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vendredi 24 juin 2022

La dose de Wrobly : prairial 2022 E.C.


     Pierre Bourdieu.- La Domination masculine.
     Un livre passionnant, qui donne l'impression d'être intelligent. A 18 / 19 ans ans j'avais lu Ce que parler veut dire, sur la reproduction de la société de domination via la langue, tiré d'une bibliographie suggérée par le programme des études de que dalle que j'avais commencées à la fac de Censier, ç'avait été une révélation ! Je parvenais à comprendre une pensée complexe exprimée dans des termes techniques de sociologues, de linguistes..., avec un crayon et en relisant plusieurs fois certains passages ou pages, mais j'y arrivais (du moins il me semblait), et ça m'ouvrait des dimensions plus vastes de ma critique autodidacte et spontanée de l'oppression dans et de ce monde. Certes Pierre Bourdieu a des défauts, il a bossé pour Mitterrand et c'est un mandarin qui à force de décortiquer les mécanismes de la domination finalement nous embourbe un peu dedans en dévoilant sans pitié leurs aspects tellement profonds qu'ils découragent un peu les tentatives déjà bien exangues d'en sortir, mais j'ai une grande tendresse pour ce monsieur, qui pour moi est un gentil, et un scientifique rigoureux et engagé, qui n'a pas dévié dans sa critique des puissants et de leur loi explicite et implicite. Ici, comme son nom l'indique, plus que la reproduction de la domination de classe, c'est évidemment de celle de genre qu'il est question, avec un parallèle entre la société traditionnelle kabyle ou la loi patriarcale et ses dispositifs symboliques de reproduction restent très purs, et tous ses restes et traces on ne peut plus prégnants dans nos sociétés occidentales actuelles.

     Lois McMaster Bujold.- La Saga Vorkosigan : Chute libre / L'Honneur de Cordelia / Barrayar.
     Merci à Sébastien qui, après le roman de Barjavel précédemment cité La Nuit des temps, me prête cette saga à rallonge. Je ne connaissais pas du tout, mais je suis peu féru de science fiction, sauf exception, je suis plutôt polar. Ces romans se lisent bien, facilement, il y a le suspense qu'il faut pour qu'on ne s'ennuie pas, les principes défendus dans la morale et la critique sociale de la métaphore futuriste de notre monde sont plutôt généreux. J'en suis au troisième, je verrai si la suite vaut le coup. Si vous connaissez n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez !

mercredi 21 juillet 2021

D'un patriarcat l'autre

   - Printemps tardif (晩春, Banshun) de Yasujirō Ozu, 1949.
   Un film sentimental sur le deuil, la séparation d'un père de sa fille. Ce dernier se fait violence pour la pousser à se marier et ainsi à le quitter. Celle-ci va vers sa nouvelle vie avec appréhension et une immense tristesse de devoir abandonner son père vieillissant. Avec Tetsuko Hara, magnifique. Rappelons qu'une femme n'étant pas mariée après 30 ans au Japon, encore aujourd'hui même si la jeunesse à tendance à se rebeller un peu et que la charmante expression ne s'emploie plus, est appelée "makeinu", c'est à dire "chienne perdante", "loseuse".
   - Les Musiciens de Gion (祇園囃子, Gion bayashi) de Kenji Mizoguchi, 1953.
   Plus violent et plus glauque. Encore un film féministe de Mizoguchi, sur le thème récurrent chez lui de la prostitution. Deux geisha, une jeune débutante et une moins jeune, expérimentée et jouant le rôle de grande soeur et de formatrice, sont contraintes de constater qu'elles devront coucher pour survivre. (! stop alerte divulgâchage !) Mais l'une des deux se sacrifiera pour préserver l'autre.


   - Herbes flottantes (浮草, Ukigusa) de Yasujirō Ozu, 1959.
   Une troupe de théâtre arrive dans un petit port du sud du Japon. L'acteur principal, Komajuro, a connu une aventure des années auparavant avec une femme de l'endroit, avec laquelle il a eu un fils, Kiyoshi. La maîtresse de Komajuro découvre son secret et envoie une actrice de la troupe, Kayo, séduire le jeune homme. Komajuro frappera la jeune actrice et sa maîtresse, laquelle, en scène finale (! stop alerte divulgâchage !) s'affairera à lui servir le saké avec dévotion... et nécessité, le tout sous l'oeil ironique du réalisateur.

lundi 9 mars 2020

Les 8 mars passent...

