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mercredi 1 juillet 2020

La dose de Wrobly : prairial 2020 EC


   - André Breton.- L'Amour fou.
   Je lis André Breton ! J'avais jusqu'à ce jour raté ce pilier, ce jalon du jaillissement de l'art dans la vie, du désir de transformer le monde, de l'attention aux dimensions infinies des univers extérieurs et intérieurs. Raté peut-être à cause de sa réputation de petit pope. Son homophobie également... Évidemment j'étais plus attiré par Benjamin Péret, René Crevel... Mais je ne pouvais pas passer ma vie sans approcher de plus près son aura. C'est en cours. Curiosité ! Immense intérêt ! Joie ! Passion !  Nouvelle plongée dans la fantastique épopée surréaliste ! Je le suis très concrètement dans ce petit livre au cours de ses recherches de la beauté, de l'illumination, de ces instants magiques ou les hasards de la vie semblent répondre à des aspirations intérieures, inconscientes ou pas, au marché au puces avec Giacometti par exemple... J'espère être au début d'une découverte complète de l’œuvre, et d'une alchimie consécutive dans ma vie et son environnement !

L'ami Jimmy Gladiator, passé récemment de l'autre côté du miroir, et pour qui Breton était un mentor-camarade, est un de ceux qui m'ont donné le plus envie de le lire, malgré mes préjugés.

La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas.

   - Anarchie et cause animale.
   Proudhon, Bakounine, Michel, Reclus, Kropotkine. Je n'avais jamais lu Reclus. Je le préjugeais gentillet. Mais maintenant que je deviens gentillet avec l'âge, j'aime beaucoup, un peu vieilli, évidemment. Bien moins mâle dominant, "superhomme", que Proudhon, plus doux, végétarien mais pas moins radical. Et poétique dans son énumération des merveilles de la nature et de la vie sauvage à la surface du globe, malheureusement en cours d'extermination.

   Et plus l'homme est féroce envers la bête, plus il est rampant devant les hommes qui le dominent.
[...]
   On m'a souvent accusée de plus de sollicitude pour les bêtes que pour les gens : pourquoi s'attendrir sur les brutes quand les êtres raisonnables sont si malheureux ?
   C'est que tout va ensemble, depuis l'oiseau dont on écrase la couvée jusqu'aux nids humains décimés par la guerre.
Louise Michel.

Tranquillou sur le balcon du dessus. Cela fait des années qu'elles sont des milliers à habiter ma résidence de la banlieue nord de Paris, tous les étés.
Le berger quichua, parcourant le plateau des Andes en compagnie de son llama de charge, n'a point tenté d'obtenir l'aide de l'animal aimé autrement que par des caresses et des encouragements : un seul acte de violence, et le llama, outragé dans sa dignité personnelle, se coucherait de rage pour ne plus se relever. Il marche à son pas, ne se laisse jamais charger d'un fardeau trop lourd, s'arrête longtemps au lever du soleil pour contempler l'astre naissant, demande qu'on le couronne de fleurs et de rubans, qu'on balance un drapeau au-dessus de sa tête, et veut que les enfants et les femmes, à son arrivée dans les cabanes, le flattent et le caressent.
Élysée Reclus.

Quand lama fâché, lama toujours faire ainsi.

vendredi 12 avril 2019

Un cap en plus

  J'avais passé le cap des 27 ans, celui des 31, et des 46. Je viens de franchir, le 29 mars dernier, la frontière du demi siècle.

  Comme je l'avais évoqué ici, le trompettiste Roy Hargrove n'a pas eu cette belle longévité, qui est mort à 49 ans. Les reins.

  Dans un autre genre, mais appréciable aussi quand on est plutôt éclectique comme bibi, j'ai appris la disparition discrète de Keith Flint, membre danseur et parfois chanteur du groupe de musique électronique The Prodigy. Il avait mon âge également, l'année érotique, mais n'a pas eu le temps de devenir quinqua. C'est la corde qui l'a eu le 4 mars dernier.

On le voit là plus porté par le public, avec des vigiles au cul quand même, que dansant sur scène.

Rest in peace Keith !

  Bon, ben voilà voilà, on s'accroche, on survit, on va essayer de tenir encore un peu. Mais déjà là, c'est pas mal, quand on voit tous les amis fauchés à la fleur de l'âge.


