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lundi 1 novembre 2021

On y croit !


   Contre la politique, un geste négatif de masse consiste tout simplement à ne pas voter. L'"apathie" (c'est à dire le sain ennui du Spectacle éculé), éloigne la moitié de la nation des urnes ; l'anarchie n'a jamais obtenu autant ! (Pas plus qu'elle n'avait à voir avec l'échec du dernier recensement). Là encore, il y a des parallèles positives : le "réseautage" comme alternative à la politique est pratiqué à bien des niveux de la société, et l'organisation non hiérarchique a atteint une grande popularité, même en dehors du mouvement anarchiste, simplement parce que ça marche. (ACT UP et Earth First ! en sont deux exemples. Les Alcooliques Anonymes en est un autre, aussi bizarre que cela puisse paraître.)

   Le refus du Travail peut prendre la forme de l'absentéisme, de l'ivresse sur le lieu de travail, du sabotage, et de la pure inattention - mais il peut aussi faire naître de nouveaux modes de rébellion : davantage d'auto-emploi, la participation à l'économie "noire" et au lavoro nero, les magouilles des chômeurs et autres options illégales, culture d'herbe etc. - autant d'activités plus ou moins "invisibles" comparées aux tactiques traditionnelles d'affrontement de la gauche, comme la grève générale.

   Refus de l'Eglise ? Eh bien, "l'acte négatif" ici consiste probablement à... regarder la télévision. Mais les alternatives positives incluent toutes sortes de formes non autoritaires de spiritualité, du christianisme "sans église" au néo-paganisme. L'Amérique marginale regorge de ce que j'aime bien appeler des "Religions libres" - autant de petits cultes auto-créés, mi-sérieux/mi-délirants, influencés par des courants tels que le Discordianisme et l'Anarcho-taoïsme - qui proposent une "quatrième voie en pleine croissance", échappant aux églises traditionnelles, aux bigots télé-évangélistes et au consumérisme froid du New Age. On peut également dire que le principal refus de l'orthodoxie, consiste à créer des "moralités privées" au sens nietzschéen : la spirituallité des "esprits libres".

Hakim Bey.- T.A.Z : zone autonome temporaire.

jeudi 21 janvier 2021

La dose de Wrobly : nivôse 2020-2021 EC


- Jules Vallès.- L'Enfant.
   Il y a 35 ans que j'aurais dû lire ce roman, quand j'ai commencé à me passionner pour la geste révolutionnaire et l'épopée anarchiste, et naïvement fantasmé pouvoir y participer notablement. D'autant qu'il fait partie il me semble de ces pépites subversives enseignées parfois malgré tout au collège, désamorcés et falsifiés le plus souvent certes, comme 1984 d'Orwell, autre monument de la critique sociale radicale que j'ai lu tardivement alors que son auteur était pour moi un modèle, une figure tutélaire, un maître... par le bouche à oreille et ce que j'en avais lu dans la presse. Le communard Vallès me semble de même avoir toujours fait partie de mon panthéon personnel, alors que je ne l'avais pas lu. Certes, ces deux écrivains étaient aussi des activistes, ayant mouillé leur chemise, connu la prison pour Vallès et risqué leur peau en pratiquant la critique des armes. C'est surtout pour cela que je les vénérais et que le je les adule encore.
Vallès et Vingtras étaient d'origine paysanne. Écœurés par l'arrivisme petit bourgeois de leurs parents, ils gardaient un amour sensuel et affectif pour les mœurs et le milieu des campagnes. Ici la zad du Triangle de Gonesse (95), mobilisée le dimanche 17 janvier 2021 contre la gare en plein champs prévue par les autorités dans le but d'urbaniser les terres agricoles pour des entrepôts, Amazon, Auchan ou autres.

   Mais après avoir lu l'Enfant, je peux dire en toute sincérité que le Vallès littérateur n'a rien à envier en vertu au Vallès combattant. J'ai dévoré ce roman autobiographique, le narrateur et jeune personnage principal Jacques Vingtras possédant de nombreux traits de personnalité de l'auteur et ayant vécu à quelques licences romanesques près la même vie. Aucun temps mort, aucune longueur. Et, ce qui m'a le plus surpris, que j'ignorais : cette description de la vie d'un enfant martyr est pleine d'humour, un humour efficace qui m'a fait rire, souvent, c'est assez rare pour le signaler ! Et ces métaphores et comparaisons savoureuses, colorées, naturalistes ou oniriques, contribuant beaucoup à l'humour par leur côté insolite et concret. Quel talent ! Et puis, toutes proportions gardées, les chemins, personnalités et époques différant forcément, je me suis un peu identifié à cet enfant trouvant une résilience à tant de souffrances et de tristesse dans le désir de révolte et de fraternité, dans le sentiment d'appartenance aux cohortes de tous les opprimés.
   Combien de temps s’égrainera avant que je lise la suite de la trilogie ? Autant que pour ma rencontre avec l'Enfant ? Le Bachelier et l'Insurgé viendront-ils à moi avant le croque-mort ? Vous le saurez en lisant les prochains épisodes de la Dose de Wrobly...

   A lire aussi, plus actuel : Lyes Louffok.- Dans l'enfer des foyers.- J'ai lu.