   Décidément, Mizoguchi est vraiment un cinéaste que la prostitution a inspiré, ou hanté, car nombre de ses films sont à charge de cette toujours violente exploitation du corps des femmes par un système patriarcal qui ne laisse aucune chance aux prolétaires du sexe, quand bien même elles seraient des lutteuses, s'étant laissées happées avec plus ou moins de formes, mais toujours par un chantage à la survie, par ce viol tarifé toléré. Plus largement ces témoignages de fiction agissant comme des procès mettent en évidence la domination masculine et la sujétion des femmes.

   Parmi les films de Mizoguchi évoquant la prostitution que j'ai pu voir dernièrement et au sujet desquels j'ai écrit quelques lignes ici : La Cigogne en papier, Oyuki la vierge, Cinq femmes autour d'Utamaro, La Vie d'O'Haru femme galante, Les Contes de la lune vague après la pluie, L'Intendant Sansho, La Rue de la honte.


Attention, de relatifs divulgâchages peuvent apparaître dans les notices ci-dessous.

- La Marche de Tokyo (東京行進曲, Tōkyō kōshinkyoku), 1929.
   Film muet et incomplet. Une jeune femme, Michiyo, hébergée chez son oncle ouvrier après la mort de sa mère Geisha, est contrainte, quand celui-ci se retrouve au chômage, de s'adonner au métier de celle-là, pour soulager financièrement le foyer. Avant de mourir, la maman, ayant été mise enceinte puis abandonnée par le courageux papa, avait sommé sa fille de ne jamais faire confiance aux hommes. Elle lui remit à cette occasion sa bague. Dans l'établissement où elle travaille Michiyo subit une cour assidue d'un vieux et richissime chef d'entreprise jouisseur. Avant cela, le fils de celui-ci, plutôt gentil, tombait éperdument amoureux d'elle, qu'il avait aperçue dans la rue en habits de pauvresse. Au moment où le client-patron n'y tient plus et s'apprête à violer gentiment notre geisha, il aperçoit sa bague et blêmit. Quand son fils lui annonce qu'il veut épouser Michiyo, il doit lui révéler, écroulé, que c'est impossible car celle-ci est sa propre sœur, c'est à dire sa fille, à lui, le vieux (vous me suivez toujours ?).

   Bref, après Maupassant, nous voici donc chez Molière.

- Les Sœurs de Gion (祇園の姉妹, Gion no shimai), 1936.
   Le quartier de Gion, à Kyoto, à l'est de la rivière Kamo, je l'ai un peu arpenté ici. Deux prostituées, la gentille, qui éprouve de la compassion et de l'affection pour les hommes, et la méchante, qui n'est que vengeance, mensonge, duplicité, vente au plus offrant et trahison. Les deux en arriveront à la même conclusion : elles sont dans le cercle de l'enfer aux souffrances incessantes et ce cercle n'a pas d'issue.

- Femmes de la nuit (夜の女たち, Yoru no onnatachi), 1948.
   Réduites à la misère et/ou à la dépendance après les destructions de la guerre, les leurs disparus, ou victime de la violence prédatrice masculine car trop naïve et aventureuse, trois femmes tombent dans l'enfer de la prostitution de rue, à Osaka. La scène finale dans un cimetière, dantesque, témoigne épouvantablement de cette damnation. Mais on voit mal ce que la dite sainte dite vierge, sur un vitrail de laquelle la caméra s'attarde lourdement, vient faire là-dedans. Alors ce serait soit putain, soit bigote ?...


   Avec l'attachante Kinuyo Tanaka (à gauche) qu'on a pu voir ici aussi (voir actus cinéma japonais précédentes) dans Cinq femmes autour d'Utamaro, L'Amour de l'actrice Sumako, La Vie d'O'Haru femme galante, Les Contes de la lune vague après la pluie, L'Intendant Sansho, Flamme de mon amour (voir ci-dessous), et même dans Barberousse de Kurosawa ! Au début elle ne paye pas de mine, rien d'une vamp, et lorsqu'on finit par s'habituer à son visage et la reconnaître au bout d'un moment on se met à développer une grande sympathie pour les personnages qu'elle incarne, son jeu d'une profonde sensibilité et son petit visage rondelet capable de lancer des éclairs ou d'être d'une provocante désinvolture.

- Flamme de mon amour (我が恋は燃えぬ, Waga koi wa moenu).

   Encore un film féministe, sauf erreur. Pas de prostitution cette fois, mais une femme, en 1884, luttant contre la domination masculine, aussi bien au village coutumier que dans le grand Tokyo, notamment dans un parti politique de gauche de l'époque, c'est à dire démocrate bourgeois, dont le leader, qui devient l'amant de notre héroïne, se révélera être un macho comme les autres.

 Université bloquée par un collectif féministe non mixte ce matin 9 mars 2020.


