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mercredi 22 février 2023

La Dose de Wrobly : pluviôse 2023 EC

Odilon Redon.- La Cellule d'or.

- Walter Benjamin.- Rêves.
   "Une tradition populaire met en garde contre l’idée de raconter ses rêves le matin, à jeun. Dans cet état, en effet, l’homme éveillé est encore sous l’emprise du rêve. Car la toilette ne rappelle à la lumière que la surface du corps et ses fonctions motrices visibles, alors que, dans les couches inférieures, pendant que nous faisons notre toilette, la pénombre grise du rêve persiste et se renforce même dans l’isolement de la première heure de veille. Celui qui appréhende d’entrer en contact avec le jour, que ce soit par peur des hommes ou parce qu’il veut se recueillir, peu importe, ne désire pas manger et dédaigne le petit déjeuner. Il évite ainsi la rupture entre le monde de la nuit et celui du jour. Une précaution qui ne se justifie que si l’on consume le rêve dans une tâche exigeant concentration, à défaut de le consumer dans la prière, mais qui peut conduire, autrement, à une confusion des rythmes de vie. Dans cette représentation, transcrire ses rêves est funeste, car l’homme, encore à moitié complice du rêve, le trahit avec ses mots et doit s’attendre à ce qu’il se venge. Pour le dire dans le langage d’aujourd’hui : il se trahit lui-même. Il a quitté la protection de la naïveté onirique et s’abandonne à lui-même en touchant à ses visions de rêve sans les maîtriser. Car c’est seulement de l’autre rive, dans la clarté du jour, qu’on peut raconter le rêve, à l’aide d’un souvenir capable de le maîtriser. Cet au-delà du rêve ne peut être atteint que par une purification analogue à la toilette et pourtant totalement différente d’elle. Cette purification passe par l’estomac. L’homme à jeun parle encore du rêve comme s’il parlait dans son sommeil."
Albert Welti. Nuit de lune [Mondnacht].

- Lois McMaster Bujold.- Komarr.
   Grand plaisir de retrouver Miles Vorkosigan, viré des services secrets mais désormais Lord Auditeur de Barrayar, débarquer sur la planète Komarr pour y enquêter sur la destruction de son miroir solaire. Il y rencontre une famille à l'homme manipulateur et agressif, mais dont la femme n'est pas sans l'attirer puissamment... Je débute donc dans le suspense le tome 5 de la saga !

jeudi 20 octobre 2022

La dose de Wrobly : vendémiaire 2022 E.C.


   - Walter Benjamin.- Lumières pour enfants (Aufklärung für Kinder) : émissions pour la jeunesse.
   Déjà, Benjamin s'adresse ici à des enfants (sans les prendre pour des niais le moins du monde), et comme ses écrits pour adultes me sont en général assez ardus d'approche, même si j'y prends aussi un grand plaisir dans l'effort, ici c'est vraiment une détente, agréable et instructive. Et enthousiasmante, car contrairement au précédent livre de l'auteur lu et chroniqué ici (Rastelli raconte...), un recueil de contes, nous avons ici de petites chroniques documentaires décrivant, évoquant et dissertant sur... Berlin (mais pas que, les 12 premières chroniques sur 29, bien d'autres surprises vous attendent les enfants !). Berlin, qui, comme vous le savez, est une ville mythique pour moi, pour des raisons familiales, littéraires, historiques, personnelles... Un intérêt non des moindres de ces chroniques berlinoises est qu'elles datent de la fin des années 20 au début des années 30, à savoir quelques années avant la prise de pouvoir des nazis. On aura droit au dialecte berlinois et à la personnalité "grande gueule" et pleine d'humour des habitants de la ville-Etat (avec une référence au Berlin Alexanderplatz d'Alfred Döblin), aux marchands ambulants et marchés du vieux et du nouveau Berlin, au théâtre de marionnettes local, au Berlin démoniaque d'E.T.A Hoffmann, aux souvenirs d'enfance d'un gamin des rues, à des promenades au rayon jouets des grands magasins, à la visite d'une usine métallurgiques de fabrication de machines-outils plus que bicentenaire (incongru pour moi, mais finalement très intéressant...), aux cités-casernes (déjà !), au dessinateur Theodor Hosemann, à une fabrique de laiton (!), etc.
Parc de Treptow le jour de la fête de l'ouverture de la pêche de la presqu'île de Stralauer, de Theodor Hosemann.
Une demi-tonne de bière et un repas simple : c'est la récompense pour les pêcheurs. Auparavant, selon la coutume, ils donnaient les prises de leur pêche au prêtre. C'est le 24 Août, le jour de la Saint-Barthélemy, que la période de fermeture de la pêche prend fin. Ainsi débute en 1574 la tradition du Stralauer Fischzug, qui 300 ans plus tard est devenu une fête populaire avec 70 000 visiteurs. En 1873, la fête fût interdite pour cause de célébrations tapageuses. Depuis lors c'est devenu plus calme sur la presqu'île de Stralau et alentour.


   Tegel, Unter den Linden, Schöneberg, Templehof, Tiergarten, la porte de Brandebourg... autant de termes qui m'évoquent des lieux vus directement ou entendus nommés et imaginés, et qui me donnent envie d'y retourner. Si ça se fait un jour, je réemprunterai ce livre pour l'emmener comme guide.

   - Lois McMaster Bujold.- Cetaganda.
   Détente agréable, ici aussi, grâce à la générosité persévérante de mon pote de l'aïkido qui m'avait prêté le volume I de la saga Vorkosigan cet été. Je commence donc le volume II. Je trouve cette rentrée et cet automne particulièrement déprimants (guerre, désastre écologique, fascistes, capitalistes toujours plus en roue libre et pépouzes, saloperies éructées par leurs larbins médiatiques, petits chefs toujours à fond dans leur rôle... je devrais être remonté pour combattre mais j'ai peu de force vitale, je suis démotivé, me sens vieux et ai à moitié la crève. Du coup ça me fait du bien ce pur divertissement, j'oublie un peu toute cette merde, un opium du peuple doux... Je retrouve avec plaisir mon héros nain bossu fragile comme le verre (Miles Vorkosigan), sa petite famille de grands aristos moyennâgeux par son père et de républicains techno-ravis de la crèche par sa mère, et ses amis. Le space opera laisse de plus en plus place à des intrigues policières, sur des planètes contrastées. Ici on a chouravé la clé de la banque génétique des Hauts, la haute aristocratie de la planète impériale Cetaganda, banque via laquelle ils se reproduisent en eugénistes accomplis, sans contact grands dégoûtants ! Et on veut faire accuser Miles, dont le père est premier ministre de la planète, impériale également mais plus brute de décoffrage, où on copule encore en vrai, Barrayar, ennemie héréditaire de Cetaganda, au risque (calculé ?) de créer un incident diplomatique qui mettrait le feu aux poudres... On se laisse porter comme dans une de ces bulles flottantes dans lesquelles s'enferment et se déplacent les plus que belles Hautes cetagandanes.

