- Michel Bakounine.- Ecrits libertaires.
Une toute petite compil'. J'ai déjà lu tous les ouvrages dont elle inclut des extraits, mais comme il y a quelques courriers aux membres de l'AIT dont je ne suis pas sûr d'avoir déjà pris connaissance, j'ai pris ce bouquin à la bibli. De toute façon Bakou se lit comme des poèmes. Et dans ce domaine les piqûres de rappel ne font jamais de mal.
-Henri de Montherlant.- Les Jeunes filles.
Après avoir lu un maoïste en fructidor et un trotskyste en vendémiaire, je me suis dit, tiens, pourquoi ne pas lire un écrivain de droite pour se marrer, ça fait une éternité que j'ai ce vieux poche dans ma bibli perso... Je ne connais rien de Montherlant sinon qu'il était de droite. Mais c'est pas mal, c'est un roman en grande partie épistolaire, un genre de Liaisons dangereuses toutes proportions gardées. Le personnage qui représente un peu l'auteur est un écrivain en vue, certes surplombant et condescendant en diable envers ses lectrices admiratives et fascinées, et il s'en joue, ce pour quoi il est bien de droite. Mais il a quelques réflexions et positions qui pourraient être d'un libertaire : il est athée, par exemple (ce qui ne l'empêche pas de dialoguer avec une de ses thuriféraires croyante, sans l'injurier, la montrer du doigt, appeler à la discriminer voir à la lyncher pour autant - il faut dire que cette croyante est catholique, pas musulmane) ; également il considère le mariage comme la chose la plus ridicule, stupide, grotesque qui soit... C'est bien écrit, c'est à dire qu'on ne s'ennuie pas, l'enchaînement des lettres de ces pauvresses à la torture de leur idole crée un réel suspense : comment cela va-t-il tourner ? Aussi violemment que chez le grand Choderlos de Laclos ?
-Abasse Diop.- La vie en spirale.
Ce livre m'a été offert par une magnifique Malienne, magnifique dans tous les sens du terme (vous ne devinerez jamais comment j'ai rencontré Sophie Cissé, surtout les moins de 50 ans : par Minitel, eh oui !). Ça a été une vraie amie, malheureusement pour un temps trop court. Elle était tourmentée, et moi, sortant de mon enfer alcoolique je ne rêvais que de l'âme soeur, ce qu'elle ne souhaitait ou ne pouvait pas être pour moi. J'ai donc fait un caca nerveux (eu des mouvements de mauvaise humeur et ai pris mes distances) au moment même où elle aurait peut-être eu le plus besoin (et moi aussi) d'un véritable ami. En ces débuts d'abstinence d'alcool, les 25 grammes de shit me faisaient la semaine, peut-être même le 50 g, c'est loin. Je ne prenais même pas la peine de couper ma demie savonnette en morceaux plus petits, je roulais direct en chauffant le bloc et en en détachant de gros pans pour mon mélange. J'ai sorti mon gros bazar dès ma première visite chez elle. Elle n'a pas boudé d'y goûter. Et puis elle m'a offert ce Série noire, le numéro 2485, un polar sénégalais où il n'est question que de yamba, de cannabis. Je le lis 20 ans après. Et je m'éclate bien, c'est rocambolesque et assez drôle. Enfin pour le moment : y aura-t-il une dérive à la Breaking bad ?...
Ce n'est pas la seule influence qu'a eu Sophie dans ma vie. Une autre fut beaucoup plus impactante. Elle déménageait de son appartement parisien pour aller squatter chez un oncle dans la tour d'une cité de banlieue. Elle semblait toujours en fuite. Je l'ai aidée à déménager, et pour me remercier, elle m'a donné, entre autres... son trombone !!! Elle n'en jouait pas, contrairement à Mona Lisa Klaxon, mais elle en avait un, l'objet avait dû lui plaire... Bref. Moi même ne sachant à l'époque qu'en faire (je taquinais un peu le piano, mais jamais n'avais-je soufflé dans un cuivre), je l'ai refilé plus tard à mon frère, qui le ressortait du placard lors de ses soirées de beuveries à Lamballe, Côtes d'Armor. Puis, quand lui même déménagea, il le laissa en dépôt chez sa belle mère. Il y a quelques années, alors qu'en vacances je passais voir celle-ci, elle me dit : "au fait, tu sais que j'ai toujours ton trombone au grenier, il faut que tu le récupères". Ce que je fis, et déjà l'idée de derrière la tête m'avait assaillie secrètement : à la rentrée suivante je m'inscrivis à mon premier cours. En gros, 17 ou 18 ans après le cadeau de Sophie, celui-ci trouvait sa vocation et m'apportait l'une des grandes joies de ma vie d'aujourd'hui. Merci Soso, si tu es toujours vivante.