 Le terminus de l'héroïque ligne 13, totalement fermée pendant un bon mois de grève en décembre-janvier.

mercredi 31 janvier 2018

Lutte anti-patriarcale : un nouveau truc malin

   Comme vous devez le savoir si vous êtes attentifs à ce blog, j'épouse la cause féministe. Tout en restant fondamentalement un dominant, bien sûr, on n'efface pas 5 000 ans d'histoire, auxquels je peux aisément rajouter sans trop de risque de me tromper 7 000 piges de néolithique, et une éducation de garçon par des bons sentiments et des intentions généreuses. Mais, malgré cela, je pose certains actes (je ne me contente pas de vœux pieux, ah ça non !), certains ont d'ailleurs fait l'objet d'articulets de ce blog et je vous invite à vous y reporter.

   Ce que vous ne savez pas, en revanche, c'est que pour donner une cohérence à ma lutte, j'ai arrêté le sexe avec une autre personne. Notamment ma compagne. Je suis depuis plusieurs années abstème en ce domaine. La relation hétéro-sexuelle est aussi par trop ambiguë, et toujours, malgré qu'on en aie, elle reste empreinte de traces de sperme patriarcales. Ainsi, quand au milieu des transports les plus haletants je déclarais à ma moitié (rien que ce terme pue la phallocratie) : "Oh ! t'es bonne ma poulette" : il ne faut pas être sorti des Femen pour comprendre que cette comparaison est fort humiliante. De même, dans une intériorisation de sa condition subalterne mon amie, au plus fort de l'échauffourée, me scandait "Fais moi mal ! Wrobly ! Wrobly ! Wrobly ! Chuis pas une mouche !!!". Il n'y avait donc pas photo, un grand stop ! s'imposait pour mettre en adéquation mon éthique et mes tocs.

   Cependant, l'homme a des besoins, même s'ils ne sont point si impérieux qu'ils puissent justifier la moindre indélicatesse faite aux femmes, comme le dit bien Claude Guillon, que je suis sur ce point. Mais, il est quand même travaillé à l'occasion de quelques pulsions taquines, l'homme. C'est pourquoi, taillant bien mal une certaine cote, je décidai de conserver malgré tout une sexualité onaniste. Mais comment stimuler mon imagination hétérosexuelle normée sans retomber dans la machisme pornographique, qu'il soit commercial ou purement imaginatif ? Simple : non contente d'être solitaire, mon érotomanie serait solidaire, bio, vegan et de surcroit, équitable !

   A défaut désormais de m'autoriser à goûter les fruits de l'amour, je découvris l'amour des fruits, grâce à l'artiste américaine Stéphanie Sarley, et depuis, je puis dire, et je le disais encore à ma concubine qui lessivait la cuisine l'autre jour pendant que je surfais sur des sites féministes, mais elle n'entendait rien, elle venait de lancer une lessive et le bruit de la machine c'est infernal, c'est un peu pénible de ne pas pouvoir bénéficier de toute l'attention qu'on pourrait penser mériter, avec tous les efforts que je fais... ; je puis dire, donc, que je vis désormais une sexualité épanouie et sans la moindre cruauté !

   Et en plus je partage mes bons plans ! Merci qui ?





mardi 4 juillet 2017

A mes amis

   Vous faites, mes amis, comme moi partie de ceux qui tentent péniblement de franchir le cap des 25 % (merci au blog Entre les oreilles), et c’est un point d’honneur qui, malheureusement, reste souvent un point de suspension, malgré les espoirs de rééquilibrer la balance, espoirs souvent si prégnants qu'aisément ils glissent vers le déroutant déni. Pour ma part, l’attitude tellement impudente de petit roi du foyer, si sûr de lui, tellement en sécurité et bien dans son slip acheté, lavé, séché par sa compagne, du petit trou du cul de la bande dessinée, me hérisse et et énerve ma tendance à l'amer mépris. Pourtant, inconsciemment, je ne dirais pas dans mes gênes, mais dans un atavisme certain que la plus énergique révolte ne parvient pas à réduire tant que cela, je lui ressemble.

   Mais parlons du positif. Pour certaines tâches, c’est moi qui m’y colle, et il n’est pas question que quelqu’une de plus rapide, de plus efficace que moi, me les reprenne. Je ne vais pas en faire la liste ici, mais je souhaite vous entretenir de celle particulièrement ardue, du changement de housse de couette.

   Pour commencer, moi, quand j’étais célibataire, je changeais la housse une fois par mois, et je me jugeais un parfait gestionnaire domestique. La couette avait au bout de ces quatre semaines une bonne odeur de sueur rance qui ne me donnait pas l’impression de bosser pour rien, de m'agiter dans un zèle un peu maniaque (même si je suis un grand maniaque par ailleurs). Depuis que je vis en association d’égoïstes, c’est toutes les semaines, il faut parfois savoir faire des concessions.

