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mercredi 20 juillet 2022

La dose de Wrobly : messidor 2022 E.C.


   - Lois McMaster Bujold.- La Saga Vorkosigan : L'Apprentissage du guerrier / Les Montagnes du deuil / Miles Vorkosigan.
   On commence à s'habituer à la petite famille et à tous les personnages de la saga, notamment Miles Vorkosigan, qui sera le héros né difforme, cassablen petit et chétif après que sa mère a été victime d'une attaque à l'arme chimique. Eh ! oui, un héros handicapé, c'est assez rare pour être apprécié. Dans le 4ème tome on passe d'un certain réalisme malré tout, techno-fictif dans le premier (malgré les humains à quatre bras) et médiéval-impérial futuriste dans les deux suivants, à une comédie d'aventure inter-galactique fantaisiste (on pense à de la BD). Miles est un vrai clown, en plus d'être très intelligent. Il paraît que la suite s'orientera de plus en plus vers des énigmes de type policier dans ce décor de planètes contrastées (Star wars nous vient parfois à l'esprit) et de space opéra. On y prend finalemnet goût, les centaines de pages (390 pour L'Apprentissage du guerrier) défilent vite.
   - Michel Bakounine.- La Première internationale en Italie et le conflit avec Marx : écrits et matériaux.
   Se lit un peu moins vite. Non que ce soit moins intéressant, loin de là, mais on est dans les débats d'idées, la polémique, la confrontation politique, éthique, pilosophique, et dans l'Histoire, même si aussi un peu dans le combat de coqs. Après avoir croisé le fer avec le bourgeois républicain déiste béni oui oui italien, Mazzini, Bakounine affronte ici le socialiste allemand qu'on ne présente plus, tout en tâchant de développer l'Internationale en Italie depuis la Suisse.
   27,3 cm de hauteur sur 19,2 cm de largeur ; 5 cm d'épaisseur ; 500 pages. Les summer vibes, ça se passe comme ça chez Wroblewski !

jeudi 20 janvier 2022

La dose de Wrobly : nivôse 2021-2022 EC

- Danièle Pistone.- Histoire de la musique en France de 1789 à 1900.

Musicienne jouant du qanon et danseuse, image de Musique et instruments de musique du Maghreb.

"De la fondation à 1900 se succédèrent à la tête de l'établissement (le Conservatoire - note du blogueur) : [...]
      - D.F.E. Auber, de 1842 à 1871
      - Salvador Daniel, sous la Commune (6)
      - Ambroise Thomas, de 1871 à 1896 [...]
(6) A la mort d'Auber, il se plaça lui-même à la tête de l'établissement ; mais il fut tué quelque quinze jours plus tard."

   On n'en saura pas plus sur la mort de cet honorable monsieur... On apprendra par contre ceci sur ses centres d'intérêts et ce qu'il apporta à la musique en France :
"Dans les gazettes, les articles la concernant (la musique arabe - note du blogueur) sont toutefois plus rares que ceux relatifs à la musique extrême-orientale [...] ; mais les Expositions Universelles contribuèrent à faire connaître les mélodies arabes et S. Daniel (24) par exemple, venant d'Alger, avait fait découvrir à plusieurs reprises aux Parisiens (25) de semblables concerts. D'authentiques instruments furent présentés à nos compatriotes (26).

(24) Celui-là même qui devait se placer à la direction du Conservatoire pendant la Commune [...].
(25) Voir, entre autres, son article dans Le Ménestrel du 27 janvier 1867, pp. 65-67 et son concert de musique arabe au Palais Pompéien en 1866 (ibid. du 8 juillet 1866).
(26) Voir Le Ménestrel XXX, 1863, pp.353-354, pour la description de ce spectacle."

   C'est peu, mais ce livre a au moins le mérite d'évoquer Francisco Salvador Daniel. L'histoire officielle du Conservatoire de Paris, elle, n'en a pas fait autant : elle fait succéder Ambroise Thomas à Auber. C'est ce qu'on apprend en tout cas dans ce passionnant article du splendide blog La Commune de Paris (voir aussi ci-contre), qui nous raconte toute l'histoire de cet attachant musicien communard.

Zohra de Francisco Salvador Daniel.


- Michel Bakounine.- Michel Bakounine et l'Italie : 1871-1872.
   Troisième emprunt de ce livre d'archives du Russe internationaliste, j'espère le finir cette fois-ci. L'occasion de rappeler quelque banalités malheureusement pas superflues dans notre actualité libéralo-fasciste :
"[...] la noble passion de la liberté. Et la liberté, quoi qu'en dise Mazzini et avec lui tous les idéalistes - qui, naturellement, ne comprennent rien à ce mot et qui, lorsque la chose se présente à eux, la détestent - la liberté, par sa nature même, ne peut être seulement individuelle - une telle liberté s'appelle privilège - la liberté vraie, humaine, complète d'un seul homme implique l'émancipation de tout le monde, parce que, grâce à cette loi de solidarité qui est la base naturelle de la société, je ne puis être réellement libre, me sentir et me savoir libre, si je ne suis pas entouré d'hommes également libres, et l'esclavage du dernier d'entre eux est mon esclavage."


- Molière.- Les Fourberies de Scapin.
   Il y a une semaine Jean-Baptiste aurait eu 400 ans. Et cela personne n'en parle. Le boycott médiatique de l'auteur du Malade imaginaire n'est-il pas la preuve la plus symptomatique du grand complot des élites et de son non moins gigantesque reset pharmaceutique ? Je laisse votre esprit critique méditer cette question. Ou bien, comme le mien, se taper une bonne farce avec de francs fourbes dedans pour fêter ça.

- Jean-Patrick Manchette.- L'Affaire N'gustro.
   Qu'il est bon quand, comme moi, on a boycotté depuis l'adolescence tous les appareils idéologiques d'Etat (sauf quelques rares émissions de réel service public à la radio) et capitalistes, tous ces nauséeux médias bourgeois, pour rester pur, se préserver de toute leur pub, propagande et lénifiante entreprise d'abêtissement, et qu'on se retrouve dans telle activité à attendre son fils et que deux personnes vous entreprennent avec passion du dernier Houellebecq, dernier produit d'appel de l'industrie littéraire à la mode dont je n'ai que foutre et dont je ne souhaitais pas dans ma vie simple ententre parler, quel bonheur, donc, de n'avoir jusqu'à présent pas été complètement branché non plus, d'avoir plutôt fôlatré dans ses découvertes artistiques, poétiques, littéraires, philosophiques... plutôt que de s'être précipité le plus vite possible sur ce qu'il fallait avoir lu dans les milieux avancés auxquels je me flatte malgré tout d'appartenir, quoi qu'il m'en coûte, quel plaisir, donc de se retrouver la cinquantaine bien sonnée avec tout plein de Manchette à découvrir ! J'en suis donc à mon troisième : L'Affaire N'Gustro, après Ô dingos, ô châteaux ! et Laissez bronzer les cadavres ! Je ne vous en dis naturellement pas plus, pas mon genre de divulgâcher, et je retourne bicher avec mon petit chef-d’œuvre de vrai glauque, rien à voir avec les 700 pages du m'as-tu-vu bouffon courtisan catholique ci-dessus et bien à contre cœur-évoqué...

mardi 25 mai 2021

La Dose de Wrobly : Floréal 2021 EC

"[...] vous me demandez alors : "Maître Isogushi, comment dissiperons-nous ces troubles ?" Je vous réponds : "En faisant en sorte que l'on puisse dire de vous : regardez cet homme, à aucun moment il ne se repose ! Et si l'on va jusqu'à proclamer : "Voilà l'homme qui ne dort jamais", c'est mieux encore. Cela signifierait que vos troubles sont derrière vous. [...]""
Patrice Franceschi.- Ethique du samouraï moderne.

"Vous êtes surtout paresseux."
Jean Rostand.




- Blaise Lesire.- Opuscule navrant.

   Comme son illustre homonyme, Blaise Lesire a ressenti le vertige de l'absurdité de l'existence. Mais contrairement au mystique Auvergnat, il n'a pas fait le pari de la foi en un au-delà où il serait cajolé par 72 religieuses vierges de Port-Royal des Champs, mais de celle dans le salut en ce monde par la sieste, tempérée par de complices colloques, sentimentaux, sensibles, sensuels voir érotiques avec de charmantes quoique parfois vindicatives compagnes de différentes espèces.