lundi 21 mars 2022

La dose de Wrobly : ventôse 2022 EC


   Je ne sais pas ce qu'il leur a pris à ces potes-là, ils ont été deux à vouloir me prêter un livre ce mois-ci. Deux copains de l'aïkido. Et comme la politique de la Plèbe est de ne jamais refuser un livre prêté, et de le lire, que par ailleurs prendre connaissance des productions de l'ennemi peut aider à le combattre, ou à reconnaître le biais par lequel il tente d'endormir le populo par sa propagande lénifiante, ou au contraire de le galvaniser par son idéologie incitatrice à la haine du bouc émissaire, ou plus simplement et plaisamment peut permettre de rigoler un bon coup (ce n'est pas toujours le cas, parfois les grincements de dents sont majoritaires, d'où le côté héroïque de l'exercice), eh bien voilà, ce mois-ci deux livres qui n'auraient en temps normal rien eu à faire ici figurent dans notre : un roman d'un écrivain d'extrême droite (du moins l'ai-je entendu dire), et une plaidoirie de l'avocat (mais aussi l'"ami" et le "frère" dans le deuxième cas) d'une chambre de compensation, d'un patron de presse despotique, agressif et nul, de DSK..., ne dédaignant pas (l'avocat en question) de s'auto-proclamer chantre de la liberté d'expression, tout en tentant de faire taire par divers moyens (mise à la rue sans revenu, procès, calomnies infamantes...) ceux qui émettent des critiques à son encontre ou à celles de ses affidés, ou qui émettent des avis différant du sien.

- René Barjavel.- La Nuit des temps.
   Je n'avais jamais rien lu de cet auteur. Et dans ma tête il était d'extrême droite, je ne sais plus où j'ai entendu ça. Je n'en sais pas plus sur le sujet. Ça ne se voit pas en lisant le roman, qui critique les nationalismes et impérialismes, le militarisme, le capitalisme, quoique, mais est-ce que c'est le sentiment de l'auteur ou simplement un symptôme du monde décrit dans la fiction, les Blancs, les Noirs, les Gris, les Jaunes sont tous bien différenciés et dessinent les différents camps internationaux, très guerre des civilisations.
   Si le roman commence plutôt bien, avec un bon suspense et de l'étrange (un signal émis sous 900 mètres de glace en Antarctique détecté par une équipe scientifique...), je suis finalement resté avec un goût de roman de gare. C'est une histoire d'amour guimauve et convenue entre deux êtres parfaits, qui ne nous épargne même pas l'exercice de style des scènes érotiques plutôt lourdingues tant elles se veulent esthétisantes et littéraires, dans une dystopie très décrite mais super froide. Bof, bof... 


- Richard Malka.- Le Droit d'emmerder Dieu.
   On est d'accord, à la Plèbe on est contre les fanatiques assassins, et contre les pouvoirs religieux oppresseurs. Mais on n'a rien contre les musulmans, et de quel droit on aurait quelque chose contre ? Mes voisins, mes collègues, la nounou de mon fils, mon ex-femme, mes copains d'aïkido, d'immenses artistes sont musulmans, ce sont des hommes et des femmes, ils ont le droit d'être là, aussi bien que les catholiques, les bouddhistes, les athées, les radicaux, ou les avocats d'affaires. D'ailleurs Malka le dit lui-même, et on est content de le lire malgré tout : "Les croyances ne peuvent jamais exiger le respect. Seuls les hommes y ont droit." Et on est des blasphémateurs quand ça nous prend, mais sans ambiguïté. Je feuilletais dernièrement le Siné mensuel de septembre 2021, les caricatures d'islamistes, de talibans, y sont légion, mais à aucun moment je n'ai l'impression qu'on crache à la gueule de la femme portant mantille qui fait le ménage dans les bureaux de mon tapin républicain tôt le matin.
   Donc les ennemis de nos ennemis (les fanatiques et autoritaires religieux - ou pas -) ne sont pas forcément nos amis, loin de là. N'oublions pas que cet auto-proclamé héraut de la liberté d'expression a voulu la peau (au sens figuré) de Denis Robert, quand celui-ci enquêtait à charge sur la chambre de compensation (banque des banques, lieu de tous les blanchiments, y compris d'armes de guerre ?) qu'il servait et sert peut-être toujours, Clearstream. Rappelons-nous également qu'il a essayé de faire taire Siné, quand celui-ci a été viré sans indemnité par le sinistre Philippe Val, celui qui s'est servi de l'ascenseur du comique troupier gauchiste pour parvenir à la notabilité médiatico-medefo-sarkozyste, non sans s'être entre temps approprié le titre Charlie Hebdo, dénaturant totalement les excellents journaux francs-déconneurs des années 60 et 70, Hara-kiri et l'homonyme, pour produire dès 1992 une tribune centriste de préchi-précha pour ses sermons et anathèmes et qui ne cessa de se conformer à l'ordre républicain bourgeois, le tout arrosé des dessins les plus vendeurs possibles, donc censés le plus choquer, sans beauté, ni intelligence, ni cœur, ni sincérité. Le pire est que Malka essaye de nous faire avaler la continuité de projet et de ton, de génie entre le C.H. des 70's et celui des 90's et suite. Quelle blague ! Certes ils ont réembauché au rabais quelques anciens, pour la caution, abusant de la confiance de personnes âgées. Cavanna est mort dans la pauvreté, rien ne lui a été laissé de la part du gâteau devenu bien gras. Je me souviens d'une garde à vue aux stups dans les 90's quai des Orfèvres, je m'étais fait une fois de plus gauler achetant une barrette dans la rue, pas doué le jeune homme. Les condés m'avaient laissé garder le journal que j'avais ce jour-là, c'était Charlie, que j'essayais encore de lire à l'époque en hommage aux grands anciens. Quelle nullité ! Aucun de ces dessins ne me faisait rire, en rien cela n'a adoucit ces quelques heures nocturnes passés derrière le plexiglas. Il avait circulé parmi les autres toxicos mes confrères, franchement, la double peine.
   Enfin d'après Malka, les responsables de la tuerie dégueulasse en question, ce sont ceux qui luttent contre l'islamophobie. Des munichois (même la LDH !). Pour lui, le racisme anti-musulman n'existe pas. Une égalité totale règne dans la loi, pour tous. Il fait semblant de ne pas savoir que la loi est une chose, la réalité en est une autre, et que les lois contre le séparatisme et autres joyeusetés ne sont pas neutres, même si elles prennent hypocritement la forme de la neutralité. Pas d'islamophobie en France, alors que Zemmour, Le Pen, Pécresse et bien d'autres ne font quasiment leurs campagnes que sur et contre les musulmans.