   Au temps de mon célibat j’avais une vulgaire couette deux personnes. Aujourd’hui c’est une couette géante qui irait tout à fait à trois personnes, ce qui est d’ailleurs le cas puisque mon fils à huit ans s’endort toujours entre ses deux géniteurs si vous connaissez des psychologues qui peuvent me fournir un tuyau à ce sujet… Pour manipuler ce truc lourd et encombrant sans devenir véner grave, il faut avoir les grands bras, la force et l’ingéniosité de ma compagne, ce qui n’est pas mon cas. C'est David contre Goliath. Mais je m’en tirais jusqu’à présent tant bien que mal. Tout exsangue, suffocant et blême, épuisé au moment de partir au turbin, et trempé de sueur, mais je m'en tirais.

   Cependant aujourd’hui tout a changé. J’ai un nouveau truc.

   Afin d’encourager le partage des tâches je souhaite donc le diffuser aujourd’hui. Cette nouvelle méthode que m’a transmise ma collègue Yamina (le prénom a été changé) est non seulement très pratique, mais elle est amusante et donne même l’impression de réaliser un tour de prestidigitation. Voici donc le petit tutoriel qui vous permettra de maintenir plus aisément au-dessus des 25 % votre taux de tâches domestiques prises en charge.

Ici la démonstration se fait sur le lit de Rosa et Mireille, les deux cochons d'Inde de la famille. Taille ridicule.

Là encore, le lit n'est pas très grand, le mien fait au moins trois fois ça, mais regardez bien comment elles font mes amis.

   Dans un prochain post, je vous donnerai ma recette de liquide vaisselle, qui ne me donne toutefois par complète satisfaction, surtout quand c'est très gras. Si, mes amis, vous avez vous aussi des tuyaux, des manières de faire telle ou telle tâche ménagère, pratique et, pourquoi pas, ludique, n'hésitez pas à contacter La Plèbe, qui se veut une plate-forme de coopération et de partage pour l'adoption de nouveaux comportements moins beaufs machos ravis du fauteuil (d'ailleurs chez moi, c'est simple, il n'y a plus de fauteuil ; il a rendu l'âme et on ne l'a pas remplacé, comme ça je suis tranquille, et ma fissure anale - voir posts précédents sur ce sujet - ne s'en porte que mieux, sans compter le gain de temps quand je passe l'aspi : plus de déplacement de meuble ou de contournement par les côtés ou par le bas, pratique !).

lundi 27 mars 2017

Ça me la coupe !


      Je connais le livre SCUM manifesto de Valérie Solanas de réputation depuis fort longtemps. Dans cette vidéo de Carole Roussopoulos et Delphine Seyrig, on en entend de larges extraits, dans une mise en scène très pince sans rire je trouve.

      J'avais déjà évoqué Valérie Solanas ici, à propos du livre de l'écrivain tchèque Bohumil Hrabal Lettres à Doublenka, dans lequel l'auteur n'évoque pas avec toute la courtoisie nécessaire la mémoire de cette femme, sous prétexte qu'elle aurait tiré sur son idole, à lui, Andy Warhol, lui transperçant le poumon, la rate, l'estomac, le foie et l'œsophage. Joli carton.

      Allez, quand on aime on ne compte pas, un extrait d'un autre film d'agit-prop féministe, des mêmes auteures + Nadja Ringart et Ioana Wieder. Avec un tas de misogynes à gerber, et Françoise Giroud en collabo.


      Et un dernier extrait, de Sois belle et tais-toi cette fois, de Delphine Seyrig toujours. On y voit et entend une interview de Jane Fonda. Je trouve son français vraiment parfait, je l'envie de maitriser ainsi une langue étrangère. C'est d'autant plus notable venant d'une américaine, dont les compatriotes pour la plupart ignorent jusqu'à l'existence de cette banlieue merdique qu'est la France. Je trouve ses propos très intelligents, et je la trouve très belle. Je n'ai pas vu tout le film, mais j'ai vu dans le descriptif que Maria Schneider intervient également. Est-ce la Maria Schneider magnifique musicienne, compositrice, arrangeuse et chef d'orchestre ? Il faut que je voie l'intégralité de ce film !