   Je me suis beaucoup identifié à Blaise Lesire, tout au moins au personnage qu'il campe dans ce tout à fait réjouissant recueil d'aphorismes. A telle enseigne que j'ose me considérer comme un houbiste, modéré certes en regard de la radicalité de l'auteur, disons un houbiste de basse intensité léthargique : il m'arrive encore d'émettre quelques casuistes réserves sur le dogme du fatalisme héroïque, ainsi que sur celui du non-agir critique, tout en les pratiquant maladroitement, mais en restant ataviquement prisonnier de ma nature d'animal façonnier, comme disait Proudhon. Compulsivement je ressens le besoin d'agir pour la révolution anarcho-communiste, on pourrait dire qu'il s'agit là de mon "grain", comme dirait Stirner. Cependant je ne fais rien ou pas grand chose, ce qui maintient ma vie dans une légère culpabilité insatisfaite. Par ailleurs, je sais que si je ne m'agite pas un peu, je vais mal dormir, et cela je ne le tolère pas. Ainsi donc mon houbisme se dilue dans une sobre activité, parfois intense, comme sur les tatamis d'avant COVID, par exemple, mais toujours stoppée nette au moindre besoin de repos. Je suis un houbiste hobbyiste. Je ne sais si cela conviendrait à l'intransigeance du Maître, mais je crois savoir après étude de son enseignement qu'il n'accepte aucun disciple, entendant jalousement rester le seul adepte de sa secte. Libre donc à chacun de s'en inspirer à sa manière.

   Je m'identifie à l'auteur par de nombreux traits :

   - Je suis né sous le signe du Loir. Adepte de la sieste, que je qualifie systématiquement de l'adjectif "délicieuse", des micro-siestes également quand une activité quelconque m'éloigne de mon lit, de la grasse matinée, et sur mon âge mûrissant, des extinctions des feux avant minuit (pas toujours). Au bagne salarial les chiottes m'ont souvent servis de lieu de sommeil, bien calé assis sur le trône. Aujourd'hui, ayant finalement trouvé un lieu de chagrin plus souple, je vais à la bibliothèque fermer les yeux dans un fauteuil (quand il en reste, les adeptes de notre maçonnerie sont légions !). Parfois il m'est arrivé aussi de prendre, à mon poste de travail, la position du penseur concentré sur son clavier, ou adossé au fauteuil le regard sur l'ouvrage, pour pratiquer cet art. Le tout étant d'éviter le ronflement.

   - Je trouve une grande consolation, un moteur de désir et un plaisir sûr dans le jazz. A ce sujet, je voudrais remercies l'aphoriste pour m'avoir fait comprendre enfin, avec un moyen concret pour l'appréhender, après tant d'années de musique en amateur, ce qu'est un rythme ternaire. Le coup du "un et puis deux", relève du génie ! Reconnaissance éternelle !

   - Si je n'ai pas démissionné, c'est un peu tout comme, je me suis reconverti. D'un emploi nécessitant de ma part énergie, créativité, initiative, responsabilité, et flicage, entre autres, je suis passé à un simple job d’exécution. Je n'ai cependant pas été jusqu'au robinsonnesque séparatisme de Blaise Lesire, manque de créativité, d'initiative, d'imagination et de force vitale. Comme quoi, c'est paradoxal, pour vivre heureux feignant, il faut abattre un sacré taf !

   - J'ai haï l'école. Elle m'a traumatisé, terrorisé à 5 ans, à telle enseigne que mes laïcards de parents m'en ont changé pour me mettre chez des bonnes sœurs. J'y ai vécu une infinie tristesse et une insondable solitude, mais moins terrorisé qu'à la laïque (c'est un hasard, évidemment, j'avais dû tomber sur l'instit' sadique de service, je me souviens de son nom, 5 ans ! Madame Stéphanie). Puis, retour au public en CP j'ai eu mes premiers fantasmes de meurtre et désirs de mort, en la personne de l'instit' plutôt gentille a priori rétrospectivement, pauvre madame Pigaillem ! La peur ne m'a pas lâchée au collège, mais j'avais fait le deuil du pouvoir magique de faire mourir les gens par la pensée et admis que ce n'était finalement pas souhaitable. Jusqu'à ce qu'à 15 ans je découvre la potion magique anti trouille, la pillave. Qui répare sur le coup mais ne fait qu'amplifier l'angoisse qui eut tout loisir de me pétrir de nouveau ensuite dans la vie dite active...

   - Je m'intéresse à quelques philosophies et arts martiaux orientaux, en pratiquant certains avec une assiduité variable.


   Nous croisons de bien sympathique personnes dans cet opuscule, de Tchouang Tseu à Franquin, de Lichtenberg à Beckett, de Scutenaire à Brassens et bien d'autres. Je ne prétends pas avoir de l'humour, ce serait présomptueux, mais en lisant l'Opuscule j'avais l'impression que mon esprit en pétillait. L'humour, cette forme supportable de l'angoisse, et cette rupture dans un chaîne logique, n'est-il pas aussi la définition du paradoxe ? En tout cas, Blaise Lesire est un virtuose de l'exercice !

   Je ne m'identifie pas aux traits suivants de l'auteur :

   - Il aime la moto (cela dit je ne juge pas, moi j'aime bien le heavy metal...) ;

   - Les benzodiazépines me sont interdits, je dois négocier mes malaises par des voies naturelles, mais ce n'est pas par vertu, rassurez-vous, plutôt une forme d'allergie me poussant à ingurgiter Xanax, Lexomyl, Valium, Rohypnol et autres Lysanxia par pincées plutôt que par unité, moitié ou quart d'unité.

   L'Opuscule m'a évoqué :

   - Alexandre le bienheureux ;

   - L'écrivain peu connu Pierre Autin-Grenier, qui n'a pas écrit d'aphorismes, mais des poèmes en prose à caractère autobiographique et humoristique. De mémoire, il me semble être un précurseur du houbisme.

   - Le poème Les Hibous, de Baudelaire, un de mes préférés.

   - Ernest Armand.


   Ce qui m'a choqué dans l'ouvrage de Blaise Lesire :

   Ce n'est pas son cynisme, son matérialisme, son épicurisme, son hédonisme simple et naturel entre l'ascétisme du macrobiote et le consumérisme des lou ravis de l'économie, son pessimisme (qui se relativise au fil du temps et des pages puisque vers la fin du recueil nous avons même le plaisir de lire quelques utopies en trois lignes), son inactivisme forcené, sa misanthropie (jamais aigre), non, en tout cela je peux aussi me retrouver. Ce qui m'a réellement déstabilisé et agacé (comme le dit l'auteur, quand nous décidons de prendre un livre, c'est par lassitude de s'agacer soi-même et afin d'être agacé par quelqu'un d'autre, l'écrivain), c'est que nous sommes une fois de plus en présence d'un homme à femme, d'un libertin heureux. Mais comment font-ils ? Moi dont la seule ambition depuis ma tendre adolescence a toujours été de "baiser des gonzesses", comme disait Coluche, ce domaine de ma vie a été lui aussi un immense fiasco, fait de frustration, de chaos, de gâchis, d'eau de boudin (sans mauvais jeu de mot sexiste), de soupe meilleure, toujours, dans l'assiette du voisin. Toutes ces grâces roturières, foisonnant dans les rues, le métro..., toutes ces passantes je les ai convoitées, jamais possédées. Mes rares relations n'étaient pas celles que je fantasmais. "Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux plus mal. Rater plus mal encore. Encore plus mal encore. Jusqu’à être dégoûté pour de bon. Vomir pour de bon. Partir pour de bon. Là où ni l’un ni l’autre pour de bon. Une bonne fois pour toutes pour de bon." comme le cite notre artiste de l'édredon. Finalement, à 40 ans j'ai fait un enfant (alors que j'étais aussi néo-malthusien que l'aphoriste, mais j'ai finalement été curieux, et peut-être par dépit aussi de n'avoir pu être Casanova), ce qui me permet, vivant en couple depuis 13 ans, de ne pas avoir touché une femme depuis pas loin de 10 ans (je ne tiens pas le compte exact mais le temps passe si vite - ma compagne n'est pas comme moi, adepte de la sieste, et le soir, si on veut lire un peu... après on est quand même pris d'une douce mais insistante torpeur à laquelle il est difficile de résister...), et de ne plus m'emmerder avec toutes ces salades.

   Donc échec total de ma vie, même dans ce domaine-ci des affaires.

   Conclusion, un livre à lire et à relire, qui constitue dores et déjà un support pour mes méditations du matin.