- Dr Christophe Fauré.- S'aimer enfin.
   "Chaque jour, chaque semaine apporte son lot de souffrances et d'espoirs vains. De magnifiques personnes meurent, les unes après les autres. Aucun traitement efficace n'enraye la maladie. Pas du tout préparé à cela, j'accompagne des malades en fin de vie à peine plus âgés que moi. Le sida fait peur, mais j'éprouve une étrange fierté à être présent auprès de ceux et celles qu'on rejette comme des pestiférés. Chacun des soignants de ce service semble animé par cette ferveur, le souci farouche de protéger ceux qui sont vulnérables. Le mot "hospitalier" prend une dimension qui m'avait échappé jusque là."
   On m'a offert ce livre, je ne me souviens plus qui (d'où l'intérêt des dédicaces, en plus du petit exercice créatif), pourtant c'est récent, le dépôt légal est d'octobre 2019... Je ne pense pas que cette personne lise ce blog, mais je la remercie de nouveau ici pour cette gentille attention.
S'aimer, c'est aussi aimer notre milieu de vie commun, à nous autres, animaux et végétaux, et se battre pour le défendre. Ici un opposant à la gare de métro en plein champs du Triangle de Gonesse (95), se dirigeant vers l'entrée du chantier en portant un génie, le 17 janvier 2021.

    L'argument : un psychiatre, semble-t-il médiatique, pétri par la dépression, en arrive à se fait moine bouddhiste tibétain en Périgord. Au bout de deux ans, lors d'un pélerinage en Inde, il a une révélation fulgurante de sa mission en ce monde et décide de rendre sa robe et de se consacrer de nouveau à la médecine.

- Charles Baudelaire.- Correspondance II : 1860-1866.
   Le 9 avril prochain Baudelaire aurait eu 200 ans. J'entame donc le tome II de sa correspondance, ce qui clôturera pour moi la lecture de l'ingégralité de ses écrits. J'ai évidemment moins de sympathie pour le personnage que pour Orwell ou Vallès, ce fut plutôt un sale con dans le quotidien, même s'il a beaucoup souffert, de la pauvreté (ce qui ne fait pas naître en lui le moindre sentiment de solidarité à l'égard des damnés de la terre, au contraire, contrairement à Vallès, de douze ans son cadet), mais aussi de la dépendance aux drogues, et en cela je ne peux qu'avoir une certaine compassion pour lui. Mais même s'il fut parmi les insurgés en juin 48, il renonça ensuite à toute préoccupation politique et afficha des positions réactionnaires, par provocation peut-être, par le sentiment toujours plus aigû de sa supériorité aristocratique, puis par une misanthropie qui croitra jusqu'à la haine xénophobe envers nos amis Belges qu'il exprima dans ses pamphlets, parmi les plus violents qu'écrivain produisit contre un peuple. Ce deuxième tome illustre d'ailleurs cette descente progressive de l'orgueil à l'arrogance, de l'arrogance au mépris, du mépris à la haine. En 1866, Baudelaire aura un genre d'attaque cérébrale, à la suite duquel il ne prononcera plus, pendant un an et jusqu'à sa mort, que ces mots, résumant son état de vie : Crénom ! Le grand poète romantique auteur du majestueux et magnifique Albatros : Crénom ! Pour ceux qui n'auraient pas envie de se fader les oeuvre complètes et toute la correpondance pour cerner le personnage, vient de sortir, d'après ce que ma mère m'a dit qui l'a vu à la télé donc c'est que c'est vrai, un livre de Jean Teulé intitulé justement Crénom, Baudelaire !. Je ne sais pas ce ce que ça vaut, mais crois avoir compris que ça balaye tout le côté anecdotique de la vie du purotin qui rêvait de gloire et de puissance en se camant au laudanum et en tapant (financièrement) sa mère ainsi que toute personne susceptible de lui prêter 100 francs, 50 si ce n'est pas possible.
Végétal irrégulier.

   Cela aurait pu être le rêve d'un aménageur qui, comme notre poète, lutterait de manière obsessionnelle contre tout morceau de morale dans l'art : l'abolition du vivant dans un radieux monde vitrifié.

Rêve parisien

 À Constantin Guys.

I

De ce terrible paysage,
Tel que jamais mortel n'en vit,
Ce matin encore l'image,
Vague et lointaine, me ravit.

Le sommeil est plein de miracles !
Par un caprice singulier,
J'avais banni de ces spectacles
Le végétal irrégulier,

Et, peintre fier de mon génie,
Je savourais dans mon tableau
L'enivrante monotonie
Du métal, du marbre et de l'eau.

Babel d'escaliers et d'arcades,
C'était un palais infini,
Plein de bassins et de cascades
Tombant dans l'or mat ou bruni ;

Et des cataractes pesantes,
Comme des rideaux de cristal,
Se suspendaient, éblouissantes,
À des murailles de métal.

Non d'arbres, mais de colonnades
Les étangs dormants s'entouraient,
Où de gigantesques naïades,
Comme des femmes, se miraient.

Des nappes d'eau s'épanchaient, bleues,
Entre des quais roses et verts,
Pendant des millions de lieues,
Vers les confins de l'univers ;

C'étaient des pierres inouïes
Et des flots magiques ; c'étaient
D'immenses glaces éblouies
Par tout ce qu'elles reflétaient !

Insouciants et taciturnes,
Des Ganges, dans le firmament,
Versaient le trésor de leurs urnes
Dans des gouffres de diamant.

Architecte de mes féeries,
Je faisais, à ma volonté,
Sous un tunnel de pierreries
Passer un océan dompté ;

Et tout, même la couleur noire,
Semblait fourbi, clair, irisé ;
Le liquide enchâssait sa gloire
Dans le rayon cristallisé.

Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges
De soleil, même au bas du ciel,
Pour illuminer ces prodiges,
Qui brillaient d'un feu personnel !

Et sur ces mouvantes merveilles
Planait (terrible nouveauté !
Tout pour l'œil, rien pour les oreilles !)
Un silence d'éternité.

II

En rouvrant mes yeux pleins de flamme
J'ai vu l'horreur de mon taudis,
Et senti, rentrant dans mon âme,
La pointe des soucis maudits ;

La pendule aux accents funèbres
Sonnait brutalement midi,
Et le ciel versait des ténèbres
Sur le triste monde engourdi.

Charles Méryon (né la même année que Baudelaire,1821, et mort à 46 ans également).- Le derrière de Notre-Dame, le quai de la Tournelle. Baudelaire a écrit une appréciation de son talent. "Je lui ai promis de rédiger un texte pour ses gravures. Or, si tu peux comprendre tout ce qu'il y a d'insupportable dans la conversation et la discussion avec un fou, tu penseras comme moi que je paye mes albums fort cher." Lettre à sa mère du 4 mars 1860.

   J'entendais une fois de plus hier à la radio Recueillement et Je te donne ces vers... et je me suis fait la réflexion qui concluera cet article, à savoir que, si je trouve certains poèmes de Baudelaire magnifiques, qu'ils me font du bien, et si je peux trouver aussi dans le personnage de Charles un certain comique de caractère, dans ses excès, son côté entier, teigneux, finalemenet, ce que je préfère dans Baudelaire, c'est Léo Ferré.

vendredi 20 septembre 2019

La dose de Wrobly : fructidor 2019 EC


- Nicolas Gogol.- Tarass Boulba.
   Je poursuis ma découverte de la littérature russe...

- Walter Benjamin .- Sur le concept d'histoire.
   Je poursuis ma découverte de Walter Benjamin...

Extrait (de la préface).
   Mais pour l’heure, il faut partir, et au plus vite. Le temps n’est plus aux flâneurs ; Walter Benjamin n’a que trop tardé. En ce jour du 15 juin 1940, il prend l’un des derniers trains pour Lourdes. Mais qu’emporter avec soi ? La hotte du chiffonnier est bien trop pleine. À force d’accumulations frénétiques, le manuscrit de ce Livre des passages dont Walter Benjamin espérait tant qu’il devînt un jour Paris capitale du XIXe siècle était intransportable. Il fut confié, avec d’autres papiers, à l’un des employés aux Cabinets des Médailles de la Bibliothèque nationale, lieu de ce si vaste chantier. Son nom était Georges Bataille.
   Il lui dépose donc deux grosses valises, marquées « À sauver », bourrées de textes, copies, manuscrits, documents divers. Elles pourraient être acheminées aux États-Unis, l’y attendre peut-être. Au dernier moment, faute d’avoir pu la vendre, Walter Benjamin découpe de son cadre l’aquarelle de Paul Klee Angelus Novus qui, depuis qu’il en fit l’acquisition en 1921, soutient ses pensées, ses rêves et ses espérances. Il la glisse dans l’une de ses valises. Theodor Adorno parvint après la guerre à la confier à son destinataire, puisque Walter Benjamin l’avait léguée à son ami Gershom Scholem, dans le testament qu’il rédigea en juillet alors qu’il envisageait de mettre fin à ses jours. Et qu’en était-il de ces fameuses thèses « Sur le concept d’histoire », son dernier manuscrit, que la postérité envisagera plus tard comme le testament intellectuel de Walter Benjamin, bloc de prose poétique qu’il avait placé tout entier sous l’œil fixe de l’Angelus Novus ? Il décida de l’emporter avec lui, avec quelques effets personnels, dans une petite serviette en cuir noir, « comme celle qu’utilisent les hommes d’affaires ». Une copie fut toutefois confiée à une cousine éloignée qui était devenue son amie. Son nom était Hannah Arendt.
   Tous deux avaient été internés – Hannah Arendt dans le camp de Gurs, près d’Oloron-Sainte-Marie dans les Basses-Pyrénées, tandis que Walter Benjamin fut placé dès l’entrée en guerre de septembre 1939, en tant qu’immigré allemand et par conséquent « sujet ennemi », dans celui de Vernuche, près de Nevers. Tous deux étaient désormais à Marseille, pris dans la nasse. Car ils étaient nombreux durant cet été 1940 à rejoindre cette « cohue de réfugiés » que Victor Serge a décrite comme une « cour des miracles des révolutions, des démocraties et des intelligences vaincues ». Hébétés par la fatigue et par l’angoisse, les fugitifs erraient dans une ville que sillonnaient les rumeurs et les faux espoirs. « Je suis condamné à lire chaque journal (ils ne paraissent plus que sur une feuille) comme une notification qui m’est remise et à percevoir en toute émission de radio la voix d’un messager de malheur », écrit Benjamin à Theodor Adorno le 2 août 1940, car « je dépends absolument de ce que vous pouvez réaliser du dehors ».

Adorno, Arendt, Bataille, Serge... ! Comment voulez-vous que ce livre ne me brûle pas les mains de son aura ? 

Paul Klee.- Angelus Novus.