Mes dernières actu ciné.

jeudi 2 février 2017

La mort d'Eurydice

Le nouveau président américain a décidé d’interdire le financement d’ONG internationales qui soutiennent l’avortement, soulevant un tollé.
LE MONDE | 25.01.2017 à 21h04 |

   Quand Eurydice, Eurydice aux yeux bleu turquoise et aux bandeaux d'or roux, eut seize ans, c'était une frêle fille à taille de libellule. Mais déjà pointait en son cœur à peine épanoui la flammerole de l'amour, de l'amour qui ne distingue point entre les tiges menues que peut rompre même une fatale brise et les robustes fûts qui résistent à la tempête.
   Suave ainsi qu'un matin de mai, elle plut infiniment aux vingt ans du poète Orphée, Orphée à l'âme tumultueuse, tout à tour doux comme l'agneau et ardent comme un fauve, oscillant de la tendresse naïve à la passion farouche.
   Un soir de printemps, dans une auberge de banlieue, après une randonnée dans les bois de Meudon, par lui elle connut physiquement l'amour.
   Dès lors, elle fut un petit cœur tout battant chaud pris à pleine main d'Orphée. Et lui, une main à jamais fermée sur le cœur d'Eurydice.
   Des semaines ayant passé, un jour, baignée de joie comme en présence d'une preuve, car elle avait la simplicité d'une femme-enfant, Eurydice sentit qu'elle était grosse.

Paysage avec Orphée et Eurydice
Nicolas Poussin (1594-1665)

   Dans la souveraine insouciance du mâle pour le martyre de la femme qu'il a fécondée, Orphée chanta, en quelques poèmes où voluptueusement il glissait un los au beau plaisir d'amour, son espoir d'être père. Et pourtant il aimait Eurydice. Mais le mâle est le mâle.
   Eurydice porta péniblement le fruit du beau plaisir d'amour. Les derniers mois de sa gestation surtout furent douloureux.
   Alors, l'angoisse tordit le cœur d'Orphée. Et sa conscience s'éveilla à la vive souffrance de l'aimée. N'était-ce pas là son oeuvre, la réalisation d'un sien concept égoïste de l'amour ? N'aurait-il pas dû éviter la grossesse à la frêleur enfantine de sa compagne ? N'était-il pas un peu coupable ? Mais, comme à cette occasion son esprit délaissait souvent le rêve un peu superficiel du poète pour la méditation profonde du philosophe, il se demandait si, en définitive, la culpabilité n'était pas plutôt attribuable à la cause inconnue que les hommes appellent Dieu.
   La délivrance d'Eurydice fut laborieuse. Un moment, on crut qu'elle avait franchi le pas de la mort. Orphée était atterré. Cependant, l'enfant vint à l'existence. Mais, durant les quelques jours suivants, elle traversa un enfer de fièvre. Sa vie ne tenait qu'à un fil. Le destin voulut qu'il ne fut pas rompu. Lorsque l'accoucheur, un ami, le docteur Pluton, la jugea, quoique faible encore, hors de danger, il dit à Orphée :
   - Je te rends Eurydice, Orphée. Ménage-la : elle revient de loin... Ne lui fais pas d'autre enfant, sinon, la prochaine fois...

Orphée devant Pluton et Proserpine
François Perrier
 Musée du Louvre.

   Et son geste indiquait que ce serait la mort certaine.
   Il ajouta :
   - Tu n'ignores pas que l'homme peut se rendre maître de sa faculté d'engendrer. Tu sais ce qu'il faut faire ?...
   - Je sais, répondit Orphée. J'aime ma compagne : ce sera notre unique enfant.
   Le fils d'Orphée ne vécut d'ailleurs que quelques jours.
  Emmi les blancheurs de son lit de convalescente, la pâle Eurydice songeait qu'elle avait souffert pour l'amour d'Orphée et qu'elle était heureuse d'avoir donné sa preuve, elle aussi, encore que l'enfant ne soit pas une preuve d'amour de l'homme.

Orphée aux enfers
Pierre Paul Ruben (1577-1640)
Musée du Prado, Madrid

   - Mon Orphée, je t'aime toujours, lui dit-elle, comme ayant l'intuition du tourment de son amant.
   - Moi de même, Eurydice. Et c'est pourquoi je souffre. L'amour donne une fleur splendide et odoriférante, mais son fruit est amer. Pardonne-moi d'avoir causé ta souffrance. Je suis un homme : j'ai agi en homme. J'ai cédé à l'impulsion qui fait le monde. J'ai été l'esclave de la force inconsciente qui veut la reproduction des êtres. Mais si l'homme n'est qu'un instrument aux mains de cette force, je veux, moi, être autre chose et davantage. Mon Eurydice, je veux que tu n'aies plus à souffrir de mon amour : ce premier enfant sera le dernier.
   - Orphée, je t'aime... Si la volupté entière du geste par lequel l'homme devient père t'est nécessaire ou si le désir de la paternité te hante de nouveau, je ne te refuserai pas ce bonheur... Prends-moi toute, mon Orphée, dussé-je mourir de ta caresse...
   - Non, jamais ! conclut-il.
   Longtemps, Orphée tint parole.