- Georges Bataille / Eric Weil. A en-tête de Critique : correspondance 1946-1951.

   Nous retrouvons l'ami de ce blog Georges Bataille dans ce passionnant recueil épistolaire. Bon, avouons tout de suite que nous rigolons moins que dans Madame Edwarda ou Histoire de l'oeil, mais c'est infiniment plus compréhensible aussi que La Valeur d'usage de D.A.F. de Sade ou La Notion de dépense. C'est même plus compréhensible immédiatement que l'ouvrage ci-dessus commenté. Bataille et Weil, respectivement directeur et rédacteur de la revue Critique, revue générale des publications françaises et étrangères, qui parait depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Les deux hommes y discutent de la réalisation de la revue, les livres à évoquer dans de longs articles ou dans des notes bibliographiques, les rédacteurs qu'ils pensent les plus compétents pour tel ou tel article, etc. Un grand nombre des livres d'envergure édités à l'époque concernant la philosophie, l'histoire, la science, l'actualité, la politique... y passent (un exemple parmi cent : L'Etrange défaite de Marc Bloch), ainsi qu'une flopée d'intellectuels pressentis défilant dans ces lettres. Avec parfois de petits couacs et de légères polémiques, en essayant de passer entre les gouttes gaullistes et staliniennes. Les deux hommes n'ont pas grand chose en commun : "Les pensées de Weil et de Bataille s'opposent en effet comme le système à la dispersion, l'affirmation du caractère systématique de la philosophie au mélange constant et délibéré des plans, à l'hybridation des connaissances et des modes d'intelligibilité. On peut aussi opposer les thèmes qui structurent la philosophie de Weil : raison, violence, discours, opposition de la violence et du discours, action, éducation, dialogue, ..., et ceux qui traversent sensiblement l'oeuvre de Bataille (en tout cas celle de l'après-guerre) : dépense, utilité, sacrifice, violence, érotisme, destruction, mort, souveraineté, communication..." (préface). Weil est un marxiste plutôt non stalinien, très à cheval sur la dialectique historique et le matérialisme scientifique de ses mentors Marx et Hegel. Quant à Bataille, révolutionnaire d'extrême gauche, je ne saurais trop définir précisément ce qu'il est politiquement...

   Toutes ces discussions techniques autour de la constitution d'une revue m'intéressent. Je suis un journaliste raté, même si je n'ai rien fait pour le devenir professionnellement, ça me paraissait trop élevé pour moi. J'ai tâté un peu d'un journal anarchiste artisnal et ultra-confidentiel étant jeune, et puis plus rien jusqu'à cet ersatz individuel de journal appelé "blog". En revanche j'ai toujours lu des journaux, en papier. Surtout des hebdomadaires et des mensuels (les quotidiens, franchement, autant lire le Journal Officiel). Aujourd'hui je lis encore intégralement au moins trois mensuels par mois, et des bricoles.

   Le livre me fait penser évidemment à la correspondance de Baudelaire que je lis par petits bouts depuis un an ou deux. Quand celui-ci dialogue par lettres avec son éditeur Poulet-Malassis (j'adore ce nom !) ou les directeurs des périodique auxquels il participe, on retrouve le même ton, les mêmes préoccupations, ces mêmes histoires d'épreuves à corriger, recorriger, ces mêmes fureurs contre les imprimeurs laissant passer les coquilles !

   Sans y avoir jamais vraiment participé, je suis un peu dans mon univers...

- Michel Bakounine.- Michel Bakounine et l'Italie,1871-1872.

   L'anti-houbiste par excellence : il n'a cessé de s'agiter sur toutes les barricades d'Europe, a fait le tour du monde en passant pendant 8 ans par la case "prison" et 4 ans par celle "Sibérie", pour se replonger finalement dans le militantisme européen tous azimuts. Pourtant c'est un de mes meilleurs copains. Peut-être parce que le monde dont il était plein avec tous ses compagnons internationalistes anti-autoritaires est un monde ou le droit à la paresse aurait certainement été élevé au rang des beaux arts, à côté d'activités passionnelles énergisantes, et de quelques corvées de subsistance librement et égalitairement partagées. Il est vrai aussi que, quand la passion et la foi m'habitent, je peux oublier la sieste... enfin... c'est quand même rare.

   Citations en phase avec les commémorations actuelles :

   Hier, sous nos yeux, où se sont trouvés les matérialistes, les athées ? Dans la Commune de Paris. Et les idéalistes, les croyeurs en Dieu ? Dans l’Assemblée nationale de Versailles. Qu’ont voulu les hommes de Paris ? Par l’émancipation du travail, l’émancipation définitive de l’humanité. Et que veut maintenant l’Assemblée triomphante de Versailles ? Sa dégradation finale sous le double joug du pouvoir spirituel et temporel. Les matérialistes, pleins de foi et méprisant les souffrances, les dangers et la mort, veulent marcher en avant, parce qu’ils voient briller devant eux le triomphe de l’humanité ; et les idéalistes, hors d’haleine, ne voyant plus rien que des spectres rouges, veulent à toute force la repousser dans la fange d’où elle a tant de peine à sortir. Qu’on compare et qu’on juge !
[...]
   Au moment même où la population héroïque de Paris, plus sublime que jamais, se faisait massacrer par dizaines de milliers, avec femmes et enfants, en défendant la cause la plus humaine, la plus juste, la plus grandiose qui se soit jamais produite dans l’histoire, la cause de l’émancipation des travailleurs du monde entier ; au moment où l’affreuse coalition de toutes les réactions immondes qui célèbrent aujourd’hui leur orgie triomphante à Versailles, non contente de massacrer et d’emprisonner en masse nos frères et nos sœurs de la Commune de Paris, déverse sur eux toutes les calomnies qu’une turpitude sans bornes peut seule imaginer, Mazzini, le grand, le pur démocrate Mazzini, tournant le dos à la cause du prolétariat et ne se rappelant que sa mission de prophète et de prêtre, lance également contre eux ses injures ! Il ose renier non-seulement la justice de leur cause, mais encore leur dévouement héroïque et sublime, les représentant, eux qui se sont sacrifiés pour la délivrance de tout le monde, comme un tas d’êtres grossiers, ignorants de toute loi morale et n’obéissant qu’à des impulsions égoïstes et sauvages.
[...]
   Mais tout en rendant justice à sa sincérité incontestable, nous devons constater qu’en joignant ses invectives à celles de tous les réactionnaires de l’Europe contre nos malheureux frères, les héroïques défenseurs et martyrs de la Commune de Paris, et ses excommunications à celles de l’Assemblée nationale et du pape contre les revendications légitimes et contre l’organisation internationale des travailleurs du monde entier, Mazzini a définitivement rompu avec la révolution, et a pris place dans l’internationale réaction.

lundi 21 décembre 2020

La dose de Wrobly : frimaire 2020 EC


- Bruno Alexandre.- Chroniques d'un incroyant, tome 2.
      J'ai encore appris plein de choses sur la religion en lisant ce tome 2 (pour le tome 1 voir la Dose de fructidor 2020 E. C.). Notamment que l'"Immaculée Conception" n'avait rien à voir avec la virginité de Marie quand elle accouche de Jésus, mais avec le fait qu'elle-même n'a pas été touchée par le péché originel quand sa daronne à elle l'a conçue. Méfions-nous donc quand un journal trouve swag d'ironiser sur la religion par quelques informations parcellaires, de ne point aller ensuite croiser le fer polémique avec des papistes en l'occurrence sans connaître tous les tenants et aboutissants de la question. Aussi je me disais bien que Marie vierge enceinte datait d'avant Jean-Roger Caussimon et surtout d'avant la prononciation solennelle du dogme de l'Immaculée Conception par Pie IX en 1854, à mon esprit revenant comme un caillou critique dans ma chaussure conceptuelle ces vers de François Villon :

Envers le fils de la vierge Marie
Que sa grâce ne soit pour nous tarie.



     On apprend encore plein de choses dans ce tome 2 dont nous lûmes le 1er volume en fructidor dernier.


- Jean Barrué.- L'Anarchisme aujourd'hui / Michel Bakounine.- La réaction en Allemagne.
     Après l'hérésie contre le vivant ci-dessus décrite et critiquée par Alexandre Bruno, ces torrents de blasphèmes contre la liberté, l'égalité et la fraternité humaine, la lecture d'une version parmi d'autres de notre catéchisme révolutionnaire fait un bien fou ! Même si on le dévore dans nos pantoufles confinées.


