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lundi 8 janvier 2018

Figures de Montmerte - banlieue

   Il entra dans un café, commanda une absinthe. C'était le rendez-vous de ces peintres qui à ce moment-là épouvantaient le public. Ils étaient plusieurs, dans le fond, à discuter paisiblement autour d'une table. Il y en avait un grand, imposant, avec une barbe de fleuve ; un autre, roux, le nez tordu, le regard bizarre et perçant ; un autre encore, la figure presque cachée par les poils, coiffé d'une étrange casquette à rabat et un quatrième, avec une petite barbiche en pointe. Ces peintres avaient nom :










Pissarro.









Van Gogh.









Sans sa casquette : c'est Cézanne.









Un peu avant la barbichette en pointe... Signac.


Pour agrémenter notre lecture, j'invite le lecteur joueur à deviner le nom de ces artistes. Pour l'aider, je situe l'année de la scène : 1888, en plein boulangisme. Les œuvres des rapins d'alors valent aujourd'hui des sommes vertigineuses, puisque les marchands donnent des prix à ce qui n'en a pas.

[...]

   Quelque temps plus tard, le quartier était en émoi... On démolissait la Reine Blanche ! La façade du vieux bal était maintenant dérobée aux regards des passants par des affiches vantant les pastilles Géraudel et la Saxoléïne, le meilleur pétrole pour les lampes.
   Le café d'en face était tout remué. Pour le garçon, c'était une distraction offerte à ses soixante-dix ans... Quant aux peintres, ils ne décoléraient pas. Le vieux Montmartre s'en allait car ils sentaient bien que cette transformation n'était que les prémices d'autres bouleversements et que les vieilles rues qu'ils aimaient longer et fixer sur leurs toiles, allaient disparaître, au profit d'immenses bâtisses impersonnelles.
[...]
Le seul bruit qu'avait fait le Moulin Rouge avait créé nombre d'imitateurs. La butte et ses approches devenaient le point de mire de tous ceux qui voulaient monter un spectacle.
   C'était le ruée sur le moindre emplacement. Le prix du terrain montait en flèche. Les boîtes de nuit faisaient leur apparition. Un original, Maxime Lisbonne, ancien général de la Commune, qui revenait du bagne de Nouméa, amnistié par la récente mesure de grâce dont Rochefort lui-même avait bénéficié, venait de monter une sorte de cabaret qu'il appelait "Les Frites Révolutionnaires". On pouvait s'y faire servir, suivant ses convictions, par un garçon costumé en Naopoléon III, en Louis-Philippe, en François Ier ou même en général Boulanger. Un groupe financier parlait même d'ouvrir rue de Clichy, un grand établissement qui aurait nom : Casino de Paris.
[...]

L'ancien communard Maxime Lisbonne

   Ils repartirent vers Montmartre où Bruant venait d'ouvrir le Mirliton. Au moment où ils entrèrent, Bruant qui chantait, suivant son habitude, les mains dans les poches, s'arrêta. Il était de tradition quand un client arrivait, de l'accueillir par la scie habituelle :
      Oh, là, là, c'te gueule
      C'te poire, c'te binette,
      Oh, là, là, c'te gueule qu'il a !...
   Toute la salle se retournait, faisant chorus et le client ou le couple gêné se faufilait à sa place, tandis que Bruant leur décochait quelque épigramme. Quelquefois, le nouvel arrivant répliquait, faisant assaut d'esprit avec le chansonnier qui finissait toujours par avoir le dernier mot.
    [...] Nini, confuse, s'assit sur son fauteuil et prit la main du prince qu'elle garda une seconde tandis que Bruant reprenait "Nini-peau-de-chien" :

      A la Bastille, on aime bien
      Nini-peau-de-chien,
     Elle est si bonne et si gentille,
     On aime bien...

    Et toute la salle demanda en coeur :
   - Qui ça ?
   Bruant termina :
   - Nini-peau-de-chien ! [...]

   Là-bas, à l'autre bout de la salle, deux musiciens avaient encadré Esther. Ils étaient revêtus de haillons voyants. La jeune fille portait une robe très simple. Ils personnifiaient un groupe de chanteurs des rues... La beauté et la jeunesse d'Esther ne souffraient aucunement ni de la lumière trop violente, ni de cette pauvreté voulue, bien au contraire.
    Elle commença sa chanson... C'était une complainte de la rue, à la fois navrante et ironique :

      En haut de la rue Saint-Vincent
      Un poète et une inconnue
      S'aimèrent l'espace d'un instant...

