L'ordure capitaliste est ce rat, ce bâtard, qui vous parle de "joindre et de toucher quelqu'un" avec un téléphone, ou qui vous ordonne : "Soyez là !" Là ? Où ça ? Tout seul en face d'une saloperie de télévision ? Ces goules sorties d'un cauchemar de Lovecraft sont en train d'essayer de vous transformer, après vous avoir bien broyé, bien vidé de votre sang, en un pathétique petit rouage estropié de la machine-à-mort de l'âme humaine - et ne commençons pas à partir en de jésuitiques querelles théologiques à propos de ce que nous entendons par "âme" ! Combattez-les, combattez-les en rencontrant vos amis, pas pour consommer, ni pour produire, non, pour prendre plaisir à l'amitié - et vous aurez triomphé, au moins un temps, de la plus pernicieuse des conspirations à l'oeuvre aujourd'hui dans nos sociétés euro-américaines, cette conspiration qui œuvre à faire de vous un cadavre vivant qu'animent des prothèses et la terreur du manque, qui œuvre à faire de vous un fantôme qui hante son propre cerveau. Ce n'est pas une affaire subalterne : c'est une question d'échec ou de triomphe !
Un petit livre (78 pages) passionnant, bourré d'élans du cœur, d'idées et de références de l'anarchiste ontologique Peter Lamborn Wilson, alias Hakim Bey.
"La fin du moderne ne signifie pas un retour au paléolithique mais un retour du paléolithique."
- Lois Mc Master Bujold.- Ekaterin / Le Poison du mariage.
La suite de la saga Vorkosigan est proprement hilarante, sans préjudice du suspense et d'une galerie de personnages tous mieux dessinés les uns que les autres.
"On dirait un croisement entre un cafard, un termite et... et... et une pustule." [...] Heureusement qu'ils n'avaient pas montré à Miles une colonie entière de punaises à beurre ou, pis encore, une reine. "C'est comme du miel, expliqua courageusement Mark. Un peu différent."
"Une tradition populaire met en garde contre l’idée de raconter ses rêves le matin, à jeun. Dans cet état, en effet, l’homme éveillé est encore sous l’emprise du rêve. Car la toilette ne rappelle à la lumière que la surface du corps et ses fonctions motrices visibles, alors que, dans les couches inférieures, pendant que nous faisons notre toilette, la pénombre grise du rêve persiste et se renforce même dans l’isolement de la première heure de veille. Celui qui appréhende d’entrer en contact avec le jour, que ce soit par peur des hommes ou parce qu’il veut se recueillir, peu importe, ne désire pas manger et dédaigne le petit déjeuner. Il évite ainsi la rupture entre le monde de la nuit et celui du jour. Une précaution qui ne se justifie que si l’on consume le rêve dans une tâche exigeant concentration, à défaut de le consumer dans la prière, mais qui peut conduire, autrement, à une confusion des rythmes de vie. Dans cette représentation, transcrire ses rêves est funeste, car l’homme, encore à moitié complice du rêve, le trahit avec ses mots et doit s’attendre à ce qu’il se venge. Pour le dire dans le langage d’aujourd’hui : il se trahit lui-même. Il a quitté la protection de la naïveté onirique et s’abandonne à lui-même en touchant à ses visions de rêve sans les maîtriser. Car c’est seulement de l’autre rive, dans la clarté du jour, qu’on peut raconter le rêve, à l’aide d’un souvenir capable de le maîtriser. Cet au-delà du rêve ne peut être atteint que par une purification analogue à la toilette et pourtant totalement différente d’elle. Cette purification passe par l’estomac. L’homme à jeun parle encore du rêve comme s’il parlait dans son sommeil."
Albert Welti. Nuit de lune [Mondnacht].
- Lois McMaster Bujold.- Komarr.