- Lawrence Block.- Le Coup du hasard.
     Qui a tué la souris ? Le rôdeur au pic à glace, comme tout le monde l'a cru ? Ou bien le mari ? la maîtresse ? le voisin ? la sœurette ?... comme essaye de l'éclaircir Matt Scudder huit ans après les faits, en arpentant les cinq "bourgs" du New York du début des 80's. Pas évident quand on n'échappe à la gueule de bois que par une nouvelle biture ! Mais ce sera le dernier opus du Scudder alcoolique pratiquant, dès le prochain il aura rejoint les Alcooliques Anonymes et se contentera de la foi sans les œuvres... Enfin peut-être pas pour moi car je viens de me rendre compte que je me suis trompé dans l'ordre de mes lectures, j'en ai encore un à découvrir qui se passe avant celui-ci, donc en pleine imbibation de notre privé sans licence (ex-keuf, il faut bien le dire...).

vendredi 22 novembre 2019

La dose de Wrobly : brumaire 2019 EC


- Michel Bakounine.- Ecrits libertaires.
   Une toute petite compil'. J'ai déjà lu tous les ouvrages dont elle inclut des extraits, mais comme il y a quelques courriers aux membres de l'AIT dont je ne suis pas sûr d'avoir déjà pris connaissance, j'ai pris ce bouquin à la bibli. De toute façon Bakou se lit comme des poèmes. Et dans ce domaine les piqûres de rappel ne font jamais de mal.


-Henri de Montherlant.- Les Jeunes filles.
   Après avoir lu un maoïste en fructidor et un trotskyste en vendémiaire, je me suis dit, tiens, pourquoi ne pas lire un écrivain de droite pour se marrer, ça fait une éternité que j'ai ce vieux poche dans ma bibli perso... Je ne connais rien de Montherlant sinon qu'il était de droite. Mais c'est pas mal, c'est un roman en grande partie épistolaire, un genre de Liaisons dangereuses toutes proportions gardées. Le personnage qui représente un peu l'auteur est un écrivain en vue, certes surplombant et condescendant en diable envers ses lectrices admiratives et fascinées, et il s'en joue, ce pour quoi il est bien de droite. Mais il a quelques réflexions et positions qui pourraient être d'un libertaire : il est athée, par exemple (ce qui ne l'empêche pas de dialoguer avec une de ses thuriféraires croyante, sans l'injurier, la montrer du doigt, appeler à la discriminer voir à la lyncher pour autant - il faut dire que cette croyante est catholique, pas musulmane) ; également il considère le mariage comme la chose la plus ridicule, stupide, grotesque qui soit... C'est bien écrit, c'est à dire qu'on ne s'ennuie pas, l'enchaînement des lettres de ces pauvresses à la torture de leur idole crée un réel suspense : comment cela va-t-il tourner ? Aussi violemment que chez le grand Choderlos de Laclos ?


-Abasse Diop.- La vie en spirale.
   Ce livre m'a été offert par une magnifique Malienne, magnifique dans tous les sens du terme (vous ne devinerez jamais comment j'ai rencontré Sophie Cissé, surtout les moins de 50 ans : par Minitel, eh oui !). Ça a été une vraie amie, malheureusement pour un temps trop court. Elle était tourmentée, et moi, sortant de mon enfer alcoolique je ne rêvais que de l'âme soeur, ce qu'elle ne souhaitait ou ne pouvait pas être pour moi. J'ai donc fait un caca nerveux (eu des mouvements de mauvaise humeur et ai pris mes distances) au moment même où elle aurait peut-être eu le plus besoin (et moi aussi) d'un véritable ami. En ces débuts d'abstinence d'alcool, les 25 grammes de shit me faisaient la semaine, peut-être même le 50 g, c'est loin. Je ne prenais même pas la peine de couper ma demie savonnette en morceaux plus petits, je roulais direct en chauffant le bloc et en en détachant de gros pans pour mon mélange. J'ai sorti mon gros bazar dès ma première visite chez elle. Elle n'a pas boudé d'y goûter. Et puis elle m'a offert ce Série noire, le numéro 2485, un polar sénégalais où il n'est question que de yamba, de cannabis. Je le lis 20 ans après. Et je m'éclate bien, c'est rocambolesque et assez drôle. Enfin pour le moment : y aura-t-il une dérive à la Breaking bad ?...

   Ce n'est pas la seule influence qu'a eu Sophie dans ma vie. Une autre fut beaucoup plus impactante. Elle déménageait de son appartement parisien pour aller squatter chez un oncle dans la tour d'une cité de banlieue. Elle semblait toujours en fuite. Je l'ai aidée à déménager, et pour me remercier, elle m'a donné, entre autres... son trombone !!! Elle n'en jouait pas, contrairement à Mona Lisa Klaxon, mais elle en avait un, l'objet avait dû lui plaire... Bref. Moi même ne sachant à l'époque qu'en faire (je taquinais un peu le piano, mais jamais n'avais-je soufflé dans un cuivre), je l'ai refilé plus tard à mon frère, qui le ressortait du placard lors de ses soirées de beuveries à Lamballe, Côtes d'Armor. Puis, quand lui même déménagea, il le laissa en dépôt chez sa belle mère. Il y a quelques années, alors qu'en vacances je passais voir celle-ci, elle me dit : "au fait, tu sais que j'ai toujours ton trombone au grenier, il faut que tu le récupères". Ce que je fis, et déjà l'idée de derrière la tête m'avait assaillie secrètement : à la rentrée suivante je m'inscrivis à mon premier cours. En gros, 17 ou 18 ans après le cadeau de Sophie, celui-ci trouvait sa vocation et m'apportait l'une des grandes joies de ma vie d'aujourd'hui. Merci Soso, si tu es toujours vivante.


   Quand au chanvre indien, il aura fallu encore quatre ans de tentatives et de rechutes pour que ma vie et mes pensées soient finalement définitivement libérées du besoin de m'en procurer, d'en consommer et de chercher le moyen d'en obtenir davantage. A la lecture du roman, parfois, un petit désir d'en reprendre s'éveille, mais finalement, non, surtout que le héros, Amuyakaar Nodooy, peut passer une nuit blanche à s'envoyer pétard sur pétard au sens propre, pendant 8 heures. C'est trop lourd, je préfère ma camomille. Pas bon pour ce que j'ai de toute façon.

Extrait :
Il n’existait pas de débit de boissons alcoolisées à Sambey Karang. Depuis la fameuse histoire du « Bateau », personne n’était parvenu à s’établir dans le village pour en écouler.
     Il y a cinq ou six générations, un bateau, en provenance d’Europe, échoua, par une mer démontée, à Ximbé. La coque ne subit aucune avarie. Sollicités, les habitants remorquèrent le navire au grand large avec leurs pirogues. En remerciement, le commandant offrit une importante provision de vin rouge dans des tonnelets en bois. A cette époque, l’Islam était à ses premiers balbutiements en pays lébu. Dans chaque concession, on fermentait du mil dans des canaris géants. Le cadeau du commandant fut donc partagé équitablement entre toutes les familles du village.
      Ce soir-là, Sambey Karang fut dans une effervescence indescriptible. Hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux étaient tous « precsionnés »*. Les incartades furent nombreuses : des vieux à barbe blanche se mirent totalement nus, en pleine rue, en chantonnant à tue-tête ; on trouva au cimetière des gens creusant les tombes de parents morts depuis belle lurette pour les faire profiter de l’aubaine…
      Qui pourra jamais narrer le « Soir du Bateau à Sambey Karang » ! Le lendemain, lorsque les vapeurs de l’alcool se furent dissipées, on se rendit compte que les limites du racontable avaient été dépassées. La mère détournait les yeux devant son fils et le père baissait la tête devant sa fille. Un raz de marée de honte déferla sur le village. Le Conseil des Anciens se réunit. On fit des offrandes aux fétiches pour ne plus entendre parler de boisson alcoolisée et pour que le malheur frappe quiconque à l’avenir l’y introduirait.
[…]
     L’alcool, de même que les pions** et le xompaay*** qui firent leur apparition ne purent remplacer convenablement le yamba****.
[…]
     Le dérivatif le plus nocif fut le xompaay.
[…]
     - Ça donne une forte precsion, parait-il, fit Bukari. C’est ce qu’avaient pris les deux militaires.
     En effet, trois jours plus tôt, deux militaires du camp Borgnis-Desbordes avaient attiré tout le quartier près de la borne-fontaine. L’un d’eux brandissait son sexe en pleine érection devant les femmes intéressées, tournant en rond pour uriner tout en imitant le « pin-pon » caractéristique des pompiers. Son compagnon criait à tue-tête qu’il lui fallait une mitrailleuse pour faucher les innombrables têtes du dragon qui terrorisait le village.