   L'emprise d'Esther sur le public était certaine, l'émotion gagnait la salle... [...]

      La lune trop blème
      Pose un diadème
      Sur ses cheveux roux...
[...]



Extraits de French Cancan d'André Sfer, d'après le film.

mercredi 20 décembre 2017

La dose de Wrobly : frimaire 2017 EC


   Thierry Jonquet.- La Folle aventure des bleus.- Gallimard, 2005.
   Ça aurait pu être la folle histoire de Smet, à quelques années près : de la force de destruction matérielle, physique, culturelle, morale, intellectuelle, sensible... du prolétariat par la bourgeoisie et sa religion médiatique. Prémunissons-nous toujours plus compagnons, serrons-les rangs et continuons de déféquer sur leurs idoles, même à un contre mille !

   André Sfer.- French cancan.- Fasquelle, 1955.
   Nous vous avons déjà copié quelques extraits de cette adaptation du film de Jean Renoir sur Montmartre en 1888 et l'entertainment triomphant qui y sévit dix-sept ans après le massacre de la Commune et trois ans avant celui de Fourmies. Et nous avons encore prévu de vous en copier encore. Paradoxalement ce livre (et donc ce film, j'imagine, je ne l'ai pas vu), ne parle par du cabaret du Chat noir, situé pourtant, à la même époque, dans le même coinstot. Trop subversif ? Trop avant-gardiste ?... Trop intello ?...

   Béatrice Didier.- Littérature française: Le XVIIIe siècle. 1778-1820.- Arthaud, 1976.
   Un pavé, mais un bonheur pour qui, comme moi, se passionne pour la Révolution française, l'Histoire et la littérature, tout en ayant de grandes lacunes à leurs sujets, auto-didactat oblige. Tout est ratissé de 1778 à l'assassinat du duc de Berry (1820, ben ouais, tu savais pas ? l'autre !), de Rousseau à Chateaubriand. Des noms connus, aimés, des moins connus, moins aimés, détestés, des inconnus, bref, la comédie humaine de cet apocalypse messianique qui, des philosophes aux romantiques, en passant par les philosophes romantiques et les romantiques philosophant, les orateurs, idéologues, mystiques catholiques, protestants ou occultistes, athées, déistes ou païens, scientifiques, musiciens, peintres, anges de la guillotine persécutés eux-mêmes, enragés, communistes en herbe, réprimés par les jacobins, Thermidor, le directoire, l'empereur ou éternels baiseurs de mules impériale ou  bourbonne... cet apocalypse messianique qui, malheureusement, a accouché de générations de macrons.


    Georges Théotokas.- Le Démon.- Stock, 1946.
   Un roman mélancolique et nostalgique, entre le Grand Meaulnes et l'Abbé Jules, sur une petite île de la mer Egée. Me demandez pas où j'ai trouvé ça, je ne le sais pas moi-même.

   Michel Bakounine.- Aux compagnons de l'Association Internationale des Travailleurs du Locle et de la Chaux-de-Fonds.- Stock, 1972.
   On ne présente plus le grand russe familier de ces pages. Un petit jeu : de qui parle-t-il ici, avec le sens de la formule qui le caractérise ? : "Aujourd'hui, descendue au triste rôle d'une vieille intrigante radoteuse, elle est nulle, inutile, quelquefois malfaisante et toujours ridicule, tandis qu’avant 1830 et avant 1793 surtout, ayant réuni en son sein, à très peu d'exceptions près, tous les esprits d'élite, les cœurs les plus ardents, les volontés les plus fières, les caractères les plus audacieux, elle avait constitué une organisation active, puissante et réellement bienfaisante."