   Une des seule chose intéressante de ce petit livre, est le résumé des étapes de l'affaire des caricatures depuis le début en Hollande puis au Danemark, avec cette manipulation faite par des imams des Frères musulmans pour créer un scandale autour de quelques caricatures anodines qui n'avaient suscité aucune réaction, avant que ces religieux n'y rajoutent des caricatures issues d'un site hystérique de suprématistes blancs américains, avec sodomie par chien, pédophile, etc. Intéressant aussi quand il évoque le danger des religions, selon ce que les hommes en font, comme la drogue peut-être dangereuse selon que le consommateur ait un terrain dépendant ou pas. Il évoque ainsi la Saint Barthélémy, 3 000 morts à Paris, 30 000 en France, et des guerres religieuses de diverses obédiences.
   Quelques évocations de Richard Malka ici et ici.

- Agatha Christie.- Les Enquêtes d'Hercule Poirot.
   Détente pure, plaisir de gosse, je continue l'intégrale. Ce sont des nouvelles, pas ce que je préfère, loin de là, l'ambiance si particulière de l'aristocratie british n'a pas le temps de s'installer, non plus que la tension liée au besoin de savoir et à ce sadique jeu avec nos nerfs auquel s'adonnent l'écrivaine anglaise et le petit détective belge. Mais il faut quand même un sacré talent pour construire, comme ça, une intrigue, un suspense, une mini enquête et une explication lumineuse en quelques pages.

- Walter Benjamin.- Rastelli raconte... et autres récits.
   Une très bonne surprise en cette période de rage de dents et mère qui commence à partir en sucette. Benjamin, plutôt quand même un peu philosophe ésotérique, je le lis, certaines phrases ou paragraphes plusieurs fois de suite, avec les sourcils froncés et cette anxiété qui ne me quitte pas quand j'ai la sensation de ne pas tout comprendre. Ici on a un réjouissant recueil de nouvelles, comme je les aime, qui surprennent (surtout quand on s'attend à des thèses, comme la préface nous y prépare), sont courtes et concises, et apportent un léger suspense, parfois non totalement résolu à la fin, mais sans frustration, tant le plaisir d'avoir été happé par de si courtes et magnifiquement écrites histoires compense ce que peut avoir d'inconfortable les quelques interrogations métaphysiques qu'elles suscitent. Par exemple, celle où un voyageur allemand à Marseille prend du haschisch dans sa chambre d'hôtel, et se tape un tel trip, raide de chez raide, qu'il rate une opération boursière qui l'aurait rendu millionnaire. La description des effets du shit est tellement vraie, elle m'a tellement renvoyé à mes jeunes années quand j'en étais adepte, un peu comme celle des Paradis artificiels de Baudelaire, mais en moins pontifiant, que les amateurs passés ou toujours pratiquants ne manqueront pas d'en rire comme je l'ai fait. Les autres nouvelles sont savoureuses aussi, entre Maupassant, en moins fou, Stefan Zweig, en moins triste, Dino Buzzati... On y parle d'Ibiza avant Blanquer. Saviez-vous que les habitants des Baléares étaient considérés comme des frondeurs par les chefs des légions romaines, et que balea en latin signifie fronde ?

jeudi 23 septembre 2021

La dose de Wrobly : fructidor 2021 EC

 - Nicolas Bouvier.- L'Usage du monde.
   Magnifique, instructif et passionnant. Deux potes suisses, l'un peintre, l'autre écrivain, partent dans la petite Fiat qu'ils ont retapée direction l'Inde. Via la Yougloslavie, la Macédoine, la Turquie, l'Iran, le Pakistan, et l'Afghanistan. Le livre se termine quand Nicolas Bouvier, que son compagnon a quitté à Kaboul pour aller rejoindre sa fiancée à Ceylan quelques semaines plus tôt, prend le chemin du sous-continent, désormais seul au volant d'une Fiat qui, on le pressent, fera vite long feu. Un Sur la route sans sexe, sans drogue et sans jazz, même si la musique y est très présente, notamment la tzigane, mais aussi celle que nos deux globe-trotters ne dédaignent pas de taquiner, entre autres à l'accordéon, faisant souvent la joie de leurs hôtes... Conséquemment, le fait que même aux pays de l'opium ils ne soient jamais défoncés par des produits, rend tout cela beaucoup moins lourdingue que les tribulations de Kerouac. Ici, seule la sensibilité mue par les immensités traversées ou l'humanité rencontrée est exprimée, avec une littérature simple mais efficace. Le casanier que je suis a évidemment appris plein de choses. Et pour couronner le tout, l'humour irrigue ces pages, un humour tendre et fraternel, jubilatoire. J'ai été fort surpris, timoré et certainement endoctriné que je suis par une certaine idéologie hobbesienne et européo-centriste dominant notre meilleur des mondes, je me disais qu'un tel périple devait forcément mettre la vie des protagonistes en jeu à chaque étape, qu'ils étaint des trompes la mort, des têtes brûlées (il est vrai qu'à quelques occasions l'incident a été évité de très peu et qu'aucun des régimes des pays traversés ne ressemble à la douce utopie d'Anarchie). Mais finalement j'ai fermé le livre rasséréné, en me disant, peut-être en proie à un excès inverse, qu'au bout du compte les gens sont gentils sur cette bonne vieille terre, et en ressentant quelque chose comme le goût de la fraternité humaine.

 - Dolent Jean / Daquin Thomas.- La Sécurité militaire.
   La suite m'a tout de suite ramené les pieds sur terre...