Orphée ramenant Eurydice des enfers
Camille Corot (1796-1875)
Huston, Musée des beaux-arts

   Mais, depuis qu'il tenait entre ses bras une chose vivante, il avait senti peu à peu son âme se dédoubler. Il avait son âme du jour, pure, lucide et généreuse, et son âme de la nuit, trouble, hallucinée et cruelle. La première lui apportait à l'aube la bonne conscience ; mais quand elle s'évanouissait, au soir, la seconde venait, mauvaise conseillère. Il lui suffisait alors de contempler Eurydice pour sentir couler en tout son être une étrange sensation de volupté frisant le sadisme qui l'incitait à la possession totale et mortelle. Il découvrait en elle une survivance d'innocence virginale et un accomplissement de féminité dû à la maternité, dont le singulier mélange l'émouvait jusqu'au tréfonds de sa chair. En de tels moments, il la désirait imprégnée de lui-même jusqu'à la fécondation, témoignage indéniable de la maîtrise du mâle sur sa proie. Et pourtant il n'ignorait pas quelle perspective de meurtre ouvrait une semblable éventualité. Et cependant, encore, il savait qu'il éprouverait de sa perte un chagrin immense et que sans elle sa propre vie ne vaudrait pas la peine d'être vécue.
   Il lutta longtemps et longtemps en lui même l'âme de lumière fut la plus forte. Mais le combat dont l'issue fixait le sort d'Eurydice était de chaque jour.
   A la musique de ses vers, il avait tenu sous le charme jusqu'à des brutes, presque des bêtes. Oui, il avait charmé des bêtes. Et cependant la bête de ténèbre qui élisait sa demeure en lui chaque soir ne cessait de hurler et de bondir.
   Son désir tournait à l'obsession. Etait-ce un désir normal ou morbide ? Il ne le savait plus. En tout cas, c'était devenu une idée fixe qui réclamait impérieusement satisfaction. Le ventre rond d'Eurydice dansait devant les yeux d'Orphée en des songeries lascives, avec un goût de déjà vu. Dans la lutte que se livraient ses deux âmes, celle du jour râlait, écrasée, réduite à l'impuissance par celle de la nuit.
   La bête triompha. Eurydice fut enceinte de nouveau.


   A mesure que les mois rapprochaient la date fatidique, l'effroi d'Orphée grandissait : effroi de l'évènement futur, effroi de lui-même.
   Il était un assassin. Il connaissait à peu près le jour où sa victime allait mourir. Et la victime savait qui était son meurtrier. Chaque soir, elle se couchait à côté de celui qui lui avait délibérément donné la mort, à l'échéance de neuf mois.
   Par un jour d'hiver gris, sale comme était devenu le cœur d'Orphée, Eurydice quitta la vie dans la torture où le beau plaisir d'amour conduit parfois celles qui l'ont partagé, mais surtout donné. Et ses derniers mots furent encore : "Mon Orphée, je t'aime !"
   Orphée, conscient de sa part de responsabilité humaine devant celle qui s'en allait et qu'il avait poussé hors de l'existence, regardait fixement cette forme naguère vivante qu'il avait aimée et détruite par amour, par le plus bassement conçu des amours. Dans son désespoir, il clamait vainement vers le Dieu sourd sa supplication : "Eurydice ! Eurydice !"
   - Eurydice est morte... Tu l'as voulu, Orphée !... dit tristement le docteur Pluton.
   Alors, les larmes aux yeux, la peine au cœur, Orphée s'assit - pour écrire un poème funèbre.

                                                                                                                    1918.

Manuel Delvaldès.- Contes d'un Rebelle.



La Plèbe écoute tout le temps :

Jeudi 2 février 2017 : Jazzlib' (jazz). Thème de la bi-mensualité : La suite (sans fin) des aventures du Duke. Ça continue car il y a tant à dire et surtout à écouter !
When, where, how ?
Jazzlib' sur radio libertaire 89,4 FM en RP. Tous les 1er et 3e jeudis de 20:30 à 22:00.
Podcast ou téléchargement MP3, pendant un mois, sur la grille des programmes.
Cliquer sur le lien correspondant à la bonne date (Jazzlib'/Entre chiens et loups). Attention de bien vérifier que vous êtes sur le 1er ou/et 3e jeudi, vous avez, en haut à gauche, les semaines disponibles.

