jeudi 21 janvier 2021

La dose de Wrobly : nivôse 2020-2021 EC


- Jules Vallès.- L'Enfant.
   Il y a 35 ans que j'aurais dû lire ce roman, quand j'ai commencé à me passionner pour la geste révolutionnaire et l'épopée anarchiste, et naïvement fantasmé pouvoir y participer notablement. D'autant qu'il fait partie il me semble de ces pépites subversives enseignées parfois malgré tout au collège, désamorcés et falsifiés le plus souvent certes, comme 1984 d'Orwell, autre monument de la critique sociale radicale que j'ai lu tardivement alors que son auteur était pour moi un modèle, une figure tutélaire, un maître... par le bouche à oreille et ce que j'en avais lu dans la presse. Le communard Vallès me semble de même avoir toujours fait partie de mon panthéon personnel, alors que je ne l'avais pas lu. Certes, ces deux écrivains étaient aussi des activistes, ayant mouillé leur chemise, connu la prison pour Vallès et risqué leur peau en pratiquant la critique des armes. C'est surtout pour cela que je les vénérais et que le je les adule encore.
Vallès et Vingtras étaient d'origine paysanne. Écœurés par l'arrivisme petit bourgeois de leurs parents, ils gardaient un amour sensuel et affectif pour les mœurs et le milieu des campagnes. Ici la zad du Triangle de Gonesse (95), mobilisée le dimanche 17 janvier 2021 contre la gare en plein champs prévue par les autorités dans le but d'urbaniser les terres agricoles pour des entrepôts, Amazon, Auchan ou autres.

   Mais après avoir lu l'Enfant, je peux dire en toute sincérité que le Vallès littérateur n'a rien à envier en vertu au Vallès combattant. J'ai dévoré ce roman autobiographique, le narrateur et jeune personnage principal Jacques Vingtras possédant de nombreux traits de personnalité de l'auteur et ayant vécu à quelques licences romanesques près la même vie. Aucun temps mort, aucune longueur. Et, ce qui m'a le plus surpris, que j'ignorais : cette description de la vie d'un enfant martyr est pleine d'humour, un humour efficace qui m'a fait rire, souvent, c'est assez rare pour le signaler ! Et ces métaphores et comparaisons savoureuses, colorées, naturalistes ou oniriques, contribuant beaucoup à l'humour par leur côté insolite et concret. Quel talent ! Et puis, toutes proportions gardées, les chemins, personnalités et époques différant forcément, je me suis un peu identifié à cet enfant trouvant une résilience à tant de souffrances et de tristesse dans le désir de révolte et de fraternité, dans le sentiment d'appartenance aux cohortes de tous les opprimés.
   Combien de temps s’égrainera avant que je lise la suite de la trilogie ? Autant que pour ma rencontre avec l'Enfant ? Le Bachelier et l'Insurgé viendront-ils à moi avant le croque-mort ? Vous le saurez en lisant les prochains épisodes de la Dose de Wrobly...

   A lire aussi, plus actuel : Lyes Louffok.- Dans l'enfer des foyers.- J'ai lu.

- Dr Christophe Fauré.- S'aimer enfin.
   "Chaque jour, chaque semaine apporte son lot de souffrances et d'espoirs vains. De magnifiques personnes meurent, les unes après les autres. Aucun traitement efficace n'enraye la maladie. Pas du tout préparé à cela, j'accompagne des malades en fin de vie à peine plus âgés que moi. Le sida fait peur, mais j'éprouve une étrange fierté à être présent auprès de ceux et celles qu'on rejette comme des pestiférés. Chacun des soignants de ce service semble animé par cette ferveur, le souci farouche de protéger ceux qui sont vulnérables. Le mot "hospitalier" prend une dimension qui m'avait échappé jusque là."
   On m'a offert ce livre, je ne me souviens plus qui (d'où l'intérêt des dédicaces, en plus du petit exercice créatif), pourtant c'est récent, le dépôt légal est d'octobre 2019... Je ne pense pas que cette personne lise ce blog, mais je la remercie de nouveau ici pour cette gentille attention.
S'aimer, c'est aussi aimer notre milieu de vie commun, à nous autres, animaux et végétaux, et se battre pour le défendre. Ici un opposant à la gare de métro en plein champs du Triangle de Gonesse (95), se dirigeant vers l'entrée du chantier en portant un génie, le 17 janvier 2021.

    L'argument : un psychiatre, semble-t-il médiatique, pétri par la dépression, en arrive à se fait moine bouddhiste tibétain en Périgord. Au bout de deux ans, lors d'un pélerinage en Inde, il a une révélation fulgurante de sa mission en ce monde et décide de rendre sa robe et de se consacrer de nouveau à la médecine.