   "Voilà donc un service enveloppé de mystère dont les compétences sont définies de manière si floue qu'elles n'ont point de limites certaines ; qui est chargé en principe de veiller sur ce qui doit rester secret - mais c'est lui qui décide de ce qui est secret et ses manuels vont jusqu'à annoncer bellement "considérer comme secret tout ce qui n'est pas rendu public" ; un service ne disposant pas des moyens que la législation réserve aux seuls officiers de police judiciaire (interrogatoires, perquisitions, gardes à vues) mais qui les utilise tous en se débarrassant du même coup des garanties accordées au citoyen ; un service qui opère en marge de la loi."
Gilles Perrault, vers 1980.

   Depuis nous avons eu les drones policiers, la reconnaissance faciale, le fichage biométrique de la population avec les papiers d'identité qui vont bien, les cartes de crédits (bientôt sociaux ?), les passes Navigo et sanitaires. Et les barbouzeries diverses toujours au taquet, même si aujour'hui, 84 % de la population étant équipée de "téléphones intelligents" munis d'appareils photo capables de lire des codes-barres tels que les QR, outils que l'administration s'est elle même appropriée, avec la cryptographie, pour sécuriser les documents qu'elle délivre, nous sommes assez cons pour nous fliquer nous mêmes et les uns les autres avec l'infrastructure qu'on s'est payé de nos propres deniers, exonérant par là l'Etat d'une grande part de ce coût de contrôle et de surveillance. Aujourd'hui certains crient à la dictature. Je crois plutôt que tout cela prouve que nous sommes bel et bien en démocratie (un Etat, une classe dominante, un parti unique, le parti du capitalisme, et le piège à con électoral qui va avec), cette maladie chronique dont la phase terminale est le fascisme. Et ça nous laisse déjà bien assez de taf comme ça.

 - Walter Benjamin.- Écrits radiophoniques.
   "Quant au texte Lichtenberg. Un aperçu, il s'agit d'une curieuse pièce radiophonique [...]. Mettant en scène la vie du philosophe et physicien Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), cette pièce est certainement le seul texte de Benjamin relevant de la science-fiction. On y découvre notamment des extra-terrestres - les êtres lunaires - dissertant scientifiquement sur le comportement des hommes et la vacuité de leurs agissements, cinq ans avant que La Guerre des mondes d'Orson Welles ne sème la panique chez les auditeurs américains."
Philippe Baudoin.

   Walter Benjamin est vraiment un diamant, j'en découvre sans cesse une nouvelle facette : ici son activité radiophonique ! Découvrir ça, moi qui ai toujours été passionné de radio (en tant qu'auditeur)! Et vous pourrez vous en rendre compte vous-mêmes en écoutant, ici... la radio !!! En l'occurrence France Culture, avec un entretien de Stéphane Hessel, qui a bien connu Benjamin, ami de ses parents, et qui le reconnait sans hésitation dans le rôle de Kasperl dans la seule émission de Benjamin à avoir été conservée comme archive sonore, la pièce radiophonique (Hörspiel) Charivari autour de Kasperl (Radau um Kasperl diffusée le 9 septembre 1932 par la radio de Cologne), même si la plupart des biographes et spécialistes germanophones restent assez réservés sur le sujet. Troublant voyage dans le temps.

jeudi 4 mars 2021

La dose de Wrobly : pluviôse 2021 EC

- Georges Simenon.- La Danseuse du Gai-Moulin.


   Barbouzerie et convoitises adolescentes : l'inconnu à forte carrure (bof ! bof ! dans le film ci-dessus, la carrure) démêle l'écheveau avec son flegme et sa bonhomie habituelle. Intérêt touristique : visite de la ville de Liège (Belgique). 

- Walter Benjamin.- Sur l'art et la photographie.
   Cet ouvrage contient L'Oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, que je lis donc pour la troisième fois (voir Doses précédentes ou chercher à Benjamin), dans une troisième traduction. Il ne me manquera bientôt plus que de le lire dans le texte. Je commence à me familiariser avec l'écriture de Benjamin, dont il me semble en toute humilité que je comprends de mieux en mieux la pensée, même si l'impression de décousu me reste et des interrogations sur la conclusion de la thèse, ce qu'elle veut démontrer. Mais petit à petit des conjectures s'étoffent... par exemple une vision binaire, manichéenne comme la mienne est insuffisante pour saisir le cheminement intellectuel du philosophe, qui est un franc dialecticien marxiste, pour qui le mal (technique, industriel...) se changera en bien, et vice versa, selon ce qu'on et que l'Histoire en fera. J'ai cru déceler également que Benjamin n'est pas critique envers l'URSS, qu'il présente sérieusement comme le contraire antagoniste du capitalisme et du fascisme. Mais quel délice d'intelligence que tous ces petits aperçus sur l'Histoire en général et l'Histoire de l'art, de la photo, du cinéma, de l'architecture... en particulier. Quand à la conclusion de l'ouvrage qui fait irruption comme par précipitation au dernier paragraphe, elle fait du bien et me guérit des fatigants théocrates de l'Art pour l'Art (dont Baudelaire que, comme vous le savez, je fréquent beaucoup en ce moment) : contre l'esthétisation de la politique par le fascisme, politisons notre art !


- Giacomo Casanova.- Mémoires, tome VI.
"La frise qui couronnait les colonnes était composée de petites boucles d'un or pâle d'une extrême finesse, et mes doigts s'évertuaient en vain pour leur donner un autre pli que celui qui leur était naturel."

mardi 14 avril 2020

Correspondances de confinement

   En quelques jours, en confinement, écho, chantant quand bruit on mène, m'a renvoyé des évocations de certaines de mes icônes, ayant fait le modeste et intime mais néanmoins partagé objet de posts de ce blog. En fait d'objets il s'agit d'humains ayant apporté au monde beauté, intelligence et désir de batailler contre l'oppression millénaire et pour une union libre et fraternelle du vivant.

   Pour commencer, rappelez-vous :


   Dans cet articule je partageais mon enthousiasme pour les films d'Akira Kurosawa, notamment à travers L'Ange ivre et Barberousse.


   Eh bien vous pourrez en savoir beaucoup plus sur ces deux films dans cet article.

***

   Je vous avais également communiqué mon grand intérêt, tâtonnant vu mes limites intellectuelles, un intérêt peut-être sentimental et teinté d'un romantisme qu'il aurait probablement condamné, pour Walter Benjamin, précisément en l'occurrence pour son ouvrage Sur le concept d'histoire.


