir pris les armes), et que sa résistance à l'envie de résister sous l'occupation et ses amitiés nazi-compatibles ultérieures peuvent aujourd'hui faire lire ces propos avec un a priori un peu doux-amer.

   A propos de cette époque, de la prise de pouvoir des nazis jusqu'aux approches de la guerre et de ses échos en France, on lira avec profit, en gravement plus sérieux, le livre de ma dose de thermidor La France et l'Allemange : 1932-1936. J'ai entendu causer aussi d'un livre de Daniel Schneidermann, Berlin 1933, sorti il y a peu, sur la presse française à cette époque, qui doit être fort intéressant, mais je ne l'ai point lu.


* Ce ne sont pourtant pas les ouvrages qui manquent :














   Mais on peut pas faire dans le graphisme, l'accroche et le secrétariat en continuant à se la couler douce avec un bon bouquin. On me l'a dit sur le piquet d'ailleurs, pourtant je lisais du sérieux, le Diplo, une fois n'est pas coutume : on n'est pas ici pour lire ! J'ose quand même espérer que c'était ironique parce que si je ne peux pas lire, moi, votre révolution, vous pouvez vous la carrer dans l'oignon.


mardi 18 février 2020

Boule de suif

- Oyuki la vierge (マリヤのお雪, Maria no Oyuki) de Kenji Mizoguchi, 1935.
    Vous connaissez tous la cruelle bien qu'excellente nouvelle de Maupassant sur la bourgeoisie nommée Boule de Suif. Eh bien j'ai eu la surprise de reconnaître quasi à l'identique cette histoire en poursuivant ma filmo de Mizogu par ce film des années 30. Sur le DVD, nulle mention de Guy, et je me suis longtemps demandé s'il était possible d'inventer deux fois la même histoire d'un bout du monde à l'autre sans se consulter, d'autant que la fiction du film se déroule en 1870, en pleins bouleversements, soubresauts et poches de résistance au retour central de l'empereur de l'ère Meiji, exactement comme celle de Maupassant dont les faits font référence à la guerre contre les prussiens qui amènera la chute de Badinguet. Tout fier de ma découverte j'allais vous en parler en érudit choqué d'un tel plagiat, quand, cliquant sur le net, je constatai qu'il était de notoriété publique que ce film était tiré de cette nouvelle. Bon, sans être un découvreur, j'aurais au moins la satisfaction de ne pas m'être planté. La fin cependant n'a rien à voir avec l'original, où les deux (au lieu d'une) prostituées se révèlent amoureuses de l'officier auquel elles se sont offertes.

Avec Isuzu Yamada, déjà vue ici ici.

 Les deux prostituées utilisées par les bourgeois pour sauver leurs peaux, puis chassées avec mépris.

- Les Coquelicots (虞美人草, Gubijinsō), de Kenji Mizoguchi, 1935.
   Celui-ci m'a moins plu, il est d'une morale un peu bien pensante. C'est un film d'amours malheureuses. Le fils prodigue faible de caractère, envoûté par une gourgandine intrigante, finira, grâce à son rival honnête et droit, par revenir vers la jeune fille vertueuse, adulée par son vieux père, style Goriot, à deux doigts de clamser et désespéré de l'échec (temporaire) de ses projets pour son unique rejetonne. 

Je suis sûr que vous auriez voulu la gourgandine, eh bien non, vous aurez la jeune fille vertueuse.


Ma dernière actu ciné.

mercredi 12 février 2020

Ein Berliner

Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu.
Bertold Brecht (pas à propos de la dernière grève vaincue contre la réforme des retraites, pour l'abolition du travail au service de la bourgeoisie, de l'Etat, de celle-là et de celui-ci et pour l'autonomie des vivants dans toutes leurs activités, mais ça aurait pu).
J'habite maintenant dans la Chausseestrasse, près du cimetière "français", mes fenêtres donnent toutes sur le parc où les généraux huguenots et Hegel et Fichte reposent.
Bertold Brecht à Peter Suhrkamp, mars 1954. Libre traduction du blogueur.


Dans cette maison travaillèrent et habitèrent BB de 1953 à 1956 et HW de 1953 à 1971. C'était en RDA.

Der Zweifler (Le Sceptique), dans la chambre de Brecht.

Juste derrière le muret rouge reposent des huguenots dans leur enclos dédié.