Extraits.
Comparée à cette conception positiviste, les fantasmagories qui ont fourni tant de matière aux moqueries adressées à un Fourier ont leur sens, et il est étonnamment sain. Selon Fourier, le travail social correctement organisé avait pour conséquence le fait que quatre lunes éclairaient la nuit terrestre, que la glace se retirait des Pôles, que l’eau de la mer n’avait plus le goût de sel et que les fauves se mettaient au service de l’être humain. Tout cela illustre un travail qui, loin d’exploiter la nature, est capable d’en tirer les créatures qui sommeillent en elle à l’état virtuel. Au concept corrompu du travail s’attache, comme son complément, la nature qui, pour reprendre l’expression de Dietzgen, « est là gratuitement ».

[...]

Cette conscience, qui s’est exprimée encore une fois et pour une brève période dans le mouvement Spartacus, a toujours choqué la social-démocratie. En trois décennies, elle est parvenue à presque effacer le nom de Blanqui, dont le retentissement a ébranlé le siècle dernier. Elle s’est plu à attribuer à la classe ouvrière le rôle de rédemptrice des générations futures. Elle lui a ainsi coupé sa relation avec la meilleure force. A cette école, la classe a largement désappris autant la haine que la volonté de sacrifice. Car toutes deux se nourrissent de l’image des aïeux asservis, et non de l’idéal des petits-enfants libérés.

- Olivier Rolin.- Port-Soudan.
   Je poursuis ma découverte de la littérature pure de la deuxième moitié du XXème siècle (le précédent c'était le Balcon en forêt de Gracq, et c'est vrai qu'il y a 36 ans entre les deux romans et plus d'une génération entre les deux auteurs...) avec des livres que je sors de ma bibliothèque personnelle sans trop savoir d'où ils me viennent quoique j'ai une petite idée... N'est-ce pas papa ?... Tu dois bien te marrer, toi, du haut de ta colline de 600 m, dans ton charmant cimetière avec vue imprenable sur l'Yonne et le Bazois. Tu vois, les bouquins que tu m'a offerts, si c'est le cas, je finis toujours par les lire, même si c'est vingt ans après.
   Ici on a une langue sertie comme du diamant. De la haute littérature. C'est un petit roman qui se lit vite. On comprend dans les propos du narrateur, reflet de l'auteur, que celui-ci est un ancien soixante-huitard. En se renseignant, on apprend qu'il était même membre dirigeant de l'organisation maoïste Gauche prolétarienne, et engagé dans la « branche militaire » de la Nouvelle résistance populaire (NRP). On avait bien senti dans certains détails de ses propos, à la fois désabusés et respectueux, sur son passé, qu'il n'avait pas été un libertaire. L'histoire de dépendance affective et sexuelle, d'alcoolisme, de dépression et de suicide m'a un peu ennuyé. Tous ces états de vie ont marqué les trente premières années de mon existence, directement ou via des proches, et j'en suis si loin aujourd'hui, j'ai couru si vite depuis pour échapper à toute cette merde, que cela ne m'intéresse plus du tout. De plus, dans la relation de ce vieil intello ancien activiste et toujours austère critique de ce monde resté ancien et plus conformiste que jamais, qui retrouve une jeunesse avec un tendron de la moitié de son âge fasciné par le prestige symbolique du vieux sage, mais finalement trop superficiel pour ne pas finir par prendre la poudre d'escampette, on l'imagine vers les sirènes de la jouissance consommatrice, je décèle une antienne machiste qui m'indispose. La description de Port-Soudan où le narrateur est exilé est glauque à souhait et décrit avec brio, et quelques passages enthousiasmants de cruelle poésie (le chien dévoré par les murènes, par exemple), ce lieu infernal livré aux pirates et au trafic d'êtres humains. Reste les charges contre la réaction sociale et sociétale revenue en force, après les révolutions de 68 et du mai rampant, le monde de Vive la crise !, de l'assaut ultra-libéral des années 80 et 90 (ce pourquoi elles ont un peu vieilli, les charges), du spectacle toujours plus diffus de la marchandise instillant son idéologie, irriguant malgré qu'il en aie le petit marigot culturo-prout-prout... Et ce regard à la fois nostalgique et amer sur les luttes révolutionnaires du passé, qui, si elles se fourvoyèrent souvent, eurent pourtant le mérite d'aspirer à, de désirer, de croire parfois en un monde plus vivable.

Extrait.
Le paradoxe inaugural de nos vies, celui qui les aura marquées d’un sceau indélébile, et peut-être d’une malédiction dont nous ne nous déferons plus, c’est d’avoir mis tant de vertu au service d’idées si férocement vétustes. Nous ne devons pas dire que nous fûmes des héros, jamais, nous devons railler ceux qui disent cela et leur faire honte de leur jactance, et leur démontrer qu’elle est la preuve de la fausseté de ce qu’ils avancent, mais nous ne devons pas oublier non plus qu’il y eu parmi nous une aspiration aveuglée à l’héroïsme, ou à la sainteté, qu’on appelle ça comme on voudra : ni laisser dire qu’il n’en fut pas ainsi. Et ce que nous pouvons affirmer en revanche avec l’auteur de Notre jeunesse, parce que les meilleurs d’entre nous le ressentent encore, et davantage chaque jour (les pires, les pitres, laissons-les, ils ne nous intéressent pas), c’est que nous sommes en ces années-là entrés dans le royaume d’une incurable inquiétude. Que nous avons pour toujours renoncé à la paix et spécialement à la paix qui, en cette fin de siècle, s’achète au supermarché.

