- Regain de Jean Giono.
Un petit hameau isolé, à moitié en ruine, grillé par le soleil de plomb du midi de la France. Magnifique. Un hymne à la décroissance, paradoxalement par la recroissance d'un hameau désertifié (deux habitants, dont une vieille femme). Jean Giono fait partie de ces grands écrivains auxquels nous sommes attachés par certaines de ses aspirations éthiques (anti-militaristes, d'amour de la nature...) qui ont malheureusement eu des ennuis à la libération. Notre auteur avait un peu hâtivement cru voir dans la révolution nationale et l'Etat français de papy Pétain une forme de communalisme libertaire dirions nous aujourd'hui* (je connais mal le dossier). Sa deuxième période, moins de terroir, plus stendhalienne, est très belle aussi (le fameux Hussard dont on a dit qu'il l'avait pompé à la Chartreuse), une des pierres angulaires de l'univers mythologique littéraire de mon paternel.
*Cette version est calomnieuse, comme nous l'indique gracieusement un lecteur dans les commentaires. Je le cite : "ses ennuis à la Libération venaient, certes d'une imprudente publication dans Signal, mais aussi et surtout de règlements de compte entre le lui et le Parti Communiste". Moi, ça me va tout à fait. Merci donc au Promeneur et mille excuses aux mânes du cher Jean !
Attention ! des signes ostentatoires risquent de heurter la sensibilité des jeunes publics.
L'intégrale du film.
- Laissez bronzer les cadavres de Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid.
Un petit hameau isolé, à moitié en ruine, grillé par le soleil de plomb du midi de la France. Une bonne vingtaine d'années après Ô dingos, ô chateaux !, mon deuxième Manchette, auteur controversé et prometteur. Saignant.
- La vie de ma mère de Thierry Jonquet.
Mises à part deux ou trois nouvelles mineures, je peux dire que ça y est, j'ai tout lu Jonquet ! Incroyable écrivain, véritable illusionniste. Il y a l'atmosphère, il y a la souffrance et la violence, il y a l'horreur, mais aussi et surtout, il y a les chutes ! Et on tombe de haut sauf exception. Ah ! Je n'ai pas lu son roman posthume, mais là, comme ça, ça sent trop le coup éditorial lucratif... Et puis je sature un peu, j'ai pas trop envie. Dites-moi si je me trompe.
- De Jean Amila : Motus !
Il existe près des écluses... des barbouzes, des militaires, des règlements de compte, des haines familiales et de classe, des morts qui ressuscitent, des passions noires, de la pourriture et d'étranges insectes luisants et charognards... Incroyable, en achetant ce vieux poche à un bouquiniste au marché de Paramé, j'ai confondu Jean Amila, et André Héléna, jusqu'à hier ! Une bonne vingtaine d'années après avoir lu Le Demi-sel, je croyais voir là mon deuxième Héléna. Quel rapport entre eux ? Je ne sais, peut-être sont-ils tous les deux un peu prolétariens... Motus n'est pas mal, mais il manque quelque chose pour que l'ambiance soit vraiment angoissante... et l'intrigue addictive... Un côté désuet aussi, que je ne ressens pas chez Simenon, peut-être chez Malet, intégralement lu mais ça date...
- Lettres à Doubenka de Bohumil Hrabal.