  Dernière minute : Je viens d'apprendre ici la mort de Jimmy Gladiator. C'est encore un peu de ma jeunesse qui pâlit. Je le fréquentais à sa période fin Hôtel Ouistiti début Au libre olibrius, deux de ses fanzines anarcho-surréalistes. J'étais dans ma période bien imbibée mais je tenais encore debout, c'était pas la fin du processus. On se rencontrait avec sa petite cour (ce n'est pas méchant) dans un bar en face du Gibus, à République, pour causer des fanzines, de tout, de rien, et déconner à bloc. Je me souviens d'un scandale à la mode surréaliste que nous fîmes avec lui, à Beaubourg, quand nous avons piqueniqué au beau milieu d'une conférence de surréalistes établis, encroûtés, fétichisés dans l'industrie culturelle (je ne pourrai pas vous donner plus de précisions sur ces querelles, j'allais participer au charivari sans trop me renseigner, je faisais confiance au bon (mauvais ?) esprit de Jimmy et de ses potes !). J'ai rencontré de belles personnes dans son entourage, comme le peintre anarchiste et grand compagnon de biture Jacques Metz, disparu depuis quelques années déjà, et l'auteur du livre Finir la révolution, très sympathique copain de l'époque retrouvé il y a peu par hasard dans la défunte librairie de notre ami George. J'ai fréquenté aussi une japonaise d'Osaka, rencontrée lors de ces réunions, Yaeko, guide touristique en France, perdue de vue depuis longtemps, mais qui a participé à mon lien involontaire et discret mais présent depuis l'enfance et jamais démenti, avec le Japon. Je me souviens croiser Jimmy en fin de manif en 95, en retard que nous étions sur le cortège en bons amateurs de bières, lui en franc jouisseur, moi en obsessionnel compulsif. De bons moments de camaraderie. En revanche, j'ai une petite tristesse en repensant aux propos hostiles et sarcastiques qu'avait écrits un rédacteur du petit et artisanal canard anar l'Arbre est dans la graine, auquel je participais alors (c'était l'époque du légendaire Mordicus, et du bar La Bonne descente). Je participais mais je n'ai pas eu le courage ni l'énergie ni la sobriété tout simplement de dire à ce rédacteur que Jimmy était un pote et que ça me dérangeait, ces propos. J'ai cru voir dans son regard, après la parution et qu'il ait dû prendre connaissance de l'article, lui qui nous lisait et nous considérait comme des amis, un sentiment blessé, de trahison. Je n'ai jamais su si j'avais rêvé, surinterprété avec ma culpabilité... J'ai fait comme de rien n'était, à jeun j'étais du genre muet dans ma jeunesse, et le temps a passé, je l'ai perdu de vue, j'avais mon fond à toucher et un bon coup de talons à redonner tout au fond, avec les années de remontée consécutives. Je regrette aujourd'hui de ne pas l'avoir revu, juste pour lui faire amende honorable.

  Salut l'olibrius !

vendredi 2 mars 2018

La fabrique du Catholique

   La manifestation des cent vingt prêtres, le 11 mai 1966, marqua le point culminant du cléricalisme de gauche.


   Son objectif était de protester contre les tortures faites dans un commissariat à un étudiant membre du P.C. Ils voulaient ainsi donner un sens universel aux protestations que certains secteurs de l’Église, religieux et laïques, n'élevaient que lorsque la victime était un militant catholique.
[...]
    A onze heures et demie je commençai à tourner sur la place de la cathédrale avec mon vélomoteur. Les ensoutanés arrivaient isolément pour se rassembler dans le cloître de la cathédrale. Mais toute discrétion était inutile, car je pus me rendre compte que le secret était devenu secret de polichinelle. Je comptai au moins huit "Sociales"* fouinant aux alentours, avec leur touche incomparable.
   Les prêtres passèrent du cloître à l'intérieur de l'église, où ils demeurèrent quelques minutes.
   Il était 13 heures 5 quand le spectacle commença. Un long cortège de soutanes, en rangs par trois, commença à sortir par la porte de la cathédrale. Traversant la large place il se dirigea vers la rue Joaquin Pou, qui aboutit à la porte même du commissariat. Il était impressionnant de voir cette longue file de soutanes, surtout quand on connaissait le sens de la manifestation. Ils avaient peur, c'était évident pour plusieurs, mais ils étaient dignes et décidés.
    Quelques inspecteurs en civil s'approchèrent de ceux qui marchaient en tête, essayant de les dissuader, allant même jusqu'à leur saisir le bras pour les sortir des rangs. Mais ils ne cédèrent pas et le cortège continua d'avancer jusqu'à son but. Moi, je suivais cette marche, qui présageait un drame, le cœur serré. Quand la tête du cortège disparut dans la rue Joaquin Pou, je fis le tour par la Via Layetana et me plaçai au coin de cette dernière et de la place Maestro Luis Millet, simulant une panne à mon vélomoteur. Accroupi, une clé anglaise à la main, je ne perdis aucun détail des évènements.
    Quand la tête de la manifestation fut arrivée devant la porte du commissariat, on attendit un peu que tous soient là. Un prêtre se détacha alors avec un papier : le texte de protestation. Comme on lui interdisait l'entrée, il voulut le remettre au planton, qui refusa de prendre cette responsabilité. Après plusieurs refus, le papier resta finalement abandonné sur une des voitures officielles stationnées là, où un policier le ramassa un moment après.
   Et là commença l'incroyable. Les inspecteurs qui flanquaient la manifestation, aidés par d'autres qui sortirent de l'intérieur du commissariat, commencèrent à invectiver grossièrement les curés, les frappant à coups de poing, à coups de pied, essayant de les disperser. Des éléments de la Police armée furent obligés de participer au travail, ce qu'ils firent avec beaucoup moins de conviction. Plus tard on apprit que huit d'entre eux avaient été mis aux arrêts pour avoir refusé de participer à la bastonnade.
   Les prêtres, sous la pluie de coups, ne se mirent pas à courir, ni ne se dispersèrent, comme l'espérait leurs bourreaux. Ils se dirigèrent vers la place Urquinaona. Le plus gros de la troupe prit par la Alta de San Pedro, jusqu'à l'église de San Francisco de Paula, qu'il trouva fermée ; il se joignit alors au groupe qui montait par Junqueras. Plus pâles que la cire, sans desserrer les lèvres, ils supportaient stoïquement les insultes et les coups. Je m'imaginais qu'ils devaient éprouver les mêmes sentiments que les martyrs en présence des bêtes dans les cirques romains. Le public, surpris devant un spectacle tellement insolite, restait muet, témoin impassible et impuissant de cette raclée sacrilège.