Grand plaisir de retrouver Miles Vorkosigan, viré des services secrets mais désormais Lord Auditeur de Barrayar, débarquer sur la planète Komarr pour y enquêter sur la destruction de son miroir solaire. Il y rencontre une famille à l'homme manipulateur et agressif, mais dont la femme n'est pas sans l'attirer puissamment... Je débute donc dans le suspense le tome 5 de la saga !
Moi, Charles Fourier, m'associe aux membres du département de philosophie de l'Université Paris 8 de Saint-Denis afin de vous faire part du décès de René Schérer, survenu le 1er février 2023, et vous partage ce message rédigé par ses collègues Stéphane Douailler et Emmanuel Pehau.
Le département de philosophie de l’Université Paris 8 a la tristesse d’annoncer le décès de René Schérer survenu le 1erfévrier 2023. Un moment de recueillement à la chambre funéraire de Châtillon a réuni hier ses proches, collègues et ami.es, avant que son corps ne rejoigne la ville de Tulle où il sera inhumé dans un caveau familial.
René Schérer appartenait à la génération fondatrice à la fois de notre université (à travers le Centre Expérimental de Vincennes, dont il occupa souvent les bâtiments administratifs sans jamais y siéger) et de notre département (où il enseigna dès le premier semestre). Entré pour enseigner (bientôt par les actes autant que par la parole) la "critique de l'idéologie pédagogique", il devint un réformateur autant qu'un agitateur de l'institution en fondant, avec Châtelet, Deleuze et Lyotard l'Institut Polytechnique de Philosophie (qui permit de délivrer des diplômes de valeur, en particulier à la population étudiante d'origine étrangère, dans un département alors privé d'habilitation nationale), avant de reprendre, après la mort de son camarade de tous les combats, François Châtelet, la reconstruction et la réhabilitation du cursus de philosophie. Il sera le premier responsable, du milieu des années 1980 au début des années 1990, de la formation doctorale en philosophie, d'abord seul puis, après sa retraite, comme conseiller de son complice en phénoménologie Arion Kelkel.
S’il fut l’un des premiers à rejoindre le Centre expérimental de Vincennes, il fut peut-être aussi celui qui honora jusque dans l’âge le plus avancé la mission d’enseignement et de recherche qu’il avait alors acceptée. Ce n’est qu’après 2018, alors qu’il voyait arriver le moment de devenir centenaire, qu’il mit fin à son célèbre séminaire. Lorsque le jeudi soir René Schérer, entouré de quelques étudiant.es, arrivait au département de philosophie, quelque chose comme une autre temporalité sensible s’installait. Se faisant entendre depuis un espace circonscrit imposé par la relative surdité de René, une voix d’une tonalité très particulière s’élevait, instituait une scène inimitable d’écoute et d’échange, agrégeait autour d’elle comme autour d’un colombarium qui aurait été conçu pour donner leur envol à des idées philosophiques inouïes.
René Schérer laisse une œuvre importante composée de près d’une trentaine de livres publiés en nom propre ou en collaboration entre 1961 et 2017, qui l’aura mené d’un travail de présentation et de traduction de la phénoménologie husserlienne comprenant notamment la mise à la disposition du public français des quatre volumes des Recherches Logiques de Husserl vers l’analyse philosophique de la communication prise pour sujet de sa thèse, avant que l’impact des événements de 1968 sur les tâches, méthodes et horizons qui s’ouvraient au travail philosophique ne l’oriente vers un long et personnel chemin de réflexion, où, s’aidant de Charles Fourier, Gabriel Tarde et Gilles Deleuze, il ne cessera de remettre sur le chantier la question du mode de fabrication des sujets humains et des rapports que crée et autorise entre eux une civilisation qui se laisse régulièrement convaincre de s’en tenir aux schémas de compréhension qu’elle a déjà plaqués sur le miroitement infini de la vie. Accordant une attention exceptionnelle aux possibles dont le désir multiforme de « changer de vie et de société » d’après 1968 ne cessa de produire des images variées, il se reconnut dans la tâche d’entreprendre l’édification d’un imaginaire rigoureux dans lequel l’homosexualité, admise à prendre le rôle et la fonction de donnée immédiate de la conscience, apprendrait à impulser un examen de grande ampleur critique, utopique, poétique des catégories et constructions des sciences humaines et sociales qui connaissaient au cours des mêmes années un essor et un renouvellement considérables. Les reconfigurations qu’il proposa de la question éducative et de la question de l’hospitalité se sont propagées au-delà des frontières.