J'aime piocher parmi mes six ou sept étagères de livres à lire, et tomber sur un improbable, dont je ne connais pas l'auteur (un des plus grands écrivains tchèques du XXème siècle, mais je suis autodidacte...), dont je ne sais ni quand, ni par qui il est arrivé là, peut-être offert par mon père, pourtant en général il les dédicaçait... Mais comme nous étions allés ensemble à Prague dans les 90's, j'avais la vingtaine, juste après les évènements de 89 narrés ici, je m'étais dit... Un voyage mémorable, j'étais tellement bourré dans le train que j'ai pissé dans le compartiment, une fois n'est pas coutume, mais mon père, pourtant spécialiste de l'imbibation (il en est mort d'ailleurs) n'avait jamais vu ça. Je me permets d'en parler car Hrabal semble un genre de Bukowski tchèque, et la biture et la bière semblent être des favoris parmi ses thèmes récurrents. Je me souviens aussi de jeunes espagnols dans le couloir longeant le compartiment, j'allais les voir bouteille d'alcool blanc dans une main et le bouquin d'Abel Paz sur Durrutti dans l'autre, heureux de fraterniser. Ils ont semblé n'avoir jamais entendu parler d'aucun des deux hommes. A Prague même, déssoûlé, en bon gogo de touriste, je me suis fait piquer mon portefeuille dans mon sac à dos. On est allé chez les flics, et ben c'était quelques années après la chute du rideau, mais dans les commissariats, ça sentait encore fort l'ancien régime, pas rassurés, qu'on était. Finalement mon père m'a prêté un peu pour continuer à picoler en visitant. J'ai un très beau souvenir de la ville, la place Venceslas, avec toutes ses tavernes, ses orchestres de jazz New-Orleans, le pont dont j'ai oublié le nom, tout cela et le reste évoquant vraiment le nom "bohême", même si, adjectivé aujourd'hui, il est ad nauseam accolé à celui de "bourgeois". Le bouquin de Hrabal est passionnant, ivrogne d'une grande culture, il nous fait partager ses tribulation aux States, invité par une "bohêmiste" (Doubenka) pour des conférences, alors que simultanément à l'est et plus précisément chez lui, c'est le grand dégel des pays du pacte. Il en profite pour raconter moultes anecdotes sur ses auteurs chéris (Kafka, Hasek en Tchéquoslovaquie, les hooligans déjà évoqués ici en Russie, et bien d'autres, notamment américains, comme Kerouac). J'ai parfois quelques réserves morales face à ce qu'écrit Hrabal. Par exemple, je trouve qu'il emploie un peu trop souvent le mot "nègre", avec toujours des appréciations ambigües sur les personnes qu'il désigne ainsi. Et il met sur le même plan la répression "communiste" à Prague, le 21 août ou le 17 novembre, et les émeutes en feu de joie de Detroit (qui, je le concèdent ont été particulièrement meurtrières) : répression = insurrection = gross malheur ! De même quand il qualifie Valérie Solanas de "traînée" en évoquant le carton qu'elle a fait sur son idole (à Hrabal) Andy Wharol. Il y a peut-être une histoire de traduction, peut-être dans son esprit "trainée" est il moins péjoratif qu'en français... Pour finir, Hrabal le dit lui même et on ne lui fera pas la morale sur ce point, en tout cas pas tant qu'on n'aura pas au moins fait cinq ans de cabane comme Vaclav Havel, notre écrivain a beaucoup résisté à l'envie de résister. En 45, il arrive en retard à la fac, juste à temps pour voir tous ses copains étudiants ramassés par les nazis dans des camions pour aller se faire fusiller ou déporter. En 68, il est au bistro. En 89, devant sa télé, sauf quand la révolution de velours semble gagner la partie, là il daigne retourner au bistro en ville. Et avant cela, il a plutôt été adepte du statu quo, préférant aller de temps en temps au ministère de l'intérieur en réunion plutôt que de voir son oeuvre littéraire réduite au silence. Ni exilé, ni prisonnier, il a passé toutes ces années sous les bottes, nazies et staliniennes, à picoler et à écrire sans faire de vagues. A sa décharge, au moins n'a-t-il pas fini président à genou dans une cathédrale... Quant à moi, ça me fait tout drôle parce que, cette tranche d'Histoire qu'il raconte, celle de 89, la fin du bloc, eh bien, contrairement à 45 ou à 68, c'était de mon vivant, j'avais 20 ans, j'étais comme Bohumil déjà bien imbibé aussi, même si pour moi ça n'aurait pas pu durer aussi longtemps que pour lui, c'est si proche, et en même temps si loin déjà...
- L'Honneur perdu de Katharina Blum d'Heinrich Böll.