   En moi qui n'ai rien fait de ma jeunesse hormis me pinter la gueule, ces propos ne sont pas sans jeter un grand froid. 


- Philippe Corcuff.- Pour une spiritualité sans dieux.
   Il est de bon ton de se moquer de Philippe Corcuff. Je me souviens qu'il faisait partie des têtes de turc du journal Le Plan B, délicieusement méchant, mais c'était contre des pourritures ou des cuistres de la pire espèce en général, donc je ne boudais pas mon plaisir. Philippe Corcuff je ne connaissais pas. Bon, c'est vrai qu'il s'est mitonné une fiche Wiki bien fournie, et qu'il se cite abondamment dans son ouvrage. Mais qui n'a pas ses petits ridicules ? Pas moi en tout cas. Il est passé du trotskysme à l'anarchisme, ok, mais vaut mieux quand même que ce soit dans ce sens là, non ?
   Le sujet du livre m'intéresse au plus haut point, ne pouvant consommer aucun médicament psychotrope ou autres substances plus récréatives, j'ai besoin d'une spiritualité pour ne pas tomber dans une sombre et dangereuse dépression. En même temps les religions en général ne sont pas mes amies, et en particulier leurs zélateurs les plus autoritaires, dogmatiques, fondamentalistes, violents. Cependant il me semble que critiquer la religion sans la remplacer par un autre type de foi, c'est comme croire pouvoir arrêter de fumer sans activité de substitution. Certains, genres de Captain America à la sensibilité invincible peuvent vivre sans spiritualité, pas moi, pas depuis que je suis au régime sec. J'ai besoin de croire que la vie vaut la peine d'être vécue (et je me suis souvent dit que le nourrisson mourant subitement est celui qui n'y croit pas suffisamment à la  naissance), ma profession de foi étant qu'elle vaut la peine d'être vécue libre, dans l'égalité avec mon prochain, et dans le respect de la vie autant que les lois de la subsistance qui en font partie le permettent, et que si le monde comme il va est loin de cet idéal, il y a toujours des interstices à trouver et des potentialités à tenter de développer. Par ailleurs ne pas proposer une ou des spiritualités (athées, agnostiques, ou pas, à condition qu'elles ne soient pas des morales de l'absolu qui emprisonnent et finissent en massacre) pour ceux qui demeurent attachés aux idéaux émancipateurs, c'est laisser la place aux religions.
   Ce petit livre traite de cela avec concision, et propose quelques pistes, quelques principes spirituels, ni absolutistes, ni nihilistes, vers lesquels essayer de tendre, et Philippe Corcuff semble en être un, de tendre. Ça tombe bien, en vieillissant la méchanceté et l'arrogance me fatiguent de plus en plus (même si je ne suis certainement pas exempt d'accès de ces pulsions déplaisantes). A la rigueur, pour la méchanceté, quand l'humour s'en mêle, que les cibles sont infâmes ou qu'elle est hissée au rang des beaux arts, ou de la caricature, je peux encore apprécier. A ce sujet j'ai lu en messidor Pauvre Belgique, de Baudelaire, un des pamphlets contre tout un peuple les plus féroces qu'ait jamais écrit un écrivain, on peut penser à Céline, même si les Belges n'étaient pas persécutés et que cela rend le poète moins haïssable que le romancier : à la lecture de cette outrance de la détestation j'ai rit parfois ; mais ce n'était pas contre les Belges : même si mon rire était bien méchant, il était plutôt mêlé de pitié et de mépris pour ce qu'était devenu l'albatros qui, de lyrique tourna atrabilaire, puis finalement, probablement suite à un premier accident cérébral, haineux-gâteux).
   A noter : afin d'étayer sa suggestion de thèse, Philippe Corcuff mobilise, outre des ténors de la philosophie, de la sociologie ou de la littérature, des chanteuses et des chanteurs français, parfois même des marchandises de variété. Une manière de rester humble, au plus près de l'humus de la vie quotidienne d'une humanité ordinaire, avec ses joies, ses peines et ses questionnements. Après tout, ceux qui parlent de révolution et de lutte de classes... 

Extrait.
Le problème de la création de soi a notamment été formulé autour du thème de « la construction de soi comme œuvre d’art », que l’on trouve par exemple chez l’écrivain Oscar Wilde (1854-1900), figure du dandysme, ou chez Michel Foucault . […] La figure de « l’œuvre d’art » fait signe du côté de ce que Bourdieu appelle « le capital culturel », c’est-à-dire les ressources culturelles légitimes que tendent à monopoliser les classes sociales dominantes dans une hiérarchie culturelle. Par exemple, aujourd’hui dans nos sociétés, aller souvent au musée ou à l’opéra fait partie du capital culturel, mais pas savoir bien jouer à la pétanque. N’y aurait-il pas ainsi la pente d’un certain ethnocentrisme de classe à valoriser la figure de « l’œuvre d’art » dans la création de soi, figure socialement marquée dans la hiérarchie du capital culturel ? C’est pourquoi je propose que le vocabulaire de la construction de soi élargisse ses tonalités sociales et devienne plus polyphonique, en passant du thème de « la construction de soi comme œuvre d’art » à celui du bricolage de soi.

[...]