*Néologisme signifiant ivre. A donné le nom precsion qui veut dire ivresse.
**Comprimés psychotropes, somnifère, tranquillisants, neuroleptiques, etc.
***Datura stramoine.
****Cannabis.

- Robière.- Triste réalité.

vendredi 24 mai 2019

La dose de Wrobly : floréal 2019 EC

ERRATUM
Dans ma controversée Dose de germinal, j'avais oublié l'ouvrage suivant, impardonnable je suis ! Mais j'ai l'excuse du décalage horaire et de la difficile reprise du collier.

Marcel Aymé.- Vogue la galère.
   Tout d'abord je souhaiterais partager ma franche déception depuis que j'aborde la partie dramatique de l’œuvre d'Aymé. Je trouve ses romans et nouvelles infiniment plus enthousiasmants. Je suis d'autant plus déçu que j'ai de vagues souvenirs d'adaptation cinématographique assez savoureuse (je pense à Clérambard, que je n'ai pas encore lu cependant, et j'en pressens d'autres à tort ou à raison, je mêle peut-être ces traces avec des adaptations de nouvelles...)
   Ici pourtant un thème qui promettait pourtant de remonter le moral : une mutinerie sur une galère. Mais la mutinerie tourne au cauchemar. Je me demande souvent face à de tels cas, si l'auteur veut transmettre un message réactionnaire ou si, au contraire, il souhaite mettre en évidence les écueils sur lesquels ne pas s'éperonner, afin que la mutinerie, la révolution, ou l'utopie ne reproduisent pas le même schéma que le monde qu'elles voulaient mettre à la casse. On sait que pour Orwell, authentique révolutionnaire, l'intention était la deuxième, notamment dans Animal farm. Mais j'avais un prof, certainement réac, qui nous donnait comme exemple pour que nous restions raisonnables le livre Sa majesté des mouches, que je n'ai pas lu, dans lequel des mômes sur une île déserte, reproduisent une société violente et hiérarchisée. Ici, dans Vogue la galère, les mutins ne pensent qu'à violer les deux femmes du bord. Il y a peut-être le problème du lieu clôt du théâtre de l'action, autorisant le retour de tous les instincts de domination. Et par ailleurs, pour survivre, il va bien falloir que quelqu'un rame. Mais après la révolution, il faudra bien quand même aussi éviter les famines et produire au moins de quoi bouffer pour tout le monde, même si les voies de réalisation et marges de maneuvre seront beaucoup plus nombreuses que sur une coque de noix perdue au milieu de l'océan... On pourrait objecter également que cette révolte navale a eu un premier chef, puis un deuxième, qu'elle n'a pas été précédée par un apprentissage sur le tas de la liberté et de l'égalité, par l'auto-organisation et l'action directe, et que finalement ce sont les réflexes du vieux monde qui sont réapparus dans leur version moins policée, lors de cette crise. Dans ce cas, il est vrai, l'émancipation des prolétaires (et particulièrement des prolétaires les plus universellement exploitées, les femmes) n'aura pas été l’œuvre des prolétaires eux-mêmes.


Michel Bakounine.- Les Ours de Berne et l'Ours de Saint-Pétersbourg : complainte patriotique d'un Suisse humilié et désespéré.
   Pourtant, papy nous avait tout appris, ou presque, ce ne sont pas les compagnons Espagnols qui nous dirons le contraire. Ici il est question, entre autre, de la Suisse, « cette Helvétie jadis si indépendante et si fière, […] gouvernée aujourd’hui par un Conseil général qui ne semble plus chercher son honneur que dans les services de gendarme et d’espion qu’il rend à tous les despotes », patrie de mon grand-père maternel, qui m'en a légué la nationalité d'ailleurs. Pour le trafic d’Appenzeller c'est très utile.


   Ici, l’ours de Saint Pétersbourg, c’est le tsar de toutes les Russies et les ours de Berne ce sont les membres du Conseil fédéral Suisse, le gouvernement d’outre Léman, quoi. Bakounine s’insurge et dénonce l’abdication de tout droit d’asile et de toute dignité d’une république prête à se mettre en huit pour livrer aux despotes absolus d’Europe les opposants politiques qu’ils lui réclament. Quelle actualité et quelle bégaiement plombant de l’Histoire à l’époque des rapts de Cesare Battisti par l’idole de gauche Evo Morales qui l’offrit au fasciste l’extradant aussitôt vers l’Italie, qui le saisira et l’enterra dans ses oubliettes (« il ne s’agit pas, - déclare-t-on – de la poursuite et de l’extradition de […] coupables de crimes politiques, oh que non ! Il ne s’agit que de simples assassins et faussaires. – Mais qui sont ces assassins, ces faussaires ? Naturellement tous ceux qui, plus que les autres, ont eu le malheur de déplaire au gouvernement […], et qui ont eu, en même temps, le bonheur d’échapper à ses recherches paternelles »); et de Julian Assange dans des conditions semblables (« Le prétexte officiel, et il en faut toujours un, - l’hypocrisie, comme dit une maxime passée en proverbe, étant un hommage que le vice rend à la vertu, - le prétexte officiel dont se sert le ministre […] pour appuyer sa demande, c’est la condamnation prononcée par le tribunal […] pour violation du secret des Lettres. […] N’est-ce pas sublime ? l’empire, ce violateur par excellence de toutes les choses réputées inviolables […] poursuivant […] qui aurait violé le secret des lettres ! Comme si jamais, lui-même, il avait fait autre chose ! ») !


Giacomo Casanova.- Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même.
   Heureusement nous avons, dans les deux livres suivants, de quoi nous remonter le moral.
   Encore un grand évadé, même si pas du tout du même style que le précédent. On se souvient qu'on l'avait laissé débouchant sur le toit du Palais des Ducs de Venise, s'évadant de sa cellule de la redoutable prison des Plombs. C'était ici. Saura-t-il ne pas glisser sur les plaques de plombs du toit et ne point se fracasser le crâne sur la dalle du palais ou finir noyé dans le canal. Parviendra-t-il à conquérir la plus belle des belle, avec son boulet de complice de père Balbi, moine paillard faisant un peu figure de Sancho Pancha dans cette rocambolesque évasion, je trouve.

   "Je sortis le premier, le père Balbi me suivit. Soradaci, qui nous avait suivis jusqu'à l'ouverture du toit, eut ordre de remettre la plaque de plomb comme elle devait être et d'aller ensuite prier son saint François. Me tenant à genoux et à quatre pattes, j'empoignai mon esponton d'une main solide, et en allongeant le bras, je le poussai obliquement entre la jointure des plaques de l'une à l'autre, de sorte que, saisissant avec mes quatre doigts le bord de la plaque que j'avais soulevée, je parvins à m'élever jusqu'au sommet du toit. Le moine, pour me suivre, avait mis les quatre doigts de sa main droite dans la ceinture de ma culotte. Je me trouvais soumis au sort pénible de l'animal qui porte et traîne tout à la fois, et cela sur un toit d'une pente rapide rendue glissante par un épais brouillard."

Un esponton.

Jack London.- Grève générale.
   Encore du baume au coeur : une grève générale victorieuse. La bourgeoisie est affamée et se transforme en bande de pillards bestiaux. Un bémol, dos à eux, les autres affamés sont les miséreux des faubourgs, ghettos et taudis. On retrouve là malheureusement l'inspiration marxiste du grand romancier : le lumpenproletariat ne prend pas part à la lutte et à tout à perdre d'un bouleversement des rapports de classes. Mais ne boudons pas notre plaisir à apprécier le spectacle narré de ce quarteron de richards se battant comme des hyènes pour dépecer un vieux cheval et s'en disputer la viande, viande qu'ils se feront racketter peu après par de plus costauds. Les ouvriers honnêtes et en grève, eux, ont pensé à faire des réserves, et se tapent joyeusement la cloche dans leurs quartiers. Point de révolution après la victoire cependant, alors que le capital mord la poussière, mais juste la satisfaction des revendications ouvrières.
   La deuxième nouvelle de ce petit livre, Au sud de la Fente, est encore plus savoureux. C'est une parodie de l'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de Stevenson, Jekyll étant ici un universitaire bourgeois et conservateur qui, pour les besoins de ses travaux sociologiques, se grime en ouvrier et passe certains laps de temps à vivre comme l'un d'entre eux, en leur sein. Petit à petit, il en prend l'aspect, le comportement, les goûts, manières de penser et de parler, réflexes, amours et haines : ce sera notre Mr Hyde. Devinez qui gagne à la fin ? Je vous aide, ce sera comme chez Stevenson !