Lundi soir 6 février 2017 : Dans l'herbe tendre (chanson française). Thème du mois : les traîtres.

vendredi 24 juin 2016

Jouons un peu avec les terroristes

Des fois, face à l’ignominie des héritiers des thermidoriens et autres directeurs fossoyeurs d'une réelle démocratie toujours à construire, et de tous les valets des patriciens aux commandes depuis ce temps-là, on en viendrait presque à trouver certain membre de Comité de salut public sympathique. Mais ce serait trop simple et à coup sûr une tentation du côté obscur : malheureusement, ce dernier faisait raccourcir aussi les sans-culottes les plus épris de liberté et d’égalité, et il ferait certainement  "raccourcir" aujourd'hui (mais arrêtez-moi si je me trompe) nos fiers "casseurs" et zadistes.

Voici donc notre énigme :

Le 14 frimaire an II – 4 décembre 1793, la Convention nationale requiert tous les citoyens de lessiver eux-mêmes leurs bâtiments : « Tous les citoyens, soit propriétaires, soit locataires, [...] sont invités à lessiver eux-mêmes le terrain qui forme la surface de leurs caves, de leurs écuries, bergeries, pressoirs, celliers, remises, étables, ainsi que les décombres de leurs bâtimens »*.
*Jean-Baptiste DUVERGIER, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, et avis du Conseil d'Etat..., Paris, A. Guyot, 1934, t. VI, p. 397, article 1.

Pourquoi la Convention nationale requiert-elle, le 14 frimaire an II – 4 décembre 1793, tous les citoyens de lessiver eux-mêmes leurs bâtiments ?

Certes, la Convention montagnarde était plutôt égalitariste, et que chacun participe à l'entretien des lieux de vie, et non plus seulement ta bonniche, pourrait être une réponse satisfaisante. Mais il y en a une autre, en rapport avec cette période troublée. A toi de la trouver, cher sans-culotte !

Quand nous finirons 89 et 93, accomplissant le but de la société qui est le bonheur commun, conformément aux principes sacrés, nous ne pourrons plus exploiter et humilier des bonniches. Va falloir nous sortir les doigts du cul petits et grands révolutionnaires !

Bravo aux deux participants, à Romain qui a trouvé la solution, et à Jules qui colle à l'actualité révolutionnaire.

Voici des précisions, extraites d'un texte fort intéressant quoique de facture universitaire qu'on peut trouver ici :

Enfin, l’extraction du salpêtre a été confiée par la Convention montagnarde et la Commune de Paris à tous les citoyens (42). [...].

Le salpêtre recueilli par les citoyens était payé par la régie des poudres. Le 13 nivôse an II – 2 janvier 1794, le Conseil général de la Commune s’occupe de mettre ce décret en exécution. Une partie des membres propose d’abord de charger les comités révolutionnaires des sections de cette tâche mais, comme le portait la loi, Pache conseille de laisser l’initiative de l’extraction du salpêtre aux citoyens eux-mêmes : « Il n’est pas ici question de salpêtre raffiné, c’est de salpêtre brut qu’il s’agit de trouver, toutes les caves de Paris en sont pleines, il faut que tout se fasse de bon accord : inviter les citoyens à descendre eux-mêmes dans leurs caves, et à y dégager la superficie de la terre ».

Sur la proposition du maire, le Conseil général arrête que chacun de ses membres sera invité dans sa section à engager tous ses concitoyens à extraire le salpêtre de leurs caves et autres lieux et à leur donner à cet effet lecture d’une instruction rédigée par le Comité de salut public.

Ainsi, la Convention montagnarde et le Comité de salut public ont chargé la Commune de Paris et les assemblées générales des quarante-huit sections parisiennes de répartir équitablement entre tous les artisans les fournitures dont l’administration avait besoin pour équiper les armées. Néanmoins, pour être économiquement indépendants, tous les artisans devaient avoir accès directement aux matières premières et aux outils de travail.
(42) Le salpêtre ou nitrate de potassium était l’élément essentiel pour fabriquer de la poudre. Ce dernier pouvait être obtenu en lessivant le sol des habitations.

lundi 14 décembre 2015

Détente culturelle

Les auteurs de chansons à la mode ont depuis toujours vécu du mépris de la signification qu’en bons précurseurs et successeurs de la psychanalyse, ils réduisent à la monotonie du symbolisme sexuel. Adorno / Horkeimer.- Kulturindustrie


Les conseils de la rédaction : les copains, pour Noël, faites-vous offrir utile.