   On me rétorquera : les fragilités humaines peuvent-elles casser les briques de l’absolu ? N’ont-elles pas perdu d’avance leur pari spirituel devant la force potentielle des promesses d’au-delà ? Pas nécessairement. L’ancrage dans la vie ordinaire, ses aléas et ses repères, ses joies et ses mélancolies, ses fidélités et ses ruptures, ses habitudes et ses ouvertures, ses familiarités et ses moments inédits, ses vulnérabilités singulières et ses puissances coopératives, ses états de solitude et ses plaisirs mis en commun… a aussi sa grandeur propre. Il suffit peut-être d’oser l’envisager comme un cheminement spirituel alternatif. Ou du moins d’essayer, ce qui est rarement fait.


- André Gorz.- Les métamorphoses du travail.
   Un livre passionnant. Les réflexions de Gorz ont eu une certaine influence sur ce qui peut se produire aujourd'hui de radicalement anti-capitaliste, anti-économiste et forcément anti-travail, livres, revues (par exemple l'excellente Sortir de l'économie même si ardue, et malheureusement en sommeil depuis pas mal d'années), journaux, sites web, et j'ai bien le sentiment d'avoir déjà entendu ce son de cloche. Entre piqûres de rappel et éclaircissement des idées, dans un style plutôt simple, un plaisir à lire et l'impression d'être intelligent.

Extraits.
   Ce que nous appelons « travail » est une invention de la modernité. La forme sous laquelle nous le connaissons, pratiquons et plaçons au centre de la vie individuelle et sociale, a été inventée, puis généralisée avec l’industrialisme. Le « travail », au sens contemporain, ne se confond ni avec les besognes, répétées jours après jour, qui sont indispensables à l’entretien et à la reproduction de la vie de chacun ; ni avec le labeur, si astreignant soit-il, qu’un individu accomplit pour réaliser une tâche dont lui-même ou les siens sont les destinataires et les bénéficiaires ; ni avec ce que nous entreprenons de notre chef, sans compter notre temps et notre peine, dans un but qui n’a d’importance qu’à nos propres yeux et que nul ne pourrait réaliser à notre place. S’il nous arrive de parler de « travail » à propos de ces activités – du « travail ménager », du « travail artistique », du « travail » d’autoproduction – c’est en un sens fondamentalement différent de celui qu’a le travail placé par la société au fondement de son existence, à la fois moyen cardinal et but suprême.

***
   L’inégale répartition du travail de la sphère économique et l’inégale répartition du temps que libère l’innovation technique conduisent ainsi à ce que les uns puissent acheter un supplément de temps libre à d’autres et que ceux-ci en sont réduits à se mettre au service des premiers. Cette stratification-là de la société est différente de la stratification en classes. A la différence de cette dernière, elle ne reflète pas les lois immanentes au fonctionnement d’un système économique dont les exigences impersonnelles s’imposent aux gérants du capital, aux administrateurs des entreprises autant qu’aux salariés ; pour une partie au moins des prestataires de services personnels, il s’agit cette fois d’une soumission et d’une dépendance personnelle vis-à-vis de ceux et de celles qui se font servir. Une classe servile renaît, que l’industrialisation, après la seconde guerre mondiale avait abolie.

- Nicolas Bouvier.- Premiers écrits.
   Le grand voyageur, mais avant tout grand écrivain. Il m'a un peu accompagné au Japon. Ici, il m'emmène en Finlande et en Algérie.

vendredi 9 mars 2018

On y croit !

    Je souris en moi-même. Une telle obsession de lire et de me former, pourquoi ? J'aurai beau lire, jamais je ne serai capable de posséder des connaissances économiques et sociologiques qui me permettent d'analyser sans l'aide de techniciens une situation, un pays ou un moment historique. C'est bien joli de dire, comme le font les intellectuels ouvriéristes, que "les ouvriers savent ce qu'ils veulent", que "leur université est l'usine, et leur savoir l'expérience de l'exploitation", etc. La vérité est que notre ignorance est grande et qu'on peut facilement nous tromper ; que notre dénuement extrême nous pousse à faire confiance à celui qui se déclare notre ami ; que nous attendons beaucoup d'une aide extérieure à la classe. Toute notre vie à exécuter des ordres, à faire un travail où le moindre geste est déjà prévu... notre sens de l'initiative est émoussé ; notre capacité d'organisation ne dépasse pas le cadre familial, à condition que la femme tienne les comptes et s'occupe des enfants. Cela nous coûte de déchiffrer un texte, rédiger un tract est un travail ardu, exprimer notre pensée un martyre. Penser, même, nous est difficile, les idées nous échappent comme des poissons glissants qui ne se laissent pas prendre. Il est certain que nous avons toujours été culturellement aliénés et nous avons cependant été capables de faire des révolutions triomphantes. Mais la capacité de mystification qu'a aujourd'hui la société capitaliste est beaucoup plus grande que par le passé. Nous sommes à l'ère technique, et, comme le dit Debray, la révolution révolutionne plus rapidement les bourgeois que les révolutionnaires. L'armée comporte actuellement des groupes spécialisés dans la lutte antiguérilla, alors qu'il n'existe pas un seul guérillero. La police utilise l'électronique pour contrôler les téléphones, les conversations et les personnes. L’État utilise les techniques modernes de propagande pour dissuader, convaincre, endormir. Le capitalisme s'organise au niveau international.