   "Catherine Van Vorst observa encore l’homme qu'elle avait connu sous le nom de Freddie Drummond. Sa tête dominait la foule, et son bras enlaçait toujours la taille de la femme. Assise dans son automobile, attentive, elle vit le couple traverser Market Street, franchir la Fente, et disparaître le long de la 3e Rue dans le ghetto du travail.

   Dans les années suivantes, à l’université de Californie, aucune conférence ne fut prononcée par Frédérick A. Drummond, et aucun livre sur le monde du travail ne parut sous cette signature. En revanche émergea William Totts, un grand leader syndicaliste. Ce fut lui qui épousa Mary Condon, présidente des gantières, et organisa la grande grève victorieuse des cuisiniers et serveurs. Il participa aussi à la constitution de nombreux nouveaux syndicats, dont celui des croque-morts et celui des plumeurs de volaille.
"


vendredi 18 janvier 2019

La dose de Wrobly : nivôse 2018-2019 EC


   - Michel Bakounine.- Théorie générale de la Révolution.
   Dans la confusion ambiante, quelle assise retrouvée dans la fréquentation du Maître ! Elle me replace au centre de ma spiritualité matérialiste en quelques paragraphes simples où tout est dit.
   De même, la période révolutionnaire actuelle, sous l'égide des chasubles fluorescentes que l'on connaît, souligne l'importance de se retremper dans un peu de théorie. En effet, quid de l'avenir de ce mouvement ?
   La question semble vitale pour la suite, car même s'il est évident que le pouvoir, politiciens et médias en tête, prennent soin de surexposer et d'amplifier la présence des certainement marginaux aspects et guignols fascistes de la fronde afin de la discréditer, nous n'en sommes pas moins, à la Plèbe, incommodés par la malgré tout prégnante présence dans les occupations, défilés et émeutes de l'étendard versaillais ou contre-manifestant des Champs-Elysées du 30 mai 1968, ou bien de l'hymne du populicide de 14-18 et des guerres coloniales, entre autres. C'est pourquoi notre Directoire secret, guidé en cela par la pensée et l'action du grand Russe, s'apprête à scissionner d'avec les Gilets, en créant le canal authentiquement révolutionnaire de l'épisode insurrectionnel du moment : le mouvement des Gilets jaunes / étuis clitorido-péniens multicolores. Il est vrai que toute motivation esthétique n'a pas été absente du bouillonnement réflexif ayant abouti à cette nouvelle formation, dont vous entendrez parler très prochainement, croyez-nous !
   Vive le radieux mouvement des Gilets jaunes / étuis clitorido-péniens multicolores !

L'Internationale sera le genre humain !


   - Yasunari Kawabata.- Le Maître ou le tournoi de Go.
   Une partie de Go qui dure six mois, entre un vieux Maître mourant et un jeune septième dan (eh oui, les "grades" de go sont les mêmes que dans les arts martiaux) à la vessie impatiente. La rencontre de deux générations, et de deux Japon. L'ancien, dont la hiérarchie s'attachait aux pouvoirs symboliques, le nouveau, dont celle-ci prend comme cache sexe et justificatif la réglementation comptable. Mais dans le cadre de cette partie à rallonge (en trois sets, à Tokyo, Hakoné et Ito, il est vrai que l'hospitalisation du Maître pendant quelques mois fait une bonne coupure), dans laquelle les adversaires sont reclus pour ne pas laisser les influences extérieures impacter la partie, le monde extérieur (a fortiori la politique) est absent, si ce n'est l'environnement proche qui donne l'occasion d'irruptions brèves et furtives, et par là sensiblement évocatrices à la manière d'un haiku, de la nature. On est dans un huis clos obsessionnel de 361 intersections et d'autant de pierres noires et blanches, belle image de l'addiction, mais aussi des degrés de raffinement, d’incongruité et d'intensité auxquelles les activités humaines de divertissement peuvent atteindre.
   Il y a beaucoup de nostalgie dans ces évocations d'un Japon et de ses modes et arts de vivres dont les traditions se perdent. D'ailleurs l'auteur est un peu un anti-Bakounine, puisque ne supportant pas l'égalité et la démocratie (évidemment Bakounine n'aimait pas non plus la pseudo égalité des démocraties parlementaires capitalistes, mais là on est davantage dans une opposition réactionnaire). Comme son disciple et ami Mishima, il s'est suicidé, mais pas par seppuku, au gaz. On constate par moment ce regret du passé hiérarchique et despotique dans les conflits entre les règles du jeu tatillonnes exigées par les modernes, et l'habitude de respect des prérogatives et du prestige du maître pour les autres.

Nostalgie, quand tu nous tiens ! Chant : Mitsuko Horie.

   Enfin, les amateurs de suspense seront déçus : on connaît le vainqueur dès les premières pages.

vendredi 21 septembre 2018

La dose de Wrobly : fructifor 2018 EC


   - Thierry Jonquet.- Le Pauvre nouveau est arrivé.

   Jonquet s'amuse !


   - Naomi Klein.- La Stratégie du choc.

   A la lecture de ce livre j'ai reçu un énorme choc. En un éclair j'ai été transporté dix ans en arrière en train d'écouter Mermet ! Plus sérieusement, la lecture de ce pavé écrit dans un style limpide procure à la fois souffrance (les victoires à répétitions de ces ordures de Chicago boys dans le monde entier), et le plaisir d'avancer dans un puzzle : le puzzle de l'histoire du monde à la louche de chouïa avant ma naissance à ma pré-quarantaine, tellement lacunaire dans mon esprit qui durant toutes ces années parfois difficiles n'a pas compris grand chose, des dictatures d'Amérique latine (Chili, Argentine...) à la Bolivie des 80's, de l'Indonésie de Suharto à la Chine de la place Tian'anmen, de la Pologne de Solidarnosc à l'Afrique du sud de Mandela, des vilenies de Thatcher jusqu'à l'oligarchie russe, l'Irak, les tortures de Guantanamo, l'ouragan ultra-libéral (l'auteure explique que le terme de "corporatisme" colle plus exactement à cette idéologie) qui dévasta la Nouvelle-Orléans... j'en passe évidemment. Tout cela vu sous l'angle de la croisade ultra-libérale (corporatiste) initiée par ce petit chancre fondamentaliste de Milton Friedman. Évidemment la charge de madame Klein est très orientée sur la version libérale du capitalisme, et on la sent plutôt indulgente pour tous les avatars du capitalisme d’État, du keynesianisme, de la planification technocratique, du nationalisme de gauche, du développementalisme extractiviste ou de la social-démocratie. Mais ce n'est pas grave, ce bouquin m'a apporté de grandes lumières.

Le film ici. Merci à Dror du blog Entre les Oreilles.


   - Julien Gracq.- Un balcon en forêt.

   Il faisait partie de ces écrivains que je ne connais pas, mais dont le nom résonne en moi comme du cristal, m'évoquant vaguement de purs ciseleurs littéraires. Il y en a quelques uns, surtout de la deuxième partie du XXème siècle, dont le prénom et le patron me font cet effet. Je crois bien que c'est parce que je les ai entendus prononcer par mon père enfant, adolescent, jeune adulte... Étant plutôt has been en littérature, et indifférent en général envers la littérature pour la littérature - il faut qu'il y ait dans les livres que je lis un ferment faisant gonfler en moi le désir de vivre, donc de changer la vie et de transformer le monde -, je suis plutôt nul en grands écrivains de cette époque, même si la poésie sonore de certains de leurs noms et les réminiscences qu'elles éveillent m'attirent quand même parfois comme le nectaire l'abeille.