Trouvé sur la tombe.

Mauvais temps pour la poésie

Je le sais bien : seul l’homme heureux
Est aimé. On aime à
Entendre sa voix. Son visage est beau.

Dans la cour, l’arbre rabougri
Pointe vers le sol pourri, mais
Les passants le traitent d’éclopé
A juste titre.

Les bateaux verts et les drôles de voiles du détroit
Je ne les vois pas. De tout cela

Je ne vois que le filet de pêcheur déchiré.
Pourquoi dire
Que la quarantenaire marche courbée ?
Les seins de la fille
Sont chauds comme toujours.

Une rime dans ma chanson
M’apparaîtrait presque comme de l’arrogance.

En moi combattent
L’enthousiasme devant le pommier en fleurs
Et l’épouvante devant les discours du peintre.
Mais seul le deuxième sentiment
Me pousse vers mon bureau.

Traduction de Nicole Gmünder, merci à elle !

Dans le petit cimetière de Dorotheenstadt on trouve aussi la tombe de Heinrich et Nelly Mann.

Le génial compositeur Hanns Eisler que j'évoquais déjà ici (il faut absolument écouter le disque qu'Heiner Goebbels a consacré à sa musique, splendide), compagnon de route de Brecht, plus convaincu par le socialisme réel que Kurt Weil puisque contrairement à ce dernier qui, comme un poisson dans l'eau dans le pays de la libre entreprise, du consumérisme, de l'entertainment, du fascisme et du racisme, et délivré du surmoi brechtien, préféra rester aux States après l'exil, lui, Eisler, rentra, comme Brecht, vivre dans une annexe de l'austère paradis des travailleurs capitaliste d'Etat policier, la RDA. Il faut dire que le choix était pauvre, et le dilemme cornélien, mais j'aime à croire que les deux copains marxistes furent plus motivés par la haine de l'empire bourgeois que par la foi en une équation entre stalinisme et communisme.

On croise aussi Herbert Marcuse. Lui, c'est rigolo, était resté vivre aux States, mais est mort d'une attaque en Allemagne lors d'un séjour.

Et deux cadors de la philo allemande.

L'Hegel.

Et le Fichte.

Le théâtre du grand dramaturge, le Berliner Ensemble.

Sa statue.


Die Mauer.

Oh malheureux que vous êtes !
On violente votre frère et vous fermez les yeux !
La victime hurle, et vous vous taisez ?
La brute se promène et choisit ses sacrifiés
Et vous, vous dites : « il nous épargne car nous ne montrons aucun mécontentement. »
Qu’est-ce que c’est que cette ville, quelle sorte d’hommes êtes-vous ?

Traduction de Nicole Gmünder, vienlen dank  !!!

   Allez pour finir et pour le plaisir, un petit coup de Hanns Eisler, Die Heimkehr (Le Retour), extrait d’un magnifique ensemble de Lieder, Hollywood Liederbuch qu’il a écrit dans les années 40 après son départ de l’Allemagne nazie, pendant qu'il gagnait sa croûte en faisant des musiques de films.


dimanche 2 février 2020

Judéophobie

Peu après la tentative de carnage dans une synagogue de Halle (Allemagne) en plein Yom Kippour, un sondage sur l'antisémitisme était réalisé auprès de 1 300 Allemands.


Plus de 20% des personnes interrogées déclaraient que le peuple juif avait "trop de pouvoir" sur l'économie et les médias.


L'enquête révélait que les personnes riches et diplômées n'étaient pas en reste : 18% étaient raccords avec les préjugés antisémites.


Au pays de la Solution finale, où les juifs ne représentents qu'environ 200 000 personnes sur une population de 80 millions, les actes hostiles envers eux ont augmenté de 20% en 2018.


Et au sein de l'AfD, on n'hésite pas à en rajouter.


Björn Höcke, membre de l'aile völkisch du parti, a qualifié le Mémorial du génocide de Berlin de "monument de la honte au cœur de la capitale" et a invité à rompre avec la culture de la repentance.


Propulsé tête de liste aux régionales en Thuringe, il est arrivé en deuxième position avec 23,3% des voix le 28 octobre dernier, doublant son score de 2014.


L'Histoire ne se répète jamais, dit-on, mais elle peut bégayer salement.










Brève issue du CQFD n° 182 de décembre 2019.