   Et nous, pendant ce temps, nous continuons à nous donner rendez-vous à 6 heures au bistrot du coin, en arrivant en retard, avec le paquet de propagande sous le bras, parfois imprimée avec un rouleau de photographe, comme Lucha Obrera. Dès que nous sommes six dans un même groupe, nous sommes prêts à organiser une fraction. Sur le plan de l'organisation et de l'idéologie, on n'a pas avancé depuis 1936 ; au contraire, il ne reste que les critères d'organisation et d'idéologie les moins révolutionnaires. C'est peut-être pour cela qu'ils subsistent.

   Malgré notre indigence individuelle et de classe, nous sommes convaincus que la victoire sera à nous, les militants, parce que nous luttons dans le sens de l'histoire, et l'histoire conduit nécessairement vers le socialisme. Si nous la poussons, elle ira plus vite ; sinon, elle ira plus lentement ; mais de toute façon, personne ne peut arrêter la marche de l'histoire. Ceux qui n'avaient pas cette foi abandonnaient rapidement, car les difficultés semblent insurmontables. Pour être authentique, pour ne pas être une foi aveugle, elle doit se nourrir aux sources de l'analyse marxiste du développement historique, à la lumière des rapports de production qui se succèdent au long des siècles. Ce qui est mauvais, c'est que le schéma du "sens de l'histoire", avec celui de la "classe ouvrière, seule classe révolutionnaire", se transforme en phrases stéréotypées, acceptées comme elles viennent, comme auparavant on acceptait "Dieu unique en trois personnes" ou la "présence réelle sous les espèces du pain et du vin". Combien de militants aujourd'hui sont capables d'expliquer leur foi à la lumière de l'évolution de la société capitaliste et des classes qui la composent ?


   Le militant, qui est plus activiste que révolutionnaire, s'écroule quand l'action vient à lui manquer. C'est pourquoi on insistera jamais assez sur la formation pour nourrir ce "nous luttons dans le sens de l'histoire". Seule cette foi, réfléchie et assimilée, gardera vivante la petite flamme révolutionnaire dans les moments de découragement, lorsque tous les horizons semblent bouchés.

   Je me réconciliai avec la théorie et la nécessité de la formation.


Extrait de Barcelone : l'espoir clandestin, de Julio Sanz Oller, en promo chez CQFD, courez-y vite si vous voulez vous former !

jeudi 10 septembre 2015

Un enseignement spirituel

« « Vous n’avez jamais écrit de roman authentiquement spirituel, lui dit le flic d’une voix lente, dont chaque mot était soigneusement articulé. C’est votre plus grande défaite secrète, et elle est à la source de votre comportement brillant et prétentieux. Vous ne vous intéressez pas à votre nature spirituelle. Vous vous moquez de Dieu qui vous a créé, et ce faisant vous mortifiez votre propre pneuma et glorifiez la boue qu’est votre sarx. Me comprenez-vous ? »

Ne vivons plus comme des esclaves !

Johnny ouvrit la bouche, la referma. Parler ou ne pas parler, telle était la question. Le flic résolut ce dilemme pour lui. Sans lever les yeux du volant, sans même un coup d’œil dans le rétroviseur, il posa les deux canons du fusil sur son épaule droite et les pointa vers l’arrière. Johnny s’écarta instinctivement, glissant vers la gauche, tentant de s’éloigner de ces énormes trous noirs.
Bien que le flic n’eût toujours pas levé les yeux, l’arme le traqua avec la précision d’un servomoteur contrôlé par radar.
Il a un miroir sur les genoux, forcément, se dit Johnny. Mais à quoi cela lui servirait-il ? Il ne pourrait rien voir d’autre que le toit de cette putain de voiture. Qu’est-ce qui se passe donc, ici ?
« Répondez-moi », dit le flic d’une voix sombre et triste.
Il avait toujours la tête baissée. La main qui ne tenait pas l’arme continuait à tapoter le volant. Une bourrasque de vent secoua la voiture, projetant du sable et de la poussière alcaline sur la fenêtre. «Répondez-moi tout de suite. Je n’attendrai pas. Je n’ai pas à attendre. Il y en a toujours un autre qui passe. Alors… Est-ce que vous comprenez ce que je viens de vous dire ?
- Oui, dit Johnny d’une voix tremblante. Pneuma est le vieux mot savant désignant l’esprit. Sarx est le corps. Vous avez dit, corrigez-moi si je me trompe… - mais pas avec le fusil, s’il vous plaît, ne me corrigez pas avec le fusil… - que j’ai ignoré mon esprit au profit de mon corps. Et il est possible que vous ayez raison. C’est très possible. »

Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres !

Il glissa à nouveau vers la droite. Les canons du fusil suivirent précisément ses mouvements, bien qu’il eût pu jurer que les ressorts de son siège n’avaient pas fait le moindre bruit et que le flic ne pouvait pas le voir sans moniteur de télévision ou…
« Me lèche pas les bottes, dit le flic avec un soupir. Ton destin n’en sera que pire.
- Je… Je suis désolé… Je n’ai pas voulu…
- Sarx n’est pas le corps ; le corps, c’est soma. Sarx, c’est la chair du corps. Le corps est fait de chair – comme le mot est devenu chair par la naissance de Jésus-Christ -, mais le corps est plus que la chair qui le compose. La somme est plus grande que ses parties. Est-ce si difficile à comprendre pour un intellectuel de ton acabit ? »
Le fusil, toujours en mouvement, le traquait comme un autogyre.
« Je… Je n’ai jamais…
- Oh, je t’en prie. Même un naïf spirituel commet toi doit comprendre que du poulet en sauce n’est pas un poulet. Pneuma… soma… et s-s-s… »

Tous solidaires ce s’ra pas long, pour faire la nique au patron !