Outre ses livres et ses nombreuses conférences, pour partie perdues, quatre films tournés entre 1975 et 2016 continueront d’attester jusque dans la mémoire de la contre-culture l’autre manière de voir ainsi que l’autre ambition de penser que René Schérer essaya de faire advenir.
Bibliographie partielle et partiale : Charles Fourier ou la Contestation globale, Paris, Seghers, 1970; réédition Paris, Séguier, 1996. L’Âme atomique. Pour une esthétique d’ère nucléaire (avec Guy Hocquenghem), Paris, Albin Michel, 1986. Pari sur l’impossible. Études fouriéristes, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 1989. L’Écosophie de Charles Fourier, Paris, Economica, 2001. En quête de réel. Réflexions sur le droit de punir, le fouriérisme et quelques autres thèmes – Entretien avec Tony Ferri, Paris, L'Harmattan, 2014. Fouriériste aujourd'hui, suivi de Études et témoignages, sous la dir. de Yannick Beaubatie, Tulle, Éditions Mille Sources, 2017.
Je poursuis la lecture de ce pavé commencé ici. Je réalise que, à ce stade de sa vie et de son oeuvre en tout cas (tous les contes sont juxtaposés par ordre chronologique d'écriture, la compilation traditionnelle due au traducteur Baudelaire en Histoires extraordinaires, Nouvelles histoires extraordinaires, etc. étant ici ignorée), à ce stade donc, Poe est avant tout un satiriste et un parodieur. Ces contes les plus angoissants, morbides, ésotériques, merveilleux, gothiques... sont en fait des pastiches à charge des littérateurs de son temps. Même si parfois je rigole bien quand la satire devient caricaturale, je suis tout de même un peu déçu : quand j'étais minot j'avais tout lu au premier degré, et j'avais pris bien du plaisir à avoir les jetons ! Mais cela dit, certaines obsessions de l'auteur traversent quand même parfois la satire, et on aborde alors, au-delà de la critique, à une véritable littérature d'épouvante.
- Thierry Jonquet.- Jours tranquilles à Belleville.
Jonquet est peut-être mon auteur de polar français préféré, un virtuose de l'angoisse et du suspense, doublé d'une exposition des saloperies de notre monde, à la fois réaliste et gore dans l'effet loupe de sa focale littéraire. J'ai tout lu maintenant, sauf le truc posthume reconstitué, ça sent trop le business. Mais là il est un peu déconcertant. Il enfonce des portes ouvertes (la misère ne tire pas vers le haut, fait de ses victimes des personnes moins policées que qui bénéficie d'un certain confort et d'une certaine liberté, la jeunesse dépossédée devient parfois turbulente, trompant son ennui par des jeux dangeureux, avec de possibles dérives maffieuses, violentes, ou bien des chutes dans les paradis artiriciels durs... en restant souvent éloignée de la culture révolutionnaire généreuse, comme les autres classes ou sous-classes d'ailleurs, puisque l'idéologie de prédation de la classe dominante est l'idéologie dominante, y compris, et avec la brutalité que leur condition peut créer, celle des classes dites dangereuses. Après avoir emménagé à Belleville dans un néo-quartier kafakaïen opposant spatialement petite bourgeoisie intellectuelle et damnés de la terre, séparés par une grande esplanade déserte et sans vie de quartier, Jonquet découvre les apaches de les loubards. Sauf que quasimment tous ceux-là, dans le Belleville de la fin de années 90, sont magrhébins, c'est lui qui l'écrit. Certes, ce constat reste d'un homme de gauche, qui ne manque pas de stigmatiser aussi urbanistes, sociologues de gouvernement, inégalité, chômage, prison comme perspective et qui déplore le vote Le Pen, même si il affirme que son meilleur promoteur est "la bande à nique ta mère" elle-même (alors qu'on sait que des campagnes reculées, sans cités ni immigrés, sont parfois dominées elles-aussi par le vote d'extrême droite). Il décrit un Belleville très noir, mais ici ce n'est pas un roman. Ça fait vraiment flipper, on se représente une armée de clochards, de dealeurs et de toxicomanes, de "racailles" à mobylettes ou à pitt-bull accomplissant au quotidien un massacre de femmes et d'enfants, catégories de population que Jonquet invoque souvent pour mettre en avant ce qu'il considère comme un scandale. Certes, vivre dans la peur des incivilités, de se faire dépouiller ou cogner, constater la connerie, même et peut-être surtout venant des pauvres, pour un ancien trotskyste qui se veut fidèle à ses vieux rêves, quand soi même on a toujours voulu prendre leur parti, et qu'on a de quoi se loger et vivre, certes, mais qu'on n'est ni Bernard Arnault, ni un commerçant plein aux as grugeant le fisc, ni un flic, ni un tonton flingueur, comme pour moi (bordélisé pendant 10 ans par des jeunes du 93, volé dans ces établissements scolaires comme sous les tours à la portière, baffé lycéen parce qu'apeuré, réceptacle de pierres en me rendant au turbin...) ça peut créer des tensions. Mais là, on ne voit que le côté méprisable et haïssable des classes populaires et du sous-prolétariat soumis à l'ordre des forts et recherchant les plus faibles à exploiter primitivement, aucun côté lumineux. Et on ressent chez Jonquet la haine et l'aigreur d'être confronté au quotidien à l'inconfort de cette gentrification à-demi. Certes, il a, en plus, peur pour son enfant. Même s'il ne donne pas de solution qui serait satisfaisantes pour des révolutionnaires qui devront ralier une majorité des classes les plus pauvres pour pouvoir éspérer voir efficacement et durablement faire bouger les choses vers le communisme (anarchiste en ce qui me concerne), ses quelques remarques de gauche humanistes font malgré tout qu'on ne l'assimile pas tout à fait à l'un de ceux auxquels s'adressait Nicolas Sarkozy dans sa célèbre adresse du 26 octobre 2005 à Argenteuil : "Vous en avez assez de cette bande de racaillles, on va vous en débarrasser". Je n'ai pas fini le livre, mais pour le moment Jonquet ne parle pas d'Islam, les jeux bruyants et dangereux, la bêtise, la drogue, les incivilités et la délinquance demeurant à ce stade les seuls stigmates exposés par la description de la "bande à nique ta mère". Jonquet nous a tellement jouissivement embarqué dans son suspense et son épouvante dans ses romans, qu'on lui accorde de ne critiquer ici que les idéologies dominantes dégradées (virilisme, business, loi du plus fort...) et les causes des réactions violentes et agressives provoquées par le capitalisme rapace, plus qu'une détestation diffuse des personnes aux cheveux crépus et habillées en survêtements premiers prix, qui chercherait tous les bons alibis de gauche pour se justifier, et on choisit de croire que, s'il avait vécu, il n'aurait pas tourné Charlie.
Ce petit livre est sorti en 1999. Je ne sais pas trop comment à tourné Belleville depuis, j'y passe rarement et je n'y vis pas. Ce qui est sûr c'est que celui-ci fait bigrement moins envie que celui, foutraque et haut en couleurs, de Daniel Pennac.
Tromboniste de jazz actuel, Ryan Porter opère la rencontre du jazz et du hip hop, ce qui le rend sacrément branché. Influencé par Herbie Hancock, on ne peut que kiffer, il fait figure de Jay Jay Johnson contemporain, autre référence plutôt sacrée. Il joue avec des musiciens passionnants comme Kamasi Washington, et invente une musique qui s'affranchit des barrières et contribue à rajeunir le public du jazz. Tant mieux !