Je l'avais lu dans le texte une première fois, pour dire que je n'en avais pas compris la moitié.
"D'entrée de jeu, donc, l'essentiel est connu. En apparence, tout suspense est écarté. On sait que Katharina a tué Tötges. Mais même si on imagine quelles bassesses celui-ci a pu écrire, sa mort demeure peu compréhensible. Tous les jours la presse à sensation déverse sa boue. Ses victimes s'en indignent mais ne vont pas jusqu'à assassiner - ni même corriger - les auteurs des articles. Alors pourquoi Katharina Blum a-t-elle réagi aussi violemment ? Telle est la question que pose le livre.
Question relativement facile [...] et qui en recouvre une autre, capitale, celle-là : comment le mensonge, la haine, la violence verbale peuvent-ils engendrer la violence physique ? Comment la violence naît-elle de la violence ? [...] Baignant dans la fange, propagandiste de la violence, la presse à sensation - et ce n'est pas seulement vrai dans l'Allemagne de l'Ouest des années 70 - se pare hypocritement du masque de la morale, se pose en gardienne de la vertu et de l'ordre.(Présentation de Claude Bonnefoy).
Dès qu'il eut connaissance de ces deux meurtres, LE JOURNAL se comporta d'assez étrange façon : agitation démentielle, manchettes, placards, éditions spéciales, avis de décès d'un format démesuré. Comme si en ce bas monde où tuer n'a rien d'exceptionnel, le meurtre d'un journaliste avait quelque chose de particulier, de plus important par exemple que celui d'un directeur, employé ou pilleur de banque.
L'importance excessive accordée par la presse à ces faits divers doit être d'autant plus soulignée que LE JOURNAL ne fut pas seul à leur donner une telle publicité. D'autres journaux qualifièrent aussi le meurtre des journalistes de particulièrement vil, épouvantable, dramatique, au point d'en faire presque, pourrait-on dire, un meurtre rituel. Ils allèrent même jusqu'à parler de "victimes du devoir professionnel".
- La Valeur d'usage de Sade de Georges Bataille.
Saignant, aussi. "Sade, c'est formidâââble, n'est pas ? Dans les salons révolutionnaire littéraires, c'est d'un cachet ma chère ! Foi d'André Breton, j'adôôôre ce type !" Et puis c'est tout ? Bataille, quant à lui, trouve ça pitoyable, de se la jouer sadien tant qu'on a pas commencé à le mettre réellement en pratique, et pas que sur le papier !
"[...] Le processus d'appropriation simple est donné d'une façon normale à l'intérieur du processus d'excrétion composé, en tant qu'il est nécessaire à la production d'un rythme alternatif, par exemple dans le passage suivant de Sade :
"[...] Le processus d'appropriation simple est donné d'une façon normale à l'intérieur du processus d'excrétion composé, en tant qu'il est nécessaire à la production d'un rythme alternatif, par exemple dans le passage suivant de Sade :
Verneuil fait chier, il mange l'étron et veut qu'on mange le sien. Celle à qui il fait manger sa merde vomit, il avale ce qu'elle rend."
Un petit livre, du grand Bataille.
- Bienvenue : 34 auteurs pour les réfugiés.
Il y a des noms qui nous ont fait plaisir dans ce recueil de soutien à l'UNHCR pour les réfugiés : Sorj Chalandon, Lola Lafon, Lydie Salvaire. Des qu'on apprécie moins, comme le dessinateur du Journal Officiel, ou une star de la BD (dont on a pu cependant apprécier certains albums). Des connus, des inconnus. Et de belles découvertes (Gauz, dont l'esprit acéré et l'humour nous ont déjà fait jubiler ici). Mais on aimerait pouvoir faire plus que de lire un Seuil et de filer trois balles à une ONG pour aider nos frères réfugiés, et plus généralement pour abolir les lignes tracées par terre... Pour tout dire, cet en-cas littéraire ne nous a pas Calais. On essaye de rester prêt à toute occasion de participer avec nos modestes moyens à la solidarité.