Sa voix était épaissie et il cherchait son souffle, tentant de parler comme une personne qui veut terminer sa phrase avant d’éternuer. Il laissa soudain tomber le fusil de chasse sur le siège et inspira profondément (le vieux siège craqua et recula un peu plus, coinçant à nouveau le genou de Johnny), et lâcha tout. Ce qui sortit de la bouche et du nez du géant n’était pas du mucus mais du sang et une substance rouge filandreuse comme du nylon. Ce truc éclaboussa le pare-brise, le volant, le tableau de bord, dégageant une odeur horrible de viande pourrie.
Johnny se cacha le visage dans les mains et cria. Il lui était impossible de ne pas crier. Il sentit ses yeux battre dans leurs orbites, et l’adrénaline rugir dans son système nerveux, sous l’effet du choc.
« Bon sang, rien de pire qu’un rhume d’été, hein ? » demanda le flic de sa voix sombre et légère à la fois.
Il se racla la gorge et cracha un caillot de la taille d’une pomme sauvage sur le tableau de bord, où il resta collé un instant, avant de dégouliner sur la radio comme une limace innommable, laissant derrière une traînée de sang, pour se retrouver une seconde suspendu sous la radio, et tomber finalement sur le tapis de sol avec un bruit mat.
Johnny ferma les yeux derrière ses mains et gémit.
« Ca, c’était sarx, dit le flic en lançant le moteur. Vous voudrez sans doute vous en souvenir… j’allais dire « pour votre prochain livre », mais je ne crois pas qu’il y aura un prochain livre. Et vous, monsieur Marinville ? »
Johnny ne répondit pas, gardant les mains sur ses yeux clos. Il songea que peut-être rien de tout cela ne se passait vraiment, qu’il se trouvait dans un asile, quelque part, en proie aux plus horribles hallucinations qui soient. Mais au fond de son cerveau, il savait que ce n’était pas le cas. La puanteur que l’homme avait éternuée… »

Ça c'est le rocher. Le prophète que tu veux est derrière.

Sauras-tu découvrir l'auteur de ce charmant "évangile" ? Sois beau joueur et un peu militant, ne demande pas à la "goole" vorace et off shore...

jeudi 2 juillet 2015

Pour ne pas finir pituiteux

Bon, les deux articles précédents ayant été plombants, pour équilibrer un peu nos états de vie, voici un petit pensum de philosophie du quotidien. Bien sûr la vie est parfois cruelle, il y a la maladie, la mort, la vieillesse, Europe 1, entre autres. Bien sûr le dispositif mondial de maintien de l'ordre dominant amène son lot de misère, de guerre, de vitrification de notre environnement, et de domestication généralisée, et la vie qui sourd de chacun de nous ne peut qu'être insatisfaite du peu de cas que nous faisons du cadeau inestimable qu'elle représente pourtant, à moins que, et c'est malheureusement souvent le cas, nous soyons maintenu dans un déni de nos aspirations à la liberté par la propagande et les divertissements que nous inocule ce même dispositif dès notre conception. Nous avons raison d'être critique, raison de nous révolter.

Mais cette critique reste souvent impuissante, et le risque est de ricocher dans la déprime. Ce qui à mon avis nous rend plus vulnérables encore à la soumission.

Donc une simple mais effective philosophie de la vie nous invitant à être attentif malgré tout à tout ce qui fait qu'elle vaut la peine d'être vécu, surtout pour les plus jeunes d'entre nous, et même si la lutte peine à payer, ne ma parait pas contre-révolutionnaire.

Je cite donc :

" Je vous suppose, mon cher lecteur, à l’âge de vingt ans et occupé à devenir homme en meublant votre esprit des connaissances qui doivent vous rendre un être utile par l’action du cerveau. Le recteur entre et vous dit : « Je t’apporte trente ans de vie, c’est l’arrêt immuable du destin ; quinze années consécutives doivent être heureuses, et quinze autres malheureuses. Tu as l’option de choisir par quelle moitié tu veux commencer. » Avouez-le, cher lecteur, vous n’aurez pas besoin de longues réflexions pour vous décider, et vous commencerez par les années de peines ;

Eddy Louiss est mort le 30 juin 2015 : chienne de vie

car vous sentirez que l’attente de quinze années délicieuses ne pourra manquer de vous donner la force nécessaire pour supporter les années douloureuses ; et nous pouvons même conjecturer avec assez de vraisemblance que l’attente d’un bonheur assuré répandra une certaine douceur sur la durée des peines.

Charles Pasqua n'est pas éternel. Il est important d'espérer.

Vous avez déjà deviné, j’en suis sûr, la conséquence de ce raisonnement. L’homme sage, croyez-moi, ne saurait jamais être entièrement malheureux ; et j’en crois volontiers mon ami Horace qui dit qu’au contraire, il est toujours heureux : nisi quum pituita molesta est (à moins qu’il ne soit tourmenté par la pituite).

Mais quel est le mortel qui a toujours la pituite ?"

Giacomo Casanova

Pituite = Liquide glaireux, constitué d'un mélange de salive et de sécrétions oesophagiennes, rejeté le matin à jeun à la suite d'un spasme du cardia, par des sujets souffrant d'affections gastriques, notamment de la gastrite alcoolique.