mardi 31 mars 2015

Une sans rue

« Elle cousait dix-sept heures par jour; mais un entrepreneur du travail des prisons, qui faisait travailler les prisonnières au rabais, fit tout à coup baisser les prix, ce qui réduisit la journée des ouvrières libres à neuf sous. Dix-sept heures de travail, et neuf sous par jour ! Ses créanciers étaient plus impitoyables que jamais. Le fripier, qui avait repris presque tous les meubles, lui disait sans cesse : Quand me payeras-tu coquine ? Que voulait-on d’elle, bon Dieu ! Elle se sentait traquée et il se développait en elle quelque chose de la bête farouche. Vers le même temps, le Thénardier lui écrivit que décidément il avait attendu avec beaucoup trop de bonté, et qu’il lui fallait cent francs, tout de suite; sinon qu’il mettrait à la porte la petite Cosette, toute convalescente de sa grande maladie, par le froid, par les chemins, et qu’elle deviendrait ce qu’elle pourrait, et qu’elle crèverait, si elle voulait. — Cent francs, songea Fantine ! Mais où y a-t-il un état à gagner cent sous par jour ? — Allons ! dit-elle, vendons le reste. L’infortunée se fit fille publique. »
Extrait d’un manuscrit sauvé par Madame Juliette Drouet, alors que son auteur, menacé d’une arrestation certaine par les sbires du hacheur de parisiens Napoléon le Petit en décembre 1851, avait dû prendre la fuite et s’exiler. Cet auteur, aimé, adoré, admiré, vénéré par cette même Dame Drouet, eut une certaine notoriété pour laquelle l’inspiration, le soutien, les encouragements, la consolation, la tendresse, la sensualité, l'intelligence, le travail de « Juju » furent essentiels.


Repères historiques :
- Coup d’Etat de Napoléon III, décembre 1851 : 400 parisiens saignés ; - Journées de répression de juin 1848, 2ème république : 5000 parisiens occis ;
- Répression de la Commune de Paris, mai 1871, 3ème république : 7500 parisiens abattus.
La grâce séduisante d'une gorge naissante
Un nuage de taffetas cachant ses doux appâts
C'est Juliette Drouet partant pour Guernesey
Où trottent des ânons portant de longs caleçons

Dans la vieille diligence qui sautille en cadence
Elle tire de son corsage un merveilleux message
Et Juliette Drouet plus fraîche qu'un bouquet
Se met à le relire et rougit de plaisir

Près d'elle sur la banquette un argousin la guette
On ne plaisantait pas sous Napoléon III
Mais Juliette Drouet jette au loin le billet
Un chevreau le dévore le pandore s'endort

Mais voici Guernesey, Juliette aux aguets
Aperçoit sur le port la barbe de Victor
Tous les vieux Anglo-Normands sourient en les voyant
Marcher bras dessus, bras dessous se faire les yeux doux

Les petits ânes en caleçon ouvrent de grands yeux ronds
On ne voit pas tous les jours le génie et l'amour
Dans le champ des étoiles une faucille d'or
Juliette s'endort dans les bras de Victor

Une faucille d'or dans le champ des étoiles
Veille jusqu'à l'aurore sur Juliette et Totor

Ricet Barrier.


vendredi 30 janvier 2015

Genre la révolution

"[...] il faut s'interroger sur la virilité, sur le guerrier, sur l'ouvrier le poing levé. Les mecs, interrogez-vous sur la violence, sur le viol, sur les représentations où vous apparaissez cagoulés, et qui vous font bander. Cassez les codes de la virilité ! Mettez des mini-jupes, des talons, du rouge à lèvres. Sortez du carcan de façon même ludique.
Va à la prochaine manif antifa en mini-jupe, tu verras, tu n'en seras pas moins efficace !"*

Bon, ben je commence les amis... J'aime beaucoup chanter cette chanson** quand j'enfile les gants de caoutchouc (c'est une métonymie, en réalité je fais la vaisselle à mains nues), espace de création que je tâche de me réserver exclusivement, tant ma compagne aurait aisément la velléité de monopoliser la totalité de ces beaux arts ménagers si je n'y prenais garde. Tel un mantra, ce puissant chant me donne du coeur à l'ouvrage, un peu comme le "Hey hi ! Hey ho !" pour le travail hiérarchiquement plus viril des 7 nains. La balle est dans notre camp, frères couillus ! Pour les lessives, la bouffe, le môme, le ménage, les courses... entonnons ces nouveaux chants révolutionnaires. Ensuite on pourra mener nos grand combats sur qui c'est qu'à raison pour bien faire la révolution, et chanter l'Internationale en manif avec cohérence. Et la voix de tête ne sera pas motif de timidité !


*Virginie Despentes in CQFD (en kiosque chaque début de mois), Si tu ne déconstruis pas le genre, il ne peut pas y avoir de révolution, janvier 2015.

** Celle-ci marche aussi très bien.