Quand au chanvre indien, il aura fallu encore quatre ans de tentatives et de rechutes pour que ma vie et mes pensées soient finalement définitivement libérées du besoin de m'en procurer, d'en consommer et de chercher le moyen d'en obtenir davantage. A la lecture du roman, parfois, un petit désir d'en reprendre s'éveille, mais finalement, non, surtout que le héros, Amuyakaar Nodooy, peut passer une nuit blanche à s'envoyer pétard sur pétard au sens propre, pendant 8 heures. C'est trop lourd, je préfère ma camomille. Pas bon pour ce que j'ai de toute façon.
Extrait :
Il n’existait pas de débit de boissons alcoolisées à Sambey Karang. Depuis la fameuse histoire du « Bateau », personne n’était parvenu à s’établir dans le village pour en écouler.
Il y a cinq ou six générations, un bateau, en provenance d’Europe, échoua, par une mer démontée, à Ximbé. La coque ne subit aucune avarie. Sollicités, les habitants remorquèrent le navire au grand large avec leurs pirogues.
En remerciement, le commandant offrit une importante provision de vin rouge dans des tonnelets en bois. A cette époque, l’Islam était à ses premiers balbutiements en pays lébu. Dans chaque concession, on fermentait du mil dans des canaris géants. Le cadeau du commandant fut donc partagé équitablement entre toutes les familles du village.
Ce soir-là, Sambey Karang fut dans une effervescence indescriptible. Hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux étaient tous « precsionnés »*. Les incartades furent nombreuses : des vieux à barbe blanche se mirent totalement nus, en pleine rue, en chantonnant à tue-tête ; on trouva au cimetière des gens creusant les tombes de parents morts depuis belle lurette pour les faire profiter de l’aubaine…
Qui pourra jamais narrer le « Soir du Bateau à Sambey Karang » ! Le lendemain, lorsque les vapeurs de l’alcool se furent dissipées, on se rendit compte que les limites du racontable avaient été dépassées. La mère détournait les yeux devant son fils et le père baissait la tête devant sa fille. Un raz de marée de honte déferla sur le village. Le Conseil des Anciens se réunit. On fit des offrandes aux fétiches pour ne plus entendre parler de boisson alcoolisée et pour que le malheur frappe quiconque à l’avenir l’y introduirait.
[…]
L’alcool, de même que les pions** et le xompaay*** qui firent leur apparition ne purent remplacer convenablement le yamba****.
[…]
Le dérivatif le plus nocif fut le xompaay.
[…]
- Ça donne une forte precsion, parait-il, fit Bukari. C’est ce qu’avaient pris les deux militaires.
En effet, trois jours plus tôt, deux militaires du camp Borgnis-Desbordes avaient attiré tout le quartier près de la borne-fontaine. L’un d’eux brandissait son sexe en pleine érection devant les femmes intéressées, tournant en rond pour uriner tout en imitant le « pin-pon » caractéristique des pompiers. Son compagnon criait à tue-tête qu’il lui fallait une mitrailleuse pour faucher les innombrables têtes du dragon qui terrorisait le village.
*Néologisme signifiant ivre. A donné le nom precsion qui veut dire ivresse.
**Comprimés psychotropes, somnifère, tranquillisants, neuroleptiques, etc.
***Datura stramoine.
****Cannabis.
- Robière.- Triste réalité.
Bonjour cher Wrob.
RépondreSupprimerÇa a l'air bien réjouissant ce polar sénégalais ! Penses-tu qu'il ait été réédité ? je vais me renseigner.
Quant à Montherlant, si le cœur t'en dit, lit "Le chaos et la nuit", en plus du beau titre, ce roman narre l'exil en France d'un ancien combattant anarchiste ("bourgeois") officier de l'armée républicaine espagnole. tout ça d'un point de vue assez aristocratique nihiliste et totalement athée. Tout à fait atypique ce Montherlant, de droite certes mais de droite tout à fait pessimiste sans réelle adhésion à l'ordre établi.
Victoria Thérame en parle assez bien dans un passage de son récit autobiographique d'infirmière parisienne "Hosto blues", elle l'avait eu comme patient.
Va bene.
Thierry "blaireau 58"
Salut ami Blaireau, ça faisait longtemps, ça fait plaisir.
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour ces passionnantes informations sur cet écrivain dont je ne savais presque rien, Montherlant, mais que je classais un peu à l'emporte pièce parmi les fachos ou réacs de cette époque. Il semble beaucoup plus complexe et intéressant qu'un simple soutien idéologique plus ou moins hystérique de l'ordre de la domination. Et j'ai bien noté le titre poétique Le Chaos et la nuit, qui fait penser au roman d'un de ces hystériques, justement, mais qui avait une plume ébouriffante.
Dans La Vie en spirale, aux deux tiers ça se met à saigner, et on visite une prison de Dakar. On passe d'une histoire de joyeux pied nickelés dealers de cannabis, au violent et au glauque des polars biens noirs.
A bientôt !