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vendredi 26 octobre 2018

L'irrésistible attrait des Pringles

Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ; les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot – s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.
Marcel Proust.- À la recherche du temps perdu.


   L'aveuglement néocolonial est un thème récurrent de la guerre contre le terrorisme. Dans la prison de Guantánamo Bay, qu'administrent les Américains, on trouve une pièce connue sous le nom de "cabane de l'amour". Une fois qu'on a établi qu'ils ne sont pas des combattants ennemis, les détenus y sont conduits en attendant leur libération. Là, ils ont la possibilité de regarder des films hollywoodiens et de se gaver de "fast-food" américain. Asif Iqbal, l'un des trois détenus britanniques connus sous le nom du Tipton Three (le trio de Timpton), eut l'occasion de s'y rendre à quelques reprises avant que ses deux amis et lui ne fussent enfin libérés. "Nous regardions des DVD, mangions des hamburgers de McDonald, des pizzas de Pizza Hut et, en gros, décompressions. Dans ce secteur, nous n'étions pas enchaînés. Nous ne comprenions pas pourquoi on nous traitait de cette manière. [...] Le reste de la semaine, nous étions dans nos cellules, comme d'habitude. [...] Une fois, le dimanche précédant notre retour en Angleterre, Lesley [un agent du FBI] a apporté des chips Pringles, des glaces et des chocolats." Selon Rhuhel Ahmed, ami d'Iqbal, le traitement de faveur avait une explication très simple : "Ils savaient qu'ils nous avaient maltraités et torturés pendant deux ans et demi, et ils espéraient que nous allions tout oublier."


    Ahmed et Iqbal avaient été faits prisonniers par l'Alliance du Nord pendant qu'ils visitaient l'Afghanistan, où ils s'étaient rendus pour assister à un mariage. Ils avaient été sauvagement battus, privés de sommeil, rasés de force et privés de tout droit pendant 29 mois. On leur avait aussi injecté des drogues non identifiées et on les avait obligés à rester dans des positions inconfortables pendant des heures. Pourtant, l'irrésistible attrait des Pringles était censé leur faire tout oublier. Telle était effectivement l'intention.
   Difficile à croire, même si, au fond, le projet mis au point par Washington pour l'Irak reposait sur le même principe : secouer et terroriser le pays tout entier, détruire délibérément son infrastructure, rester les bras croisés pendant que sa culture et son histoire étaient vandalisés - puis tout arranger au moyen d'un afflux d'appareils électroménagers bon marché et de junk food importé. En Iraq, le cycle de l'oblitération et du remplacement de la culture n'eut rien de théorique : en fait, quelques semaines seulement suffirent pour boucler la boucle.
Naomi Klein.- La Stratégie du choc.

vendredi 21 septembre 2018

La dose de Wrobly : fructifor 2018 EC


   - Thierry Jonquet.- Le Pauvre nouveau est arrivé.

   Jonquet s'amuse !


   - Naomi Klein.- La Stratégie du choc.

   A la lecture de ce livre j'ai reçu un énorme choc. En un éclair j'ai été transporté dix ans en arrière en train d'écouter Mermet ! Plus sérieusement, la lecture de ce pavé écrit dans un style limpide procure à la fois souffrance (les victoires à répétitions de ces ordures de Chicago boys dans le monde entier), et le plaisir d'avancer dans un puzzle : le puzzle de l'histoire du monde à la louche de chouïa avant ma naissance à ma pré-quarantaine, tellement lacunaire dans mon esprit qui durant toutes ces années parfois difficiles n'a pas compris grand chose, des dictatures d'Amérique latine (Chili, Argentine...) à la Bolivie des 80's, de l'Indonésie de Suharto à la Chine de la place Tian'anmen, de la Pologne de Solidarnosc à l'Afrique du sud de Mandela, des vilenies de Thatcher jusqu'à l'oligarchie russe, l'Irak, les tortures de Guantanamo, l'ouragan ultra-libéral (l'auteure explique que le terme de "corporatisme" colle plus exactement à cette idéologie) qui dévasta la Nouvelle-Orléans... j'en passe évidemment. Tout cela vu sous l'angle de la croisade ultra-libérale (corporatiste) initiée par ce petit chancre fondamentaliste de Milton Friedman. Évidemment la charge de madame Klein est très orientée sur la version libérale du capitalisme, et on la sent plutôt indulgente pour tous les avatars du capitalisme d’État, du keynesianisme, de la planification technocratique, du nationalisme de gauche, du développementalisme extractiviste ou de la social-démocratie. Mais ce n'est pas grave, ce bouquin m'a apporté de grandes lumières.

Le film ici. Merci à Dror du blog Entre les Oreilles.


   - Julien Gracq.- Un balcon en forêt.

   Il faisait partie de ces écrivains que je ne connais pas, mais dont le nom résonne en moi comme du cristal, m'évoquant vaguement de purs ciseleurs littéraires. Il y en a quelques uns, surtout de la deuxième partie du XXème siècle, dont le prénom et le patron me font cet effet. Je crois bien que c'est parce que je les ai entendus prononcer par mon père enfant, adolescent, jeune adulte... Étant plutôt has been en littérature, et indifférent en général envers la littérature pour la littérature - il faut qu'il y ait dans les livres que je lis un ferment faisant gonfler en moi le désir de vivre, donc de changer la vie et de transformer le monde -, je suis plutôt nul en grands écrivains de cette époque, même si la poésie sonore de certains de leurs noms et les réminiscences qu'elles éveillent m'attirent quand même parfois comme le nectaire l'abeille.

   Je n'ai pas été déçu ici. Certes, c'est de la Littérature, d'une écriture sculptée au millimètre, travaillée en orfèvre. Les descriptions (surtout de paysages, montagnes, forêts, vallée...) s'enchaînent aux métaphores (souvent maritimes), avec une richesse et une précision de vocabulaire parfois fatigantes pour un autodidacte comme moi. L'argument : c'est la "drôle de guerre", les troupes s'emmerdent dans la Meuse, et le "héros" est muté dans une cabane au-dessus d'un blockhaus avec trois hommes au plus profond d'une forêt profonde de l'Ardenne, près de la frontière belge, comme dans une île déserte, le pied intégral. Et les jours et les saisons se suivent avec, d'abord insidieux, puis obsédant, le sentiment que ça va pas tarder à péter... Ça m'a rappelé, même si ça n'a pas grand chose à voir, ici on pourrait presque penser à une fiction inspirée par des faits autobiographiques alors que l'objet de ma réminiscence est une pure parabole philosophique, au Désert des Tartares de Dino Buzzati... Dans les deux ouvrages, on attend la guerre, on attend l'ennemi, ça devient une obsession, et rien ne se passe... J'ai eu aussi un flash de L'Etranger de Camus, en terminant le roman.

   Donc, merci papa. Car en plus j'ai découvert en page intérieur du livre sa signature, et vue la date du livre, il ne devait pas être bien vieux, peut-être vingt-cinq ans de moins que moi aujourd'hui, il ne devait même pas avoir encore contribué à me concevoir...


   - Henri Cartier-Bresson / Michel Bakounine.- Un autre futur.


Après ces bonnes feuilles, La Plèbe vous souhaite un bel automne, malgré tous les fachos et les libéraux, et la fin des oiseaux, des insectes et des lombrics.