   Je n'ai pas été déçu ici. Certes, c'est de la Littérature, d'une écriture sculptée au millimètre, travaillée en orfèvre. Les descriptions (surtout de paysages, montagnes, forêts, vallée...) s'enchaînent aux métaphores (souvent maritimes), avec une richesse et une précision de vocabulaire parfois fatigantes pour un autodidacte comme moi. L'argument : c'est la "drôle de guerre", les troupes s'emmerdent dans la Meuse, et le "héros" est muté dans une cabane au-dessus d'un blockhaus avec trois hommes au plus profond d'une forêt profonde de l'Ardenne, près de la frontière belge, comme dans une île déserte, le pied intégral. Et les jours et les saisons se suivent avec, d'abord insidieux, puis obsédant, le sentiment que ça va pas tarder à péter... Ça m'a rappelé, même si ça n'a pas grand chose à voir, ici on pourrait presque penser à une fiction inspirée par des faits autobiographiques alors que l'objet de ma réminiscence est une pure parabole philosophique, au Désert des Tartares de Dino Buzzati... Dans les deux ouvrages, on attend la guerre, on attend l'ennemi, ça devient une obsession, et rien ne se passe... J'ai eu aussi un flash de L'Etranger de Camus, en terminant le roman.

   Donc, merci papa. Car en plus j'ai découvert en page intérieur du livre sa signature, et vue la date du livre, il ne devait pas être bien vieux, peut-être vingt-cinq ans de moins que moi aujourd'hui, il ne devait même pas avoir encore contribué à me concevoir...


   - Henri Cartier-Bresson / Michel Bakounine.- Un autre futur.


Après ces bonnes feuilles, La Plèbe vous souhaite un bel automne, malgré tous les fachos et les libéraux, et la fin des oiseaux, des insectes et des lombrics.


vendredi 20 avril 2018

La dose de Wrobly : germinal 2018 EC


- Agatha Christie.- La Mystérieuse affaire de Styles.

   Qui a empoisonné la vieille ? Son tout premier. Vous devinez ? Eh ! oui ! Je vais me refaire la série tranquillou.

- Georges Simenon.- La Nuit du carrefour.

   Qui a buté le diamantaire d'Anvers et l'a foutu au volant de la bagnole de luxe de l'agent d'assurance, avant de garer celle-ci dans le garage du purotin danois ? Pour ma part la série continue doucement mais sûrement.


- J. M. Rymer.- Sweeney Todd : le diabolique barbier de Fleet street.

   Que deviennent les clients du barbier ? Quel est le secret culinaire des ineffables tourtes de mrs Lovett ? J'ai emprunté le DVD du film de Tim Burton à la bibli, c'est pour bientôt... [Note du lendemain : belles images, c'est un musical, on retrouve Rogue, Queudever et Bellatrix ; et des personnages et des actions du roman, mais l'histoire, les biographies et les psychologies ont peu de choses à voir avec).

- Pierre Autin-Grenier.- L'Eternité est inutile.

   Comme se le demandait Lénine, qui aurait mieux fait de faire la tournée des bistros comme notre auteur et de laisser les révolutionnaires faire la révolution : que faire des ses journées quand on est un glandeur authentique ?

- Michel Bakounine.- Le Socialisme libertaire.

   L'Essentiel de l'oeuvre de Bakounine en tant que militant et propagandiste de l'Association Internationale des Travailleurs, en 1868-1869. Il n'y aura bientôt plus que ses œuvres du temps de l'école maternelle dont je n'aurais pas encore joui.



mercredi 20 décembre 2017

La dose de Wrobly : frimaire 2017 EC


   Thierry Jonquet.- La Folle aventure des bleus.- Gallimard, 2005.
   Ça aurait pu être la folle histoire de Smet, à quelques années près : de la force de destruction matérielle, physique, culturelle, morale, intellectuelle, sensible... du prolétariat par la bourgeoisie et sa religion médiatique. Prémunissons-nous toujours plus compagnons, serrons-les rangs et continuons de déféquer sur leurs idoles, même à un contre mille !

   André Sfer.- French cancan.- Fasquelle, 1955.
   Nous vous avons déjà copié quelques extraits de cette adaptation du film de Jean Renoir sur Montmartre en 1888 et l'entertainment triomphant qui y sévit dix-sept ans après le massacre de la Commune et trois ans avant celui de Fourmies. Et nous avons encore prévu de vous en copier encore. Paradoxalement ce livre (et donc ce film, j'imagine, je ne l'ai pas vu), ne parle par du cabaret du Chat noir, situé pourtant, à la même époque, dans le même coinstot. Trop subversif ? Trop avant-gardiste ?... Trop intello ?...

   Béatrice Didier.- Littérature française: Le XVIIIe siècle. 1778-1820.- Arthaud, 1976.
   Un pavé, mais un bonheur pour qui, comme moi, se passionne pour la Révolution française, l'Histoire et la littérature, tout en ayant de grandes lacunes à leurs sujets, auto-didactat oblige. Tout est ratissé de 1778 à l'assassinat du duc de Berry (1820, ben ouais, tu savais pas ? l'autre !), de Rousseau à Chateaubriand. Des noms connus, aimés, des moins connus, moins aimés, détestés, des inconnus, bref, la comédie humaine de cet apocalypse messianique qui, des philosophes aux romantiques, en passant par les philosophes romantiques et les romantiques philosophant, les orateurs, idéologues, mystiques catholiques, protestants ou occultistes, athées, déistes ou païens, scientifiques, musiciens, peintres, anges de la guillotine persécutés eux-mêmes, enragés, communistes en herbe, réprimés par les jacobins, Thermidor, le directoire, l'empereur ou éternels baiseurs de mules impériale ou  bourbonne... cet apocalypse messianique qui, malheureusement, a accouché de générations de macrons.


    Georges Théotokas.- Le Démon.- Stock, 1946.
   Un roman mélancolique et nostalgique, entre le Grand Meaulnes et l'Abbé Jules, sur une petite île de la mer Egée. Me demandez pas où j'ai trouvé ça, je ne le sais pas moi-même.

   Michel Bakounine.- Aux compagnons de l'Association Internationale des Travailleurs du Locle et de la Chaux-de-Fonds.- Stock, 1972.
   On ne présente plus le grand russe familier de ces pages. Un petit jeu : de qui parle-t-il ici, avec le sens de la formule qui le caractérise ? : "Aujourd'hui, descendue au triste rôle d'une vieille intrigante radoteuse, elle est nulle, inutile, quelquefois malfaisante et toujours ridicule, tandis qu’avant 1830 et avant 1793 surtout, ayant réuni en son sein, à très peu d'exceptions près, tous les esprits d'élite, les cœurs les plus ardents, les volontés les plus fières, les caractères les plus audacieux, elle avait constitué une organisation active, puissante et réellement bienfaisante."

   Julio Sanz Oller.- Barcelone, l'espoir clandestin : les Commissions Ouvrières de Barcelone.- Le Chien rouge, 2008.
   D'actualité, comme vous le savez. Hein ? Mais non, rien à voir avec les nationalistes catalans, je parle de CQFD , ce sont eux qui ont édité ce bouquin il y a déjà un bail, et ils on besoin de blé. C'est un des deux ou trois seuls journaux que j'ai le temps de lire intégralement à chaque parution, alors merci pour eux. Surtout qu'à la qualité habituelle du canard s'est vu greffé le panache et l'énergie des forces vives du défunt Article 11 depuis à peu près un an (peut-être plus, le temps passe si vite), ce qui n'est pas peu dire !

vendredi 22 septembre 2017

La dose de Wrobly : fructidor 2017 EC


   - Bakounine Michel.- De la guerre à la commune.
   Promis, je me mets très bientôt à Foucault, Deleuze, Guattari. Mais laissez-moi encore un peu profiter des enseignements et de la verve de mon papy, et de l'histoire de son temps.

   - Casanova Jacques.- Histoire de ma vie.
   Suite. Un autre grand enfermé, bien que pour des raisons bien différentes : Casanova n'avait cure de la liberté d'autrui, c'est la sienne, avec les bonnes fortunes qui allaient avec, qui l'intéressaient. Et même si l'un comme l'autre étaient francs-maçons. L'évasion du vénitien fut des plus rocambolesque, certainement comme celle du russe, qui passa de la Sibérie au Japon pour rentrer en Europe, mais je connais peu les péripéties de celle-ci. La belle du libertin est de la trempe de celle du comte de Monte Cristo, mais elle est avérée.