- Charles Baudelaire.- Correspondance II : 1860-1866.
   Le 9 avril prochain Baudelaire aurait eu 200 ans. J'entame donc le tome II de sa correspondance, ce qui clôturera pour moi la lecture de l'ingégralité de ses écrits. J'ai évidemment moins de sympathie pour le personnage que pour Orwell ou Vallès, ce fut plutôt un sale con dans le quotidien, même s'il a beaucoup souffert, de la pauvreté (ce qui ne fait pas naître en lui le moindre sentiment de solidarité à l'égard des damnés de la terre, au contraire, contrairement à Vallès, de douze ans son cadet), mais aussi de la dépendance aux drogues, et en cela je ne peux qu'avoir une certaine compassion pour lui. Mais même s'il fut parmi les insurgés en juin 48, il renonça ensuite à toute préoccupation politique et afficha des positions réactionnaires, par provocation peut-être, par le sentiment toujours plus aigû de sa supériorité aristocratique, puis par une misanthropie qui croitra jusqu'à la haine xénophobe envers nos amis Belges qu'il exprima dans ses pamphlets, parmi les plus violents qu'écrivain produisit contre un peuple. Ce deuxième tome illustre d'ailleurs cette descente progressive de l'orgueil à l'arrogance, de l'arrogance au mépris, du mépris à la haine. En 1866, Baudelaire aura un genre d'attaque cérébrale, à la suite duquel il ne prononcera plus, pendant un an et jusqu'à sa mort, que ces mots, résumant son état de vie : Crénom ! Le grand poète romantique auteur du majestueux et magnifique Albatros : Crénom ! Pour ceux qui n'auraient pas envie de se fader les oeuvre complètes et toute la correpondance pour cerner le personnage, vient de sortir, d'après ce que ma mère m'a dit qui l'a vu à la télé donc c'est que c'est vrai, un livre de Jean Teulé intitulé justement Crénom, Baudelaire !. Je ne sais pas ce ce que ça vaut, mais crois avoir compris que ça balaye tout le côté anecdotique de la vie du purotin qui rêvait de gloire et de puissance en se camant au laudanum et en tapant (financièrement) sa mère ainsi que toute personne susceptible de lui prêter 100 francs, 50 si ce n'est pas possible.
Végétal irrégulier.

   Cela aurait pu être le rêve d'un aménageur qui, comme notre poète, lutterait de manière obsessionnelle contre tout morceau de morale dans l'art : l'abolition du vivant dans un radieux monde vitrifié.

Rêve parisien

 À Constantin Guys.

I

De ce terrible paysage,
Tel que jamais mortel n'en vit,
Ce matin encore l'image,
Vague et lointaine, me ravit.

Le sommeil est plein de miracles !
Par un caprice singulier,
J'avais banni de ces spectacles
Le végétal irrégulier,

Et, peintre fier de mon génie,
Je savourais dans mon tableau
L'enivrante monotonie
Du métal, du marbre et de l'eau.

Babel d'escaliers et d'arcades,
C'était un palais infini,
Plein de bassins et de cascades
Tombant dans l'or mat ou bruni ;

Et des cataractes pesantes,
Comme des rideaux de cristal,
Se suspendaient, éblouissantes,
À des murailles de métal.

Non d'arbres, mais de colonnades
Les étangs dormants s'entouraient,
Où de gigantesques naïades,
Comme des femmes, se miraient.

Des nappes d'eau s'épanchaient, bleues,
Entre des quais roses et verts,
Pendant des millions de lieues,
Vers les confins de l'univers ;

C'étaient des pierres inouïes
Et des flots magiques ; c'étaient
D'immenses glaces éblouies
Par tout ce qu'elles reflétaient !

Insouciants et taciturnes,
Des Ganges, dans le firmament,
Versaient le trésor de leurs urnes
Dans des gouffres de diamant.

Architecte de mes féeries,
Je faisais, à ma volonté,
Sous un tunnel de pierreries
Passer un océan dompté ;

Et tout, même la couleur noire,
Semblait fourbi, clair, irisé ;
Le liquide enchâssait sa gloire
Dans le rayon cristallisé.

Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges
De soleil, même au bas du ciel,
Pour illuminer ces prodiges,
Qui brillaient d'un feu personnel !

Et sur ces mouvantes merveilles
Planait (terrible nouveauté !
Tout pour l'œil, rien pour les oreilles !)
Un silence d'éternité.

II

En rouvrant mes yeux pleins de flamme
J'ai vu l'horreur de mon taudis,
Et senti, rentrant dans mon âme,
La pointe des soucis maudits ;

La pendule aux accents funèbres
Sonnait brutalement midi,
Et le ciel versait des ténèbres
Sur le triste monde engourdi.

Charles Méryon (né la même année que Baudelaire,1821, et mort à 46 ans également).- Le derrière de Notre-Dame, le quai de la Tournelle. Baudelaire a écrit une appréciation de son talent. "Je lui ai promis de rédiger un texte pour ses gravures. Or, si tu peux comprendre tout ce qu'il y a d'insupportable dans la conversation et la discussion avec un fou, tu penseras comme moi que je paye mes albums fort cher." Lettre à sa mère du 4 mars 1860.

   J'entendais une fois de plus hier à la radio Recueillement et Je te donne ces vers... et je me suis fait la réflexion qui concluera cet article, à savoir que, si je trouve certains poèmes de Baudelaire magnifiques, qu'ils me font du bien, et si je peux trouver aussi dans le personnage de Charles un certain comique de caractère, dans ses excès, son côté entier, teigneux, finalemenet, ce que je préfère dans Baudelaire, c'est Léo Ferré.

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