   Une gifle claqua près de moi. Je me retournai et reconnus un jésuite déjà âgé, auteur de plusieurs livres, qui se baissait pour ramasser ses lunettes que la gifle magistrale avait fait sauter. Dans cette position ils lui administrèrent un coup de pied dans le derrière qui lui fit embrasser le trottoir, pendant que le même pied écrasait les lunettes. J'en vis un autre qui recevait un coup de pied dans le bas-ventre. Avec acharnement ils les poursuivirent pendant plus de cent interminables mètres, comme un essaim de guêpes qui n'abandonnent pas leur proie. En arrivant place Urquinaona, ils se dispersèrent.
   Des énergumènes acharnés continuèrent encore la chasse, si bien qu'un capucin qui allait se réfugier dans le collège des Jésuites de la rue Capse, distant de quelque trois cents mètres du commissariat, reçut un coup de matraque sauvage sur la tête, qui le renversa ensanglanté.


    La seconde partie du drame fut une saynète grotesque. Les moyens de la propagande gouvernementale entrèrent en action. La télé exhuma les inévitables photos d'églises brûlées par les "hordes rouges", de prêtres assassinés par la "populace marxiste", de miliciens tirant des coups de fusils sur la statue du Sacré-Coeur, etc.** Les journalistes firent aussi de leur mieux. La version officielle, ce fut les journaux de Mouvement*** - Solidaridad Nacional, Arriba, La Prensa - qui la fournirent. Ils parlaient de "l'attitude tumultueuse, rebelle et provocatrice" des manifestants, dont le point culminant avait été l'"agression par un jeune prêtre d'un agent de l'autorité", si bien que celle-ci s'était vue obligée de dissoudre le cortège qui paralysait la circulation. Pueblo, sous le titre "Les nouveaux curés", assurait que le "spectacle de Barcelone est tellement grotesque qu'il n'en est pas édifiant". Informaciones intitulait l'article "Étonnement et peine". Mais celui qui enleva la palme fut Tele-Exprès qui qualifiait la manifestation de "procession politique" et les manifestants de "bonzes enquiquineurs" qui feraient mieux "d'aller répandre la bonne graine en Amazonie ou aux Andes".
   Peu après vinrent les condamnations de la manifestation. C'est le chapitre de la cathédrale de Grenade qui ouvrit le feu, suivi par les prêtres de Ciudad Real, les chefs de familles d'Elche et autres forces vives du même calibre, avec enfin l’épiscopat espagnol.
   Plus tard furent jugés ceux que la police considérait comme principaux meneurs. Ils furent condamnés à un an de prison qu'ils n'eurent pas à purger.

*Police politique. 
**Photos tirées des archives de la guerre civile. 
***Parti unique du régime franquiste.

Extrait de Barcelone : l'espoir clandestin, de Julio Sanz Oller, en promo chez CQFD, courez-y vite si vous voulez continuer de bicher !

mardi 8 mars 2016

Ni au doigt ni à l'oeil

Je pouvais dès lors la considérer comme guérie. Elle manifesta sa joie, me parlant longuement de sujets intimes, quand d'habitude elle ne parlait ni d'elle ni de moi. Elle m'avoua en souriant que, l'instant d'avant, elle avait eu l'envie de se soulager entièrement ; elle s'était retenue pour avoir un plus long plaisir. L'envie en effet lui tendait le ventre, elle sentait son cul gonfler comme une fleur près d'éclore. Ma main était alors dans sa fente ; elle me dit qu'elle était restée dans le même état, que c'était infiniment doux. Et, comme je lui demandais à quoi lui faisait penser le mot uriner, elle me répondit Buriner, les yeux, avec un rasoir, quelque chose de rouge, le soleil. Et l’œuf ? Un œil de veau, en raison de la couleur de la tête, et d'ailleurs le blanc d’œuf était du blanc d’œil, et le jaune la prunelle. La forme de l’œil, à l'entendre, était celle de l’œuf. Elle me demanda, quand nous sortirions, de casser des œufs en l'air, au soleil, à coups de revolver. La chose me paraissait impossible, elle en discuta, me donnant de plaisantes raisons. Elle jouait gaiement sur les mots, disant tantôt casser un œil, tantôt crever un œuf, tenant d'insoutenables raisonnements.
Georges Bataille.- Histoire de l'oeil .