   Julio Sanz Oller.- Barcelone, l'espoir clandestin : les Commissions Ouvrières de Barcelone.- Le Chien rouge, 2008.
   D'actualité, comme vous le savez. Hein ? Mais non, rien à voir avec les nationalistes catalans, je parle de CQFD , ce sont eux qui ont édité ce bouquin il y a déjà un bail, et ils on besoin de blé. C'est un des deux ou trois seuls journaux que j'ai le temps de lire intégralement à chaque parution, alors merci pour eux. Surtout qu'à la qualité habituelle du canard s'est vu greffé le panache et l'énergie des forces vives du défunt Article 11 depuis à peu près un an (peut-être plus, le temps passe si vite), ce qui n'est pas peu dire !

vendredi 1 décembre 2017

De l'origine française du pogo


   La polka prenait fin. L'orchestre attaqua un quadrille. Cette danse, passée de mode dans les endroits élégants, avait eu un étrange destin. Elle avait fait fureur d'abord, cinquante ans auparavant, aux jardins de Tivoli, au bal Mabille, au Château Rouge, sous le nom de "cancan".
   On y avait applaudi Chicard, l'illustre Chicard et son second Brididi, puis deux filles publiques : Pomaré et Mogador avaient fait courir tout Paris. Gavarni y avait puisé son inspiration. On dansait le cancan partout et son règne s'affirma aux bals de l'Opéra. C'était une danse tumultueuse, improvisée, où la jambe droite ignorait ce que faisait la jambe gauche. Cela s'appelait aussi le charivari. Pillodo entraînait son orchestre à coups de pistolet et aussi en brisant des chaises à tour de bras... On le dansait indifféremment en cavalier seul, en groupe ou avec un vis à vis. Bref, c'était un déchaînement de gaieté et d'aimable folie.
   Puis ce triomphe déclina. Paris eut d'autres choses à penser. Il fit la Révolution de 48. La politique prit le pas sur la danse. On oublia le cancan jusqu'au jour où une petite bonne femme ronde comme une pomme, pas jolie mais qui se transfigurait en dansant, le recréa presque d'instinct et devint célèbre sous le nom de Rigolboche. On allait la voir au Casino Cadet, au Cas'Cad où, prise d'une sorte de délire, on eût dit qu'elle entraînait la musique, la dépassait. Le cancan, plus vif encore, plus débridé, était devenu le "chahut".
   Et ce fut à nouveau l'oubli. Les balles de 70 semblaient avoir tué le cancan. Quelques vieux habitués en avaient cependant gardé le souvenir et il renaissait parfois canaille et comme honteux, dans des bals semblables à celui de la Reine Blanche.
   Le spectacle qu'il offrait, cette fois, ne paraissait guère attrayant. [...]


    - Bonsoir Guibole, dit Maclarène... Tu as toujours des cours du soir ?
   - Faut bien, répondit-il [...]... Et, avec un sourire, vers Jojo : Tu m'amènes un élève ?
   - Mieux qu'un élève : une idée.
   - Mais alors, dit Jojo, dont le doute venait seulement de disparaître... c'était vraiment pour danser ?
   - Qu'est-ce que tu croyais ? sourit Maclarène.
   Il n'eut pas le loisir de s'expliquer. Guibole relevait l'abat-jour de la lampe :
   - Fais-la voir, ton idée... Avance à la lumière, petit.
   Jojo, peu habitué à ce qu'on le commande et qui voyait toutes les têtes se tourner vers lui, se rebiffa comme un petit coq :
  - J'suis pas une bête curieuse !
   Les deux jeunes gloussèrent dans leur lit.
   Toi, t'as pas la parole, dit Guibole, tandis qu'il l'examinait sur toutes les faces puis, se tournant vers Maclarène :
   -Qu'est-ce que tu veux en faire ?
   Il se rapprocha :
   - Je vais bien t'épater... Tu te rappelles tes triomphes quand tu dansais le cancan ?
   Guibole ricana :
   - C'était pas hier, c'est ça ton idée ?
   - C'est ça ! fit Maclarène, s'asseyant. Et pas seulement pour lui. Pour tout ton squat et pour bien d'autres encore...
   - T'es louftingue ! dit Guibole, n'y comprenant rien.
   - Imagine-toi [...].
   Il montrait Jojo qui ne broncha pas. Guibole eut un haussement d'épaules.
   - Mais c'est fini, le cancan ! [...] Le cancan ! Pourquoi pas le menuet ou le rigaudon ?
   - On trouvera un nom nouveau...
   Guibole secoua la tête :
   - Ils ne veulent plus que des noms anglais, maintenant : macadam, mac farlan, pickpocket, lavatory !... [...]
   La réflexion de Guibole mit Maclarène sur la voie et, souriant à sa découverte, il lança :
   - Pogo ?
   - Pas mal, fit Guibole, conquis...

Cocorico !