   Eh bien j'ai trouvé un certain éclairage sur ce texte-là dans ce texte-ci. Attention, v'là la haute volée philosophique qu'évidemment je ne prétends pas avoir intégralement comprise. 

*** 

   Enfin, vous n'avez certainement pas oublié ce tromboniste, Lawrence Brown, membre de l'orchestre de Duke Ellington, et compositeur du tube Caravane.


   Vous l'avez compris, magie des correspondances, en écoutant au pieu l'album du pianiste sud africain Abdullah Ibrahim qu'un pote m'a prêté, Dream time, j'ai découvert ce titre, en son hommage :

Ça ne ressemble pas du tout à du trombone pourtant. Étonnant, non ?

lundi 20 janvier 2020

La dose de Wrobly : nivôse 2019-2020 EC


- Walter Benjamin.- Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit (L'Oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique).
   Déjà lu en ventôse 2019 EC. Mais ici dans une autre traduction. A la deuxième lecture il me semble que je comprends mieux certains passages qui m'avaient parus obscurs auparavant. Comme souvent en philo, parfois c'est limpide, et la page d'après je me fais des noeuds au cerveau et relis cinq fois la même phrase. Il faut dire que la dialectique matérialiste n'aide pas : du coup, la reproductibilité technique c'est plutôt un truc chouette révolutionnaire, ou une saloperie capitalisto-fasciste ? Très stimulant pour l'esprit, au-delà de l'aura du nom de Benjamin. 


- Les Amis de Ludd.- Bulletin d'information anti-industriel II.
   Là par contre c'est clair, les machines, la technologie, c'est de la merde (je résume). C'est rigolo, cette obédience est attachée au mot "travail" (j'avais déjà rencontré ce phénomène chez certains anarcho-syndicalistes), défend la valeur "travail" (ce que j'appellerais libre activité créatrice ou productive), et inverse les termes de la critique révolutionnaire du travail, en affirmant que ce qui nous fait perdre nos vies actuellement, le taf, le turbin, l'exploitation, c'est le travail dégradé, tué par le capitalisme et sa technique. C'est l'occasion de polémiques entre thèses semblables à terminologie permutée. Au delà de ça, passionnant, évidemment, un chié de stimulant pour l'esprit, qui peut sembler un peu éloigné des préoccupations actuelles visant à limiter le nombre de vieux fouillant dans les poubelles, alors que non, au fond.

vendredi 20 septembre 2019

La dose de Wrobly : fructidor 2019 EC


- Nicolas Gogol.- Tarass Boulba.
   Je poursuis ma découverte de la littérature russe...

- Walter Benjamin .- Sur le concept d'histoire.
   Je poursuis ma découverte de Walter Benjamin...

Extrait (de la préface).
   Mais pour l’heure, il faut partir, et au plus vite. Le temps n’est plus aux flâneurs ; Walter Benjamin n’a que trop tardé. En ce jour du 15 juin 1940, il prend l’un des derniers trains pour Lourdes. Mais qu’emporter avec soi ? La hotte du chiffonnier est bien trop pleine. À force d’accumulations frénétiques, le manuscrit de ce Livre des passages dont Walter Benjamin espérait tant qu’il devînt un jour Paris capitale du XIXe siècle était intransportable. Il fut confié, avec d’autres papiers, à l’un des employés aux Cabinets des Médailles de la Bibliothèque nationale, lieu de ce si vaste chantier. Son nom était Georges Bataille.
   Il lui dépose donc deux grosses valises, marquées « À sauver », bourrées de textes, copies, manuscrits, documents divers. Elles pourraient être acheminées aux États-Unis, l’y attendre peut-être. Au dernier moment, faute d’avoir pu la vendre, Walter Benjamin découpe de son cadre l’aquarelle de Paul Klee Angelus Novus qui, depuis qu’il en fit l’acquisition en 1921, soutient ses pensées, ses rêves et ses espérances. Il la glisse dans l’une de ses valises. Theodor Adorno parvint après la guerre à la confier à son destinataire, puisque Walter Benjamin l’avait léguée à son ami Gershom Scholem, dans le testament qu’il rédigea en juillet alors qu’il envisageait de mettre fin à ses jours. Et qu’en était-il de ces fameuses thèses « Sur le concept d’histoire », son dernier manuscrit, que la postérité envisagera plus tard comme le testament intellectuel de Walter Benjamin, bloc de prose poétique qu’il avait placé tout entier sous l’œil fixe de l’Angelus Novus ? Il décida de l’emporter avec lui, avec quelques effets personnels, dans une petite serviette en cuir noir, « comme celle qu’utilisent les hommes d’affaires ». Une copie fut toutefois confiée à une cousine éloignée qui était devenue son amie. Son nom était Hannah Arendt.
   Tous deux avaient été internés – Hannah Arendt dans le camp de Gurs, près d’Oloron-Sainte-Marie dans les Basses-Pyrénées, tandis que Walter Benjamin fut placé dès l’entrée en guerre de septembre 1939, en tant qu’immigré allemand et par conséquent « sujet ennemi », dans celui de Vernuche, près de Nevers. Tous deux étaient désormais à Marseille, pris dans la nasse. Car ils étaient nombreux durant cet été 1940 à rejoindre cette « cohue de réfugiés » que Victor Serge a décrite comme une « cour des miracles des révolutions, des démocraties et des intelligences vaincues ». Hébétés par la fatigue et par l’angoisse, les fugitifs erraient dans une ville que sillonnaient les rumeurs et les faux espoirs. « Je suis condamné à lire chaque journal (ils ne paraissent plus que sur une feuille) comme une notification qui m’est remise et à percevoir en toute émission de radio la voix d’un messager de malheur », écrit Benjamin à Theodor Adorno le 2 août 1940, car « je dépends absolument de ce que vous pouvez réaliser du dehors ».

Adorno, Arendt, Bataille, Serge... ! Comment voulez-vous que ce livre ne me brûle pas les mains de son aura ? 

Paul Klee.- Angelus Novus.

Extraits.
Comparée à cette conception positiviste, les fantasmagories qui ont fourni tant de matière aux moqueries adressées à un Fourier ont leur sens, et il est étonnamment sain. Selon Fourier, le travail social correctement organisé avait pour conséquence le fait que quatre lunes éclairaient la nuit terrestre, que la glace se retirait des Pôles, que l’eau de la mer n’avait plus le goût de sel et que les fauves se mettaient au service de l’être humain. Tout cela illustre un travail qui, loin d’exploiter la nature, est capable d’en tirer les créatures qui sommeillent en elle à l’état virtuel. Au concept corrompu du travail s’attache, comme son complément, la nature qui, pour reprendre l’expression de Dietzgen, « est là gratuitement ».