   Extraits de la partie enfermement :

   Le lendemain à la pointe du jour Messer Grande (chef de la police - note du blogueur) entra dans ma chambre.. Me réveiller, le voir, et l'entendre me demander si j'étais Jacques Casanova fut l'affaire du moment (d'un instant - note du blogueur). D'abord que je lui ai répondu que j'étais le même qu'il avait nommé, il m'ordonna de lui donner tout ce que j'avais écrit, soit de moi, soit d'autres, de m'habiller, et d'aller avec lui. Lui ayant demandé de par qui il me donnait cet ordre, il me répondit que c'était de la part du Tribunal. [...]
   Le mot Tribunal me pétrifia l'âme ne me laissant que la faculté nécessaire à l'obéissance. Mon secrétaire était ouvert ; tous mes papiers étaient sur la table où j'écrivais, je lui ai dit qu'il pouvait les prendre ; il remplit un sac qu'un des ses gens lui porta, et il me dit que je devais aussi lui consigner (remettre - NDB) des manuscrit reliés en livres que je devais avoir [...] ; c'étaient la Clavicule de Salomon ; le Zecor-ben ; un Picatrix ; une ample instruction sur les heures planétaires aptes à faire les parfums, et les conjurations nécessaires pour avoir le colloque (des entretiens - NDB) avec les démons de toutes les classes. Ceux qui savaient que je possédais ces livres me croyaient magicien, et je n'en étais pas fâché. Messer Grande me prit aussi les livres que j'avais sur ma table de nuit : Arioste, Horace, Pétrarque, Le Philosophe militaire, manuscrit que Mathilde m'avait donné, le Portier des chartreux (roman obscène - NDB), et le petit livre des postures lubriques de l'Arétin [...].


   Tandis que le Messer Grande moissonnait ainsi mes manuscrits, mes livres, et mes lettres je m'habillais machinalement ni vite, ni lentement ; j'ai fait ma toilette, je me suis rasé, C. D. me peigna, j'ai mis une chemise à dentelle, et mon joli habit, tout sans y penser, sans prononcer le moindre mot, et sans que Messer qui ne m'a jamais perdu de vue osât trouver mauvais que je m'habillasse comme si j'eusse dû aller à une noce.
   En sortant de ma chambre je fus surpris de voir trente ou quarante archers dans la salle. On m'a fait l'honneur de les croire nécessaires pour s'assurer de ma personne [...].
   Au son de la cloche de Terza, le chef des archers entra, et me dit qu'il avait l'ordre de me mettre sous les Plombs.

 Les Plombs c'est sous le toit en plomb du grand bâtiment blanc.

 Là-haut.

Je l'ai suivi. Nous montâmes dans un autre gondole, et après un grand détour par des petits canaux nous entrâmes dans le grand, et descendîmes au quai des prisons. Après avoir monté plusieurs escaliers, nous passâmes au pont éminent, et enfermé, qui fait la communication des prisons au Palais ducal par dessus le canal qu'on appelle rio di Palazzo.

A droite, on distingue l'"éminent" pont dit aussi des soupirs.

[...] Cet homme, qui était le geôlier, empoigna une grosse clef, il ouvrit une grosse porte doublée de fer, haute de trois pieds, et demi, qui dans son milieu avait un trou rond de huit pouces de diamètre, et m'ordonna d'entrer [...] Ma taille étant de cinq pieds, et neuf pouces, je me suis bien courbé pour entrer ; et il m'enferma. [...] Ayant fait le tour de cette affreuse prison, tenant la tête inclinée, car elle n'avait que cinq pieds et demi de hauteur, j'ai trouvé presque à tâtons qu'elle formait les trois quarts d'un carré de deux toises. [...] La chaleur était extrême. Dans mon étonnement la nature m'a porté à la grille seul lieu, où je pouvais me reposer sur mes coudes : [...] je voyais la lumière qui éclairait le galetas, et des rats gros comme des lapins qui se promenaient. Ces hideux animaux, dont j'abhorrais la vue, venaient jusque sous ma grille sans montrer aucune forme de frayeur. [...]
   Au son de vingt-une heure (deux heures et demie avant le coucher du soleil - NDB) j'ai commencé à m'inquiéter de ce que je ne voyais paraître personne, [...] mais lorsque j'ai entendu sonner les vingt-quatre heures je suis devenu comme un forcené hurlant, frappant des pieds, pestant, et accompagnant de hauts cris tout le vain tapage que mon étrange situation m'excitait à faire. Après plus d'une heure de ce furieux exercice ne voyant personne, n'ayant pas le moindre indice qui m'aurait fait imaginer que quelqu'un pût avoir entendu mes fureurs, enveloppé de ténèbres j'ai fermé la grille, craignant que les rats ne sautassent dans le cachot. [...] Un pareil impitoyable abandon ne me paraissait pas vraisemblable, quand même on aurait décidé de me faire mourir. L'examen de ce que je pouvais avoir fait pour mériter un traitement si cruel ne pouvait durer qu'un moment car je ne trouvais pas matière pour m'y arrêter. En qualité de grand libertin, de hardi parleur, d'homme qui ne pensait qu'à jouir de la vie, je ne pouvais pas me trouver coupable, mais en me voyant malgré cela traité comme tel, j'épargne au lecteur tout ce que la rage, l'indignation, le désespoir m'a fait dire, et penser contre l'horrible despotisme qui m'opprimait. La noire colère, cependant, et le chagrin qui me dévorait, et le dur plancher sur lequel j'étais ne m'empêchèrent pas de m'endormir [...] ; je brûlais des désirs de vengeance que je ne me dissimulais pas. Il me paraissait d'être à la tête du peuple pour exterminer le gouvernement, et pour massacrer les aristocrates ; tout devait être pulvérisé : je ne me contentais pas d'ordonner à des bourreaux le carnage de mes oppresseurs, mais c'était moi-même qui devait en exécuter le massacre. Tel est l'homme ! et il ne se doute pas que ce qui tien ce langage dans lui n'est pas sa raison ; mais sa plus grande ennemie : la colère.
   Vers midi le geôlier parut [...] - Ordonnez, me dit-il ce que vous voulez manger demain [...]. L'illustrissime secrétaire m'a ordonné de vous dire qu'il vous enverra des livres convenables, puisque ceux que vous désirez d'avoir sont défendus. - Remerciez-le de la grâce qu'il m'a faite de me mettre seul. - Je ferai votre commission, mais vous faites mal à vous moquer ainsi. [...] On vous a mis tout seul pour vous punir davantage, et vous voulez que je remercie de votre part ? - Je ne savais pas cela.
    Cet ignorant avait raison, et je ne m'en suis que trop aperçu quelques jours après. J'ai reconnu qu'un homme enfermé tout seul, et mis dans l'impossibilité de s'occuper, seul dans un endroit presque obscur, où il ne voit, ni ne peut voir qu'une fois par jour celui qui lui porte à manger et où il ne peut pas marcher se tenant droit est le plus malheureux des mortels. Il désire l'enfer, s'il le croit (s'il y croit - NDB), pour se voir en compagnie. Je suis parvenu là-dedans à désirer celle d'un assassin, d'un fou, d'un malade puant, d'un ours. La solitude sous les Plombs désespère ; mais pour le savoir il faut en avoir fait l'expérience.


   - Buzzati Dino.- La Fameuse invasion de la Sicile par les ours.
   J'ai longtemps eu trois poches de Buzzati, hérités de la scolarité de mon frère, mais que je n'avais jamais lus, pas très envie, ça venait de l'école, donc ça devait être chiant, édifiant et gnan-gnan. Quand j'ai finalement lu le K longtemps après, il y a quelques années, je suis tombé sur le cul : immense. Et rebelote pour le Désert des Tartares. Je venais de découvrir un genre de Kafka, en un peu moins glaçant, dame ! celui-ci n'est pas tchèque, mais rital ! On y retrouve les mêmes spirales de l'absurdité du destin social, que les protagonistes sont littéralement impuissants à dévier tant soit peu, au contraire, ils contribuent tenacement à en dessiner les lignes. Et bien d'autres choses encore ! Je suis un peu déçu par l'invasion des ours, mais il faut bien convenir que je n'ai plus dix ans non plus...

   - Mirbeau Octave.- L'Abbé Jules.
   Pas un roman anticlérical (même si Mirbeau l'est évidemment, comme le prouve Sébastien Roch, déjà évoqué ici, racontant l'histoire d'un adolescent violé par un jésuite), décrivant une canaille de prêtre hypocrite, pervers ou fanatique, mais plutôt le portrait d'un inadapté au monde, tellement irascible qu'il en bascule dans l'hystérie voir la folie. Bien sûr, Jules a des côtés sympathiques pour nous, mais Mirbeau, malgré son anarchisme revendiqué, est aussi un romancier de la complexité, et certains aspects de l'abbé sont quand même assez débecquetants pour qu'on ne parvienne pas à s'identifier. La charge contre la bourgeoisie est en revanche, une fois de plus, lapidaire et sans appel.