[...]

Cette conscience, qui s’est exprimée encore une fois et pour une brève période dans le mouvement Spartacus, a toujours choqué la social-démocratie. En trois décennies, elle est parvenue à presque effacer le nom de Blanqui, dont le retentissement a ébranlé le siècle dernier. Elle s’est plu à attribuer à la classe ouvrière le rôle de rédemptrice des générations futures. Elle lui a ainsi coupé sa relation avec la meilleure force. A cette école, la classe a largement désappris autant la haine que la volonté de sacrifice. Car toutes deux se nourrissent de l’image des aïeux asservis, et non de l’idéal des petits-enfants libérés.

- Olivier Rolin.- Port-Soudan.
   Je poursuis ma découverte de la littérature pure de la deuxième moitié du XXème siècle (le précédent c'était le Balcon en forêt de Gracq, et c'est vrai qu'il y a 36 ans entre les deux romans et plus d'une génération entre les deux auteurs...) avec des livres que je sors de ma bibliothèque personnelle sans trop savoir d'où ils me viennent quoique j'ai une petite idée... N'est-ce pas papa ?... Tu dois bien te marrer, toi, du haut de ta colline de 600 m, dans ton charmant cimetière avec vue imprenable sur l'Yonne et le Bazois. Tu vois, les bouquins que tu m'a offerts, si c'est le cas, je finis toujours par les lire, même si c'est vingt ans après.
   Ici on a une langue sertie comme du diamant. De la haute littérature. C'est un petit roman qui se lit vite. On comprend dans les propos du narrateur, reflet de l'auteur, que celui-ci est un ancien soixante-huitard. En se renseignant, on apprend qu'il était même membre dirigeant de l'organisation maoïste Gauche prolétarienne, et engagé dans la « branche militaire » de la Nouvelle résistance populaire (NRP). On avait bien senti dans certains détails de ses propos, à la fois désabusés et respectueux, sur son passé, qu'il n'avait pas été un libertaire. L'histoire de dépendance affective et sexuelle, d'alcoolisme, de dépression et de suicide m'a un peu ennuyé. Tous ces états de vie ont marqué les trente premières années de mon existence, directement ou via des proches, et j'en suis si loin aujourd'hui, j'ai couru si vite depuis pour échapper à toute cette merde, que cela ne m'intéresse plus du tout. De plus, dans la relation de ce vieil intello ancien activiste et toujours austère critique de ce monde resté ancien et plus conformiste que jamais, qui retrouve une jeunesse avec un tendron de la moitié de son âge fasciné par le prestige symbolique du vieux sage, mais finalement trop superficiel pour ne pas finir par prendre la poudre d'escampette, on l'imagine vers les sirènes de la jouissance consommatrice, je décèle une antienne machiste qui m'indispose. La description de Port-Soudan où le narrateur est exilé est glauque à souhait et décrit avec brio, et quelques passages enthousiasmants de cruelle poésie (le chien dévoré par les murènes, par exemple), ce lieu infernal livré aux pirates et au trafic d'êtres humains. Reste les charges contre la réaction sociale et sociétale revenue en force, après les révolutions de 68 et du mai rampant, le monde de Vive la crise !, de l'assaut ultra-libéral des années 80 et 90 (ce pourquoi elles ont un peu vieilli, les charges), du spectacle toujours plus diffus de la marchandise instillant son idéologie, irriguant malgré qu'il en aie le petit marigot culturo-prout-prout... Et ce regard à la fois nostalgique et amer sur les luttes révolutionnaires du passé, qui, si elles se fourvoyèrent souvent, eurent pourtant le mérite d'aspirer à, de désirer, de croire parfois en un monde plus vivable.

Extrait.
Le paradoxe inaugural de nos vies, celui qui les aura marquées d’un sceau indélébile, et peut-être d’une malédiction dont nous ne nous déferons plus, c’est d’avoir mis tant de vertu au service d’idées si férocement vétustes. Nous ne devons pas dire que nous fûmes des héros, jamais, nous devons railler ceux qui disent cela et leur faire honte de leur jactance, et leur démontrer qu’elle est la preuve de la fausseté de ce qu’ils avancent, mais nous ne devons pas oublier non plus qu’il y eu parmi nous une aspiration aveuglée à l’héroïsme, ou à la sainteté, qu’on appelle ça comme on voudra : ni laisser dire qu’il n’en fut pas ainsi. Et ce que nous pouvons affirmer en revanche avec l’auteur de Notre jeunesse, parce que les meilleurs d’entre nous le ressentent encore, et davantage chaque jour (les pires, les pitres, laissons-les, ils ne nous intéressent pas), c’est que nous sommes en ces années-là entrés dans le royaume d’une incurable inquiétude. Que nous avons pour toujours renoncé à la paix et spécialement à la paix qui, en cette fin de siècle, s’achète au supermarché.

   En moi qui n'ai rien fait de ma jeunesse hormis me pinter la gueule, ces propos ne sont pas sans jeter un grand froid. 


- Philippe Corcuff.- Pour une spiritualité sans dieux.
   Il est de bon ton de se moquer de Philippe Corcuff. Je me souviens qu'il faisait partie des têtes de turc du journal Le Plan B, délicieusement méchant, mais c'était contre des pourritures ou des cuistres de la pire espèce en général, donc je ne boudais pas mon plaisir. Philippe Corcuff je ne connaissais pas. Bon, c'est vrai qu'il s'est mitonné une fiche Wiki bien fournie, et qu'il se cite abondamment dans son ouvrage. Mais qui n'a pas ses petits ridicules ? Pas moi en tout cas. Il est passé du trotskysme à l'anarchisme, ok, mais vaut mieux quand même que ce soit dans ce sens là, non ?
   Le sujet du livre m'intéresse au plus haut point, ne pouvant consommer aucun médicament psychotrope ou autres substances plus récréatives, j'ai besoin d'une spiritualité pour ne pas tomber dans une sombre et dangereuse dépression. En même temps les religions en général ne sont pas mes amies, et en particulier leurs zélateurs les plus autoritaires, dogmatiques, fondamentalistes, violents. Cependant il me semble que critiquer la religion sans la remplacer par un autre type de foi, c'est comme croire pouvoir arrêter de fumer sans activité de substitution. Certains, genres de Captain America à la sensibilité invincible peuvent vivre sans spiritualité, pas moi, pas depuis que je suis au régime sec. J'ai besoin de croire que la vie vaut la peine d'être vécue (et je me suis souvent dit que le nourrisson mourant subitement est celui qui n'y croit pas suffisamment à la  naissance), ma profession de foi étant qu'elle vaut la peine d'être vécue libre, dans l'égalité avec mon prochain, et dans le respect de la vie autant que les lois de la subsistance qui en font partie le permettent, et que si le monde comme il va est loin de cet idéal, il y a toujours des interstices à trouver et des potentialités à tenter de développer. Par ailleurs ne pas proposer une ou des spiritualités (athées, agnostiques, ou pas, à condition qu'elles ne soient pas des morales de l'absolu qui emprisonnent et finissent en massacre) pour ceux qui demeurent attachés aux idéaux émancipateurs, c'est laisser la place aux religions.
   Ce petit livre traite de cela avec concision, et propose quelques pistes, quelques principes spirituels, ni absolutistes, ni nihilistes, vers lesquels essayer de tendre, et Philippe Corcuff semble en être un, de tendre. Ça tombe bien, en vieillissant la méchanceté et l'arrogance me fatiguent de plus en plus (même si je ne suis certainement pas exempt d'accès de ces pulsions déplaisantes). A la rigueur, pour la méchanceté, quand l'humour s'en mêle, que les cibles sont infâmes ou qu'elle est hissée au rang des beaux arts, ou de la caricature, je peux encore apprécier. A ce sujet j'ai lu en messidor Pauvre Belgique, de Baudelaire, un des pamphlets contre tout un peuple les plus féroces qu'ait jamais écrit un écrivain, on peut penser à Céline, même si les Belges n'étaient pas persécutés et que cela rend le poète moins haïssable que le romancier : à la lecture de cette outrance de la détestation j'ai rit parfois ; mais ce n'était pas contre les Belges : même si mon rire était bien méchant, il était plutôt mêlé de pitié et de mépris pour ce qu'était devenu l'albatros qui, de lyrique tourna atrabilaire, puis finalement, probablement suite à un premier accident cérébral, haineux-gâteux).
   A noter : afin d'étayer sa suggestion de thèse, Philippe Corcuff mobilise, outre des ténors de la philosophie, de la sociologie ou de la littérature, des chanteuses et des chanteurs français, parfois même des marchandises de variété. Une manière de rester humble, au plus près de l'humus de la vie quotidienne d'une humanité ordinaire, avec ses joies, ses peines et ses questionnements. Après tout, ceux qui parlent de révolution et de lutte de classes... 

Extrait.
Le problème de la création de soi a notamment été formulé autour du thème de « la construction de soi comme œuvre d’art », que l’on trouve par exemple chez l’écrivain Oscar Wilde (1854-1900), figure du dandysme, ou chez Michel Foucault . […] La figure de « l’œuvre d’art » fait signe du côté de ce que Bourdieu appelle « le capital culturel », c’est-à-dire les ressources culturelles légitimes que tendent à monopoliser les classes sociales dominantes dans une hiérarchie culturelle. Par exemple, aujourd’hui dans nos sociétés, aller souvent au musée ou à l’opéra fait partie du capital culturel, mais pas savoir bien jouer à la pétanque. N’y aurait-il pas ainsi la pente d’un certain ethnocentrisme de classe à valoriser la figure de « l’œuvre d’art » dans la création de soi, figure socialement marquée dans la hiérarchie du capital culturel ? C’est pourquoi je propose que le vocabulaire de la construction de soi élargisse ses tonalités sociales et devienne plus polyphonique, en passant du thème de « la construction de soi comme œuvre d’art » à celui du bricolage de soi.

[...]

   On me rétorquera : les fragilités humaines peuvent-elles casser les briques de l’absolu ? N’ont-elles pas perdu d’avance leur pari spirituel devant la force potentielle des promesses d’au-delà ? Pas nécessairement. L’ancrage dans la vie ordinaire, ses aléas et ses repères, ses joies et ses mélancolies, ses fidélités et ses ruptures, ses habitudes et ses ouvertures, ses familiarités et ses moments inédits, ses vulnérabilités singulières et ses puissances coopératives, ses états de solitude et ses plaisirs mis en commun… a aussi sa grandeur propre. Il suffit peut-être d’oser l’envisager comme un cheminement spirituel alternatif. Ou du moins d’essayer, ce qui est rarement fait.


- André Gorz.- Les métamorphoses du travail.
   Un livre passionnant. Les réflexions de Gorz ont eu une certaine influence sur ce qui peut se produire aujourd'hui de radicalement anti-capitaliste, anti-économiste et forcément anti-travail, livres, revues (par exemple l'excellente Sortir de l'économie même si ardue, et malheureusement en sommeil depuis pas mal d'années), journaux, sites web, et j'ai bien le sentiment d'avoir déjà entendu ce son de cloche. Entre piqûres de rappel et éclaircissement des idées, dans un style plutôt simple, un plaisir à lire et l'impression d'être intelligent.

Extraits.
   Ce que nous appelons « travail » est une invention de la modernité. La forme sous laquelle nous le connaissons, pratiquons et plaçons au centre de la vie individuelle et sociale, a été inventée, puis généralisée avec l’industrialisme. Le « travail », au sens contemporain, ne se confond ni avec les besognes, répétées jours après jour, qui sont indispensables à l’entretien et à la reproduction de la vie de chacun ; ni avec le labeur, si astreignant soit-il, qu’un individu accomplit pour réaliser une tâche dont lui-même ou les siens sont les destinataires et les bénéficiaires ; ni avec ce que nous entreprenons de notre chef, sans compter notre temps et notre peine, dans un but qui n’a d’importance qu’à nos propres yeux et que nul ne pourrait réaliser à notre place. S’il nous arrive de parler de « travail » à propos de ces activités – du « travail ménager », du « travail artistique », du « travail » d’autoproduction – c’est en un sens fondamentalement différent de celui qu’a le travail placé par la société au fondement de son existence, à la fois moyen cardinal et but suprême.

***
   L’inégale répartition du travail de la sphère économique et l’inégale répartition du temps que libère l’innovation technique conduisent ainsi à ce que les uns puissent acheter un supplément de temps libre à d’autres et que ceux-ci en sont réduits à se mettre au service des premiers. Cette stratification-là de la société est différente de la stratification en classes. A la différence de cette dernière, elle ne reflète pas les lois immanentes au fonctionnement d’un système économique dont les exigences impersonnelles s’imposent aux gérants du capital, aux administrateurs des entreprises autant qu’aux salariés ; pour une partie au moins des prestataires de services personnels, il s’agit cette fois d’une soumission et d’une dépendance personnelle vis-à-vis de ceux et de celles qui se font servir. Une classe servile renaît, que l’industrialisation, après la seconde guerre mondiale avait abolie.

- Nicolas Bouvier.- Premiers écrits.
   Le grand voyageur, mais avant tout grand écrivain. Il m'a un peu accompagné au Japon. Ici, il m'emmène en Finlande et en Algérie.

vendredi 22 mars 2019

La dose de Wrobly : ventôse 2019 EC


  - Anton Tchekhov.- La Cerisaie / Oncle Vania.
  On se souvient de ma dose de prairial 2018, pour laquelle j'avais boudé un bouquin de Tchekhov de la bibliothèque de ma compagne, faute de désir (pour le bouquin, je vous reparlerai de ma vie sexuelle une autre fois). Finalement, deux évènements m'ont fait revenir en arrière, éveillant un début d'érection littéraire à l'idée de prendre connaissance de l’œuvre dramatique de celui auquel je ne nie nullement la qualité de grand écrivain, mais que je n'ai jamais rencontré, voilà tout. C'est maintenant chose faite.
  Les évènements sont : 
  1- ma mère s'est offerte ses œuvres complètes pour ne pas mourir idiote, et 
  2- j'ai aperçu le personnage de Tchekhov himself dans un divertissement cinématographique auquel j'ai bien voulu accompagner ma petite famille, Monsieur Edmond. Pour ajouter au caractère incitatif de ces simples correspondances, il y eut la situation à la fois cocasse et hautement morale de son personnage dans la diégèse du film : 
  1- il est au bordel, c'est censé être rigolo ;
  2- mais il ne consomme pas, donc pas d'apologie de la prostitution ! On reste dans l'éthique libertaire.
  La pièce Oncle Vania commence bien, avec un humour de caractère rafraichissant, se poursuit un peu lourdement avec le personnage atrabilaire de Vania et des histoires d'amour (à mon âge, vous savez, pourtant je n'ai que trois ans de plus que Vania, ah ! misère !)... Je poursuis tranquillou...


  - Walter Benjamin.- L’Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit).
  Walter Benjamin fait partie de mes légendes, c'est à dire des auteurs ou humains en général dont j'ai beaucoup entendu causer, et que j'aime déjà avant même de les avoir lus, vus, connus, en tous les cas pour lesquels j'ai un grand désir, inassouvi mais plein d'espoir de l'être un jour, on a tellement tendance à se croire éternels. C'est déjà un ami, par ce que j'en connais par la bande, en qui je pense pouvoir faire une totale confiance (quand en plus les noms qui papillonnent autour du sien dans les gloses diverses sont Adorno, Brecht, Horkheimer, et qu'on est vaguement conscient du tragique de sa fin, l'attirance en devient difficilement supportable). Et bien ça y est, je le rencontre enfin directement. Et je peux dire que, enfant de la reproductibilité technique des œuvres d'arts comme nous le sommes tous (et il y a eu internet plus tard), qui n'ai que rarement pu me confronter aux originaux mais ai fait mon miel de livres, de poches pour la plupart, de disques, de films et de photos, et de photos de peintures ou de sculptures, etc. - je peux dire que quand je finis par rencontrer via une reproduction une de mes légendes, cette reproduction (ici un livre de poche emprunté en bibliothèque), possède l'aura dont parle Benjamin à propos des œuvres d'art du passé, les originaux, authentiques, uniques ici et maintenant, et possédant dans leur matérialité toute l'histoire et toute la tradition de ce qui les a créés. Alors, cette aura, ce halo, cette énergie, cette vibration, ce magnétisme que semble posséder l'objet comme s'il était à cheval entre plusieurs dimensions spatio-temporelles, et cette émotion qui me prend quand je le saisis ne correspond peut-être pas au concept d'aura de Benjamin, ici c'est mon propre désir et son assouvissement après tant de temps, et le sentiment de toucher à quelque chose de grand, à une expérience unique, qui auréole l'objet imprimé (j'ai pu ressentir la même énergie en voyage, quand j'ai pour la première fois posé le pied hors d'Europe à 37 ans par exemple - dans ma famille on avait plutôt intégré le fait que l'avion était pour les riches - ou bien, et là ça rejoint Benjamin, en contemplant quelque œuvre originale ou arpentant quelque ville mythique (Berlin, Venise, Rome, Arleuf-en-Morvan), le fameux syndrome de Stendhal. Cette aura, je la ressens aussi à la vision de certains films, le cinéma étant pourtant pour Benjamin le type même de l’œuvre reproductible non seulement dans sa diffusion, mais dans sa définition même, dans l'essence même de sa production et de sa finalité, ou de certains disques. Alors, même si l'industrie de la culture fait de nous des consommateurs compulsifs, endoctrinés, aliénés et boulimiques (j'ai pensé à la Société du spectacle, qui paraitra 28 ans plus tard), parfois, de mon être, surgit une dimension surréelle (au sens des surréalistes, donc pas surnaturel, cultuel, magique ou religieux - comme les élans de Lascaux, les statues de Vénus de la cella des temples ou les toiles des madones des cathédrales [la cooccurrence ici d'un cervidé avec deux personnages féminins humanoïdes ne procédant absolument pas d'un lien de causalité ou de similitude mais étant purement fortuit ] - pas plus qu'au sens d'une théologie esthétique genre l'art pour l'art), un monde qui vient me bouleverser doucement mais profondément, et me donner envie que la vie entière prenne cette dimension, donc de la changer passionnément.
  Voyez comme un simple petit livre peut me rendre grandiloquent. "Pure mystique !" fulminerait Brecht "Malgré la posture antimystique. C'est donc ainsi qu'on adapte la conception matérialiste de l'histoire ! Il y a plutôt de quoi s'effrayer." Et il est certainement probable que de telles consolations sentant le romantisme faisandé ont plutôt comme résultat de m'éloigner du front, au contraire.
  Quant à Benjamin, il jugerait certainement que je n'ai rien compris à son livre, mais ça ce n'est pas grave, je me suis fait plaisir en attendant le collapse.